Les passerelles entre économie solidaire et économie collaboratvepar Eugenie Lobe Conservatoire national des arts et métiers - Master Sciences humaines et sociales 2017 |
II.1.c ) Portée et sens politiques :? Participation citoyenne et exercice de la démocratie Citiz comprend un conseil d'administration, avec un président et une équipe salariale, chapeautée par un directeur général. L'assemblée générale a lieu une fois l'an et repose sur le principe d'un homme égale une voix. Il existe 6 collèges de vote correspondant aux catégories de sociétaires suivantes : - utilisateurs du service (20 %) ; - salariés (20 %) ; - membres de soutien (15 %) ; - collectivités (15 %) ; - partenaires de l'ESS (15 %) ; - partenaires de l'activité (15 %). Le Conseil d'administration se réunit en moyenne tous les 2 à 3 mois pour la structure locale. Ces instances de gouvernance relèvent parfois plus de la concertation que de la véritable participation, en dépit de la volonté des administrateurs les plus actifs. La plupart des décisions reposent sur une prise de décision du binôme Président-Directeur Général, dans une logique d'information 59Musso Pierre, « Territoires numériques », Médium, 2008/2 (N°15), p. 25-38. DOI : 10.3917/mediu.015.0025. URL : http://www.cairn.info.proxybib.cnam.fr/revue-medium-2008-2-page-25.htm 65 descendante, et une faible volonté d'autonomisation par rapport à l'équipe opérationnelle. La tentative de lancement d'un comité de réflexion stratégique visant à autonomiser l'équipe bénévole, avec un effacement progressif de la figure omniprésente du président qui a tendance par sa seule présence à orienter la discussion, s'est soldée par un échec. De manière générale, la prise de parole à ces réunions, qui facilitent ensuite les prises de décisions en Conseil d'administration et en Assemblée générale, est détenue par la même dizaine de personnes membres actives depuis le début de la création de cette activité d'auto-partage. Car on remarque peu d'intégration, à l'exception d'une ou deux personnes, parmi les nouveaux sociétaires (profil militant). Leur profil est par ailleurs très homogène, ce qui peut sembler être un frein au renouvellement et à la diversité démocratique : actifs, sensibilisés aux thématiques de la coopérative, professions intellectuelles, études supérieurs, militantisme... La mobilisation du reste des sociétaires semble difficile, en dehors des assemblées générales où la mobilisation semble importante : entre 20 et 40 personnes. ? Organisation pyramidale, sans incitation à la participation La question de la participation au sein d'Uber ne se pose pas en termes de participation, ni même de concertation, associant les parties prenantes à la prise de décision. Les « collaborateurs », chauffeurs en auto-entreprise pour la plupart, sont informés dans une logique descendante de décisions sur lesquelles ils n'ont aucune prise et qu'ils ne peuvent le plus souvent pas contester. Ainsi, en France, la commission prélevée par Uber est passée de 20 à 25 %, sans explication, ni discussion. « Avec une moyenne de 100 euros jour pour 8 courses, dont 25 % vont à Uber. La Cie Uber n'a jamais expliqué l'augmentation de 5 % aux chauffeurs. A part l'augmentation de bénéfices, je ne vois pas de raisons à cette augmentation de leur marge. Le seul truc qui pourrait éventuellement expliquer sans justifier l'augmentation, c'est le fait qu'ils ont ouvert un nouveau centre. C'est sûr que leur masse salariale, elle a augmenté, donc ça explique mais ça ne justifie pas l'augmentation de 5 %. » (Said) 66 ? Engagement volontaire relevant de la réciprocité entre citoyens (relation entre capital social et confiance et lien de réciprocité) : La démocratie participative est, suivant les dirigeants de Citiz, assez importante. Même si sa mise en oeuvre est complexe dans le sens les acteurs impliqués n'nt pas le même niveau d'engagement, ni de compétences. L'équilibre entre une équipe salariée professionnelle et un conseil d'administration, reposant sur le principe du bénévolat, est difficile à trouver. Il en va de même pour la répartition des pouvoirs entre les différentes parties prenantes de l'initiative, parmi lesquelles figurent des structures professionnelles, des représentants des collectivités et de simples usagers. La taille grandissante de la structure a une incidence sur son processus de professionnalisation et,par extension, sur le maintien de cette démocratie participative. « On en est qu'aux prémices, mais on se retrouve confrontés aux mêmes problèmes que les grandes banques, coopératives privées et mutuelles d'assurance. Et on se retrouve avec la question : "Comment je fais vivre la démocratie dans des structures très importantes? Qui a un nombre de sociétaires très important et comment je fais vivre la démocratie, en dehors du modèle où on invite les sociétaires à venir manger des petits fours une fois par an au CA ? » admet Jean-Baptiste Schmider. La participation est encouragée via la multiplication de réunions d'informations, de sensibilisation, et à travers les échanges et interactions sur les réseaux sociaux. La formalisation d'outils de formation, à destination des bénévoles est aussi en cours de réalisation, afin d'encourager la prise de parole au sein des instances de gouvernance. ? Monétisation de la confiance et assistance Il apparaît à travers les deux entretiens réalisés que la notion de confiance est primordiale dans le fonctionnement d'Uber, comme dans de nombreuses autres économies de plateforme mettant en relation un particulier anonyme avec un autre particulier, tout aussi anonyme. Le système de notation est, au sein d'Uber, garant de la qualité de la prestation, mais aussi de la fiabilité du chauffeur. En deçà de 4, 5 sur une totalité de 5 étoiles, les chauffeurs peuvent être sanctionnés, et voir leur 67 compte momentanément désactivé. La confiance remplit donc ici son rôle de monnaie virtuelle, permettant et facilitant l'échange marchand entre deux personnes ne se connaissant pas. Cela n'accroît pas pour autant le capital social de l'un ou l'autre. Y compris chez les chauffeurs, le sentiment d'appartenance à un même corps est inexistant. Cette absence de lien est à mettre en relation immédiate avec la construction difficile d'une solidarité organique entre chauffeurs, qui ne s'organise pas au sein d'Uber dans les syndicats et les prétoires. A Uber s'organise, en revanche, une solidarité non organique, mais choisie et reposant sur le principe de charité. « Uber met néanmoins une aide en direction des « Chauffeurs vulnérables », en difficulté financière mais tous les chauffeurs le sont quelque part donc je sais pas comment ils les choisissent. Notre tarif horaire, on est en dessous du smic par exemple. », confie Saïd. De même, la prise en charge sociale (système de protection sociale, d'assurance maladie et chômage) est remplacée par un système de privilèges exclusivement commerciaux, qui ne se décrochent qu'« au mérite ». « Il existe d'autres avantages non négligeables, mais qui sont plus d'ordre commercia et non social : on a des réductions chez Speedy, sur les cartes essence. On paie 20 % de moins. On ne paie pas la TVA. On a plein d'avantages comme ça. Mais, il faut faire un certain quota de courses (150 par mois) pour avoir accès à ces avantages. Par exemple là, j'ai profité d'une réduction de ma carte carburant, qui me permet d'épargner 20 % sur mon carburant. C'est-à-dire, au lieu de payer 100 euros, je paie 80 euros. Ce n'est pas négligeable. C'est une avancée récente qui n'existait pas au début », convient Djamel. ? Volonté d'émancipation et espaces publics de proximité Chez Citiz, les lieux de gouvernance représentent également des espaces publics de proximité, propices suivant le mode d'administration à la concertation ou à la participation. Les sujets abordés sont le plus souvent opérationnels (création de la marque nationale, et de manière générale des points sur l'activité). L'espace représente alors le lieu d'expression et de déploiement du processus de décision et de gestion de l'intelligence collective. Face à la difficulté de générer des revenus conséquents sur la location de véhicules, une discussion en groupe de travail, en interne, entre sociétaires a porté sur le changement de stratégie visant à la diversification de l'activité. Cette étape sert souvent au porteur de l'initiative de tribune lui permettant de roder son argumentaire. La proposition est ensuite présentée, discutée beaucoup plus brièvement et valider en Conseil d'administration, et enfin mise en oeuvre par l'équipe salariale. Les sujets abordés peuvent être aussi, même si c'est plus rare, d'ordre conceptuel ou idéologique : « On peut s'écharper des heures entières sur la juste façon d'appeler notre public : clients, usagers, bénéficiaires... », reconnaît Jean-Baptiste Schmider. ? Un espace démocratique limité qui se construit dans la conflictualité la plus marquée La participation et l'exercice démocratique, tout comme la mise en place d'une dynamique de coopération entre chauffeurs indépendants et Uber, ou même entre chauffeurs indépendants et politiques publiques sont encore embryonnaires. « Peut-être qu'à l'avenir des choses se développeront mais pour l'instant, il n'y a rien. Moi, en tant que chauffeur Uber j'aspire à gagner ma vie par ce biais, mais c'est pas gagné et je compte chercher (du travail) en dehors du domaine du transport si je ne suis pas aidé car le taux horaire est trop bas et ne permet pas de dégager des marges suffisantes. En tant que chef d'entreprise, je peux toujours me recycler dans autre chose », poursuit Saïd. S'il existe un syndicat de chauffeurs VTC, il n'y a pas de concertation directe entre eux et Uber, sous la forme d'un dialogue social. Uber décline toute forme de lien de subordination entre son entité et ces chauffeurs. Par ailleurs, la plupart, pris par l'urgence de satisfaire leurs besoins les plus primaires comme celui de manger, ne participent pas à ces réunions : « J'ai trop de choses à faire », reconnaît Saïd. 68 ? Une émancipation impossible Le travail n'est pas perçu par les chauffeurs indépendants comme vecteur d'émancipation économique ou même politique, cette sphère étant particulièrement désinvestie au profit de considérations d'ordre plus matériel, qui s'imposent immédiatement à eux. Selon Saïd, le travail est alors vécu comme aliénant : « Nous sommes gérés par un ordinateur, ce qui rend le métier très difficile. Il faut savoir s'arrêter. Certains dorment 2 à 3 jours dans leur voiture. Il n'y a aucune limitation, pas de contrôle par disque, rien. D'où certains graves accidents. Les chauffeurs peuvent travailler comme des esclaves car celui qui ne sait pas s'arrêter sera esclave d'un serveur allumé 24 h sur 24. Ce ne sont pas des humains qui sont derrière, mais des algorithmes qui se foutent de l'hygiène de vie du chauffeur. Il faut connaître ses limites et les respecter. Contrairement aux taxis où on ne peut excéder 11 h, et dans le transport routier où il y a un contrôle par disque, il n'y a aucune limite chez Uber.» Il existe un conflit entre l'idée qu'ils se sont fait de cette collaboration « volontaire » et laréalité, davantage « contrainte ». Djamel Lachkhab.prévient : « dans collaboratif, il y a le mot "collaboration" ; pour moi, c'est un partenariat entre une entreprise privée et la plateforme.Car Uber a une puissance de communication qu'on n'a pas. Ils ont une force car ils sont dans plusieurs pays (Angleterre, France, Espagne...), ils font l'intermédiation entre le client et nous. C'est un partenaire indispensable dont on ne peut se passer. Ils sont incontournables. Si on ne travaille pas avec eux, on n'a rien. Ce sont les premiers, les leaders du marché. » Au fil des entretiens, la dure réalité de la contrainte économique et financière est accentuée par le sentiment d'isolement de ces entrepreneurs. « J'aurais préféré pouvoir gérer mon entreprise et la faire prospérer, mais là je suis à la fois patron et chauffeur, il faut gérer la paperasse, l'administratif, tout ce qui est inhérent à la gestion d'une entreprise, et il faut en même temps bosser et faire du chiffre. C'est un statut un peu difficile, qui relève du salariat dans la façon de bosser mais sans la protection sociale et l'appui logistique d'une boîte pour tout ce qui est paperasse, compta, etc. On se sent très seul, on n'est pas aidé. Moi, je travaille 7 jours sur 7, 8 heures par jour, non-stop », avoue Djamel Lachkab 69 |
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