INSTITUT SUPÉRIEUR PÉDAGOGIQUE DE
GOMA
www.ispgoma.org,
ispgoma2016@gmail.com
Section des Lettres et Sciences
Humaines
Département de Français-Langues
Africaines
La parenthèse comme stratégie
d'ÉCRITURE dans ALLAH N'EST PAS Obligé DE AHMADOU
KOUROUMA
Par
Théogène HAKUZIMANA
BIZIMANA
Mémoire présenté et défendu
en vue
de l'obtention du Diplôme de
Licencié
en Pédagogie Appliquée
Option : Français
Directeur : Laurent MUSABIMANA
NGAYABAREZI
Professeur Associé
Co-directeur : Anatole BATEGERA
SIBOMANA
Année universitaire : 2016-2017
Assistant
ÉPIGRAPHE
« L'écriture n'est pas la communication
d'un message qui partirait de l'auteur et irait au lecteur ; elle est
spécifiquement la voix même de la lecture : dans le texte,
seul parle le lecteur.»
(Roland BARTHES)
DÉDICACE
À mes parents SININGINGA SINZABAKIRA Cheusi
et MUKANKUSI UWIDUHAYE Velina ;
À mes oncles, frères et amis, Augustin
MUNYAZOGEYE, Emmanuel MICHOMYIZA RWAGASORE, Twaha NSENGIYUMVA HAMISI, Alphonse
NIYONZIMA KAMANA et Néhémie LUMOO MIANYO.
REMERCIEMENTS
Ce travail est un fruit de divers apports. Nous tenons ainsi
à remercier tous ceux qui ont apporté un morceau de bois au feu
que nous avons allumé qu'est ce mémoire.
Premièrement, nous adressons nos remerciements au
Professeur Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI qui nous a formé (mes
camarades et moi) à la manipulation des outils d'analyse de discours
littéraires. Par son encadrement à l'auditoire, son
accompagnement scientifique, ses rigueur et clairvoyance animées d'une
grande éthique scientifique, il nous a fait profiter, à toutes
les étapes de travail, de toutes les richesses que peuvent procurer les
études et la recherche en Littérature.
Deuxièmement, nous remercions notre co-directeur de
mémoire qui, très soucieux de nous voir décrocher à
notre tour le diplôme de Licencié en Pédagogie
Appliquée, nous a fait bénéficier de ses corrections
constructives et ses appréciations encourageantes, lesquelles font
partie de ce dont nous nous sommes servi pour réaliser ce travail.
Enfin, nous remercions le Corps Académique qui nous a
formé à l'Institut Supérieur Pédagogique de
Goma : les Professeurs, les Chefs de Travaux et tous les Assistants du
Département de Français-Langues Africaines, pour nous avoir
conduit à l'épanouissement dans le domaine de Lettres à
travers leurs exposés et encadrements scientifiques.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.
CADRE ET CHOIX DU SUJET
Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA est
l'une des oeuvres parsemées de parenthèses. Ce foisonnement de
parenthèses constitue l'une des stratégies scripturaires et des
voies d'accès à la lecture de cette oeuvre. En effet, par le
biais des parenthèses, non seulement le narrateur offre au narrataire
l'occasion de faire corps avec une forme narrative complexe, où
l'omniprésence de parenthèses se pose en même temps comme
fondement de l'écriture, mais aussi il imprime au texte un rapport entre
l'activité scripturaire et les matériaux textuels de grande
taille.
Pour saisir la portée de cette complexité, nous
avons choisi de mener l'étude intitulée « La
parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est
pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ». Cette étude
s'enracine dans le champ de la poétique, voire de la stylistique.
2.
PROBLÉMATIQUE
Le problème qui se pose au coeur de cette étude
axée sur la parenthèse appréhendée comme
stratégie d'écriture se présente de la manière
suivante : Comment la parenthèse comme stratégie
d'écriture se présente-t-elle dans Allah n'est pas
obligé de Ahmadou KOUROUMA ? Comment s'articulent les composantes
de cette stratégie d'écriture dans l'oeuvre en étude ?
Quelles sont les manifestations des esthétiques littéraires
engendrées par la parenthèse comme stratégie
d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou
KOUROUMA ? Cette triade de questions nécessite des réponses
provisoires, mais avant leur formulation, il est nécessaire de
présenter l'objectif de cette étude.
3.
OBJECTIF DU TRAVAIL
Notre finalité est de scruter les manifestations de la
parenthèse en tant que stratégie d'écriture dans Allah
n'est pas obligé et de montrer dans quelle mesure elle participe de
la création littéraire dans cette oeuvre.
4.
HYPOTHÈSES DU TRAVAIL
Les réponses provisoires formulées aux questions
suggérées par la problématique sont les suivantes :
la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah
n'est pas obligé se présenterait comme les manifestations
énonciatives et typographiques par lesquelles l'instance
d'énonciation procède à l'insertion, à la
rectification et au commentaire de ses propos. Les composantes de cette
stratégie d'écriture dans l'oeuvre en étude
s'articuleraient comme une métatextualité ou une
métadiscursivité, dont les effets seraient la rupture de la
linéarité discursive et la connivence énonciative. Les
manifestations des esthétiques littéraires engendrées par
la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah
n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA seraient le scriptible, la
transgénéricité, ,l'intertextualité et le
fragmentaire.
5.
INTÉRÊT DU SUJET
L'intérêt de cette étude est à la
fois littéraire et linguistique. En effet, étudier la
parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est
pas obligé revient à scruter les rapports entre les
matériaux textuels et la création littéraire dont l'oeuvre
est un fruit. Il est linguistique parce que les manifestations de la
parenthèse comme stratégie d'écriture constituent des
manipulations, par le scripteur, des moyens linguistiques et langagiers mis en
oeuvre dans l'économie narrative.
6.
ÉTAT DE LA QUESTION
Nous ne sommes pas le premier à aborder une
étude ni dans Allah n'est pas obligé, ni sur son auteur.
Cependant, nous n'avons pas eu accès à tous les travaux qui y
portent un regard. Toutefois, il s'avère important d'évoquer,
parmi les travaux scientifiques dont cette oeuvre est le corpus, les
suivants :
1. AMANI MAHANO Étienne, La question de la langue
dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA,
ISP/GOMA, 2011. Dans ce travail, le chercheur a rappelé
que la langue étant un élément littéraire formel et
fonctionnel, elle permet un régime de littérarité dans
Allah n'est pas obligé. Il ajoute que toutes les
variétés possibles de la langue proviennent de la manière
dont les locuteurs s'approprient ladite langue lors de
l'opérativité communicationnelle et que ces
variétés ont des incidences sur l'esthétique de
l'oeuvre.
2. BATEGERA SIBOMANA Anatole, La connotation dans
Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA,
ISP/RUTSHURU, 2009. Le chercheur y a montré ce que traduisent les sens
connotatifs, les indices qui marquent les connotations dans l'oeuvre et la
façon dont celles-ci agissent sur le cadre stylistico-communicationnel
de l'oeuvre.
3. BUJANDA SIBOMANA Jean de Dieu, L'endophonisation
dans Allah n'est pas obligé de
Ahmadou KOUROUMA, ISP/RUTSHURU, 2013. Scrutant l'aspect stylistique qui coiffe
l'oeuvre à travers la répétition de certaines expressions,
le chercheur a conclu que l'endophonisation reste justifiée par les
mécanismes d'antéposition et de postposition des expressions
considérées comme références. Celles-ci sont,
a-t-il estimé, l'anaphore et la cataphore.
4. KAMBALE KITAHERUKA, Le picaresque dans Allah
n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/GOMA, 2014. Ce
travail fait un examen des aspects du picaresque dans cette oeuvre dont la
matière, la forme, les thèmes et l'intrigue. Il y est
affirmé que KOUROUMA se revêt du couvert de Birahima pour
véhiculer un ton picaresque par le biais du langage discourtois,
irrespectueux ainsi que l'alternance de niveaux de langue pour ainsi
atteindre un grand nombre de lecteurs.
5. KANYAMANZA BAHATI, L'imaginaire dans Allah
n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ,
ISP/LUBUMBASHI, 2003. Lors de son étude, cet auteur s'est
focalisé sur les réseaux métaphoriques qui fondent ce
texte de KOUROUMA.
6. KAZINDU NGABONZIZA Matthieu, Du métatextuel dans
Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA,
ISP/RUTSHURU, 2009. Le protexte et le métatexte, leurs visages tels
qu'utilisés par le scripteur dans son oeuvre, ce sont là les
éléments qui constituent l'armature de ce travail.
7. KUSIMWERAY RUNUSI Deogratias, Inscription de la prison
dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA,
ISP/BUKAVU, 2005. Ce mémoire cadre la prison dans une thématique
linguistique rendue tout à fait particulière par l'emploi de
quatre dictionnaires dont se sert le narrateur dans sa narration. La prison y
est donc perçue au niveau discursif.
8. LUKOGHO VAGHENI, Écriture du chaos et afro-
pessimisme dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou
KOUROUMA, ISP/Bukavu, 2006. Pour lui, ces deux termes (le chaos et
l'afro-pessimisme) peuvent se lire aussi bien dans le lexique, le discours que
dans la rhétorique à travers le roman étudié.
Par ailleurs, l'oeuvre de
Kourouma est beaucoup étudiée. C'est le cas de cette
réflexion :
« Comme il l'a fait avec le verbe
opérateur ``signifier'', pour parler de sexe féminin, il en fait
autant avec les parenthèses pour le sexe masculin. [...] Les mots
malinkés constituent des mots `'muets'' dans la langue française
car ils n'ont aucun sens. Sans explication ces mots sont des indices de
silence. Et Kourouma, pour le faire, utilise des signes d'insertion en
l'occurrence les parenthèses pour mieux les mettre en exergue sans
fioriture et sans ambages. » (Séraphin KOUAKOU KONAN,
2013 :106-107)
Bien que cette dernière étude comporte une
mention sur la parenthèse, elle ne fait que l'effleurer. Ce n'est que ce
paragraphe que ce chercheur réserve à la parenthèse. De la
sorte, ce petit détail ne peut en aucun cas empiéter sur le sujet
abordé ici.
À l'opposé de toutes ces études portant
sur Allah n'est pas obligé, dont celles-ci ne présentent
qu'un échantillon réduit, cette recherche vise à analyser
cet élément formel récurrent dans l'économie
narrative afin d'en examiner les incidences qu'il engendre sur
l'écriture. En d'autres mots, cette étude cherche à
examiner le fonctionnement énonciatif de la parenthèse et son
impact esthétique sur la construction de l'oeuvre sous examen.
7. MÉTHODOLOGIE
Cette recherche s'appuie sur trois approches à savoir
la stylistique, l'énonciation et la poétique. En effet, ces trois
approches permettent de scruter la notion typographique de
« parenthèse » dans ses rapports avec
l'écriture de l'oeuvre en étude. Car la parenthèse est un
paramètre stylistique et énonciatif qui produit des effets
formels sur les facettes de l'écriture. Aussi est-elle un
matériau textuel qui sous-tend en quelque sorte la
littérarité de cette oeuvre à des niveaux qui seront plus
tard examinés. Ainsi donc, le recours à ces trois méthodes
dans nos analyses s'avère indispensable.
Outre ces approches, les techniques documentaire et
d'observation ont facilité la collecte des données relatives au
sujet et à la présentation desdites méthodes. Leur apport
à notre lecture et la description de ces approches sont indiqués
dans le premier chapitre du présent travail.
8.
SUBDIVISION DU TRAVAIL
Ce travail est constitué de trois chapitres. Le premier
intitulé « Cadre conceptuel et
méthodologique » présente les données
théoriques sur la parenthèse ainsi que sur la méthodologie
choisie. Le deuxième s'intitule « Les composantes de la
parenthèse dans Allah n'est pas obligé ». Il
analyse le fonctionnement de la parenthèse dans ses articulations
énonciatives et stylistiques. Le troisième chapitre
est « La parenthèse comme stratégie
d'écriture dans Allah n'est pas obligé». Ce dernier
se base sur la matérialité de la parenthèse comme
participant de la création littéraire de cette oeuvre, à
travers les effets esthétiques qu'elle engendre.
9. DIFFICULTÉS
RENCONTRÉES
La réalisation de ce travail nous a coûté
des efforts et une endurance fort remarquables. En effet, l'état de
santé longtemps fragile marqué par l'incapacité de nous
concentrer sur la lecture a été une entrave à la
rédaction. À cela s'est ajoutée l'insuffisance des moyens
financiers.
Cependant, quelque difficile que soit toute recherche
scientifique, le courage suffit pour l'affronter. Ainsi donc, le peu de
bravoure que nous avons eue nous a suffi pour contourner ces obstacles.
CHAPITRE I. CADRE CONCEPTUEL ET MÉTHODOLOGIQUE
I.1. INTRODUCTION
Ce chapitre présente, en premier lieu, les notions
théoriques qui corroborent notre sujet. Celles-ci sont notamment la
parenthèse, la stratégie et l'écriture que nous
présentons tout en croisant le regard sur leurs extensions
théoriques adéquates à notre sujet. Dans la suite, il est
question de la méthodologie permettant de placer la parenthèse
dans les stratégies d'écriture fondatrices de Allah n'est pas
obligé. Le chapitre se clôt sur une présentation du
corpus.
I.2. CADRE CONCEPTUEL
I.2.1. LA PARENTHÈSE
En français, les parenthèses font partie des
signes de ponctuation entre lesquels on place les composantes linguistiques que
l'on veut soit isoler, soit expliquer. Ces signes apportent une information
supplémentaire suivant leur contexte d'apparition. Cependant, des
auteurs leur reconnaissent plusieurs définitions. En effet :
« Les parenthèses marquent l'insertion
d'un élément, plus ou moins court, détaché et
isolé par rapport à la phrase. Obligatoirement doubles (ouverte
et fermée), elles encadrent l'élément qui est
appelé lui-même parenthèse et elles correspondent à
une suspension mélodique à l'oral. Le groupe entre
parenthèses possède sa mélodie propre, indépendante
du discours où il est inséré [...].
L'élément isolé par les parenthèses peut être
totalement indépendant du contexte où il est
inséré, alors qu'un terme détaché à l'aide
de la virgule garde un lien syntaxique avec son contexte.
Généralement, cet élément que le locuteur n'a pas
jugé bon de faire figurer directement dans son texte de base, a une
importance secondaire et pourrait être retranché sans affecter le
sens ni la construction de la phrase[...].Les parenthèses servent ainsi
à insérer des réflexions incidentes, des commentaires ou
des rectifications... » (Martin RIEGEL et al.,
2016 :158-159)
Cette définition montre que la parenthèse est
une marque typographique. En effet, elle est un espace d'insertions isolantes,
explicatives au milieu ou à la fin des unités syntaxiques.
Typographiquement limitée à gauche (parenthèse ouvrante)
et à droite (parenthèse fermante), elle peut constituer une
brisure ou un prolongement de l'énoncé qui l'abrite. Ce qui
revient à dire qu'elle remplit des rôles discursif,
métadiscursif et énonciatif. À l'oral, on la
reconnaît donc grâce aux traits prosodiques tels la pause, le
groupe rythmique. Elle peut aussi être perçue, dans une
chaîne parlée, comme un silence dont le locuteur a besoin pour
respirer. En d'autres termes :
« La parenthèse est un fragment discursif
inséré entre deux éléments d'une phrase [...]. Les
dimensions de la parenthèse sont très variables : d'un mot
à un long fragment de discours. Le statut de la parenthèse par
rapport à la phrase dans laquelle elle s'insère est
également variable : apposition explicative, commentaire
métalinguistique, incise, digression, etc. Au niveau de la manifestation
écrite, la parenthèse [...] est l'un des éléments
qui permettent de signaler le statut de la parenthèse[...] d'un
élément du discours. » (Michel ARRIVÉ et
al., 1986 : 469-470)
On constate que la notion de parenthèse renvoie, non
seulement à l'idée de ponctuation, mais aussi et surtout aux
opérations discursives. Elle est, en fait, un des participants de
l'organisation de l'énoncé textuel, et pour ainsi dire, une
stratégie d'écriture. Pour mieux saisir sa portée, nous
présentons ces notions soeurs de la parenthèse qui font d'elle
une notion relative à la syntaxe, à la grammaire et aux
études énonciatives. Les auteurs qui définissent les
parenthèses s'accordent donc sur le fait qu'elle se rapproche des formes
énonciatives d'ajout que nous présentons dans les lignes
suivantes.
I.2.1.1. La suspension
Par suspension, il faut entendre une opération
qui :
« Consiste en effet en une manipulation
opérée sur la distribution habituelle des syntagmes : avec
la suspension, ceux-ci ne se suivent plus dans l'ordre ordinaire des
contiguïtés de dépendance, mais voient leur succession
morcelée entre les groupes fonctionnels (et non à
l'intérieur des groupes comme dans la tmèse). Des
éléments adventices viennent segmenter les
contiguïtés attendues.» (Georges MOLINIÉ,
2009 :311)
La suspension contrarie donc l'organisation ordinaire de la
phrase qu'elle se charge de morceler en fragments non successifs. Elle
participe donc du bouleversement de l'ordre linéaire des composantes
syntaxiques. Ce bouleversement peut parfois conduire au commentaire.
I.2.1.2. Le commentaire
narratif
Le commentaire désigne un ajout au thème ou
sujet traité. Il se définit comme suit :
« Cette notion s'apparente à une sorte de
digression que le narrateur ou le personnage place dans son discours, pour des
raisons et convenances personnelles, lors des activités de narration ou
de discours. Dans l'économie narrative, le commentaire assume les
fonctions de pause narrative en soulignant les valeurs explicatives de
retardement, de clause narrative, de distraction, de précision, d'incise
ou de modalisation d'un récit. On est tenté de dire que le
commentaire narratif peut rejoindre les fonctionnements de la clause narrative
avec comme caractéristiques fondamentales, l'installation des marques
intertextuelles. » (Laurent MUSABIMANA, 2015a : 43)
De cette considération, il ressort que le commentaire
est mis en oeuvre par un narrateur pour ses raisons particulières. Ainsi
donc, il est un subjectivème. Il peut aussi surgir pour installer une
pause dans la narration, ou pour la retarder. Le commentaire peut aussi
référer à un intertexte qui devient une forme
d'explication.
I.2.1.3. La glose
Ce concept s'apparente à son tour à celui de la
parenthèse. En effet :
« La glose désigne une annotation
brève, portée sur la même page que le texte, qui sert
à expliquer le sens d'un mot inintelligible ou tout passage obscur. La
glose était surtout un commentaire de la Bible ou des textes pratiques.
[...] On distinguait la glose interlinéaire, ensemble des notes
explicatives d'ordre grammatical ou historique, de la glose marginale ou
ordinaire, qui était destinée à éclairer les
différents sens cachés d'un énoncé. »
(Paul ARON et al., Op.cit., 324)
La glose est donc destinée à éclairer le
sens d'un mot ou d'un passage dans un texte. Il peut s'agir d'un terme rare ou
spécifique le narrateur explicite pour faciliter la compréhension
dudit terme par le narrataire. La glose prend alors la facture d'un autre texte
dans le texte global.
I.2.1.4. L'intertexte
La notion d'intertexte est liée à celle
d'intertextualité. En effet :
« Au sens strict, on appelle
intertextualité le processus constant et peut-être infini de
transfert de matériaux à l'intérieur de l'ensemble de
discours. Dans cette perspective, tout texte peut se lire comme étant
à la jonction d'autres énoncés, dans des liens que la
lecture et l'analyse peuvent construire et déconstruire à l'envi.
En un sens plus usuel, intertextualité désigne les cas manifestes
de liaison d'un texte avec d'autres. » ( Paul ARON et al.,
Op.cit. : 392)
L'intertextualité postule donc l'idée que le
texte est la somme d'autres ayant existé avant son existence. Dans ces
conditions, les traces de ces prototextes constituent alors des intertextes.
Ces derniers deviennent comme des textes seconds.
I.2.1.5. Le
métatexte
La racine grecque « méta »
désigne à la fois ce qui est « au-dessus » ou
« au-delà » et ce qui est l'objet d'un changement.
Ainsi, les concepts métatexte, métadiscours et métalangage
ont en commun ce caractère qui indique le passage au second
degré. Cependant, pour les démarquer, il convient de signaler
que :
« Le terme métatexte et l'adjectif qui en
est dérivé, métatextuel, sert à désigner les
écarts narratifs dans lesquels l'auteur se propose de nous fournir un
commentaire du texte qu'il est en train d'écrire ou une réflexion
à caractère littéraire personnel. La diégèse
est abandonnée au profit d'un ``discours second ''où l'auteur
apparaît en tant que personne réelle. » (Yves
STALLONI, 2012 : 148)
Le métatexte constitue donc un retour sur ce qui est
dit pour en fournir des informations jugées importantes par celui qui
produit les illocutions. En outre, le métatexte est une sortie du texte
qui affiche la présence du scripteur. Bref, le métatexte est un
texte sur le texte.
I.2.1.6. Le
métalangage
Le métalangage, lui aussi, est bâti sur la racine
grecque « méta » et désigne à son tour
un langage sur le langage. Roman JAKOBSON en parle quand il présente les
six fonctions du langage en indiquant que « La fonction
métalinguistique consiste à expliciter les composantes et le
fonctionnement du code. » (Jean MILLY, 2O1O : 13) Le
métalangage est donc l'ensemble des informations tenues pour rehausser
une forme langagière donnée. L'auteur ci-dessus
renchérit :
« Par sa dimension métalinguistique, le
texte présente et commente son propre langage, lorsqu'il fournit des
définitions, des paraphrases, des traductions, des explications des
termes (c'est-à-dire des gloses), des exemples linguistiques. Il
utilise, voire modifie ou complète le dictionnaire idéal, parfois
la grammaire que nous portons tous plus ou moins consciemment dans notre
mémoire. » (Jean MILLY,
Op.cit :20)
Le métalangage est donc lui aussi une explication, un
commentaire du langage du texte par celui-ci. Les grammaires et les
dictionnaires en sont truffés parce qu'ils décrivent les mots,
dans leurs origines, leurs catégories, leurs sens, etc. qui sont autant
des facettes d'un langage sur le langage et peuvent se retrouver
intégrés dans le texte littéraire.
I.2.1.7. Le
métadiscours
Quant au sujet du métadiscours, il convient de noter
que :
« Le métadiscours se présente
comme un jeu avec le discours ; il constitue en réalité un
jeu à l'intérieur de ce discours. Ce qui suppose, une fois de
plus, que l'on ait une conception appropriée de la discursivité,
non pas un bloc de mots et de propositions s'imposant massivement aux
énonciateurs, mais un dispositif qui fraye ses chemins, qui
négocie continuellement au travers d'un espace saturé par des
mots, des paroles autres. » (Dominique MAINGUENEAU,
1987 :68)
De ce qui précède, nous pouvons dire que le
métadiscours se présente comme un retour sur et dans le dit. Il
constitue une parole sur la parole du locuteur, un texte sur le texte du
scripteur ou encore un discours sur le discours du locuteur et par
lui-même.
I.2.1.8. L'incise.
Par cette notion, il convient de noter que :
« Dans le discours narratif, les incises
désignent des procédés linguistiques et typographiques
accompagnant la reproduction des paroles ou des pensées des personnages
au style direct par le narrateur.[...] Les incises jouent des rôles
fondamentaux dans le tissu narratif dialogal. Elles font transparaître
que le dialogue romanesque n'est pas autonome dans le récit. [...] Elles
constituent la marque de l'énonciation première, source unique de
toutes les voix, qui, découpant et distribuant le discours d'autrui,
manifestent leur activité d'instance organisatrice du texte qui
règle paroles et mouvements. » (Laurent MUSABIMANA
NGAYABAREZI, 2015a : 147-148)
Les incises désignent donc des composantes
énonciatives qui indiquent celui qui a proféré telle ou
telle parole et sont ainsi liées au discours rapporté.
Autrement dit, les incises se manifestent comme des marques d'insertion
syntaxique se présentant comme des commentaires ou des indications
opérées par la personne qui prend la parole dans
l'énoncé.
I.2.1.9. La digression
La digression est une sorte de déviation ou de
glissement vers l'à-côté du propos du locuteur sans le
perdre de vue. Mais elle peut être prolongée de manière
à faire oublier la voie initialement tracée. Yves STALLONI la
définit en ces termes :
« En littérature, on parle de digression
pour désigner un développement qui s'écarte du sujet
principal, qui n'est pas indispensable au sens. Le procédé est
fréquent dans les textes de la subjectivité, qui imitent le
monologue ou la correspondance qui prolonge la parole libre de la
conversation. » (Yves STALLONI, Op.cit : 64)
Ainsi considérée, la digression
déstabilise la linéarité de la narration, voire un
micro-récit et la dévie de façon plus ou moins
prolongée. Du côté de l'action du sujet de la narration, la
digression retarde son dénouement. Dans ces conditions, le lecteur court
le risque de se sentir ennuyé et est susceptible de se perdre dans les
chemins de lecture. La digression peut amener des considérations de
commentaire.
I.2.1.10. L'autocorrection
On parle d'autocorrection, lorsqu'on « retrace
en quelque sorte ce qu'on vient de dire à dessein pour y substituer
quelque chose de plus fort, de plus tranchant ou de plus
convenable. » (FONTAINIER cité par Bernard DUPRIEZ,
1984 : 86). L'autocorrection est donc une correction effectuée par
le locuteur sur son propre dire lorsqu'il s'adresse à d'autres ou
à soi-même. Et ce, en vue d'expliciter profondément ce que
l'on dit.
I.2.1.11. L'explication
Une explication est un développement destiné
à éclairer, à faire comprendre. En d'autres termes :
« Expliquer nous semble constituer une intention
particulière qui ne se confond pas avec informer ; le texte
explicatif a sans doute une base informative, mais se caractérise, en
plus, par la volonté de faire comprendre les
phénomènes : d'où, implicite ou explicite,
l'existence d'une question comme point de départ, que le texte
s'efforcera d'élucider. Le texte informatif, en revanche, ne vise pas
à établir une conclusion : il tra nsmet des données,
certes organisées, hiérarchisées [...], mais pas des fins
démonstratives. Il ne s'agit pas, en principe, d'influencer l'auditoire,
de le conduire à telle ou telle conclusion, de justifier un
problème qui serait posé. »(Bernard COMBETTES et
Roberte TOMASSONE cités par Jean-Michel ADAM, 2011 :158)
L'explication est donc destinée à
éclaircir une situation donnée. Elle peut porter sur la
causalité, la contextualité, les effets de la situation
contextuelle. Elle présente ainsi des liens serrés avec la
parenthèse, car celle-ci est aussi une extension d'un
énoncé pour en faciliter soit la compréhension, soit le
contexte, selon ce que veut exprimer le locuteur. Pareille composante
énonciative peut occasionner plusieurs fonctions syntaxiques.
I.2.1.12. L'apposition
L'apposition s'inscrit dans le tableau des fonctions du nom.
Cela veut dire que :
« Cette dénomination est acceptable si on
la prend dans son sens strictement formel et étymologique où
apposition signifie `'mettre à côté de''. Le GN
apposé est en effet placé à la suite d'un autre GN [...]
On ajoute généralement que les deux GN sont dans un rapport
d'identité référentielle. » (Martin RIEGEL et
al., 2009 :354)
On comprend que l'apposition désigne un groupe nominal
placé à côté d'un autre groupe nominal avec lequel
il noue un rapport d'identité référentielle. Ceci revient
à dire que les groupes nominaux apposés désignent la
même réalité que ceux auxquels ils sont joints. Ainsi,
l'apposition rencontre l'apparent comportement d'une insertion de
parenthèse, car celle-ci est toujours en rapport d'identité
référentielle avec son déclencheur.
I.2.1.13. La rectification
La rectification est une notion qui « repose sur
des processus d'ajustement permettant de concilier les représentations
du locuteur et le consensus dénominatif d'une langue. » (
http://questionsdecommunication.revues.org,
consulté le 07 août 2017). La rectification désigne donc le
fait qu'un locuteur fait l'analyse de sa propre locution en vue de l'ajuster,
de la conformer soit à la langue, soit au contexte. Il ne s'agit pas
d'un échec de communication, mais plutôt d'un mode de
multiplication des perspectives de l'énonciation. Dans ces conditions,
la parenthèse noue des liens fortement sémantiques avec la
rectification car elle surgit dans l'énoncé dans le cadre de
l'ajuster selon les visées du locuteur dans son propre discours. La
rectification peut parfois conduire à des reprises.
I.2.1.14. La
répétition
La répétition désigne un
procédé narratif par lequel :
« On attend d'une phrase qui suit une autre
qu'elle apporte un certain nombre d'informations nouvelles, mais qu'elle
reprenne également des éléments présentés
dans celle qui précède. C'est ce que l'on nomme en linguistique
la `'chaîne de référence'', c'est-à-dire la suite
d'expressions linguistiques qui, dans un texte, désignent le même
référent. » (Karl COGARD, Op.cit :
219)
La répétition consiste en une reprise d'un
événement déjà raconté dans le
déploiement narratif. La répétition peut engendrer une
lenteur narrative lorsque le narrateur revient à maintes fois sur le
même événement, les mêmes faits.
I.2.1.15. Le détachement
La parenthèse est syntaxiquement perçue comme
une forme de détachement. En effet, cette notion renvoie à
:
« Des modificateurs non pas du nom mais du GN
entier ; ils sont facultatifs et leur occurrence dans la phrase est
subordonnée à celle du GN dont ils dépendent. Leur
position détachée est matérialisée à
l'écrit par des pauses (et parfois par une mélodie
`'parenthétique'').» ( Martin RIEGEL et al., 2016 :
353)
La notion de détachement fait donc penser à des
constituants syntaxiques non essentielles dans une unité syntaxique,
modificatrices du groupe nominal. Autrement dit :
« [...] on note que le détachement sert
à désigner tout à la fois : (I) un
phénomène très général de
discontinuité syntaxique, qui, selon les approches et les types de
segments visés, présuppose ou non une conception
dérivationnelle de la formation des constructions, autrement dit la
dislocation d'un segment linéaire ; (II) certains faits relatifs
aux positions syntaxiques [...] ; (III) les opérations
linguistiques dont ces faits sont censés résulter
(prédication seconde, topicalisation, thématisation,
référenciation, etc.). » (Franck NEVEU,
2011 : 120-121)
Il est clair que la parenthèse entre dans la ligne de
ces phénomènes car ceux-ci reposent sur la ponctuation, notamment
la virgule, les guillemets, les tirets, qui, par ailleurs, sont des signes
immédiatement repérables et interprétables comme des
marqueurs de détachement syntaxique. Ceci permet de rappeler qu'une
parenthèse est d'ailleurs typographiquement marquée par les
inclinations, les tirets doubles et qu'elle est toujours une résultante
d'un référent antérieur à elle.
1.2.1. 16. La ponctuation
La parenthèse est un signe de ponctuation. Ainsi
trouvons-nous utile de rappeler que la ponctuation se présente de
la manière suivante :
«La ponctuation désigne l'ensemble des signes
typographiques qui marquent, dans un texte, les ruptures de rythme que l'auteur
entend accentuer soit pour des raisons grammaticales, soit pour respecter une
intonation, soit encore pour faciliter la compréhension du
lecteur.» (Paul ARON et al., Op.cit. : 595)
La ponctuation est donc un ensemble de signes
idéographiques qui ne sont présents et perceptibles qu'à
l'écrit. Trois rôles sont dévolus à la
ponctuation : organiser le texte écrit, orienter sa prosodie, voire
ses réseaux de sens. Ceci revient à dire que la ponctuation est
l'un des éléments clés pour déchiffrer le texte.
Les signes de ponctuations sont multiples : la virgule, le point, le
point-virgule, les deux points, les tirets, les points d'interrogation ou
d'exclamation, les guillemets, les parenthèses, le trait d'union, le
blanc graphique, l'astérisque, etc. L'usage de la ponctuation
dans le discours littéraire participe de son organisation
esthétique.
I.2.2. LA STRATÉGIE
Le terme `'stratégie'' peut s'appliquer à
n'importe quel domaine de l'activité humaine. Dans le domaine
littéraire, il s'entend de la manière suivante :
« Appliqué au domaine littéraire,
il sert à décrire des réalités internes au champ
(la carrière littéraire proprement dite), et externes à
celui-ci (les effets de cette carrière sur la mobilité sociale
des écrivains), mais aussi, des façons de conduire la
rédaction des oeuvres. » (Paul ARON et al.,
Op.cit. : 734)
La stratégie regroupe tout ce qui est mis en jeu,
quelle que soit la manière, pour atteindre un objectif. En
corrélation avec l'écriture, une stratégie est donc tout
ce que le scripteur aura mis en jeu pour atteindre sa fin, pour architecturer
son texte. La stratégie littéraire joue sur la manière
dont le texte est rédigé. Elle touche ainsi à des traits
de création.
I.2.3. L'ÉCRITURE
L'écriture doit être appréhendée
dans le contexte où l'ont placée les travaux de Roland BARTHES ou
encore ceux de Oswald DUCROT et Tzvetan TODOROV. En effet :
« L'écriture est précisément ce
compromis entre une liberté et un souvenir, elle est cette
liberté souvenante qui n'est liberté que dans le geste du choix,
mais déjà plus dans sa durée. Je puis sans doute
aujourd'hui me choisir telle ou telle écriture, et dans ce geste
affirmer ma liberté, prétendre à une fraîcheur ou
à une tradition, je ne puis déjà plus la développer
dans une durée sans devenir peu à peu prisonnier des mots
d'autrui et même de mes propres mots. » (Roland BARTHES,
1972 :16)
L'écriture est perçue ici comme la
création. C'est, autrement dit, le fait que des écrivains
choisissent d'exprimer leurs pensées indépendamment des normes
prétracées. L'écriture repose sur des matériaux
linguistiques, langagiers, syntaxiques, pragmatiques, thématiques,
idéologiques, etc. qui rendent tel ou tel texte singulier. Cette
façon singulière de conduire telle ou telle architecture
littéraire amène des considérations esthétiques
postmodernes. Mais avant d'en être là, il importe d'évoquer
la littérature lisible.
I.2.3.1. Le texte lisible
Le texte est dit lisible, c'est :
« Ce qui n'est plus possible d'écrire, ce
qui est sorti de la pratique de l'écriture, ce qui peut être lu
mais non écrit, ce qui me place dans une sorte d'oisiveté,
d'intransitivité, de désireux, ce qui ne me laisse plus en
partage que la pauvre liberté de recevoir ou de rejeter le texte, ce qui
ne me fait pas accéder pleinement au jeu et à l'enchantement du
signifiant , à la volupté de l'écriture, ce qui me
sépare de l'auteur, de l'écrivain. » (
https://sortiedelaconfusion.wordpress.com ;
consulté le 08 aout 2017)
Ainsi, le texte lisible dit aussi classique se
caractérise par le respect du conventionnel, c'est-à-dire les
normes classiques qui sont la logique du récit et la syntaxe comme
points prépondérants. Il met l'accent sur le contenu, le message
et accorde moins de valeur au travail de la forme qu'il considère comme
un simple outil au service du message.
I.2.3.2. Le texte
scriptible
L'écriture scriptible ou constructiviste est celle,
qui :
« se caractérise non par la lecture
passive du lecteur, mais par la participation active du lecteur, qui devient
alors coauteur du texte. [...] Cette esthétique scriptible contraint la
littérature à ne travailler que sur le signifiant, pour produire
des textes à l'infini. Le lecteur n'est plus un consommateur oisif du
texte, mais devient coproducteur du texte en participant à son
engendrement. Cette participation du lecteur à la production du texte
devient l'objectif primordial qui remplace la production du signifié
dans la lecture. La lecture devient réécriture, reconstruction du
signifiant. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI,
2015a : 291)
Le texte lisible rend donc le lecteur non passif d'une
activité critique, extérieure au texte, mais actif,
c'est-à-dire reproducteur du texte qu'il est en train de lire,
co-écrivain de ce texte en quelque sorte.
I.2.3.3. Le texte
fragmentaire
Le texte fragmentaire, quant à lui, fait penser
à la notion de `'fragment''. Il peut éclater en fragments car il
en est constitué. Autrement dit :
« Toute structure inachevée, tout texte
inachevé, tout texte qui devient un moule à remplir, est un texte
fragmentaire. [...] Ce qui revient à dire que le texte fragmentaire se
caractérise par l'inachèvement du texte : présence
des micro-récits indépendants, d'aposiopèse ; il n'y
a plus de suite logique entre parties consécutives du texte. On dirait
qu'il évolue du coq-à-l'âne ; le roman est
brisé par des récits de rêves, de coupures de presse ou de
digressions de toutes sortes.» (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI,
2015a :133-134)
L'écriture fragmentaire ne se conforme donc pas
à la progression de nature linéaire. Le texte paraît un
agglomérat d'unités hybrides et n'a pas d'extrêmes :
le début et la fin. Il est segmenté de ruptures, de retours, de
déplacements, de secousses, etc. Il est ainsi incomplet,
inachevé, voire précaire.
I.2.3.4. Le texte recevable
Au
sujet de l'écriture dite recevable, il est à noter que :
« `'Texte érotique'', `'texte à
sexualité crue'', `'texte pornographique'', `'texte obscène'',
`'littérature du corps'', etc., le texte recevable ou l'audace
reçoit quantité de dénominations. En effet, avant
l'avènement de la modernité, le texte n'était recevable
que par le travail du signifié. La recevabilité se propose,
aujourd'hui, de le rendre recevable autrement, c'est-à-dire par l'empire
des signes. La recevabilité des textes loge désormais dans la
sécrétion des pulsions par l'inscription de l'érotique
dans le signifiant. L'érotisme désigne donc la part de la
littérature amoureuse qui insiste sur les plaisirs de la
chair. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a :
263)
L'écriture recevable est celle qui est relative
à l'expression de l'érotisme. Elle se reconnaît donc par
ses marques langagières qui font écho de l'expression des
sentiments amoureux qui insistent sur le plaisir sexuel.
I.2.3.5. Le texte
transgénérique
Celui-ci, quant à lui, fait penser à celui dont les
caractéristiques se présentent dans le passage
ci-dessous :
« Par mélange des genres, que l'on nomme
aussi `'texte transgénérique'' ou `'cumul des genres'' ou texte
limite, on désigne tout texte regorgeant, dans sa trame, d'une rencontre
de genres d'autres types de textes qui lui sont différents, de niveaux
de langue, de néologismes, etc. [...] Les genres littéraires se
mêlent dans une même oeuvre : le roman, par exemple, peut
contenir à la fois le conte, le proverbe, la poésie, la comptine,
la lettre, le recours incessant aux couleurs locales, etc. Comme on peut le
remarquer, le transgénérique réside non seulement dans le
mixage de plusieurs genres, oraux ou écrits, discours de toutes sortes
dans une oeuvre littéraire écrite, mais aussi dans le
foisonnement de plusieurs cultures dans une même culture ou même
oeuvre littéraire qui a le statut d'homogénéité
reconnu comme tel par l'institution littéraire. »
(Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 326-327)
De ce qui précède, il convient de souligner que
l'écriture transgénérique fait penser à
l'hybridité générique, c'est-à-dire le
mélange de plusieurs genres littéraire dans un seul. Aussi
note-t-on qu'il peut s'agir du mélange des cultures ou
l'hybridité culturelle, voire de langues.
I.2.4. LA PARENTHÈSE
COMME STRATÉGIE D'ÉCRITURE
Étudier la parenthèse comme stratégie
d'écriture revient à examiner cette composante typographique
comme fondement de l'écriture. Autrement dit, il est question de
chercher à saisir la portée organisationnelle du texte
engendrée par la parenthèse, de s'imprégner des traits
esthétiques que génère la parenthèse. Certes, cette
étude se veut donc un examen de la construction, de l'organisation du
texte à travers l'un de ses matériaux qu'est la
parenthèse. C'est pour souligner que la parenthèse comme
stratégie d'écriture s'entend comme l'une des composantes
typographiques et énonciatives à travers lesquelles l'instance
énonciative rectifie, insère et commente les
énoncés qu'elle met en oeuvre. Et ce, pour ériger un texte
doté de traits esthétiques postmodernes.
Somme toute, les notions théoriques
présentées jusqu'ici permettent de placer cette étude dans
le champ de la poétique, voire de la stylistique. tributaires de la
ponctuation, ou une de ses composantes. Car la parenthèse touche
à la fois aux facettes formelles et matérielles du discours
littéraire ainsi qu'à la manière dont le texte est
organisé.
I.3. CADRE MÉTHODOLOGIQUE
Cette section présente, premièrement, les
techniques qui ont concouru à la récolte des données
à analyser, à savoir l'observation et la technique documentaire.
Dans la suite, nous montrons que cette étude se fonde sur trois
approches dont l'énonciation, la stylistique et la poétique. Leur
présentation dans les lignes qui suivent part de l'aspect historique
à l'aspect pratique de chacune d'elles en passant par leur
caractère définitoire. Et ce, de manière succinte.
I.3.1. LES TECHNIQUES
Les techniques sont des moyens qui permettent de recueillir
les données sur terrain. À cet effet, nous nous appuyons sur la
technique documentaire et celle d'observation dans la collecte des extraits
romanesques et des théories nécessaires à notre
interprétation. En effet, au sujet de la technique d'observation, Karl
KOGARD (Op.cit. :153-154) stipule que :
« Tout part de l'observation. [...] c'est avant
tout de l'examen attentif de la forme du texte que peut se dégager un
sens. [...] commencer par l'observation implique que l'on ait à sa
disposition un certain nombre de connaissances préalables, linguistiques
notamment, qu'il s'agit de mettre à l'épreuve du passage
étudié. Cependant, rien de plus dommageable pour le texte que de
lui imposer un outillage linguistique, poétique et rhétorique
sans l'avoir questionné au préalable. »
C'est pour dire que l'observation est aisée lorsque
l'observateur dispose des connaissances préalables pouvant lui permettre
de remarquer, reconnaître, mesurer ou évaluer les données
textuelles qui se présentent en sa face. La technique documentaire, par
contre, nous conduit dans la sélection des documents utiles pour notre
recherche. C'est pourquoi :
« Une fois rassemblés, ces
différents documents peuvent contribuer [...] à cacher le terrain
ou certaines situations et/ou peuvent faire l'objet d'une analyse de contenu
[...]. Cette documentation permet d'étoffer les données et de
donner de l'air aux perspectives, les `'matériaux [devenant ainsi]
très divers, de façon à autoriser une compréhension
de l'ordre des choses dans les fouillis du réel ».
(Gérard DERÈZE, 2009 : 154)
Il convient de souligner que les documents
sélectionnés pour la réalisation de cette recherche ont
servi à rassembler les données théoriques de toutes sortes
dont ce travail est un réservoir. Pour les interpréter, les
approches sont nécessitées.
I.3.2. LES MÉTHODES
I.3.2.1.
L'énonciation
Au sujet de cette approche d'inspiration linguistique,
Fossion et Laurent (1981 :65) estiment que :
« Depuis les années 60 s'élabore,
à la suite du linguiste Émile Benveniste, une linguistique de
l'énonciation. Il s'agit d'aborder les actes de parole en tant
qu'appropriation de la langue par un individu. Benveniste veut tenter de
dépasser la séparation langue/parole en montrant comment la
parole est un exercice particulier d'appréhension de la langue par le
sujet parlant. »
Il en résulte que l'énonciation doit sa
présentation systématique au linguiste français
Émile BENVENISTE dans ses Problèmes de linguistique
générale. Cependant, les premiers jalons de
l'énonciation ont été posés par le russe
Mickaïl BAKHTINE vers 1920, soit douze ans avant que Charles BAILLY ne
vînt lui proposer sa première définition dans le monde
francophone. C'est aussi avec BAILLY et BENVENISTE que l'énonciation a
quitté le contexte phrastique vers celui de la profération
interlocutoire, vers la subjectivité du langage et la prise en compte
des énoncés par leur producteur. C'est ainsi que Benveniste
conçoit cette méthode :
« L'acte individuel par lequel on utilise la
langue introduit d'abord le locuteur comme paramètre dans les conditions
à l'énonciation. Avant l'énonciation, la langue n'est que
la possibilité de la langue. Après l'énonciation, la
langue est effectuée en une instance de discours, qui émane d'un
locuteur, forme sonore qui atteint un auditeur et qui suscite une autre
énonciation en retour. En tant que réalisation individuelle,
l'énonciation peut se définir par rapport à la langue,
comme un procès d'énonciation. Le locuteur s'approprie l'appareil
formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des indices
spécifiques, d'une part, et au moyen de procédés
accessoires, de l'autre.» (Émile Benveniste,
1974 :81-82)
Il y a donc énonciation dès qu'un locuteur ou
énonciateur adresse un énoncé (le produit de l'acte
d'énonciation) dans des circonstances spatio-temporelles
particulières. Le locuteur et l'allocutaire sont appelés des
interlocuteurs. Avec les indices de lieu, de temps, et de la
subjectivité du locuteur dans ses énoncés,
l'énonciation se voit ainsi dotée d'une si noble tâche
d'aider à les analyser dans toute forme de production discursive.
Autrement dit :
« Les recherches linguistiques qui
intègrent la dimension énonciative suivent deux orientations
différentes. L'une s'attache avant tout au fonctionnement
référentiel des formes linguistiques, notamment des pronoms
(deixis et anaphore). L'autre, partant des actes de langage, est
représentée par différents courants pragmatiques,
notamment la pragmatique cognitive (Sperber & Wilson 1989) et l'approche
interactionniste (Kerbrat-Orecchioni 1990-1994). » (Martin
Riegel et al., 2016 :971)
Toute énonciation suppose en effet des protagonistes
(le locuteur et l'interlocuteur), la situation spatio-temporelle et le cadre
environnemental comprenant les objets présents et visibles dans le
circuit interlocutif. Cela veut dire que l'énonciation peut s'occuper
des indices de l'énonciation, notamment les déictiques ainsi que
les modalités d'énoncé et d'énonciation. Elle peut
aussi intégrer les actes de langage vus dans leur configuration de la
pragmatique cognitive. Sans entrer, en effet, dans le détail des
courants de l'énonciation, l'on peut retenir celui qui intéresse
cette recherche. Plus précisément :
« Dans l'analyse de textes littéraires,
les concepts énonciatifs permettent des analyses des formes
langagières et des stratégies littéraires (textuelles)
qu'elles réalisent. Ainsi dans l'étude du roman, en particulier
contemporain, ils contribuent à rendre compte de
phénomènes narratifs tels que les glissements des pronoms
personnels et l'imbrication de différents niveaux de récit et
différents registres. De la sorte, ils se combinent avec les
données de la narratologie. » (Paul ARON et al.,
Op.cit. :234)
Au fait, scruter les formes langagières et des
stratégies littéraires, c'est convoquer les méandres de
création littéraire que cherche à appréhender la
linguistique de l'énonciation :
« Celle-ci permet donc de cerner le texte comme
création : on doit de la sorte cerner les traces du sujet
producteur du discours, dans ses formes grammaticales, dans le statut des
temps, dans la hiérarchie des dépendances narratives, dans
l'insertion et le rapport des interventions des personnages. Sont aussi
à considérer sous ce point de vue toute une masse de variations
sur les modalités, par les adverbes, ordre des mots, mélodie,
l'emploi de certains axiologiques dans le discours ; des valeurs
pragmatiques de diverses figures ; l'usage de stratégies
argumentatives. [...] La linguistique de l'énonciation forme donc un
puissant outil de relativisation en même temps de différentiation
dans l'appréciation de la valeur littéraire d'une oeuvre,
c'est-à-dire dans sa saisie comme littéraire. »
(Georges MOLINIÉ : 1989 : 58-60)
À partir de cette réflexion,
l'énonciation permet d'analyser les investissements linguistiques,
formels et langagiers mis en forme par la parenthèse. Il s'agit
principalement d'étudier les ressources énonciatives que provoque
la parenthèse dans l'économie narrative de l'oeuvre en
étude. Ce qui ne va pas sans convoquer la stylistique.
I.3.2.2. La stylistique
Elle est issue de la rhétorique. Oswald DUCROT et
Tzvetan TODOROV (1972 : 101) estiment d'ailleurs
que « la stylistique est l'héritière la plus
directe de la rhétorique et ce n'est certainement pas un hasard si elle
s'est constituée à la fin du XIXème et au début du
XXème siècle. » Elle comprend plusieurs
orientations, car maints auteurs s'y sont intéressés. Parmi ces
diverses orientations, retenons d'abord « la stylistique de la langue
ou linguistique » de Bally. En effet :
« Ce qui intéresse en effet c'est
l'étude des `'faits d'expression du langage organisé au point de
vue de leur contenu affectif, c'est-à-dire l'expression des faits de la
sensibilité par le langage et l'action des faits de langage sur la
sensibilité''. » (Karl COGARD, 2001 :28)
Partant donc de l'idée que le langage exprime la
pensée et les sentiments, ce courant considère que
l'expression des sentiments constitue l'objet propre de la
stylistique. On l'appelle aussi « stylistique de
l'expression ». Charles BALLY, pris pour le premier théoricien
de la stylistique, en est le représentant. Il a focalisé son
attention sur les manifestions linguistiques et langagières dans leur
dimension du contenu affectif. En d'autres mots, la stylistique de la langue ou
de l'expression se limite à l'étude des faits de langue vus dans
leurs facettes intellectuelles et affectives.
La deuxième orientation de la stylistique est celle
dite « stylistique de la parole ». Par elle, il convient de
noter que « Marouzeau définit la langue comme `'la somme
des moyens d'expression dont nous disposons pour mettre en forme
l'énoncé, le style comme l'aspect et la qualité qui
résultent du choix entre ces moyens d'expression.'' »
(Karl COGARD, Op.cit :42) Eu égard à ce passage, la
stylistique de la parole s'intéresse à l'infinité des
moyens ou des possibilités d'usage de l'expression ou de la parole dont
les interlocuteurs usent à chaque prise de parole. Elle décrit
systématiquement tous les sons, les classes syntaxiques, les
constructions syntaxiques, le lexique, etc. en s'attachant chaque fois à
ce qui est extérieur au contenu notionnel.
Le troisième courant de la stylistique est celui de
Léo SPITZER. Il considère que « la personne de
l'écrivain est bien le principe de cohérence qui commande la mise
en forme de l'oeuvre » (DELCROIX, M. & HALLYN, F.,
1995 :87). Ce courant dit aussi stylistique de l'individu repose sur la
notion d'écart ou déviation qu'est l'écart entre la
langue commune et l'usage particulier qu'en font les écrivains.
En quatrième lieu, mentionnons la stylistique
structurale qu'est la théorie de Riffaterre qui se centre sur le
contexte défini comme étant « la notion clé,
qui permet, selon Riffaterre, de déterminer si un fait de la langue
incarne aussi un fait de style. (Karl COGARD, Op.cit :63) Ce
courant stylistique, quant à lui, s'attache donc à examiner la
structure et le contexte pour pallier les obstacles auxquels conduit
l'inattention à ces éléments. Ces obstacles sont dits
« effets » stylistiques.
La stylistique fonctionnelle, prônée par Roman
Jakobson, est la cinquième orientation qui aborde la stylistique d'un
point de vue fonctionnel. Ses études reposent donc sur le schéma
de la communication linguistique dont les composants sont :
l'émetteur, l'allocutaire (récepteur), le contexte, le message,
le canal de communication et le code. À ces six éléments
constitutifs du procès de communication correspondent six fonctions
linguistiques à savoirs les fonctions émotive, conative,
référentielle, poétique, phatique et
métalinguistique. Au total :
« Les six fonctions ainsi distinguées
interviennent rarement de façon isolée. Ainsi, les fonctions
phatique et métalinguistique sont souvent liées de façon
intime, au moins dans le langage quotidien : l'emploi d'un mot inconnu du
destinataire détermine nécessairement une interruption de la
communication. Elle est rétablie par un commentaire
métalinguistique qui se charge, par surcroît, de la fonction
phatique, susceptible d'ailleurs d'être manifestée
spécifiquement. » (Michel ARRIVÉ et al.,
1986 : 365)
La sémiostylistique, enfin, résulte bien entendu
de deux disciplines : la sémiotique et la stylistique. Georges
Molinié qui la prône considère que les autres écoles
de la stylistique sont dépassées :
« Cette théorie, en cours de
constitution, s'apparente à ce que j'ai appelé la
sémiotique de second degré, c'est-à-dire
l'étude de la représentativité culturelle des
systèmes de valeur anthropologique, étude qui s'insère
elle-même dans la sémiotique de culture [...] La théorie de
la sémiostylistique, déjà amplement
développée et exploitée, repose évidemment sur une
élaboration qui s'apparente à du bricolage
épistémologique : je revendique ce bricolage comme une
nécessité scientifique...» (Georges MOLINIÉ,
1998 :5)
La sémiostylistique, tout en mixant deux
domaines divers mais mêlés, analyse, comme les autres
écoles, les composantes formelles et matérielles de l'art
verbal : la littérature. Autrement dit, toute étude
stylistique s'attache aux investissements formels du discours. Ceci justifie
notre recours à l'approche stylistique pour nos analyses. En
effet :
«[...] en stylistique, le texte est
appréhendé comme un objet complexe dans lequel forme et sens sont
indissolublement liés. Le stylisticien a donc pour tâche de
repérer -c'est-à-dire de construire- et d'organiser les faits
stylistiques en fonction d'un principe interprétatif de
convergence : les divers niveaux de réalisation du texte peuvent
concourir à un même effet. Le texte stylistique d'un texte
implique donc une analyse grammaticale, linguistique, rhétorique et
éventuellement poétique, de celui-ci. » (Nicolas
LAURENT, 2005 :8)
On se rend compte que la stylistique est mise en
oeuvre pour déterminer les conditions matérielles et formelles de
l'art littéraire. En d'autres mots, elle permet de cadrer les
composantes textuelles qui fondent le style même de l'auteur. Cela passe
par l'analyse des composantes formelles avant de déterminer la
portée matérielle qu'elles engendrent et les effets qui en sont
tributaires tant sur la réception que sur la création
elle-même. Ici, la poétique est sollicitée.
I.3.2.3. La poétique
La poétique est entendue comme ayant trois acceptions
différentes. D'abord, elle réfère à l'idée
de la science poétique plutôt qu'à la méthode.
Ensuite, elle renvoie à la pratique littéraire et enfin à
l'ensemble des règles ou lois dont se réclament les mouvements ou
les courants littéraires. Elle peut être aussi
appréhendée dans ce sens :
« La poétique vient rompre la
symétrie ainsi établie entre interprétation et science
dans le champ des études littéraires. Par opposition à
l'interprétation d'oeuvres particulières, elle ne cherche pas
à nommer le sens mais vise la connaissance des lois
générales qui président à la naissance de chaque
oeuvre. [...] La poétique est donc une approche de la littérature
à la fois ``abstraite'' et ``interne''. Ce n'est pas l'oeuvre
littéraire elle-même qui est l'objet de la poétique, c'est
ce qu'elle interroge, ce sont les propriétés de ce discours
particulier qu'est le discours littéraire. Toute oeuvre n'est pas alors
considérée comme la manifestation d'une structure abstraite et
générale dont elle n'est qu'une des réalisations
possibles. C'est en cela que cette science se préoccupe non plus de la
littérature réelle, mais de la littérature possible, en
d'autres mots, de cette propriété abstraite qui fait la
singularité du fait littéraire, la
littérarité. » (Tzvetan TODOROV, 1968 :
19-20)
Par cette définition, on considère la
poétique comme une approche qui permet de saisir ce qui fait qu'une
oeuvre littéraire soit dite littéraire, ce qui a
présidé à la construction de l'objet d'art
littéraire. Au fait, comme d'autres méthodes, la poétique
connaît des approfondissements et élargissements. Cela veut dire
que :
« La poétique
généralisée devra rompre avec l'universalisme traditionnel
de la poétique transcendantale et assumer une tâche
nouvelle : décrire la diversité des discours
(littéraire, juridique, religieux, scientifique, etc.) et leur
articulation aux genres. L'enjeu n'est pas mince car les textes sont
configurés par les situations concrètes, auxquelles ils
participent ; en outre par la médiation des genres et les discours,
ils s'articulent aux pratiques sociales dont les situations
d'énonciation et d'interprétation sont des
concurrences. » ( François RASTIER,
2001 :227-228)
Dire que les textes - notamment le discours
narratif- sont configurés par les situations concrètes auxquelles
ils participent, c'est noter que la poétique interroge les
propriétés textuelles, littéraires, syntaxiques, etc.
formelles et matérielles qui fondent la singularité d'une oeuvre
littéraire. Et ici, l'oeuvre prise en considération reste
Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA. Notre recours
à cette approche permet donc de saisir la parenthèse comme
propriété particulière qui fonde la singularité de
Allah n'est pas obligé. En d'autres mots, nous cherchons
à scruter les trais esthétiques qui fondent l'oeuvre en
étude par le biais de la parenthèse.
Somme toute, toutes les trois méthodes s'entrecroisent
en ce sens qu'elles appréhendent les propriétés
matérielles, formelles, langagières et linguistiques, et donc
énonciatives qui président à la composition et à la
construction singulière de l'oeuvre en étude. À y regarder
de près, cependant, ces trois approches touchent à une dimension
de la narratologie, bien que celle-ci ne soit pas développée ici.
En effet :
« La narratologie sert de matière
à plusieurs méthodes à l'instar de la stylistique, de
l'énonciation, de l'argumentation, etc. Et d'ailleurs, appliquer
n'importe quelle méthode au texte narratif nécessite absolument
le recours à la narratologie. On doit savoir, par exemple, l'instance
qui parle dans le récit, de quoi elle parle, ce que disent les
personnages, comment se présentent les composantes temporelles et
spatiales, etc. avant de déterminer une terminologie appropriée
à telle ou telle méthode d'interprétation que le chercheur
se propose d'appliquer au discours narratif. » (Laurent
MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 4-5)
Ainsi présentées, les approches
énonciative, stylistique et poétique sollicitent donc l'appui de
la narratologie pour nous permettre à bien analyser les données
du texte narratif qu'est Allah n'est pas obligé de Ahmadou
KOUROUMA.
I.4. PRÉSENTATION DU CORPUS
I.4.1. Kourouma : l'homme et l'oeuvre
Ahmadou KOUROUMA, est né en Côte d'Ivoire en
1927. Son premier roman Les soleils des indépendances
(1968), rejeté d'abord par les éditeurs français,
reçut au Canada le Prix à la Francité, ce qui lui vaudra
la reconnaissance des éditeurs français et lui permettra
d'être publié en France par les éditions du Seuil en 1970.
Puis il écrivit une pièce de théâtre : Le
diseur de vérité (1972). Il reprend sa plume vingt ans
après avec Monné outrages et défis (1990). Son
troisième roman est En attendant le vote des Bêtes sauvages
(1995). En 2000, il publie son quatrième roman Allah n'est pas
obligé. La mort l'a frappé en 2003 laissant inachevé
le prochain Quand on refuse on dit non (2004).
I.4.2. Contenu sémantique de l'oeuvre
Allah n'est pas obligé est une oeuvre
parsemée de nombreuses parenthèses. Sa lecture fait penser que
par delà leurs caractéristiques formelles, les parenthèses
y assument une fonction majeure, sinon le fondement même de
l'écriture qui la cimente. Il en résulte que le scripteur a
bâti l'architecture textuelle sur cette stratégie
d'écriture qui fait de la parenthèse le matériau
sous-tendant la poéticité du roman. Ainsi donc, cette
étude s'y attèle pour en expliquer l'opérativité.
I.5. CONCLUSION PARTIELLE
Au bout de ce premier chapitre, qui a porté sur les
cadres théorique et méthodologique de notre travail, il importe
de rappeler qu'il s'est agi de définir les concepts clés de notre
sujet. Nous avons aussi indiqué les approches de lecture sur lesquelles
s'appuie ce travail : l'énonciation, la stylistique et la
poétique. Enfin avons-nous présenté le corpus dans lequel
sont puisées certaines données qui seront plus tard soumises
à l'interprétation, ce qui constitue l'objet des chapitres qui
suivent.
CHAPITRE II : LES COMPOSANTES DE LA PARENTHÈSE
DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ
II.1. INTRODUCTION
Le premier chapitre de ce travail a présenté les
contours théorique et méthodologique de son sujet ainsi que le
corpus. Ce chapitre, quant à lui, va s'atteler sur les leurres et lueurs
de la parenthèse dans Allah n'est pas obligé. Il est
question, plus précisément, de présenter les
manifestations matérielles de la parenthèse à travers la
structure syntaxique, le cadre énonciatif du texte, etc.
II.2. LA PARENTHÈSE COMME COMMENTAIRE NARRATIF
Commenter, rappelons-le, c'est formuler une illocution sur une
autre en vue d'en faciliter la compréhension. De ce fait, lors des
activités énonciatives, le locuteur place un commentaire dans son
illocution, selon ses intentions. Dans Allah n'est pas obligé,
cela se constate dans l'extrait suivant :
« ...Et deux...Mon école n'est pas
arrivée très loin ; j'ai coupé cours
élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le
monde a dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une
vieille grand-mère. (C'est comme ça on dit en nègre
africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça
vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet de la
grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas
très, très mauvais.) L'école ne vaut pas le pet de la
grand-mère parce que, même avec la licence de l'université,
on n'est pas fichu d'être infirmier ou instituteur dans une des
républiques bananières corrompues de l'Afrique francophone.
(République bananière signifie apparemment démocratique,
en fait régie par des intérêts privés, la
corruption.) Mais fréquenter jusqu'à cours
élémentaire deux n'est pas forcément autonome et
mirifique. » (pp. 9-10)
Il ressort de cet extrait que les énoncés mis
entre parenthèses, à savoir les modalités assertives
confinées dans « (C'est comme ça en on dit en
nègre africain indigène quand une chose ne vaut plus rien. On dit
que ça vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet
de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas
très, très mauvais.) » et dans
« (République bananière signifie apparemment
démocratique, en fait régie par des intérêts
privés, la corruption) » constituent des commentaires
narratifs. Car le narrateur les formule en vue d'étendre la
compréhension des composantes linguistiques « valoir le pet
d'une vieille grand-mère » et « république
bananière ». Ainsi considérés, ces
énoncés constituent des freins de la voix narrative parce qu'en
les proférant, le narrateur désigné par les
déictiques personnels « mon » et
« je » dans les« Mon école n'est pas
arrivée très loin ; j'ai coupé cours
élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le
monde a dit que l'école ne vaut plus rien », abandonne la
narration où il est homodiégétique en faveur d'une
narration où il s'efface totalement. Le narrateur y véhicule
l'explication des sociolectes « Valoir le pet d'une vieille
grand-mère » et « république
bananière » qui se dégagent de son illocution.
Dans ces conditions, la parenthèse constitue une
rupture narrative et génère comme effet stylistique la
déviation énonciative. En déviant le fil
énonciatif, la parenthèse comme commentaire fait du locuteur
« je » une entité (car il raconte sa propre
histoire) dotée des capacités interprétatives. En d'autres
mots, le commentaire inséré dans les parenthèses constitue
une anticipation interprétative ordinairement tributaire des
activités de lecture. C'est ce que l'on constate encore dans cet
extrait :
« Yacouba blessé, hospitalisé, a
été guéri par Allah parce qu'il courbait tous les jours
ses cinq prières et égorgeait très souvent plein de
sacrifices. (Chez les Africains noirs, c'est quand les sacrifices qu'on fait
sont exaucés qu'on a beaucoup de chance.)
De son accident, de son hospitalisation, il tira deux
choses. Primo il devint boiteux, on l'appela bandit boiteux. Secundo il tira la
pensée que Allah dans sa bonté ne laisse jamais vide une bouche
qu'il a créée. » (p.41)
Cette séquence renferme, elle aussi, un commentaire
narratif inséré dans les parenthèses à savoir
l'énoncé « Chez les Africains noirs, c'est quand les
sacrifices qu'on fait sont exaucés qu'on a beaucoup de chance».
Celui-ci rompt la linéarité énonciative de l'histoire
portant sur les malheurs de Yacouba, en commentant sur les causes de la
guérison de ce personnage. Cet énoncé encadré n'est
pas indispensable du reste de l'histoire racontée, ce qui veut dire que
le commentaire est facultatif. Toutefois, la précision des sources de
l'illocution par le locuteur « Je » témoigne de la
pratique intertextuelle à laquelle recourt le locuteur pour commenter
ses propos. En effet, le « Chez les Africains
indigènes» fait penser au discours préexistant au texte que
le locuteur intègre dans le sien en le puisant là. Cette
technique ralentit les activités de lecture. À l'ouverture de la
parenthèse, l'énonciation est retardée et reprend son fil
dès que la parenthèse est refermée. Cet effet de
ralentissement de la lecture fait du texte un fil tordu en dents de scie,
truffé de pauses, de soupirs, qui, du coup, sont synonymes de la
beauté textuelle car le texte impose un rythme à sa lecture.
II.3. LA PARENTHÈSE
COMME GLOSE
Allah n'est pas obligé est un texte
saturé de gloses. Celles-ci concernent les annotations explicatives des
lexèmes par le narrateur au cours de ses activités de narration,
ou par le locuteur au cours de ses activités de lecture. En d'autres
mots, les gloses sont les illocutions que l'énonciateur formule au sujet
des unités lexicales contenues dans ses énoncés. En tant
que telles, les gloses jouent donc une fonction explicative ou additive. Ceci
se confirme en lisant le passage ci-dessous :
« Le général Baclay était
une femme. (On devrait dire générale au féminin. Mais
d'après mon Larousse, « générale » est
réservé à la femme d'un général et non au
général lui-même.) Donc ils nous ont
présentés à Onika Baclay Doe. » (p.106)
La lecture de ce passage révèle que
l'énonciateur justifie le choix de sa lexie pour l'intimer à
l'énonciataire. Cette justification rendue aisée par la
parenthèse constitue en quelque sorte une norme imposée au
lecteur, à savoir la considération des variations
génériques de la lexie
« général » dictée par le Larousse.
Cet énoncé inséré comporte le modalisateur de doute
« on devrait » qui indique que l'énonciateur formule
une glose susceptible de générer un débat, lequel est
aussi un niveau de décrochage énonciatif tant dans la structure
énonciative que pendant la lecture. En effet, à peine qu'il
commence à conter le récit du personnage Onika, le locuteur rompt
l'illocution pour formuler la remarque normative qui suspend ainsi
l'énonciation historique où la glose surgit. Celle-ci place le
lecteur dans une attente due à la curiosité de poursuivre le
récit du personnage. Ces éléments se rencontrent encore
dans l'extrait suivant :
« Il faut expliquer parce que mon blablabla est
à lire par toutes sortes de gens : des toubabs (toubab signifie
blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d'Afrique et des
francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). » (p.11)
Cet extrait témoigne de la rupture au sein de
l'unité syntaxique rendue par la glose. En effet, cette rupture
s'observe, d'une part, dans le syntagme nominal « toubabs
colons» où le nom « toubabs » et son
épithète « colons » sont distanciés.
D'autre part, il y a rupture syntaxique entre la phrase et sa marque finale,
qu'est le point. Ceci fonde l'idée que la glose crée une rupture
énonciative, outre le retardement des activités de lecture qui en
est tributaire. Toujours est-il perceptible que la reprise du sujet de la
glose qui est ici le lexème « toubab » pour le
premier cas et «gabarit » pour le second, cherche à
pallier ladite rupture. Une telle configuration peut être
interprétée comme étant une trace de
l'insécurité langagière de la part du locuteur. En effet,
l'instance énonciative interrompt son énoncé en faveur
d'une glose lorsqu'elle lui semble mieux pour se mettre en adéquation
avec ses interlocuteurs quant au choix lexical qu'il opère à
travers les énoncés insérés, « toubab
signifie blanc » et « gabarit signifie genre ».
L'énonciateur estime que ses mots sont encombrants de la part de
l'énonciataire, ignorés par ce dernier. Il se résout ainsi
à rompre, perturber la structure syntaxique en faveur de la glose qui y
apporte précision et explication. Au fait, la glose s'appréhende
comme une stratégie énonciative de raillerie qui consiste
à placer l'interlocuteur et le narrataire sur le terrain de la
naïveté interprétative.
Par ailleurs, on peut dire que la glose est une composante
facultative car, si elle était supprimée de
l'énoncé où elle est insérée, elle
pallierait le problème d'alinéarité et
accélèrerait la vitesse de la lecture. Cependant, loin
d'être considérée comme une activité secondaire, la
parenthèse comme glose rentoile le texte, l'étend, contribue
à son enregistrement dans le genre autre que celui dont on serait
tenté de lui reconnaître. La glose devient donc une base de
littérarité, surtout en ce sens qu'en véhiculant les
intertextes signalés par les fréquents « D'après
mon... », « Signifie.... », elle fait voir que le
texte ne se réfère qu'à lui-même. La glose touche
ainsi aux composantes du signifiant dont le jeu réside dans le
commentaire immobilisant la lecture progressive des investissements
linguistiques. Autrement dit :
« Le travail sur le signifiant constitue ici un
véritable jeu de mots. Il imprime ainsi une distorsion du
matériau linguistique qui permet deux instances. D'un côté,
un renouvellement poétique et la formulation d'une lecture attentive et
exigeante, de l'autre. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI,
2015b : 233)
La glose permet donc de lire cette oeuvre de Kourouma avec une
attention particulière car ses composantes linguistiques se
présentent comme expliquées au lecteur, au départ, par le
narrateur.
II.4. LA PARENTHÈSE
COMME DIGRESSION
En rappel, la digression est une
stratégie narrative qui permet de dilater le récit, de
ménager les pauses, de divertir ou d'ironiser ou, enfin,
d'insérer un commentaire dans la narration. Autrement dit, c'est ce qui,
dans un récit, est hors du principal sujet. Ainsi, des unités
discursives qui reviennent à l'appui du récit fictionnel dans
cette oeuvre de Kourouma peuvent être lues comme de petites digressions
mises entre parenthèses. En voici un cas :
« Pendant que Yacouba alias Tiécoura
était à l'hôpital, un de ses amis est venu lui rendre
visite. Il s'appelait Sekou Doumbouya. C'était un camarade de groupe
d'âge, un camarde d'initiation, donc un très vieil ami. (Dans les
villages noirs nègres africains, les enfants sont classés par
groupe d'âge.) Sekou est venu lui rendre visite en Mercedes
Benz. » (pp.41-42)
En considérant son sujet, cette narration
présente le personnage de Yacouba. En son fond surgit une autre voix
narrative intradiégétique qui présente un
élément de la culture des « Noirs nègres
africains » qui classe les enfants selon leur âge. Cette
deuxième voix énonciative profère un énoncé
digressif car son thème s'écarte de celui au sein duquel il est
inséré. Cet écartement se voit aussi à travers les
cadres spatio-temporels de ces deux énoncés. En effet, le premier
porte sur des faits qui se sont déroulés à l'hôpital
et ayant pris fin. Ce qui se justifie par l'usage du tiroir verbal du
passé composé dans l'assertion :« Un de ses
amis est venu lui rendre visite. », bien que la temporalité et
la durée de l'action ne soient pas précises.
L'énoncé digressif, lui, reprend des faits vivifiés, qui
perdurent, tel qu'en témoigne l'usage du tiroir verbal du présent
de vérité générale et/ou d'habitude dans «les
enfants sont classés par groupe d'âge ». La digression
crée donc une double rupture énonciative du récit :
elle installe de nouveaux actants de l'énonciation et un nouveau cadre
spatio-temporel du récit digressif. On vient dire que cette voix
énonciative recèle sa force dans le niveau
intradiégétique :
« C'est pour dire que le niveau
intradiégétique désigne une narration mise en charge par
un narrateur personnage dans un récit encadré ou abymé.
L'histoire qu'il raconte peut avoir comme régimes linguistiques, la
première ou la troisième personne, les indices verbaux au
passé ou au présent, voire au futur dans une narration
homodiégétique ou
hétérodiégétique. » (Laurent
MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 216)
Cela renforce l'idée que le comportement de
la parenthèse face au récit principal est, en outre du statut
facultatif, très déviant. À la suite de cet effet
stylistique de déviation, il naît l'attente, voire le suspense
pendant les activités de lecture. Ceci se lit encore dans l'extrait
ci-dessous :
« Comme la loi du coran et de la religion
interdit à une musulmane pieuse comme ma maman de vivre un an de douze
lunes en dehors d'un mariage scellé avec attachement de cola ( cola
signifie graine comestible du colatier, consommée pour ses vertus
stimulantes. La cola constitue le cadeau rituel de la société
traditionnelle), ma maman a été obligée de parler, de dire
ce qu'elle voulait, de choisir. » (pp.29-30)
Il résulte de cette séquence que
l'énonciateur, désigné par le déictique personnel
« ma », fait irruption dans son énoncé pour
apporter un sujet différent du principal. En effet, la modalité
assertive confinée dans « La cola constitue le cadeau rituel
de la société traditionnelle » est digressive en ce
sens qu'elle véhicule un hors sujet par rapport au sujet de
l'énoncé où elle est insérée. Les effets de
cette digression sont la déviation et l'attente ou le suspense dans
lesquels elle plonge le lecteur. Le texte qui en est truffé ne peut
être lu qu'avec lenteur, car le lecteur est contraint de suspendre le fil
énonciatif en de « petites digressions » sans
toutefois le perdre de vue, vu les limites de cette parenthèse que sont
les inclinaisons. Elles font donc figure de garde fou de la digression, la
restreignent. Bref, dans Allah n'est pas obligé, on peut
considérer que la parenthèse fonctionne comme une digression
circonscrite, étouffée ou réduite qui ne crée qu'un
décrochement énonciatif, une déviation et un certain
suspense. C'est ici l'occasion de rappeler, avec Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI
(2015a : 89) que la digression est « une sorte de
séquence narrative ajoutée à la chronologie logique du
récit qui repose sur un thème, un motif étranger à
la consécution des faits relatés ». la digression
énonciative/narrative suspend ainsi le récit pour installer une
stratégie de déroute pragmatique. Déroute parce qu'elle
mobilise les ressources cognitives de l'instance de réception dans ses
activités de déchiffrement du texte.
II.5. LA PARENTHÈSE
COMME SUSPENSION
La suspension concerne la distribution inhabituelle des
syntagmes dans l'unité syntaxique. Elle engendre des perturbations dans
la succession des groupes fonctionnels. Dans Allah n'est pas obligé,
les unités syntaxiques sont segmentées de manière
à biffer la contigüité entre les groupes fonctionnels des
énoncés. Cette pratique énonciative engendrée par
la parenthèse s'observe ci-dessous :
« Balla était le seul Bambara (Bambara
signifie celui qui a refusé), le seul cafre du village. Tout le monde le
craignait. Il avait le cou, les bras, les cheveux et les poches tout plein de
grigris. Aucun villageois ne devait aller chez lui. Mais en
réalité tout le monde entrait dans sa case la nuit et même
parfois le jour parce qu'il pratiquait la sorcellerie, la médecine
traditionnelle, la magie et mille autres pratiques extravagantes (extravagant
signifie qui dépasse exagérément la mesure). »
(p.16)
En considérant la modalité assertive :
« Balla était le seul Bambara, le seul cafre du
village », on constate que les groupes fonctionnels attribut et
apposition qui caractérisent le sujet « Balla » sont
perturbés sur le plan de la succession à cause de l'insertion de
la parenthèse « Bambara signifie celui qui a
refusé ». Cette perturbation se lit encore dans le changement
brusque du tiroir verbal, à savoir le passage de l'imparfait qui situe
les faits dans le passé au présent qui les décrit comme si
on les vivait. Pareille temporalisation énonciative déborde la
conception des plans d'énonciation par Émile Benveniste,
où, selon lui, aucun présent n'est disponible dans le
récit. Cette double rupture énonciative s'appelle suspension.
Celle-ci suspend donc la modalité assertive car elle segmente ses
syntagmes en perturbant l'ordre de ses groupes fonctionnels. Cependant, cette
stratégie permet au locuteur d'apporter des éléments
nécessaires aux groupes fonctionnels entre lesquels elle s'opère,
ou du moins à celui qui la déclenche. Ces traces peuvent encore
être analysées dans cette séquence :
« Yacouba ne voulait pas le revoir parce que,
d'abord, c'était un concurrent et secundo, chaque fois qu'il l'avait
revu, c'était pour entendre des malheurs. Sekou marchait comme un
herniaire (celui qui a une grosse hernie au cul) tellement, tellement il
portait des bourses de diamants et d'or dans le bouffant du pantalon. [...] Un
chef de guerre malinké, nommé El Hadji Koroma du Liberia
(à ne pas confondre avec Johnny Koroma de Sierra Leone), avait
décidé de sauver les Malinkés. Il les regroupait dans les
villages de l'est. » (pp.208-209)
Cette séquence fait preuve de la suspension sous
couvert des parenthèses. En effet, la modalité déclarative
« Sekou marchait comme un herniaire tellement, tellement il portait
des bourses de diamants et d'or dans le bouffant du pantalon », est
morcelée par l'insertion des parenthèses telles « celui
qui a une grosse hernie au cul ». Elles brisent la
contiguïté des groupes fonctionnels comparatif et consécutif
qu'elle contient. Les mêmes indications se rencontrent dans l'assertion
« Un chef de guerre avait décidé de sauver les
Malinkés » où le syntagme nominal « un chef
de guerre » se trouve distancié du syntagme
verbal « avait décidé de sauver les
Malinkés». Passant par le changement des tiroirs verbaux, à
savoir le passage du passé au passé segmenté par le
présent « celui qui a... », la suspension
génère aussi une attente car elle retient le souffle du lecteur
par le biais des précisions qu'elle apporte au groupe fonctionnel qui la
déclenche. Bref, avec la suspension, le texte est donc truffé
d'éléments métatextuels suspendants, au niveau minimal
(dans les unités syntaxiques) et maximal (entre les
énoncés). Ce qui fait de la parenthèse une
stratégie sur laquelle repose l'écriture même de l'oeuvre
de Kourouma. Elle touche encore à d'autres investissements
énonciatifs.
II.6. LA PARENTHÈSE
COMME DÉTACHEMENT
Le phénomène de détachement s'apparente
à la position des groupes fonctionnels dans les unités
syntaxiques. Il désigne, en effet, des modificateurs du groupe nominal
dont ils sont tributaires, voire dépendants. Cela s'explique si nous
considérons le passage romanesque suivant :
« Mamadou faisait toujours pipi au lit. Il
n'était pas propre ; il était dégueulasse. De gros
asticots grouillaient partout sur la natte. (Asticots signifie larves de
mouches.) Saydou conçut une idée pour se débarrasser du
petit Mamadou. Une nuit, il fit un caca, un gros caca sur la natte du pied du
lit et, le matin, soutint mordicus (opiniâtrement, obstinément,
sans démordre) que ce n'était pas lui Saydou, que c'était
le petit Mamadou qui s'était soulagé. Comme le petit Mamadou
était un froussard, un timide, il n' a pas su se défendre. Il
s'assit et pleura ; ce fut une preuve ; la preuve que c'était
lui qui avait fait le caca. La mère de Saydou, Tania, se fâcha.
Pour punir le petit Mamadou, on l'envoya dormir dans la case des boys, avec les
boys (les serviteurs). Les boys le mirent au fond de la case, à part. Il
continua à faire pipi au lit, continua à vivre au milieu du
grouillement des asticots. Le grouillement qui apparaît sous la natte
d'un enfant pas propre. » (p.213)
Le narrateur place la parenthèse en détachement
du groupe « envoya se coucher ». Ce détachement
s'explique par la présence de la virgule, qui indique que le
complément de la phrase « avec les boys (les
serviteurs) » détaché est facultatif, voire mobile.
Dans l'énoncé ci-dessus, ce détachement véhicule la
précision qui fait corps avec l'insistance générée
par la reprise de l'élément « avec les
boys » qui fait corps avec la parenthèse par voie
explicative. Le détachement résulte donc des raisons
intentionnelles du locuteur. Cette caractéristique se retrouve dans le
passage ci-dessous :
« Voilà Manada Bio au Palais le 16
janvier de Lumbey BEACH (c'est la résidence des présidents, des
maîtres de Sierra Leone) L'ONU et les États de la CDEAO font
pression sur Manada Bio. Ils l'obligent à maintenir le processus
électoral du 26 février comme promis par Strasser. Le 28 janvier
il entre en discussion avec une délégation de Foday Sankoh. Foday
Sankoh ne veut pas d'élections démocratiques. Il n'en veut
pas ; pas du tout (il s'en fout, il tient à la région utile
de Sierra Leone). (pp.169-170)
De ces lignes, l'on aperçoit que les insertions des
parenthèses « c'est la résidence des présidents,
des maîtres de Sierra Leone » et « il s'en fout, il
tient la région utile de Sierra Leone » sont des unités
en adéquation avec les lexèmes « Lumbey
Beach » et « pas du tout » qui les
déclenchent. Dans le premier cas, le détachement passe par le
gallicisme « c'est » qui fait de la parenthèse une
composante à effet d'insistance ; alors que dans le « il
s'en fout... », le locuteur vise à étendre la
causalité de l'indifférence du personnage. En ce sens, la
parenthèse comme détachement étend le texte,
l'élargit, en souligne les segments capitaux ou les explique
facultativement.
Cependant, la facette énonciative du détachement
prend plusieurs places à l'intérieur du discours. C'est comme le
confirme Maurice DESSAINTES (1971 :350) en stipulant que
« sous la poussée du sentiment ou de la conviction, un
terme peut être détaché, soit au début, soit
à la fin. La phrase conserve son articulation normale. Le terme
détaché n'est pas toujours repris par un pronom ».
Ce n'est pas malheureusement pas la situation qui se présente dans
l'oeuvre en étude. La construction syntaxique reçoit un tel
chamboulement énonciatif que plusieurs phénomènes
stylistiques, énonciatifs et narratologiques se font montre, comme le
soulignent les analyses dans ce présent mémoire.
II.7. LA PARENTHÈSE
COMME INCIDENTE
L'incidence, avons-nous dit précédemment,
désigne une proposition insérée à
l'intérieur ou placée à la fin d'une phrase pour
introduire un commentaire sur un discours à l'intérieur de ce
dernier. Ceci est une manifestation de la parenthèse dans le passage
suivant :
« T'as pas de chance, petit Birahima, tu pourras
jamais devenir un bon petit lycaon de la révolution, il faut d'abord
tuer de tes propres mains (tu entends, de tes propres mains), tuer un de tes
propres parents (père ou mère) et ensuite être
initié. » (p.179)
Dans cette séquence, le locuteur insère dans
son discours le segment « Tu entends, de tes propres mains» qui
constitue une proposition incidente insérée dans les
parenthèses. Celle-ci déstructure l'unité syntaxique
où elle est insérée. Elle y garde une valeur emphatique et
interpellative. Car le locuteur « je » sous-entendu comme
interagissant avec le « tu » présent dans l'extrait
qui désigne Birahima, est en train de donner des injonctions à
son interlocuteur. Cette injonction s'observe à travers le modalisateur
« il faut » suivi du verbe « tuer » qui
matérialise ce devoir que Tieffi confie à Birahima pour qu'il
devienne une des « chiens sauvages » ou lycaons.
L'insistance se dégage aussi de l'usage du qualificatif
« propres » en antéposition à
« mains » pour montrer que la réussite de l'acte de
Birahima est conditionnée par son auto-investigation.
II.8. LA PARENTHÈSE
COMME INCISE
Les incises se rapportent aux activités dialogales
où elles accompagnent la reproduction des paroles ou des pensées
des personnages ou du locuteur au discours direct. Ainsi
considérée, l'incise comme composante de la parenthèse se
dégage de l'extrait suivant :
« Il ne nous a pas laissé aligner les
salutations kilométriques que s'alignent les Dioulas, les Mandingos
(Comme on le dit en pidgin) lorsqu'ils se rencontrent. »
(p.208)
Ce passage renferme un élément qui souligne le
contexte d'usage du lexème « Mandingos ». Cet
élément considéré comme proposition incise est
« Comme on le dit en pidgin ». Elle fait penser aux
habituels locuteurs du mot dont se sert Birahima. En tant que tel,
l'élément incisé introduit un commentaire sur le texte,
une précision. Il rompt la linéarité de la structure
syntaxique où il est inséré. Ici, l'effet qui en est
tributaire est une précision sur la source de l'énonciation.
Quoique les règles de la reproduction des paroles d'autrui ne soient pas
respectées ici- les guillemets ou les tirets, les verbes introducteurs,
etc.-, on peut penser que le patronage énonciatif reste le
« on ». Cet indice devient véritablement flottant.
Il peut non seulement renvoyer à « Monsieur -Tout-le
-Monde », à « nous », à
« ce peuple », mais également au locuteur
« je » lui-même, qui refuse la responsabilité
énonciative :
« Mais ce `'on'' indique le `'je'' qui efface
son identité, car il se trouve inclus dans ce `'tout le monde'' par ce
fait d'intemporalité. Cette dimension subjective induit deux sortes de
distance : la valeur de `' tout le monde'' accordée à `'on''
lui donne la facture de simulation énonciative, alors que dans sa valeur
de `'je'', il témoigne d'une stratégie de tension. C'est l'une
des traces même qui valide l'élasticité énonciative
de cette unité linguistique. » (Laurent MUSABIMANA
NGAYABAREZI, 2016 : 124)
La question de l'intemporalité loge justement dans la
parenthèse saisie comme incise. Elle transparaît dans le
« Comme on le dit en pidgin ». Le producteur de cette
illocution semble parler au nom de tout le monde dont il fait partie. Car on
l'a dit, on le dit, et on continuera de le dire. Le déictique temporel
« dit » se coiffe de toutes ces dimensions temporelles.
Cependant, ce tiroir du présent dépasse le présent
intemporel pour devenir « gnomique ».
« Ce tiroir verbal montre, non seulement que les actions sont
contemporaines du moment de la parole, mais encore elles l'étaient, le
sont le continueront à l'être » (Laurent MUSABIMANA
NGAYABAREZI, 2015a : 136) La parenthèse comme incise peut donc
véhiculer la référence du locuteur au cours de ses
activités discursives. Toutefois, il convient de noter que la
parenthèse comme incise est également une fissuration de la
structuration syntaxique dans l'unité syntaxique, voire de la
linéarité énonciative. Elle maintient le contact, car le
« on » désigne le groupe dont le locuteur parle et
fait partie.
II.9. LA PARENTHÈSE
COMME APPOSITION EXPLICATIVE
L'apposition, comme dit précédemment,
désigne un mot ou groupe de mots placés à
côté du nom ou du pronom avec lequel il noue un rapport
d'identité référentielle. Ainsi
considérées, certaines appositions dans cette oeuvre semblent
mises en parenthèses comme en témoignent celles qui
suivent :
« Tout ce que je parle et déconne
(déconner, c'est faire ou dire des bêtises) et que je
bafouillerai, c'est lui qui me l'a enseigné. Il faut toujours remercier
l'arbre à karité sous lequel on a ramassé beaucoup de bons
fruits pendant la bonne saison. Moi je ne serai jamais ingrat envers Balla.
Faforo(sexe de son père) !
Gnamokodé(bâtard) ! » (p.16)
Les énoncés mis entre parenthèses dans
cet extrait sont de deux ordres : d'abord le « déconner,
c'est faire ou dire des bêtises » qui relève de la
fonction explicative ; puis les jurons « sexe de son
père » et « bâtard » qui se
présentent comme traduisant le lexèmes
« faforo » et « gnamokodé ».
Ceux-ci jouent la fonction appositive en ce qu'ils sont directement joints
à ces lexèmes, sans verbe intermédiaire ou introductif.
Ces parenthèses que nous qualifions d'appositives apportent une
information référentielle identique à celle
véhiculée par les lexèmes qui les font naître. Pour
bien se la faire voir, il importe de supprimer les parenthèses et ne
rester qu'avec les énoncés du genre « Faforo, sexe
de son père !» ou encore « Gnamokodé,
bâtard ! ». Ces jurons jetés à la fin du
passage précédent corroborent également la
subjectivité énonciative. Car ils traduisent des modalités
exclamatives qui font preuve de l'indifférence dans laquelle se sent
plongé Birahima. Étant des illocutions dues à ce sentiment
d'indifférence que ressent le narrateur, ils créent de même
une rupture énonciative. Car ils font voguer le fil énonciatif
vers un deuxième niveau où l'intrusion de l'instance
énonciative est synonyme de ces subjectivèmes de
l'énonciateur. Encore trouve-t-on une parenthèse apposée
dans l'extrait ci-dessous :
« À Noël 1989 , dans la nuit,
ils attendirent que tous les gardes-frontières du poste de Boutoro
(ville frontalière) soient ivres morts, tous cuits, pour les
attaquer. » (p.104)
Il revient à considérer que le segment mis
entre parenthèses « ville frontalière » est
apposé au nom «Boutoro » car ils sont en relation
d'identité référentielle. Cette parenthèse,
contrairement à celles que nous avons dégagées des jurons
ci-dessus, véhicule les informations locatives sur le nom auquel elle
est apposée. Vu sa présence brusque dans l'unité
syntaxique, ou du moins l'énoncé, elle est à la base de la
rupture de la linéarité et traduit la subjectivité de
l'énonciateur soucieux d'apporter une information métadiscursive
sur son illocution.
Par ailleurs, bien que les structures linguistiques prennent
la dimension d'apposition à travers le fonctionnement énonciatif
de la parenthèse, rien ne peut rassurer à l'instance
réceptrice que « Faforo » désigne le
« sexe de son père », Gnamokodé
« bâtard », si elle n'est pas de la même
communauté linguistique que le lecteur. Il en est de même pour
« Boutoro » qui traduit dans l'univers de la fiction en
étude ici, cette « ville frontalière », si le
récepteur n'habite pas le même site que celui du narrateur. Tout
au plus, cette valeur de la parenthèse est-elle dictée par le
narrateur, et l'instance de réception y croit, car le narrateur reste le
principal organisateur de toutes les matières narratives.
II.9. LA PARENTHÈSE
COMME MÉTADISCOURS RECTIFICATIF OU AUTOCORRECTIF
Le métadiscours correctif ou rectificatif vise
l'ajustement du dire d'un locuteur par lui-même au cours de sa production
des illocutions. Ce texte de Kourouma regorge de telles configurations
énonciatives et stylistiques :
« Les enfants-soldats étaient en
colère, rouges de colère. (On ne doit pas dire pour des
nègres rouges de colère. Les nègres ne deviennent pas
rouges : ils refrognent.) Donc les smal-soldiers s'étaient
renfrognés ; ils pleuraient de rage. » (pp.
56-57)
Dans ce passage, on aperçoit que la parenthèse
constitue un métadiscours rectificatif du parler. En effet, le
« on ne doit pas dire » fait figure d'une modalité
injonctive, car le locuteur profère une défense à
l'interlocuteur au sujet de la façon de parler. En tant que
matériaux du texte, les métadiscours rectificatifs ou correctifs
restreignent l'activité critique du texte sur le plan sémantique.
Car après avoir défini la contextualité des constituants
encombrants de son discours, le locuteur limite l'effort interprétatif
des lexies textuelles pour le lecteur. Du côté du texte, on peut
estimer que cette autocorrection ou rectification découd, elle aussi, le
texte dans sa linéarité. En tant qu'adresse au destinataire, elle
crée l'effet stylistique de « mise en description »,
car le locuteur offre à l'allocutaire une réflexion via laquelle
il l'interpelle à la partager en refusant d'adopter la lexie
« rougir de colère » pour adopter celle de
« renfrogner » qu'il estime convenable. C'est ce que l'on
appelle, en stylistique des figures de style,
l' « épanorthose ». celle-ci désigne une
« figure de correction qui consiste à reprendre un terme
pour le corriger, le préciser ou [le] développer »
(Frédéric Calas, 2013 : 272). La parenthèse
comme rectification se rencontre encore dans cet extrait :
« Me voilà présenté en six
points en os avec en plume ma façon incorrecte et insolente de parler.
(Ce n'est pas en plume qu'il faut dire, mais en prime. Il faut expliquer en
plume aux nègres noirs africains indigènes qui ne comprennent
rien à rien. D'après Larousse, en prime signifie ce qu'on dit en
plus, en rab.) » (p.12)
Il résulte de cet extrait que le locuteur
désigné par le « je » opère
lui-même l'adéquation du dire en rejetant le « dire en
plume » pour considérer le « dire en
prime ». Il occupe un statut autoritaire car la parenthèse
qu'il insère dans sa narration laisse sous-entendre qu'il maîtrise
toute chose. Le fait de se poser comme incontestable se trouve encore
renforcé par l'argument d'autorité que constituent ses
références dictionnairiques. Car en se plantant devant la strate
narrataire prédéfinie dans l'histoire, Birahima ne peut
qu'être agréé comme tel grâce à la
suprématie qu'il s'arroge au cours de sa narration à travers la
parenthèse.
II.10. LA PARENTHÈSE
COMME RÉPÉTITION
La répétition fait penser aux différents
procédés qui consistent en une reprise totale ou partielle des
fragments d'énoncés. En stylistique, ce sont des figures de style
qui participent de la construction des énoncés. La
parenthèse rencontre ces figures de répétition telle
l'anaphore car, pour en sortir, l'énonciateur ne saurait se passer de la
reprise dont l'anaphore est une indiscutable représentante. En
effet :
« La cohésion du texte repose en partie
sur la répétition. Divers éléments linguistiques y
contribuent ; les groupes nominaux en particulier, assurent, par leur
articulation et leurs relations au fil du texte, la reprise et la
continuité de l'information. La notion d'anaphore permet de
décrire cet aspect de l'organisation du texte. L'anaphore se
définit traditionnellement comme toute reprise d'un
élément antérieur dans un texte. » (Martin
RIEGEL et al., Op.cit :1029)
L'anaphore suppose une interprétation
référentielle d'une expression qui dépend
nécessairement d'une autre expression qui figure dans le contexte
antérieur. Ceci se rapproche de la relation qui s'établit entre
la parenthèse et son déclencheur. Car l'aspect
répétitif est par ailleurs la caractéristique principale
d'une insertion de la parenthèse. Étant donné que
l'anaphore renvoie toujours à un élément antérieur
du texte, la parenthèse peut être considérée comme
une diversité anaphorique : elle aussi n'a de
référent que son déclencheur toujours antérieur
à elle. Ceci peut être explicité en lisant l'extrait du
roman ci-dessous :
Le foyer fumait ou tisonnait. (Tisonner, c'est remuer les
tisons d'un feu pour l'attiser.) Autour du foyer, des canaris. (Canaris
signifie, d'après Inventaire des particularités lexicales, vase
en terre cuite de fabrication artisanale.) Encore des canaris, toujours des
canaris pleins de décoctions. (Décoctions, c'est la solution
obtenue par l'action de l'eau bouillante sur des plantes.)Des décoctions
pour laver l'ulcère de maman. » (p.15)
La répétition a l'air de dominer l'aspect
stylistique de cet extrait. Elle se lit dans l'anaphore (car les reprises
présentes entre parenthèse notamment «Tisonner, c'est remuer
les tisons d'un feu pour l'attiser. », « Canaris signifie,
d'après Inventaire des particularités lexicales, vase en terre
cuite de fabrication artisanale. » et « Décoctions,
c'est la solution obtenue par l'action de l'eau bouillante sur des
plantes »), sont fondées sur la reprise d'un
élément du discours du locuteur précédemment
présenté. C'est notamment les lexèmes `'tisonnait'',
`'canaris'', `'décoctions'' qui sont pères des insertions des
parenthèses présentes dans l'extrait.
Leur reprise dans et par les parenthèses constitue, non
seulement une rupture du cours normal du déploiement énonciatif,
mais aussi une distanciation du locuteur qui le met de côté en
faveur des métadiscours explicatifs. Aussi s'agit-il d'une instanciation
de l'allocutaire qui, étant le destinataire de ces
énoncés, est interpellé, prié de saisir ces
lexèmes dans la seule dimension sémantique que leur attribue le
locuteur. En tant que procédé de répétition, la
parenthèse génère donc des effets d'insistance et fonde
ainsi une écriture d'interpellation de l'instance réceptrice
contrainte de s'enregistrer dans la voie et le mode de réception de
l'oeuvre voulus par son producteur. Ces manifestations de la parenthèse
comme répétition se relisent dans cet extrait :
« La vieille, devant l'accumulation des preuves,
a fait makou, bouche bée. Et puis elle a reconnu, elle fut confondue.
Elle avoua. (Avouer se trouve dans mon Larousse. Il signifie dire de sa propre
bouche que les faits incriminés sont vrais). La vieille qui avoua
s'appelait Jeanne. Elle et trois de ses adjointes furent conduites sous bonne
escorte en prison. Là, le colonel Papa le bon allait les
désensorceler. (Désensorceler, c'est délivrer de
l'ensorcellement.) Walahé ! (au nom d'Allah) !
Faforo ! » (p.66)
Ce passage abrite, lui aussi, deux insertions des
parenthèses énonciatives qui font explicitement figure de la
répétition. En effet, les
énoncés « avouer se trouve dans mon
Larousse » et « Désensorceler, c'est délivrer
de l'ensorcèlement » constituent d'abord des gloses en ce sens
qu'ils reformulent des explications sur les lexèmes déclencheurs
des parenthèses qui sont « avouer » et
« désensorceler ». L'énoncé assertif
« elle avoua » et la parenthèse qu'elle
génère se trouvent liés par la reprise du segment que le
locuteur considère comme étant le noyau de sa
discursivité. Ainsi comprise, la répétition qui, dans la
plupart des cas, s'observe dans le processus d'ouverture-fermeture des
parenthèses dans tout ce texte de Kourouma, fonctionne à double
tranchant. D'une part, elle est une rupture de la
linéarité », au départ née de l'ouverture
d'une parenthèse en cherchant ainsi à retordre le fil textuel
linéairement. D'autre part, elle fait du texte une ondulation, une
mosaïque de va-et-vient à travers le caractère
insérant, dans les parenthèses, de leurs déclencheurs, et
le caractère répétitif de mêmes segments dès
que l'insertion parenthétique est close. Loin d'être un
phénomène énonciatif des redites, la
répétition participe de l'étrangeté du discours
littéraire Allah n'est pas obligé. Normalement :
« Ce dépassement des constructions des
énoncés littéraires confère non seulement à
l'oeuvre [...] une sorte de rupture d'avec le commun des mortels, avec
``monsieur-Tout-le -Monde'', mais aussi de facettes esthétiques dont la
manifestation formelle reste sans pareil. » Laurent MUSABIMANA
NGAYABAREZI, 2015b : 221-222).
De ce fait, la parenthèse comme
répétition est une forte mise en relief du caractère
linguistique dont le texte se veut vecteur : l'insécurité
langagière du narrateur qui veut oser son génie en
malinkéisant le français. La répétition engendre
aussi l'interpellation de l'instance lectrice dont le narrateur sollicite une
lecture retardée et attentive par ce va-et-vient intronisé par la
parenthèse.
II.11. LA PARENTHÈSE
COMME MÉTALANGAGE ET MÉTADISCOURS
Perçue comme métalangage et métadiscours,
la parenthèse mêle deux niveaux énonciatifs. Car
l'énonciation principale ressort du niveau assertif alors que la
parenthèse est tributaire du niveau méta-énonciatif ou
métalangagier appelé narratologiquement parlant '' niveau
métanarratif''. Ses composantes, bien qu'appartenant au locuteur,
instancient la distance que ce dernier affiche vis-à-vis de ses
illocutions. Cela s'illustre dès lors que Birahima installe une
parenthèse dans ses activités de narration pour commenter,
corriger, parler de son histoire. Il importe de constater qu'en tant que
marqueur énonciatif, la parenthèse devient donc un outil
d'ajustement du langage par le locuteur. Elle se revêt certes de diverses
fonctions énonciatives : autocorrection, commentaire, digression,
etc. Ce qui fait que toutes ses composantes sont considérés comme
des métalangages du discours sur lui-même. Ce qui s'élucide
dans ce passage :
« Nous (c'est-à-dire le bandit boiteux,
le multiplicateur de billets de banque, le féticheur musulman, et moi,
Birahima, l'enfant de la rue, sans peur ni reproche, the small-soldier), nous
allions vers le sud quand nous avons rencontré notre ami Sekou, le
paquet à la tête, qui montait du sud vers le nord. »
(p.131)
Dans ce passage, le locuteur désigné par
l'indice personnel « Nous » apporte un métalangage
en précisant les composantes de ce « nous » qui
réfère au groupe dont il fait partie. Les autres marques de sa
présence sont le « moi » et le
« notre » qui sont tous employés par
référence au « je » qui parle. Passant par la
particule explicative « c'est-à-dire », le
métalangage est aussi une composante qui déchire la
linéarité du fil textuel. Car il est sollicité et mis
en oeuvre selon l'intention du narrateur sans espace réservé
à l'unité syntaxique ou à l'énoncé. L'effet
de précision, d'explicitation est celui qui le caractérise dans
l'extrait ci-dessus. Il peut aussi être retrouvé dans cet autre
passage :
« Le spectacle était si désolant
que le colonel Papa le bon en a pleuré à chaudes larmes.
(Désolant signifie ce qui apporte des grandes douleurs. Mon Larousse.)
Mais il fallait voir un ouya-ouya comme le colonel Papa le bon pleurer à
chaudes larmes. Ça aussi c'était un spectacle qui valait le
déplacement. (Ouya-ouya, c'est un désordre, un vagabond
d'après Inventaire). (p.81)
Dans cette séquence extraite de l'oeuvre sous examen,
la parenthèse métalinguistique « Ouya-ouya, c'est un
désordre, un vagabond d'après Inventaire » intervient loin
de son déclencheur : «ouya-ouya». Cela confirme
l'idée hautement évoquée que le métalangage n'a pas
de position prédéfinie dans la phrase, dans
l'énoncé. Jeté comme pour conjurer les difficultés
de lecture, le métalangage constitue ici un mouvement
rétrospectif du locuteur sur son dire. Fréquemment vue chez
Birahima quand il ajuste son langage en cours de production en recourant
à l'explication lexicale de ses lexies, la parenthèse comme
métalangage provoque également la rupture énonciative
parce que l'énonciateur, dans les énoncés encadrés,
compromet la suite des faits énoncés en faveur de ses empreintes
identitaires. Mais la subjectivité de l'énonciateur dans ses
énoncés, rendue par la métalangue, ne véhicule pas
seulement les empreintes identitaires de l'instance émettrice, mais
aussi elle est une stratégie d'intimation de réception des
énoncés. Ce qui rejoint ce qu'affirme Franck NEVEU
(2011 :227-228) au sujet du métadiscours :
« Le terme de métadiscours sert à
désigner l'ensemble des faits relatifs à la
réflexivité langagière susceptible d'être à
l'oeuvre dans un discours (gloses, reformulations, paraphrases, deixis
discursive, etc.), l'énonciateur prenant l'énonciation comme
objet de discours( métaénonciation) pour l'évaluer, la
confirmer, l'ajuster, la corriger, la désigner, etc. »
Se fondant sur Inventaire des particularités
lexicales, comme pour installer la fonction d'attestation et la
modalité de croyance ou épistémique, le locuteur ajuste,
pour ainsi dire, ses propres illocutions. C'est la facture de la
subjectivité langagière que le narrateur plaque à ses
propos. Au fait, «les modalités épistémiques
[...] marquent l'expression d'une croyance ou d'une opinion, elles portent sur
la vérité subjective. » (Franck NEVEU,
Op.cit. : 233).En fait, dire que
« d'après Inventaire » la parenthèse mise en
exergue désigne telle propriété sémantique, c'est
lui affecter un tel degré de croyance que la vérité
linguistique mise en place reste incontournable. Donc telle
vérité provient de la source des illocutions confinées
dans la référence que le locuteur institue.
II.12. CONCLUSION PARTIELLE
Ce chapitre a analysé les composantes de la
parenthèse au sein de Allah n'est pas obligé. Il a
révélé que la parenthèse rompt l'architecture
syntaxique de l'oeuvre, crée le décrochage énonciatif en
installant des niveaux énonciatifs différents dans le
déploiement narratif. Elle génère un suspense, une
interpellation de l'instance réceptrice et une insistance à
travers son caractère immuable de répétition des segments
qui l'engendrent. Il nous reste à chercher à nous
imprégner de sa participation de l'écriture du roman kouroumien.
CHAPITRE III. LA PARENTHÈSE COMME STRATÉGIE
D'ÉCRITURE DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ
III.1. INTRODUCTION
Le deuxième chapitre vient de montrer que la
parenthèse dans Allah n'est pas obligé fonctionne
à travers les composantes énonciatives et stylistiques qui
engendrent la rupture de la linéarité du texte tout en assurant
un retour à l'énonciation. Dans ces conditions, la
parenthèse engendre des turbulences syntaxiques et énonciatives
qui traduisent l'esthétisation de la parenthèse comme technique
d'écriture. C'est l'objet du présent chapitre. Il s'agit,
précisément, d'examiner les incidences de création
littéraire dans l'oeuvre sous examen qu'engendre le fonctionnement des
parenthèses.
III.2. LE SCRIPTIBLE COMME
EFFET DE LA PARENTHÈSE
Le scriptible, rappelons-le, repose sur le postulat de la
primauté de la matérialité du texte sur son message. En
d'autres termes, l'écriture scriptible oppose une résistance
formelle au lecteur et l'invite à interroger le signifiant. Entendue de
cette manière, la parenthèse touche à la dimension de la
forme en sollicitant la participation du lecteur. D'où sa manifestation
de cet extrait :
« ...Et trois...suis insolent, incorrect comme
barbe d'un bouc et parle comme salopard. Je ne dis pas comme les nègres
noirs africains indigènes bien cravatés : merde !
putain ! salaud ! J'emploie les mots malinkés comme
faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père
ou de ton père.) Comme gnamokodé !(Gnamokodé !
signifie bâtard ou bâtardise.) Comme
Walahé !(Walahé ! signifie Au nom d'Allah.) Les
malinkés, c'est ma race à moi. C'est la sorte de nègres
noirs africains indigènes qui sont nombreux au nord de la
Côte-D'ivoire, en Guinée et dans d'autres républiques
bananières et foutues comme Gambie, Sierra Leone et
Sénégal là-bas, etc. » (p. 10)
Dans cet extrait, l'esthétisation du scriptible
ressort du fait que le texte est truffé de métatextes qui
compromettent le signifié, notamment à la suite de l'irruption de
l'énonciateur dans ses énoncés. C'est pourquoi, dans
l'énoncé : « J'emploie les mots comme
faforo ! (Faforo !signifie sexe de mon père ou de ton
père ou du père.», l'énonciateur met en oeuvre la
parenthèse en plein cours de ses activités d'énonciation.
Ladite parenthèse rompt celles-ci en faveur des jugements ou des points
de vue personnels sur tel ou tel autre segment du texte. En ce sens, l'instance
énonciative construit un récit dont la forme arrête le
regard du lecteur de par même les mots étrangers à la
langue française couronnant la parenthèse.
Encore constate-t-on que l'emploi de différentes
modalités pourtant constitutives d'une même unité
syntaxique compromet lui aussi la lisibilité du texte. En effet, les
« J'emploie les mots comme faforo ! » ;
« Comme gnamokodé ! » et « Comme
Walahé ! » sont des modalités exclamatives qui
traduisent l'indifférence du scripteur dans ses choix lexicaux. Jointes
aux contenus des parenthèses qu'elles introduisent, ces modalités
exclamatives sont constitutives des unités syntaxiques si complexes en
leur sein à cause des parenthèses qu'elles contiennent des
éléments formels importants. Dans ces conditions, ces
parenthèses déclenchent des difficultés de lecture qui
sollicitent l'apport du lecteur pour en constituer un réseau de
signifiants. Ce qui impose pareille stratégie exprimée dans la
réflexion suivante :
« Le lecteur se trouve de cette manière
pleinement associé à la construction du texte dont il a à
mettre au jour les relations internes et l'unité propre, en dehors de
toute référence à un ordre ou à une
réalité extérieurs. Il est invité à
participer activement au montage des différents plans du
texte... » (Philippe SABOT, 2010 : 2017)
Un autre niveau d'esthétisation du texte de Kourouma
mobilisant la participation du lecteur passe par l'autoréférence.
En effet, la figure narrative de Allah n'est pas obligé semble
vouloir faire aboutir un projet d' (in)formation du lectorat et s'appui sur la
procédure de référence. Ainsi elle fait passer ses
illocutions référentielles par des parenthèses, lesquelles
créent une illusion de la réalité en évoquant les
quatre Dictionnaires de Birahima. Pourtant, le texte littéraire n'a de
référent que lui-même. Ainsi, nous pouvons
considérer que la parenthèse fonde une écriture du texte
qui se réfère à lui-même, qui se cite. Cette
autoréférence montre que le texte met en scène sa propre
problématique de création que tente de diluer la
parenthèse. Ceci peut se justifier par la séquence
ci-dessous :
« Suis pas chic et mignon parce que suis
poursuivi par les gnamas de plusieurs personnes. (Gnama est un gros mot
nègre noir africain indigène qu'il faut expliquer aux
Français blancs. Il signifie, d'après Inventaire des
particularités lexicales du français en Afrique noire, l'ombre
qui reste après le décès d'un individu. L'ombre qui
devient une force immanente mauvaise qui suit l'auteur de celui qui a
tué une personne innocente.) Et moi j'ai tué beaucoup d'innocents
au Liberia et en Sierra Leone où j'ai fait la guerre tribale, où
j'ai été enfant-soldat, où je me suis bien drogué
aux drogues dures. Je suis poursuivi par les gnamas, donc tout se gâte
chez moi et avec moi. Gnamokodé (bâtardise) ! Me voilà
présenté en six points pas un de plus en chair et en os avec en
plume ma façon incorrecte et insolente de parler. (Ce n'est pas en plume
qu'il faut dire mais en prime. Il faut expliquer en prime aux nègres
noirs africains indigènes qui ne comprennent rien à rien.
D'après Larousse, en prime signifie ce qu'on dit en plus, en
rab.) » (p.12)
À travers ce passage, on remarque que le texte est
construit de manière à se référer à
lui-même pour se faire lire. Cela passe par les marques linguistiques
d'explication : « qui signifie » et de
référence : « d'après », qui
semblent indiquer que l'énonciateur cite un texte hors du narré,
pour postuler qu'il s'agit d'une intertextualité. Mais vu que les
dictionnaires cités sont ceux de Birahima, ceux de la fiction et non
donc des reproductions fidèles, voire partielles des théories
préexistantes, les parenthèses deviennent des
références du texte au sein de lui-même. Ce sont des
reflets de la fiction sur elle-même. En d'autres termes, les quatre
dictionnaires dont Birahima se sert pour commenter, expliquer, voire corriger
son langage ne sont pas entendus comme ayant préexisté à
la composition de Allah n'est pas obligé, mais comme des
matériaux de la fiction. Il s'agit des Larousse, Robert, etc. de
Birahima et non de ceux que l'on peut trouver en dehors du texte. Ce qui fait
de cette autoréférence un des éléments qui
participent de la mise en oeuvre d'une stratégie d'esthétique
scriptible issue de la parenthèse. Avec le scriptible :
« Le commentaire, fondé sur l'affirmation
du pluriel, ne peut donc travailler dans le `'respect'' du texte : le
texte tuteur sera sans cesse brisé, interrompu. Sans aucun égard
pour ses divisions naturelles (syntaxiques, rhétoriques,
anecdotiques) ; l'inventaire, l'explication et la digression pourront
s'installer au coeur du suspense, séparer même le verbe et son
complément, le nom et son attribut. Le travail du documentaire,
dès lors qu'il se soustrait à toute idéologie de la
totalité, consiste précisément à malmener le texte,
à lui couper la parole. Cependant, ce qui est nié, ce n'est pas
la qualité du texte (ici incomparable), c'est son
`'naturel'' ; » (Roland BARTHES, 1970 :19)
Le travail sur le signifiant qu'engendrent les facettes de la
parenthèse engage donc le commentaire, l'explication, la digression,
etc. pour « malmener » le signifié cher à la
littérature lisible. Quant à la pratique intertextuelle
proprement dite, elle peut être étudiée comme un
deuxième effet d'esthétisation de la parenthèse comme
stratégie d'écriture dans cette oeuvre.
III.3. L'INTERTEXTUALITÉ
COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE
L'intertextualité concerne les relations qu'un texte
entretient avec un ou plusieurs autres textes par voie de citations, d'allusion
ou de référence. De ce fait, tout texte peut se lire comme
l'intégration et la transformation d'autres textes. Cela étant,
il importe de constater que la parenthèse est un vecteur de ces
relations intertextuelles dans Allah n'est pas obligé. Ceci se
confirme en lisant l'extrait suivant :
« Sekou avait été obligé de
quitter Abidjan et d'abandonner sa Mercedes et tous ses biens à cause
d'une sombre affaire de multiplication de billets comme Yacouba (sombre affaire
signifie déplorable, lamentable affaire, d'après le Petit
Robert). Dès que nous nous sommes assis dans la case, Sekou, par une
prestidigation de maître, a sorti de la manche de son boubou un poulet
blanc. Yacouba a crié son émerveillement. Moi j'ai
été pris par un effroi (effroi signifie frayeur
mêlée d'horreur qui saisit, d'après le Petit Robert). Sekou
nous a recommandé beaucoup de sacrifices, des durs sacrifices. Nous
avons tué deux moutons et deux poulets dans un cimetière. Le
poulet qu'il avait sorti de sa manche et un autre. » (p.48)
Dans cet extrait, nous constatons que le narrateur recourt
à la parenthèse pour fournir des explications sémantiques.
En effet, le « sombre affaire signifie déplorable, lamentable
affaire, d'après le Petit Robert» et le « effroi signifie
frayeur mêlée d'horreur qui saisit, d'après le Petit
Robert» sont des énoncés explicatifs des lexèmes
contenus dans les illocutions traduisant les parenthèses. Cette
explication s'appuie sur le « Petit Robert ». Ce qui montre
que le narrateur cite ou reprend des composantes linguistiques
préexistant à la mise en oeuvre du discours textuel qu'il
construit. La parenthèse est donc citative, car le connecteur
référentiel « d'après »,
utilisé dans la parenthèse, justifie la stratégie
autrement dit : «une telle reproduction est un interdiscours vu
que le texte intègre un autre. [...] Et ici l'instance
énonciative se dédouble. Citer est, en fait, synonyme de
culture. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015b :246)
Dans ces conditions, le texte est une condensation d'autres
textes. Ce qui vient montrer que la parenthèse fait de Allah n'est
pas obligé un réservoir de segments textuels offerts
à la lecture. Encore ces insertions créent-elles la rupture car,
d'un côté, elles ne sont pas régies par le tiroir verbal du
récit qui les héberge, celui-ci étant au passé
alors que le cadre temporel des insertions est présent. D'un autre
côté, elles rompent, elles aussi, la linéarité de
l'énoncé en faveur de la référence, trace
intertextuelle qui impose un rythme de lecture à son lecteur. Car ce
lui-ci ne s'arrête pas au simple constat que le texte entre en relation
avec les autre textes, mais il pense cette parenthèse comme outil de
compréhension du texte qu'elle complète ou modifie. L'effet
d'interpellation résulte donc de cette pratique intertextuelle, à
côté de l'insistance naissant de la reprise du segment textuel
dans l'intertexte comme pour le « effroi signifie... »
où le narrateur reprend le mot «effroi » duquel
naît l'intertexte de la parenthèse.
L'autre impact de l'intertexte sur le texte est la
résonnance. Le fragment référentiel crée des
échos sur le texte au cours des activités de lecture. Car le
texte est construit de manière à se faire approfondir. D'abord,
par la première voix interprétative qu'est le narrataire, ensuite
par la voix du lecteur. Ces manifestations sont présentes dans cet
autre passage :
« Après, il annonça ce que
ça allait entreprendre. Walahé ! Rechercher le sorcier
mangeur d'âmes. Le mangeur d'âmes qui avait bouffé le
soldat-enfant, le capitaine Kid, djoko-djoko. (Djoko-djoko signifie de toute
manière d'après Inventaire des particularités.) Ça
allait le débusquer sous n'importe quelle forme ça se cachait.
Ça allait danser toute la nuit et, s'il le fallait, une journée
entière encore. Ça n'arrêtera tant qu'il ne l'aura pas
trouvé. Tant que ça n'aura pas été totalement
confondu. (Confondu signifie, d'après Larousse, que le sorcier
reconnaît par sa propre bouche son forfait). (p.64)
Cette séquence présente des marques
intertextuelles en passant par les parenthèses. En effet, les
assertions «Djoko-signifie de toute manière d'après
Inventaire des particularités » et « Confondu
signifie, d'après Larousse, que le sorcier reconnaît par sa
propre bouche son forfait », témoignent de la pratique
intertextuelle. Les titres d'ouvrages cités, bien que propres à
la fiction, engendrent l'illusion fictionnelle de la réalité. Car
l'intertexte fait penser au texte ayant préexisté à la
composition de l'oeuvre. L'intertextualité se lit ici comme une
injonction au lecteur car, même peu indispensable au texte, elle montre
que le narrateur canalise la lecture du texte, la restreint aux seules
précisions qu'il véhicule. Loin d'ennuyer le lecteur, pareille
stratégie pallie en quelque sorte le retardement narratif que les
limites de la parenthèse provoquent.
III. 4. LE
TRANSGÉNÉRIQUE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE
Évoquer une écriture
transgénérique, c'est repenser le texte comme étant le
résultat du mélange de plusieurs genres, de plusieurs cultures.
Cela s'appelle également une hybridatité générique
ou encore cumul des genres. Kourouma fait preuve de cette pratique scripturaire
à travers les parenthèses. On le voit à travers cette
séquence :
« Faforo (bangala du père) ! Nous
étions maintenant, nous étions à présent bien loin
de Zorzor, loin de la forteresse du colonel Papa le bon. Le soleil avait bondi
comme une sauterelle et commençait à monter doni-doni.(Doni-doni
signifie petit à petit d'après Inventaire des
particularités lexicales du français en Afrique noire.) Nous
devions faire attention. » (pp.83-84)
Avec cet extrait, on remarque que la narrateur provoque un
écueil de lecture à travers le mélange des langues
à savoir le malinké dans « faforo »,
« bangala » et « doni-doni » auxquels
sont jointes les unités linguistiques du français. Cette
hybridité linguistique ou encore hétérolinguisme est l'une
des traces de l'esthétique postmoderne dite
transgénérique. La langue en tant que vecteur de la culture, fait
de cet hétérolinguisme la fondation de la diversité
culturelle, que la parenthèse « Doni-doni
signifie... » vient légitimer pour diluer les effets
nés de ce cumul de langues. À travers ce mélange de
langues dans ce texte de Kourouma, le narrateur montre que le français
ne suffit pas, à lui seul, pour cerner l'univers des personnages, et en
même temps celui des consommateurs de sa narration. Il recourt ainsi aux
autres langues, qu'il explique à travers ses dictionnaires,
eux-mêmes traces de la diversité culturelle. En tant qu'indice de
l'esthétique postmoderne, la parenthèse devient alors une
stratégie d'écriture transgressive. Car le narrateur y
décide d''abandonner le fil narratif pour justifier ses choix lexicaux,
syntaxiques, etc. en empruntant les outils de l'univers normatif que sont les
dictionnaires, textes appartenant à un genre autre que le narratif.
Avec cet aspect, l'écriture de Allah n'est pas
obligé se place au centre d'un vaste champ linguistique complexe.
Elle ne se fait pas en « une langue », ni ne
véhicule « une culture » mais en « des
langues » et est un espace culturel diversifié que le
narrateur mobilise pour s'adresser à son narrataire à travers les
parenthèses. Ici, l'écriture se présente comme consciente
de sa réception. C'est ce qui ressort encore de cet extrait :
« Ça portait sur la sorcellerie, les
méfaits de la sorcellerie. Ça portait sur la trahison, sur les
fautes des autres chefs de guerre : Johnson, Koroma, Robert Sikié,
Samuel Doe. Ça portait sur le martyre que subissait le peuple
libérien chez ULIMO (United Liberian Movement of Liberia), Mouvement uni
de libération pour le Liberia, chez le LPC (Le Liberian Peace Concul) et
chez NPFL-Koroma. » (p.72)
Cet extrait fait transparaître deux configurations
linguistiques différentes à savoir l'anglais et le
français. Il fait aussi penser à la culture langagière
abréviative qui est synonyme d'une diversité culturelle de
l'usage de l'outil linguistique. Pareille configuration laisse entendre que la
parenthèse est un vecteur des variantes intentionnelles du narrateur
soucieux de s'adresser à un monde de narrataires diversifiés. En
corrélation avec l'écriture, l'on peut donc dire que le scripteur
veut diversifier son lectorat, ce qui fait de la parenthèse une
stratégie d'écriture consciente de sa réception.
III.5. LE FRAGMENTAIRE COMME
EFFET DE LA PARENTHÈSE
L'écriture fragmentaire caractérise un texte qui
affiche une incapacité à se faire délimiter. En d'autres
mots, le texte est dit fragmentaire lorsqu'il n'a pas d'extrêmes :
le début et la fin. Il repose sur l'inachèvement,
l'incomplétude. Pour scruter les indices de cette esthétisation
dans Allah n'est pas obligé, il importe d'abord de
considérer son aspect paratextuel, notamment son titre. Celui-ci
présente le caractère de troncation et signale ainsi le parti
pris du narrateur. En effet, le « Allah n'est pas
obligé » est une partie du titre même de ce roman, qui
est en vérité Allah n'est pas obligé d'être
juste dans toutes ses choses ici-bas . (pp. 9 et 224)
De ce fait, on constate que l'élément
titrologique n'apparaît pas sous sa forme finale ; il est
inachevé, fragmenté. En tant que première structure
énonciative, le titre imprime une connexion entre lui et les composantes
textuelles. Celles-ci sont, comme on vient de le constater dans les analyses
précédentes, fragmentées par les parenthèses.
Cette fragmentation résulte du fait que l'énonciateur rejette
explicitement la ligne droite de la prose continue dans sa narration, faisant
ainsi écho de l'esthétisation postmoderne pour laquelle la
linéarité énonciative étouffe la création.
Cette esthétisation titrologique qui se révèle aux
première et dernière pages du texte dans ce roman fonde une
écriture à structure narrative en boucle ou circulaire. Car le
roman finit tel qu'il commence. Elle crée la résonnance comme
effet majeur. Par cette résonnance du texte, il faut entendre que la
lecture n'est pas orientée vers la « sortie » comme
le supposerait la ligne droite, mais elle constitue un approfondissement vers
le centre du texte qui, du coup, tourne alors en spirale à travers les
va-et-vient précédemment évoqués comme effets de la
parenthèse.
C'est pourquoi, au coeur de l'esthétique dans ce roman
de Kourouma apparaît cette forme particulière d'écriture
qui rompt avec la linéarité du récit classique. Cette
écriture participe sans doute d'un travail d'invention
opéré sur le langage du texte. Ce travail se matérialise
par les parenthèses présentes dans Allah n'est pas
obligé. Elles peuvent être considérées comme
des fragments textuels dont le sens ne peut se construire qu'au moyen de la
lecture qu'on en fait. Ces fragments matérialisent ainsi
l'écriture fragmentaire où le texte dispose de deux
modalités d'existence à savoir l'histoire sur laquelle elle se
tisse et les commentaires qui la corroborent. Cette stratégie
d'écriture peut s'éclaircir bien plus en considérant
l'extrait ci-dessous :
« Les organisations non gouvernementales vinrent
affluer (affluer, c'est se porter en foule vers ; c'est arriver en grand
nombre) tant de manchots aux manches courtes et longues. Elles
paniquèrent et firent pression su Manada Bio. (Paniquer, d'après
le Petit Robert, c'est être pris de peur, d'angoisse.) Manada Bio
s'agite, veut négocier ; il lui faut une personne que Foday Sankoh
puisse écouter. Une personne dont l'autorité morale est reconnue
par tout le monde. Il va frapper à la porte du sage de l'Afrique noire
de Yamoussoukro. Ce sage s'appelle Houphouët-Boigny. C'est un
dictateur ; un respectable vieillard blanchi et roussi d'abord par la
corruption, ensuite par l'âge et beaucoup de sagesse. Houphouët
envoie gnona-gnona son ministre des Affaires étrangères Amara
cueillir Foday Sankoh dans son maquis (maquis signifie lieu peu accessible
où se groupent les résistants), dans la forêt tropicale,
impénétrable et sauvage. » (p.171)
Cet extrait peut être lu comme un réservoir des
fragments textuels car, d'une part, la coupure, la violence le heurtent. Cela
se constate dans les modalités assertives : « Les
organisations non gouvernementales vinrent affluer (affluer, c'est e porter en
foule vers ; c'est arriver en grand nombre) tant de manchots aux manches
courtes et longues», où la parenthèse interrompt
l'unité syntaxique en faveur des précisions sémantiques
qu'elle apporte sur le verbe « affluer » en le distanciant
de son complément. La brisure le heurte encore au niveau du changement
brusque du tiroir verbal dans un énoncé centré sur un seul
sujet, à savoir le passage du passé simple :
« vinrent, paniquèrent » au présent
« Manada Bio s'agite, veut négocier ; il lui faut une
personne que Foday Sankoh puisse écouter » alors que cette
deuxième assertion relate des faits consécutifs à ceux de
deux premières modalités assertives écrites au
passé simple. Ce changement brusque du temps du récit dans une
même structure énonciative est une trace qui sape les deux plans
d'énonciation d'inspiration benvenitienne.
« C'est-à-dire que ce présent historique, qui
équivaut au passé simple, matérialise une astuce de la
langue, pour rendre le récit vivant. Il rend vivantes les actions
énonciatives » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI,
2015b : 149). Le roman en étude conjugue plusieurs traces verbales
qui brisent ledit plan. Tantôt le narrateur recourt, dans le
récit, au présent, au passé composé, à
l'imparfait, au passé simple.
D'autre part, la rupture textuelle affecte la progression des
énoncés rompus par les parenthèses à des niveaux
différents à savoir le niveau intrasyntagmatique. On le voit dans
« Les organisations non gouvernementales vinrent affluer (affluer,
c'est e porter en foule vers ; c'est arriver en grand nombre) tant de
manchots aux manches courtes et longues». Ici, la parenthèse
éclate en deux les constituants du syntagme verbal
« affluer tant de manchots ». Le niveau
intersyntagmatique illustré par le « Houphouët
envoie gnona-gnona son ministre des Affaires étrangères Amara
cueillir Foday Sankoh dans son maquis (maquis signifie lieu peu accessible
où se groupent les résistants), dans la forêt tropicale,
impénétrable et sauvage» reçoit une insertion entre
deux syntagmes fonctionnels ; ainsi que le niveau
interphrastique où l'insertion de la parenthèse est
jetée en fin de phrase. Ceci fait de la parenthèse une figure
maîtresse des ruptures énonciatives dans ce texte de Kourouma qui
se présente alors comme déstructuré, tordu en ligne
brisée. Vu sa fréquence, la parenthèse
génère l'inconfort, l'astabilité, le choc, la
déchirure textuels. Mais cela n'est pas synonyme de l'absence du sens du
texte, c'est par contre la stratégie de creuser la possibilité
des sens car en y recourant, le narrateur sollicite du lecteur l'enjeu de la
consommation de la forme qui résiste à sa logique de la
pensée. Le texte devient ainsi une moule à remplir. Ce qui
s'explique par le fait que certaines parenthèses ne sont pas
ponctuées- à l'instar de la première introduite par le
verbe « affluer ». le lecteur peut ainsi compléter,
ajouter, renforcer, suppléer, torturer, etc. à sa guise la
parenthèse. Il peut lui ajouter, comme le narrataire, d'autres
illocutions selon ses convenances personnelles. La parenthèse constitue
donc le morcellement du texte.
Somme toute, l'écriture fragmentaire vécue dans
Allah n'est pas obligé fonde une esthétique de la
dislocation sociale qu'est le sujet même de l'histoire racontée.
Le texte est inachevé en sens que la parenthèse, même
répondant à une question d'ordre lexico-sémantique, comme
c'est souvent le cas ici, constitue une non-réponse car
l'émiettement du texte en fragments textuels se pose comme directeur de
la lecture à y apporter, alors que celle-ci ne peut aucunement
être dictée. Cela porte à dire que les parenthèses
sont des trous, des zones d'ombre, des questions que le narrateur crée
en ses illocutions en se posant comme la première voix
interprétative de son texte, alors que ses commentaires- comme ses
illocutions narratoriales- sont, aux yeux du lecteur, des segments dont il faut
reconstruire le sens au cours des activités de lecture.
III.6. CONCLUSION PARTIELLE
Ce chapitre a porté sur les facettes de la
parenthèse considérée comme stratégie
d'écriture, c'est-à-dire comme participant créatif de la
matérialité du texte. Il a été question de
montrer qu'en tant que telle, la parenthèse participe de la
création littéraire dans Allah n'est pas obligé
à travers ses différentes esthétisations qui
génèrent les effets de l'écriture dont ce texte se
réclame, à savoir le scriptible, le fragmentaire, le
transgénérique et l'intertextualité.
CONCLUSION
GÉNÉRALE
Au terme de notre étude sur « La
parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est
pas obligé de Ahmadou KOUROUMA », il sied de
préciser que notre finalité était de scruter les
manifestations de la parenthèse en tant que stratégie
d'écriture qui participe de la création littéraire de
cette oeuvre. Cet objectif découle des questions de la
problématique suivantes : Comment la parenthèse comme
stratégie d'écriture se présente-t-elle dans Allah
n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ? Comment s'articulent les
composantes de cette stratégie d'écriture dans l'oeuvre en
étude ? Quelles sont les manifestations des esthétiques
littéraires engendrées par la parenthèse comme
stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé
de Ahmadou KOUROUMA ?
Les réponses provisoires formulées aux questions
suggérées par la problématique sont les suivantes :
la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah
n'est pas obligé se présenterait comme les manifestations
énonciatives et typographiques par lesquelles l'instance
d'énonciation procède à l'insertion, à la
rectification et au commentaire de ses propos. Les composantes de cette
stratégie d'écriture dans l'oeuvre en étude
s'articuleraient comme une métatextualité ou une
métadiscursivité, dont les effets seraient la rupture de la
linéarité discursive et la connivence énonciative. Les
manifestations des esthétiques littéraires engendrées par
la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah
n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA seraient le scriptible, la
transgénéricité et le fragmentaire.
Cette tâche a conduit à opter pour une
chapitration en trois moments. Le premier intitulé « cadre
conceptuel et méthodologique» a permis d'inscrire cette recherche
au croisement du champ de l'énonciation, de la stylistique et de la
poétique. Il a montré que la parenthèse désigne une
des stratégies énonciatives, typographiques, stylistiques,
permettant plusieurs facettes d'insertions énonciatives. Ces derniers
jouent sur la composante formelle et sur la texturalité, en engendrant
des ruptures énonciatives complexes et puissantes. Ce chapitre a, en
outre, présenté la méthodologie assignée à
cette étude. Les méthodes ont examiné en commun les
propriétés textuelles, matérielles, énonciatives
engendrées par les parenthèses comme éléments
d'élaboration singulière du discours littéraire qu'est
Allah n'est pas obligé de Kourouma. Cette singularité du
texte narratif de Kourouma se remarque dans les deuxième et
troisième chapitres.
Le deuxième moment de ce travail a montré que la
parenthèse crée un décrochage syntaxique et
énonciatif dans la structure organisationnelle du texte. Cette
procédure scripturaire assoit ainsi la subjectivité du narrateur
dans les énoncés et le changement de niveaux énonciatifs
chez lui. Il se dote en même temps du rôle narratif et
métanarratif. C'est ainsi que la parenthèse s'analyse comme l'un
des matériaux de construction du discours narratif kouroumien avec comme
facettes plusieurs ingrédients formels. Lesdits ingrédients
prennent la facture de métadiscours, de rectification,
d'épanorthose, d'incidente, d'incise, et beaucoup d'autres insertions
textuelles provoquant le jeu sur la matérialité du texte.
Le troisième moment, quant à lui, a porté
sur les facettes de la parenthèse considérée come
stratégie d'écriture, c'est-à-dire comme participant
à l'esthétisation du texte. Il a été question
de montrer qu'en tant que telle, la parenthèse participe de la
création littéraire dans Allah n'est pas obligé
à travers les différentes esthétiques
littéraires. C'est notamment le scriptible, le fragmentaire, le
transgénérique et l'intertextualité. Ces
esthétiques permettent de classer Allah n'est pas obligé
dans les productions littéraires postmodernes. Loin de
paraître comme un signe de ponctuation secondaire, la parenthèse,
à travers les traits esthétiques qu'elle engendre, permet
à l'oeuvre analysée ici, de postuler la participation du lecteur
à son engendrement. L'oeuvre se dédouble : en effet,
grâce à la parenthèse, les sens du lecteur sont
mobilisés à l'égard du morcellement narratif et de la
rupture énonciative que la parenthèse imprime à Allah
n'est pas obligé.
À la suite de ce qui vient d'être dit, il est
temps de dire que nos hypothèses sont confirmées. Car la
structuration de ce roman repose sur les insertions des parenthèses qui,
le long du fil narratif, installent la rupture syntaxico-énonciative
dès qu'elles sont patronnées par l'instance énonciative.
Elles appellent les effets divers dont l'insistance née de leur
caractère répétitif et la résonance du texte sur
lui-même. Cette double incidence des parenthèses sur le texte
fait de celui-ci un réservoir de métatextes, de
métalangages, des commentaires explicatifs, référentiels
ou correctifs qui le segmentent à tous les niveaux, du syntagme au texte
en entier en passant par les énoncés considérés
comme tels. Cela permet d'enregistrer Allah n'est pas obligé
dans les textes scriptible, fragmentaire, intertextualisé et
transgénérique qui font écho de l'esthétique
postmoderne dont le fondement majeur est le rejet de la structure
linéaire du texte et surtout le rejet de la lecture oisive par le
lecteur. De la sorte, l'objectif assigné à cette recherche est
atteint. Car les analyses ont prouvé que la parenthèse constitue
l'une des stratégies d'écriture dans Allah n'est pas
obligé de Kourouma. Pareilles stratégies classent cette
oeuvre comme figurant parmi les textes littéraires postmodernes.
Sans prétendre que nous avons épuisé
toutes les manifestations de la parenthèse comme stratégie
d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou
Kourouma, nous nous contentons d'inviter les recherches ultérieures
à s'intéresser à la question énumérative ou
arithmétique.
BIBLIOGRAPHIE
a. Ouvrage de base
KOUROUMA, A., Allah n'est pas obligé, Paris,
Seuil, 2000.
b. Ouvrages de linguistique et de critique
littéraire
ADAM, J.-M., Les textes : Types et prototypes.
Séquences descriptives, narratives, argumentatives, explicatives,
dialogales et genres de l'injonction-instruction, Paris, Armand Colin,
2011.
ARRIVÉ, M. et al., La grammaire d'aujourd'hui.
Guide alphabétique de linguistique française, Paris,
Flammarion, 1986.
BARTHES, R., Le degré zéro de
l'écriture suivi de Nouveaux essais critiques, Paris,
Seuil, 1972.
BARTHES, R., S/Z, Paris, Seuil, 1970.
BENVENISTE, É.,Problèmes de linguistique
générale T2, Paris, Gallimard, 1974.
CALAS, F., Leçons de stylistique, Paris,
Armand Colin, 2013.
COGARD, K., Introduction à la stylistique,
Paris, Flammarion, 2001.
DELCROIX, M. &HALLYN, F., Méthodes du texte,
Introduction à l'étude littéraire, Bruxelles, de
Boeck et Larcier, 1995.
DERÈZE, G., Méthodes empiriques de recherche
en communication, Bruxelles, De Boeck s.a., 2009.
DESSAINTES, M., Recherche linguistique et enseignement,
Bruxelles, Duculot, 1971.
FOSSION, A. & LAURENT, J.-P., Pour comprendre les
lectures nouvelles, Bruxelles, De Boeck et Paris, Duculot, 1981.
LAURENT, N., Initiation à la stylistique,
Paris, Hachette, 2005.
MAINGUENEAU, D., Nouvelles tendances en analyse du
discours, Paris, Hachette, 1987.
MILLY, J. La poétique de la prose, Paris,
Armand Colin, 2O10.
MOLINIÉ, G., Sémiostylistique. L'effet de
l'art, Paris, PUF, 2009.
MOLINIÉ, G., La stylistique, Paris, PUF,
1989.
MOLINIÉ, G., La stylistique, Paris, PUF,
1993.
MUSABIMANA NGAYABAREZI, L., Comportement du narrateur et
prise de position chez Pie Tshibanda Wamuela Bujitu, Paris, Edilivre,
2015b.
PAVEAU, M. et SARFATI, G.-É., Les grandes
théories de la linguistique. De la grammaire comparée à la
pragmatique, Paris, Armand Colin, 2011.
RASTIER, F., Arts et sciences du texte, Paris, PUF,
2001.
RIEGEL, M. et al., Grammaire méthodique du
français, Paris, PUF, 2009.
RIEGEL, M. et al., Grammaire méthodique du
français, Paris, PUF, 2016.
SABOT, P., Littérature et guerres. Sartre, Malraux,
Simon, Paris, PUF, 2010.
TODOROV, T, La Poétique, Paris,
Seuil, 1968.
c. Dictionnaires
ARON, P. et al., Le Dictionnaire du littéraire,
Paris, PUF, 2002.
BERGEZ, D. et al., Vocabulaire de l'analyse
littéraire 2e édition, Paris, Armand Colin,
2010.
CHARAUDEAU, P. et MAINGUENEAU, D., Dictionnaire d'analyse
du discours, Paris, Seuil, 2002.
DUCROT O. et TODOROV S., Dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage, Paris, seuil, 1972.
DUPRIEZ, B., Les procédés
littéraires, Paris, 10/18, 1984.
MOLINIÉ G., Dictionnaire de rhétorique,
Paris, Librairie Générale Française, 2009.
MUSABIMANA NGAYABAREZI, L., Dictionnaire illustré
de la narratologie, Paris, Édilivre, 2015a.
NEVEU, F., Dictionnaire des sciences du langage,
Paris, Armand Colin, 2011.
STALLONI, Y., Dictionnaire du roman, Paris,
Armand Colin, 2012.
d. Articles
KOUAKOU KONAN, S., « Du silence au
dévoilement à travers des parties du discours et des signes
graphiques dans l'écriture romanesque de Kourouma » in
Création, langue et discours dans l'écriture de Kourouma,
Abidjan, Le Graal, 2013, pp. 96-111.
MUSABIMANA NGAYABAREZI, L., « Les stratégies
de débrayage comme écriture de la dissimulation chez Pie
Tshibanda Wamuela » in L'écriture comme dissimulation
dans les littératures contemporaines, française et francophone
(fin du XXe et XXIe siècles), Alger-Bouzaréah, ENS de
Bouzaréah, 2016, pp. 119-139.
e. Mémoires de licence
AMANI MAHANO, E., La question de la langue dans
Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA,
ISP/Goma, 2011.
BATEGERA, A., La connotation dans Allah n'est
pas obligé de Ahmadou KOUROUMA , ISP/RUTSHURU,
2009.
BUJANDA, J.D., L'endophonisation dans Allah
n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA , ISP/RUTSHURU,
2011.
KAMBALE, K., Le picaresque dans Allah n'est pas
obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/GOMA, 2014.
KANYAMANZA, B., L'imaginaire dans Allah
n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ,
ISP/LUBUMBASHI, 2003.
KAZINDU, M., Du métatextuel dans
Allah n'est pas obligé de Ahmadou
KOUROUMA, ISP/RUTSHURU, 2009.
LUKOGHO, V., Écriture du chaos et afro-
pessimisme dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou
KOUROUMA, ISP/Bukavu, 2006.
f. Webographie
https://sortiedelaconfusion.wordpress.com;
consulté le 08 aout 2017.
http://questionsdecommunication.revues.org,
consulté le 07 août 2017.
TABLE DES
MATIÈRES
ÉPIGRAPHE
i
DÉDICACE
ii
REMERCIEMENTS
iii
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1
1. CADRE ET CHOIX DU SUJET
1
2. PROBLÉMATIQUE
1
3. OBJECTIF DU TRAVAIL
2
4. HYPOTHÈSES DU TRAVAIL
2
5. INTÉRÊT DU SUJET
2
6. ÉTAT DE LA QUESTION
3
7. MÉTHODOLOGIE
5
8. SUBDIVISION DU TRAVAIL
6
9. DIFFICULTÉS RENCONTRÉES
6
CHAPITRE I. CADRE CONCEPTUEL ET
MÉTHODOLOGIQUE
7
I.1. INTRODUCTION
7
I.2. CADRE CONCEPTUEL
7
I.2.1. LA PARENTHÈSE
7
I.2.1.1. La suspension
9
I.2.1.2. Le commentaire narratif
9
I.2.1.3. La glose
10
I.2.1.4. L'intertexte
10
I.2.1.5. Le métatexte
11
I.2.1.6. Le métalangage
12
I.2.1.7. Le métadiscours
12
I.2.1.8. L'incise.
13
I.2.1.9. La digression
13
I.2.1.10. L'autocorrection
14
I.2.1.11. L'explication
14
I.2.1.12. L'apposition
15
I.2.1.13. La rectification
16
I.2.1.14. La répétition
16
I.2.1.15. Le détachement
17
1.2.1. 16. La ponctuation
18
I.2.2. LA STRATÉGIE
18
I.2.3. L'ÉCRITURE
19
I.2.3.1. Le texte lisible
20
I.2.3.2. Le texte scriptible
20
I.2.3.3. Le texte fragmentaire
21
I.2.3.4. Le texte recevable
21
Au sujet de l'écriture dite recevable, il
est à noter que :
21
I.2.3.5. Le texte transgénérique
22
I.2.4. LA PARENTHÈSE COMME STRATÉGIE
D'ÉCRITURE
23
I.3. CADRE MÉTHODOLOGIQUE
23
I.3.1. LES TECHNIQUES
24
I.3.2. LES MÉTHODES
25
I.3.2.1. L'énonciation
25
I.3.2.2. La stylistique
28
I.3.2.3. La poétique
31
I.4. PRÉSENTATION DU CORPUS
33
I.4.1. Kourouma : l'homme et l'oeuvre
33
I.4.2. Contenu sémantique de l'oeuvre
34
I.5. CONCLUSION PARTIELLE
34
CHAPITRE II : LES COMPOSANTES DE LA
PARENTHÈSE DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ
35
II.1. INTRODUCTION
35
II.2. LA PARENTHÈSE COMME COMMENTAIRE
NARRATIF
35
II.3. LA PARENTHÈSE COMME GLOSE
37
II.4. LA PARENTHÈSE COMME DIGRESSION
40
II.5. LA PARENTHÈSE COMME SUSPENSION
42
II.6. LA PARENTHÈSE COMME
DÉTACHEMENT
44
II.7. LA PARENTHÈSE COMME INCIDENTE
46
II.8. LA PARENTHÈSE COMME INCISE
47
II.9. LA PARENTHÈSE COMME APPOSITION
EXPLICATIVE
48
II.9. LA PARENTHÈSE COMME
MÉTADISCOURS RECTIFICATIF OU AUTOCORRECTIF
50
II.10. LA PARENTHÈSE COMME
RÉPÉTITION
52
II.11. LA PARENTHÈSE COMME
MÉTALANGAGE ET MÉTADISCOURS
55
II.12. CONCLUSION PARTIELLE
57
CHAPITRE III. LA PARENTHÈSE COMME
STRATÉGIE D'ÉCRITURE DANS ALLAH N'EST PAS
OBLIGÉ
58
III.1. INTRODUCTION
58
III.2. LE SCRIPTIBLE COMME EFFET DE LA
PARENTHÈSE
58
III.3. L'INTERTEXTUALITÉ COMME EFFET DE LA
PARENTHÈSE
62
III. 4. LE TRANSGÉNÉRIQUE COMME
EFFET DE LA PARENTHÈSE
64
III.5. LE FRAGMENTAIRE COMME EFFET DE LA
PARENTHÈSE
66
III.6. CONCLUSION PARTIELLE
70
CONCLUSION GÉNÉRALE
71
BIBLIOGRAPHIE
74
TABLE DES MATIÈRES
77
|