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Les relations franco-sénégalaises de 1975 à  1982: la coopération politique et socio-économique


par Thiama Ciss
Université de Paris Diderot - Master 2 2021
  

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CONCLUSION

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La première révision des accords de coopération franco-sénégalaise ne constitue pas un cas isolé. Elle entre dans la vaste vague de contestations et de remise en question de la politique française de coopération en Afrique qui a débuté dans les années 1970. Si ces mouvements découlent du changement de situation politique et socio-économique des États africains, ils obéissent également au contexte international avec le nouvel ordre économique mondial. Il faut prendre en compte aussi les différents raports demandés par les autorités françaises dans le cadre de sa politique de coopération avec le Tiers-monde ces facteurs, il faut y ajouter, les différents rapports demandés par les autorités françaises sur sa politique de coopération avec le Tiers-monde. Cependant, le cas sénégalais présente quelques particularités. En effet 1972, est considérée comme une date-charnière à la suite des événements de Madagascar qui contestent les accords de coopération franco-africaine. Ce qui fait la particularité du Sénégal est le fait que la coopération avec l'ancienne métropole a été pointée du doigt depuis mai 1968 par les étudiants et les syndicalistes. Par la suite, des réformes ont été faites par le Gouvernement sénégalais dans le but de sénégaliser l'économie du pays et permettre aux hommes d'affaires d'intégrer ce secteur qui échappait au pays au profit des expatriés français. Il faut savoir que mai 1968 a bien poussé les autorités sénégalaises à réviser les accords de coopération en matière d'enseignement supérieur. Dès lors, les rapports franco-sénégalais ont été bouleversés. Même si le Gouvernement sénégalais a soutenu que le Sénégal ne suivait pas la tendance en faisant référence aux autres pays africains à l'instar de Madagascar et de la Mauritanie. Néanmoins, il n'a pas pu résister en demandant la révision de ses accords de coopération avec la France. Dans le discours du Gouvernement c'est le terme réadaptation qui est souvent utilisé.

En tout état de cause, la demande est officielle dès 1973 et la partie sénégalaise a pris l'initiative d'énumérer la liste des accords et a suggéré les lignes directrices à adopter. Toujours fidèle à sa vision, Senghor n'envisage pas la révision comme une rupture avec l'ancienne métropole coloniale. Pour lui, il s'agissait d'une réadaptation voire un réaménagement de ses accords avec la France. Tout au long du processus, il était question de garder les liens très étroits qui unissaient les deux peuples. Dans ses discours,notamment celui de juillet 1973 le mot dialogue est souvent répété et le traité d'amitié et de coopération en est la preuve. Les deux parties ont toujours mis en avant la bonne attente et l'ambiance cordiale lors des phases de négociation. En revanche, nous avons vu que tel n'a pas toujours été le cas. En particulier quand les autorités sénégalaises ont annoncé que certains accords étaient

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devenus caducs ou ne répondaient plus à la situation sans consulter la partie française. Si cet épisode a été facile à surmonter, la suite des conversations s'est annoncée tendue. En effet, la partie sénégalaise était davantage animée par un souci de rendre réciproque l'application des accords au niveau des deux territoires. Le Sénégal s'est souvent vu reprocher le fait d'appliquer à la lettre les accords de coopération contrairement à la partie française. Ce qui fait que les accords relatifs à la circulation des personnes, à l'enseignement supérieur à la pêche et la marine marchande, la convention d'établissement et le concours en personnel ont fait l'objet de désaccord entre les deux parties. Ce sont ces secteurs où les nationaux des deux parties étaient totalement assimilés. Cette assimilation était plus bénéfique aux expatriés français qui détenaient la quasi-totalité du secteur économique. À la suite des évènements de mai 1968, qui ont failli ébranler son pouvoir, le gouvernement de Senghor a été obligé de remédier à la situation. Ce n'était pas une tâche facile car il fallait prendre en compte les différents acteurs à savoir les capitaux étrangers et le peuple. Et nous avons relevé les contradictions du gouvernement à ce niveau. Lors des négociations, la partie sénégalaise a proposé des projets d'accords totalement nouveaux et qui modifiaient la nature des rapports entre les deux pays. La partie française a été même surprise et n'a pas manqué de souligner le caractère sévère de certains articles. Ce fut le cas des deux premiers articles du projet d'accord de coopération sur la circulation des personnes. Nous avons vu dans la première partie que les nationaux des deux parties pouvaient circuler librement d'un territoire à l'autre grâce à l'accord relatif à la circulation des nationaux dans le cadre de la Communauté. Le Sénégal l'a repris à son compte après l'éclatement de la Fédération du Mali. Par conséquent plus d'une décennie, la circulation était libre au niveau des deux territoires. C'est le même schéma qui s'est dessiné dans l'établissement des personnes qui conférait tous les privilèges économiques aux expatriés français. Donc la partie sénégalaise dirigée par Barka Diarra, a élaboré des stratégies qui ont été innovantes. La lecture des projets d'accords de la partie sénégalaise laisse apparaître un changement total par rapport aux accords précédents. Cependant nous n'avons pas manqué de souligner les contre-projets français qui ont réussi à basculer voire démanteler les propositions sénégalaises à leur faveur. Finalement, les accords retenus comportent que très peu d'articles des projets initiaux de la partie sénégalaise. En ce sens, il est difficile de parler véritablement de bouleversement. Ce qu'il faut retenir dans ces phases de négociation sont les tactiques employées par les deux parties pour convaincre leur partenaire. En outre, la partie sénégalaise a montré ses capacités de négociation en tant que nouvel État.

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Les nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise furent signés le 29 mars 1974 à Paris sauf trois en septembre à Dakar. La nouveauté de ces accords réside dans la référence au droit commun international. C'est tout à fait compréhensif car nous parlons de normalisation des accords de coopération franco-africaine. Si la rédaction des articles respecte les normes du droit international, nous avons pu repérer un certain nombre de limites au niveau pratique. Il faut noter que le Sénégal avait ratifié l'ensemble des accords signés avec la France depuis le 20 décembre 1974. Il faut en revanche attendre le 19 mars 1975, pour que ces accords reçoivent l'approbation parlementaire en France. Et ils ne seront ratifiés qu'au 16 juillet 1976. Cependant les autorités françaises n'ont pas hésité à anticiper l'entrée en vigueur de l'accord sur la circulation des personnes. L'application de ce dernier a suscité quelques tensions. En effet, des nationaux sénégalais résidant régulièrement sur le territoire français ont été victimes de refoulement et de traitement indigne de la part de certains fonctionnaires français. Au même moment les autorités sénégalaises font tout pour faciliter les expatriés français les nouvelles démarches administratives à suivre ; voire de leur accorder secrètement quelques acquis par rapport aux ressortissants d'autres pays. Nous avons souligné que les autorités françaises ont saisi l'occasion pour stopper l'immigration sous couvert du chômage.

En application des nouveaux accords, les deux parties ont défini les nouvelles orientations de la coopération lors de la première réunion du comité ministériel. Parmi les points les plus significatifs, demeure l'assistance technique. Cette dernière a été au coeur des préoccupations de la coopération depuis la signature des nouveaux accords. Le Gouvernement sénégalais n'a pas cessé de décrier l'insuffisance des agents de coopération et la qualité de formation. C'est dans ce cadre que le pays est passé au système de globalisation sans oublier l'augmentation de sa participation financière qui devient double. Le système de globalisation va à l'encontre du premier objectif de l'assistance technique qui est de disparaître pour permettre la relève par les nationaux. Le bilan pour le Sénégal a été négatif car il s'est retrouvé avec un déséquilibre économique sans précédent. Un autre point des nouvelles orientations de la coopération franco-sénégalaise portait sur le problème des investissements. L'intervention française dans le pays a été très importante en volume. Cependant, les modalités d'exécution des projets financés par le FAC et la CCCE ont été vivement critiquées. Leur intervention obéit aux intérêts des entreprises françaises et non aux besoins locaux. Les énormes investissements en matière agricole ont consisté à maintenir la monoculture arachidière au détriment des cultures vivrières. Par conséquent, les paysans s'endettent davantage et sont exposés aux sécheresses voire à des famines.

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La France n'ayant plus les moyens d'intervenir toute seule dans le pays a cédé sa place aux institutions internationales notamment à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international. Cette période signe le début de son retrait. Néanmoins, elle a reconnu en quelque sorte son échec et a tenté de sortir le pays de la crise en lui accordant une aide spéciale qui devrait rester secrète. Il faut aussi savoir que la France a participé aux négociations des PAS grâce à ses experts.

Les nouveaux accords de coopération franco-sénégalaise ont eu de multiples impacts dans les deux pays. L'aménagement du Delta du fleuve Sénégal a par exemple poussé les paysans à migrer vers la France. Ces immigrés sénégalais qui n'ont pas une réelle reconnaissance de leur Gouvernement éprouvent d'énormes difficultés économiques. En effet, ils n'ont pas droit à un logement décent comparé aux expatriés français qui travaillent au Sénégal. En outre, ils ont peiné à bénéficier des avantages de la sécurité sociale bien stipulée par l'accord entre les deux pays. Cette situation est due au fait que la partie sénégalaise n'a pas exigé assez le respect de cet accord. Sally N'dongo a bien mis en lumière et dénoncé tous les problèmes que les travailleurs africains rencontrent sur le territoire français. Les populations françaises ont leur propre vision sur la coopération franco-sénégalaise. Pour le citoyen ordinaire qui cohabite avec les travailleurs sénégalais dans le même quartier, le rapport entre les deux a perturbé son quotidien. La bourgeoisie et le patronat les voient comme une main-d'oeuvre abordable. Nous n'avons pas manqué, par ailleurs, de souligner que certains nationaux français qui ont participé à leur lutte et qui sont animés par un esprit humaniste. Nous pouvons donc affirmer que dans le territoire français, la coopération franco-sénégalaise a réussi à modifier le quotidien voire le point de vue d'un certain nombre de la population. Les Français n'ont plus l'apanage d'aller à la rencontre des Sénégalais. Désormais ces derniers font le voyage et estiment trouver un travail dans le cadre des accords de coopération.

Dans les années 1970, c'est un climat tout à fait différent qui règne sur le territoire sénégalais. L'impact des nouveaux accords réside dans la perception des locaux vis-à-vis des expatriés français. Ces derniers occupants des logements dans les quartiers les plus chics de la capitale au détriment des nationaux dont la majeure partie vit dans des bidonvilles, attirent le mépris et la méfiance des populations locales. Pour le jeune diplômé local et le travailleur, le coopérant constitue une entrave dans l'évolution de sa carrière malgré les débuts de sénégalisation des postes et de l'économie. Pour l'homme d'affaires sénégalais, il est à la fois concurrent et partenaire. Dans le milieu rural, nous avons vu que la vision des populations

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vis-à-vis du Français a été modifiée. À la place de l'administrateur qui le forçait à payer l'impôt et travailler gratuitement, elles voient l'encadreur agricole, l'infirmier et le bienfaiteur de l'eau potable. Cette image positive a été possible grâce aux autorités religieuses qui sont de véritables partenaires de la coopération franco-sénégalaise. À cela il faut ajouter les messages de propagande véhiculés par les médias. Concernant les politiciens, nous l'avons bien souligné à travers le film Guelwaar que ce sont eux qui profitent de cette coopération surtout par le biais de l'aide afin de maintenir une clientèle politique.

Nous pouvons affirmer que la révision des accords de coopération franco-sénégalaise n'a pas modifié dans la pratique les rapports entre les deux pays. Le Sénégal est resté dépendant de la France. Cette situation de dépendance a compromis d'une certaine manière sa souveraineté. La coopération franco-sénégalaise a failli à sa première mission qui était d'accompagner le pays dans son décollage économique et social. Deux décennies se sont écoulées après l'indépendance et le pays s'est retrouvé dans une crise économique et sociale qui l'a conduit aux PAS. En perspective, l'échec de ses deux premières générations des accords de coopération qui ont conduit les deux parties à revoir les modalités. La priorité est désormais de favoriser une coopération dont les effets sur les populations sont plus bénéfiques et rapides. C'est dans ce cadre qu'est née la coopération décentralisée depuis 1994. Il faut, dans le même temps, prendre en compte l'arrivée de nouveaux partenaires comme la Chine, les États-Unis et la Russie ainsi que l'importance accordée à la coopération sous régionale. La Chine est alors perçue au Sénégal, surtout avec l'arrivée de Wade au pouvoir, comme une alternative à la coopération française. Sur ce sujet nous avons déjà citer les travaux de Adama Gaye et de Thierry Bangui.

Pour terminer, nous pouvons soutenir l'idée que le projet de coopération franco-sénégalaise a survécu au fil des décennies et a même dépassé sa date d'échéance qui avait été fixée à vingt ans. Ceci a été indéniablement rendu possible grâce au Président Senghor. Son départ au pouvoir en 1981 a signé le début de la fin du pacte néocolonial. Cependant, c'est sa mort en 2001 qui met fin aux relations très étroites entre les deux pays avec l'absence de la France lors de ses funérailles.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote