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La poésie d'auto-glorification en milieu Wolof du Baol: l'exemple du kanu


par Abdoulaye DIOME
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maîtrise 2019
  

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CHAPITRE II : ANALYSE THEMATIQUE

La société wolof du Baol est très conservatrice. De ce fait, l'approche thématique se révèle interessante parce qu'à travers les thèmes, certains mécanismes sociaux sont mis en lumière, particulièrement la vision de l'homme et la vision du monde des wolof. Dans cette approche, notre travail consiste à répertorier les thèmes dominants dans notre corpus, et d'en faire une analyse. Ces thèmes englobent une même problématique, celle de l'homme dans son environnement parmi ces thèmes on peut citer le travail, l'altérité et l'héroïsme.

1. Le travail

Le travail est une nécessité contraignante entrainant peine et fatigue mais pouvant aussi susciter de satisfaction et de joie. Imposé par la loi naturelle, le travail permet aux hommes de vaincre une nature souvent hostile. Le Grand Robert le définit comme : « une fatigue, une activité pénible qui apporte de la gloire ; et, par extension, une entreprise dangereuse, difficile et glorieuse ».

La société wolof plus précisément celle du Baol accorde beaucoup d'importance au travail. C'est la raison pour laquelle le thème du travail est toujours présent dans leurs productions littéraires. Malgré son caractère difficile et son aspect pénible, le travail engendre le bonheur et la gloire et l'essence de l'homme. Cheikh Tidiane SY dit à ce propos : « Il faut remarquer que chez les négro-africains, seul le travail donne un sens à l'existence humaine. « Ligey rek moy deug, littéralement, seul le travail est vérité » nous renseigne la morale wolof».64Le travail devient ainsi une exigence voire une obligation pour l'homme qui doit assurer sa survie. Tout le monde est soumis au travail de la terre qui « est considéré comme une absolue priorité aussi utile (et nécessaire) à la vie de l'homme qu'à sa mort »65dans la mesure où il « aide l'homme à mieux délibérer avec sa conscience pour une vision claire de sa vie, et assumer dignement celle-ci pour mieux gérer sa mort ». 66 Tandian, K, A écrit à ce propos : « Etre riche, était avant tout, avoir beaucoup de greniers remplis de mil pour l'autosuffisance alimentaire de la famille, puis avoir du bétail (vaches, chèvres...) et accessoirement de l'argent.»67 Cette réflexion sur l'importance du travail agricole et de l'élevage dans la société soninké, on peut aussi l'appliquer à la société wolof du Baol.

Les wolofs du Baol étaient des paysans dont les ressources économiques étaient tirées pour l'essentiel du travail de la terre. L'exaltation au travail est due au fait que le travail étant la seule activité qui leur permettait de sauvegarder leur dignité et leur dépendance.

64 Cheikh Tidiane Sy, « Mouridisme et tradition négro-africaine du travail », in Ethiopiques no21, janvier, 1980.

65 FAYE, A Le thème de la mort dans la littérature seereer, Dakar, NEAS, ACCT, 1992.p268.

66 FAYE, A Idem.p268.

67 Tandian, K, A. Poésie soninké et Education traditionnelle, Dakar, NEAS, 1999, p.195.

64

Le travail apporte le bonheur matériel et permet de conserver l'honneur, l'un des biens les plus précieux dans la société wolof. Refuser de travailler revient à accepter la vie de dépendance, la soumission, l'humiliation. Le travail apporte le respect des autres car celui ou celle qui travaille et produit ne se plie pas devant son semblable pour quémander. C'est pour cette raison que les paysans du Baol exaltent et exhortent au travail. Comme le souligne le chant intutilé « Damay liggéey ndax mooy wàllum gor » ou « Je travaille car c'est le devoir de l'honnête homme » ou on note :

Damay liggéey ndax mooy wàllum gor

Ndax xam naa ne kuko ñakk

Di gor, sa xel di la lor

Sa nelaw dootul maase

Boo tëddee sa xel dem si for

Liggéey laa xam ndax sàmm ngor

Su dul loolu te ñaan jafe ma

Ñaq jarñu ndax ngor

Luma am ci liggéey doyloo naa ko

May ma duma yor

Bañnaa kuma janni ndax toppe

Rawatina gáddu ay bor

Bëgg naa sama jom ak sa ngor

Te yem ci lima yor

Je travaille car c'est un devoir pour tout homme digne

L'homme qui ne travaille pas

Sera tenaillé par sa conscience

Son sommeil sera sans cesse agité

Il ne connaîtra pas de répit

Le travail me permet de préserver ma dignité

Car quémander m'est tâche difficile

Je préfère manger à la sueur de mon front

Pour préserver ma dignité

Je ne saurais vivre d'aumône ou de dettes

J'ai peur d'être la risée publique

À cause de choses futiles, à fortiori des dettes

Car, je tiens à mon honneur et à ma dignité

C'est pourquoi je me contenterai de ce que j'ai. (Chant 5)

Ce texte met l'accent sur l'effort personnel comme gage d'une promotion sociale. L'homme apprend le respect de soi-même par le refus de l'affront, il cultive l'honnêteté comme une

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vertu indispensable à toute l'harmonie sociale. Une telle conduite l'élève au rang de la hiérarchie sociale. Dans cette société agraire wolof, on ne peut qu'inviter les gens à prendre au sérieux ce secteur qui est vital car celui qui ne travaille pas ne pourra que vivre sur le dos des autres ou vivre par des moyens illégaux tels que le vol, la tricherie. Le performateur de ce chant exalte les valeurs ancestrales du travail basées sur l'honneur et la dignité qui permettaient de s'écarter de certains défauts comme la paresse, la propension à la facilité. La dérision dans ce chant permet de fustiger certains comportements des marabouts d'aujourd'hui qui se nourrissent de pitance, donc du fruit du travail des autres comme dans le conte « Samba seytané et Amari jullit 68 » mais aussi comme le souligne la morale wolof : « Jëf Jël, ñaq ted » « Agir pour posséder, suer pour jouir ». C'est dans ce sens que Voltaire affirme dans Candide : « le travail éloigne de nous trois grands maux, l'ennui, le vice et le besoin»69et dans le même sens, Alain le pédagogue de la méthode austère a déjà dit dans Propos sur l'éducation : « l'homme se forme par la peine ; ses vrais plaisirs, il doit les gagner, il doit les mériter. Il doit donner avant de recevoir ». Autrement dit l'homme doit gagner son pain à la sueur de son front.

Cependant contrairement à ceux qui pensent que le travail est une contrainte, chez les baol-baol, le travail est valorisant et permet à l'homme de jouer un rôle dans la société. Cette exaltation de l'effort est source de noblesse car celui qui travaille peut assumer ses responsabilités en assurant sa survie et celle de sa famille. Comme l'illustre le chant suivant :

Yaay bóoyo

Samba nga ca tool ya

Doyna ndam

Baay bóoyo

Samba nga ca tool ya

Doyna ndam

Yaay bóoy ca tool ya

Baay boy ca tool ya

Doom ca tool ya

Doy na ndam

Doomu gaynde, gaynde lay doon

Oh mère !

Samba laboure dans les champs

C'est là, tâche noble

Oh père !

68 Kesteloot, L et Bassirou Dieng, op.cit, p.105.

69 Voltaire, Candide, Genève, 1759, p.83.

66

Samba laboure dans les champs

C'est là, tâche noble

Père va au champ

Mère va au champ

Le fils va au champ

Ce sont là, des tâches nobles

Le petit d'un lion

Ne saurait être qu'un lionceau. (Chant 15)

En milieu wolof plus précisément dans le Baol, le travail est en outre valorisé et élevé au rang de culte. L'attachement au travail a inspiré plusieurs personnes parmi lesquelles le guide du mouridisme qui a fondé toute son idéologie sur deux piliers essentiels « ligeey ba mel ni dotoo de te ; jaamu yalla ba mel ni tay ngay de »70 (travaille comme si tu ne devais jamais mourir et prie comme si tu devais mourir aujourd'hui). L'expression de la pensée religieuse, l'évocation de la divinité est souvent très fréquente dans les récits. Le wolof semble toujours prendre conscience d'une certaine faiblesse qui le pousse à aller auprès de l'autre. Le paysan wolof étend la chaine de solidarité aux autres êtres surnaturels dont il sollicite avec les prières ou d'autres pratiques rituels soutiens et l'assistance. Ainsi dans les textes il n'est pas rare de voir apparaitre la référence religieuse. C'est le cas de figure qu'on retrouve dans ce chant.

Bismillaaxi jàmm

Raxmaani jàmm

Raxiimi jàmm

Jàmm njëk, jàmm mudj, jàmm nek ci digante bi

Bismillaaxi tew

Raxmaani tew

Raxiimi tew

Au nom de Dieu ! La paix

Le Clément ! La paix

Le Miséricordieux ! La paix

Paix devant ! Paix derrière ! Paix au centre

Au nom de Dieu je suis là

Au nom du Clément ! Je suis là

Au nom du Miséricordieux ! Je suis là. (Chant 16).

Le cultivateur wolof manifeste sa foi dans toutes les activités quotidiennes, notamment dans le travail. Le héros est confronté à des difficultés qui semblent le dépasser et pour s'en sortir,

70 Recommandation du Coran reprise par Cheikh Ahmadou Bamba.

67

il est obligé de s'en remettre aux êtres supérieurs. Sa foi en Dieu et ses croyances animistes ou païennes se confondent.

En somme on peut dire que dans une société qui a fait du travail son crédo et de la terre son noyau référentiel, seul le travail permet à l'homme d'éviter la dépendance.

2 .L'altérité

L'altérité est un concept utilisé dans de nombreuses disciplines comme la philosophie, l'anthropologie, l'ethnologie et la géographie. Le mot vient du latin alteritas, qui signifie différence, l'antonyme d' « altérité » est « identité ». L'altérité renvoie à ce qui est autre, à ce qui est extérieur à un « soi », à une réalité de référence, qui peut être l'individu, le groupe, la société, la chose, le lieu.

Le thème de l'altérité est très présent dans la poésie champêtre wolof. Au champ le jeune cultivateur n'est pas seul, il est avec d'autres jeunes de sa génération. Cependant, l'autre qui peut être homme ou objet est très présent dans nos textes. Cette altérité dans le kañu trouverait sans doute sa justification, d'une part par la concurrence car les jeunes se lancent des défis et excellent dans le geste et la parole. Et d'autre part, elle est centrée sur le performateur afin de le galvaniser par le biais de l'autoglorification. Le discours s'adresse à ses concurrents dans le même champ. Il cherche à se distinguer et à montrer ses différences par rapport à eux. Amade Faye ajoute à ce propos : « toute parole était agression ou allusion agressive, de part en part traversée par une métaphore guerrière ou s'entrecroisent défis et provocation ».71L'altérité dans cette expression poétique, a comme point focal une agressivité verbale dans tous les instants. Cependant il est important de signaler que cette agressivité n'est pas physique, elle est discursive. Comme le montre le chant ci-dessous :

Ma mën guné ak baayam

Ndax Baay ba doolé ba da jeex Té gune ba doole ba dikagul

Je suis plus fort qu'un père et son enfant

La force du père est épuisée

L'enfant n'a pas encore acquis une force suffisante. (Chant 35)

Dans ce chant, l'énonciateur s'adresse à ses concurrents dans les champs. Les destinataires du message sont les jeunes de la même classe d'âge et de la même force physique. Cette parole lancée est un défi à soi-même, à l'autre destinataire et témoin. Le but du poète est de faire

71 FAYE, A.op.cit.p.363.

68

naître un sentiment d'exaltation et de supériorité. Le performateur fait recours à des parole imagées et symboles qui lui permettent de s'identifier aux autres comme l'illustre ce chant :

Ndama akk ndamari bokkul Ndama yeel ba day gatt Xuuru ganaaw ga taaba Deun ba angase

Lumu yótu jot ko

Lumu dóor mu ñibi allaaxira

Celui qui a une courte taille est tout à fait différent d'un nain

Le petit a les os courts,

Des jambes courtes

Une colonne vertébrale large

Une poitrine saillante

Il atteint toujours son but

Et quiconque encaisse son coup, séjourne dans l'au-delà. (Chant 43)

Dans ce chant la personne de petite taille se voit comme le meilleur au champ en glorifiant sa personnalité et ses caractères physiques. En se comparant aux autres, il se déclare le meilleur et lance un défi.

Dans ce poème ci-après, le cultivateur ne fait que relater ses prouesses et exprimer fièrement sa personnalité. Le héros « apparait comme hors norme, excessif et foncièrement inimitable : il n'est pas à proprement parler un exemple, ni un modèle, il est plutôt « un moteur » qui donne l'élan et la tension nécessaires pour permettre la mise en pratique d'une idéologie commune dont il symbolise l'une des composantes ».72C'est ce cas de figue qu'on retrouve dans ce chant ci-après ou le performateur met en avant sa force physique et son courage.

Waaw góor suka péll gi Ndax péll gi romb nga daw Te mag mu la sol wogantiku

Mbaa mu sonn lool

Koo ni bu suba ñu daje Guddi googa du nelaw

Mbaa bu nelaweet du yandoor

Ndonoy yaay Majigen jóob Nii nga mën a mel

Doomu ñay ñay lay doon

72 C.Seydou « Réflexion sur les structures narratives du texte épique : l'exemple des épopées peules et bambara », in l'Homme, vol.23, no23, no3, 1983, p.46.

69

Baay Yata ku bëgg xam

Nga toji sa mbandum yaay

Ku bëgg kula duma nga tooñ ku la mën

Brave Suka !

Tu surclasses tous les autres jeunes

Tout adulte qui veut te porter retroussera ses manches

Sinon, il lui en coûtera

Celui qui osera te défier

Ne dormira pas la veille

S'il parvient à dormir son sommeil sera léger

Héritier de Majigen jóob

C'est cela ta légitime ambition

Le fils d'un éléphant ne saurait être qu'un éléphanteau

Baay Yata, qui veut le vérifier

N'a qu'à casser le canari de ma mère

Qui veut être battu, provoque plus fort que lui. (Chant 7)

C'est précisément dans le but de singulariser en montrant sa différence avec autrui que les noms des ancêtres peuvent être associés à la performance. Il faut comprendre que les ancêtres cités sont glorieux et par conséquent le cultivateur cherche à s'identifier à eux. Le fait d'évoquer le nom de l'ancêtre donne l'illusion d'avoir personnellement participé à la geste par laquelle l'ancêtre a acquis son nom. Ce besoin de s'identifier à l'ancêtre s'explique par l'importance que la société wolof se fait du sens de l'honneur. C'est ainsi que Senghor affirme dans un de ses interviews : « Pour les Sénégalais, comme pour la plupart des Soudano-sahéliens, il y a deux mots importants et qui sont à la base de notre conception de la vie : C'est le jom, le sens de l'honneur et le kersa, la maitrise de soi ou la retenu, la pudeur. Ces traits sont caractéristiques du modèle épique en milieu wolof qui de par un comportement héroïque accomplir des actions d'éclat individuelles pour mériter un renom et sauver l'honneur des ancêtres. L'extrait du chant ci-après est un exemple illustratif :

Ma donn Samba Ngajal Mafan Ma donnTéeñ ak Mafan

Ma donn Mayaasin je? maaroo Jigéen ju mën góor

Je suis l'héritier de Samba Ngajal Mafan Je suis l'héritier de Teeñ et Mafan

Je suis l'héritier de Mayaasin je? maaroo

Une femme plus forte que les hommes. Chant 4 (v13 à la fin).

70

Dans cette poésie d'autoglorification du kañu, l'autre peut aussi désigner la chose ou un objet :

Daaba ak daabali bokul

Daaba xuuru ginaawam day ya Loxo ya day bar jot

Lu mu yootu jot

Lu mu dôor nga agg suuf

Daaba est différent de daabali ;

Daaba au dos creux ;

Ales mains longues et agiles

Tout est à sa portée,

Ses coups sont fatals. Chant 45 (v2 au v6).

Dans ce chant, le locuteur attaque ses protagonistes qui sont probablement ces concurrents ou l'auditoire. Ainsi par le biais de la comparaison, de la métaphore et de la parole imagée, il montre sa supériorité par rapport aux autres.

3. L'héroïsme

Défini par le Robert comme « une vertu supérieure, force d'âme qui fait le héros », l'héroïsme est une donnée essentielle dans la poésie d'autoglorification en milieu wolof. En effet cet héroïsme est presque présent dans tous les poèmes wolofs et s'exprime de diverses manières. D'après le contexte de production du kañu, il est important de signaler que pendant longtemps, les paysans wolofs ne comptaient que sur leur seule force physique pour affronter une nature qui ne leur faisait aucun cadeau note Abdoulaye Keita. À ces circonstances s'ajoutent le fait que le travail des champs était une occupation très physique et se faisait dans un contexte spatio-temporel hostile : au moment le plus chaud de l'année.

Pour vaincre toutes ces contraintes, le paysan wolof a développé une performance orale dont le but essentiel est de s'autoglorifier pour tirer du plus profond de son être cette énergie qui le distingue et qui fera la différence. Cependant, qu'il s'agisse des chants de luttes, des chants de culture, la poésie d'autoglorification, l'héroïsme se manifeste par l'exaltation de valeurs telles que le courage, la bravoure, le sens de l'honneur qui contribuent à la formation de l'homme. Comme l'illustre ce chant :

Jáambaar ca waar

Loo liggéey du yaa ko moom

Ngembuléen gaañi

Ñaq réerul boroomam

Jáambaar góorgóorlul suuf si noy na

71

Tool bi yaa na

Mbay lu baax la

Ñaq réerul boroomam

C'est au champ qu'on reconnait le brave

Tout ce que tu produis te revient de droit

Retroussez les manches les gens

La sueur se paye toujours

Homme courageux glorifie- toi, la terre est molle

Le champ est large

La culture est une bonne chose

La sueur se paye toujours. (Chant 27)

L'héroïsme se manifeste par la capacité du paysan à faire preuve de détermination et de courage. Le champ n'offre aucune possibilité de tricherie, on n'y récolte que ce que l'on a semé. Les travaux champêtres dans la société wolof traditionnelle permettaient de mesurer la capacité de l'individu car, ils fournissaient beaucoup de renseignements sur sa capacité de dépassement, sa témérité, son endurance. Dans la société traditionnelle wolof, chaque membre de la famille avait l'obligation de lutter contre tout acte déshonorant. L'honneur de l'individu dépend de son comportement, le respect de certains principes du groupe était fondamental pour sauver son honneur et celui de sa famille. C'est l'exemple du chant suivant :

Maa jomba ñaaw

May sëtub Seelawbe Buna Alburi Njaay

Man góor gu ma làngal nga daw

Wacc ma ak sama tool baay

Man bey naa yoor yoor

Bèy naa takkusaan

Ñu naan ma ku daw ñaaw

Maa naan leen man duma daw

Ndax man duma jigéen

Ñu naan suma doonoon góor

Soo doonoon góor it doo faj gàcce

Moi je refuse le déshonneur

Je suis la petite fille de Seelawbe Buna Alburi Njaay

Tout homme que je défie prend la fuite

Pour me laisser seul avec le champ de Père

Moi, j'ai cultivé le matin entre 10h et 12h

J'ai cultivé l'après-midi vers 17h

Qui prend la fuite sera déshonoré me disait-on

72

Je leur répondis que je ne fuirai pas

Car je ne suis pas une femme. Chant14 (v1.v2 et v15 à la fin)

Ici, le performateur se glorifie de ses exploits et son honneur en rabaissant son adversaire au point de le tourner en dérision. L'homme d'honneur est celui qui est capable de maintenir l'estime que les autres ont de lui. Il cherche toujours à faire son devoir et à éviter tout acte qui peut l'en éloigner. La société wolof est une société virile où la problématique de la bravoure hante le quotidien des hommes. Une société ou l'acte guerrière est mis en avant. L'exemple de Lat-Joor en est une parfaite illustration. Ce dernier pour sauver son honneur décide de s'acheminer vers la mort.

« Avant que le soleil ne se couche, je rejoindrai mon maitre Maba Jaxu. »73

Au combat toujours, il fallait vaincre et faute de pouvoir le faire, en vertu toujours du principe selon lequel « le malheur est préfèrable à la honte ». La mort était préfèrable à la défaite et par delà à la honte de la mise à mort par l'ennemis ou de la captivité.

Nous avons l'exemple du chant de Baye Demba war Njaay :

Baay Demba waar Njaay Waar waa ko yóbbu géej Ba ñukoy suul ñoo nga naan Gasléen mu xóot a xóot Waqileen mu xóot a xóot yaay

Jáambaar ngeen fiy suul

Baay Demba waar Njaay

Le labour l'a conduit au bord de la mer

En l'enterrant, on disait

Creusez très profondément

Retirer le sable du trou

Car vous enterrez un homme courageux. (Chant 33)

Dans l'éducation en milieu wolof, le culte de l'honneur et de la résistance à la douleur physique et morale était privilégié. C'est ainsi que Alfred de Musset affirme dans Nuit d'octobre : « L'homme est un apprenti, la douleur est son maitre .Et nul ne se connait tant qu'il n'a pas souffert »74.Abdoulaye Sokhna Diop75abordant dans le même sens écrit : « cette crainte de la honte au point d'en mourir, se trouve également au fondement de la dimension militaire du code d'honneur des wolofs et des toucouleurs, disons de l'idéal « jambar » c'est-

73 DIENG, Bassirou, op.cit.p.129.

74 Musset, A ; Nuit d'octobre, Paris Gallimard 1951, p.327.

75 Diop, A .Sokhna, « les valeurs morales à travers l'évolution socioculturelles du Sénégal » in Ethiopiques N31revue socialiste de culture négro africaine ,3e trimestre, 1982.

73

à-dire du brave héros ». C'est ainsi que l'homme fait étalage de sa bravoure et de sa témérité en chantant ses qualités. En effet, le recours à cette poésie d'autoglorification choisie par le poète suscite chez le cultivateur wolof un sentiment d'orgueil, d'amour propre. L'individu atteint est dans l'obligation de se surpasser. Comme le montre le chant suivant :

Waaroo waar

Waar dem na géej

Waaroo waar

Waar dem na géej samba

Góoroo góor bu kenn daw

Bu kenn naan i

Yaay Faatu fattalikul

Lima la waxoon biig

Bu naaj tángée

Mané bu naaj tangée

Ci la jàambaar di féeñ

Oh labeur !

Le labeur est allé en mer

Oh labeur !

Le labeur est allé en mer

Que personne ne prenne la fuite

Que personne n'aille boire

Yaay Faatu souviens-toi

Je t'avais dit hier soir

Quand le soleil est au zénith

Je répète quand le soleil est au zénith

C'est à ce moment que le brave se distingue. (Chant 23)

Ce chant souligne l'orgueil et la fierté du poète wolof à exalter publiquement ses capacités de résistance. Le performateur atteint son degré de paroxysme puisqu'il est même interdit de se désaltérer. C'est à la limite de la démesure parce qu'il s'agit non seulement de braver le soleil, mais aussi de s'abstenir de boire. Le code l'honneur exigeait de « ne rien faire moins que ses égaux ». Autrement dit, il ne fallait jamais se laisser dépasser par ceux avec qui l'on partageait une position sociale ou une situation vécue ensemble.Il fallait toujours être en concurrence avec eux et faute de pouvoir les dépasser, ne jamais se laisser dépasser par eux.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams