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Inclusion SEGPA et identité professionnelle


par Séverine Foursin
INSPE Mont-Saint-Aignan - Master 2 2022
  

Disponible en mode multipage

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Master Métiers Enseignement Éducation Formation
Mention : « Pratiques et ingénierie de formation »
Parcours CADEF

Identité professionnelle des PE spécialisés,

SEGPA et Inclusion

Foursin Séverine N° étudiant : 22113039 Sous la direction de Patricia Tavignot Session septembre 2022 Année universitaire 2021-2022

Pour toi, maman.

Remerciements :

Je tiens à remercier en premier lieu ma directrice de mémoire, Madame Patricia Tavignot, qui a toujours su être présente quand j'en avais besoin, qui m'a épaulée dans les moments les plus difficiles. Je la remercie pour sa bienveillance et sa disponibilité.

Je remercie également mes formateurs et formatrices qui m'ont permis de mener un chemin réflexif sur moi-même et sur ma posture en tant que professionnelle. Ces rencontres ont été fructueuses, riches de sens et de découvertes.

Je remercie toutes les personnes qui ont acceptées de mener des entretiens car sans elles, il m'aurait été difficile de valider ou d'invalider mes hypothèses !

Je remercie mes quatre enfants, Louis, Pierre, Enguerrand et Mathieu qui m'ont poussée à réaliser ce Master et qui n'ont jamais eu de cesse de croire en moi et en mes capacités mais qui l'ont regretté parfois pour mon manque de disponibilités !

Je remercie Christophe pour son soutien inébranlable, ses relectures, ses corrections sur un sujet qui à priori ne l'intéressait pas ! Je remercie Valérie, Albane, Katheline, Ophélie, François, Franck, Mélisa pour leur aide et soutien.

Je remercie mon parrain qui, lorsque j'étais au plus bas, m'écoutait sans relâche et me portait toujours plus haut.

Je remercie mes collègues du Master. J'ai fait de très belles rencontres qui m'ont apporté de la joie, des sourires et une solidarité dans l'épreuve de cette année.

« Toute méthode est regrettable qui prétend faire boire le cheval qui n'a pas soif. Toute méthode est bonne qui ouvre l'appétit de savoir et aiguise le besoin puissant de travail. » Célestin Freinet.

Table des matières

1. Introduction 10

1.1 Genèse du questionnement 10

1.2 : Observation de l'évolution de mon milieu professionnel 11

1.3 : Les enjeux de l'inclusion et les conséquences sur l'identité professionnelle 12

1.3.1 : Expérience personnelle 12

1.3.2 : Les enseignants du secondaire 13

1.3.3 : Entre le dire et le faire 13

1.4 : Du questionnement à la démarche de recherche 14

2. Le cadre notionnel 15

2.1 : L'éducation inclusive : un cheminement lent, pavé d'embûches 15

2.1.1: L'origine des principes de l'école inclusive 15

2.1.2 : L'évolution des textes institutionnels et une prise de conscience en France 16

2.2 : La SEGPA, une structure spécialisée dans une école à visée inclusive ? 18

2.2.1 : L'origine de la SEGPA 18

2.2.1.1 : L'origine du tri des élèves 18

2.2.1.2 : La création des Sections d'Enseignement Spécialisés 19

2.2.1.3 : Les SEGPA, un tournant 7 21

2.2.2 : Analyse des textes institutionnels 22

2.2.3 : L'organisation interne de la SEGPA 24

2.2.4 : La SEGPA : D'un système intégratif à un système inclusif 7 25

2.3 : Des expériences de terrain 29

2.3.1 : L'expérience de Laville et Saillot 29

2.3.2 : L'expérience de Berzin 31

2.3.3 : L'académie de Lille, pionnière en matière d'inclusion 33

2.3.4 : Des éléments de controverses scientifiques 37

3. Problématisation et cadre théorique 38

3.1 : le cadre théorique : PLC et PE face à une école inclusive 39

3.1.1: Concepts d'intégration et d'inclusion 39

3.1.2 : Identité et changement 42

3.1.3: Définition des théories de l'identité 44

3.1.4 : Les PLC et les enseignants spécialisés de SEGPA , une mutation profonde 7 46

3.1.4.1: L'identité professionnelle des PLC 46

5.2 : Une identité professionnelle ancrée dans une histoire 74

3.1.4.2: L'identité professionnelle des enseignants spécialisés en SEGPA 47

3.1.4.3 : L'enseignant spécialisé : un empan liminal 48

3.1.4.4 : le concept de bienveillance 49

3.1.4.5: L'identité du nouvel enseignant spécialisé 51

3.2 : Question directrice pour le mémoire et hypothèses 51

3.3 : Les hypothèses 52

4. Définition d'un projet de méthodologie de recherche 53

4.1 : Rappel succinct de l'objet de notre recherche 53

4.2 : la position du chercheur 53

4.3 : Le protocole de recherche 55

4.4 : Les techniques d'enquête 55

4.4.1 : La réalisation des questionnaires exploratoires 55

4.4.1.1 : L'émergence du questionnement 55

4.4.1.2 : Le public visé 56

4.4.1.3 : Les objectifs et modalités 56

4.4.2 : Le questionnaire quantitatif en décembre 2021 58

4.4.3 : L' entretien semi-directif 59

4.5 : Le choix des acteurs pour les entretiens semi-directifs 60

4.5.1 : L'échantillon des personnes interrogées 61

4.5.2 : Présentation de chaque enseignant 63

4.5.3 : L'entretien implique de la confiance 64

4.6 : Le traitement des données 65

4.6.1 : les questionnaires 65

4.6.2 : Les entretiens semi-directifs 65

4.7 : Les conditions pour valider nos hypothèses 66

5. Analyse des données des questionnaires 67

5.1. La SEGPA, un modèle à promouvoir 68

5.1.1 : L'utilité de la SEGPA 68

5.1.2 : Répondre à l'inclusion 69

5.1.2.1 : les leviers 69

5.1.2.2 : Les freins 70

5.1.3 : Une pédagogie à part 72

5.2.1 : Des qualités communes 74

5.2.2 : Une crise identitaire chez les PE spécialisés en SEGPA ? 75

5.2.3 : Un empan liminal 76

6. Analyse longitudinale des entretiens 77

6.1. Présentation 77

6.2. Analyse longitudinale des données par enseignant 79

6.2.1 : Les PE spécialisés 80

6.2.2 : Les PLC 90

7. Analyse transversale 95

7.1 : La SEGPA, un modèle de fonctionnement 95

7.1.1 : Déterminer les forces de la SEGPA 95

7.1.1.1 : Redonner confiance 96

7.1.1.2: La SEGPA, un fonctionnement bien huilé 96

7.1.2 : La SEGPA, un modèle d'inclusion ? 99

7.2 :Une identité professionnelle à la marge 102

7.2.1 : Une perception commune de l'élève de SEGPA 102

7.2.2 : Les qualités du PE spé 103

7.2.3 : Une identité héritée 105

7.2.4 : Un empan liminal ? 107

7.2.5 : La perception des PLC par les PE spé 109

7.2.6 : Les PE spé face aux injonctions ministérielles 109

7.2.7 : Conclusion de cette partie 111

7.3 : Des réponses à l'inclusion 113

7.3.1 : Une crise identitaire liée à la politique inclusive ? 114

7.3.2 : Intégration ou inclusion ? 116

7.3.3 : Le tout inclusif 117

7.3.3.1 : Les raisons évoquées 118

7.3.3.2 : Les leviers et les freins 120

8. Conclusion : 123

9. Bibliographie : 125

10. Annexes 132

Annexes :

Annexe 10.I: Analyse comparative des circulaires de 1996, 2006 ET 2015 .

Annexe 10.II : Schéma de l'exclusion vers l'inclusion. (source : http://romy.tetue.net/exclusion-inclusion )

Annexe 10.III : Les préconisations envisagées par la Mission (2018)

Annexe 10.IV : Questionnaire aux enseignants ayant participé à une sixième SEGPA inclusive

Annexe 10.V : Questionnaire destiné aux enseignants du collège où j'exerce

Annexe 10.VI : Questionnaire destiné aux élèves de SEGPA.

Annexe 10.VII : Entretien semi-directif d'une élève de troisième SEGPA

Annexe 10.VIII : Guide d'entretien

Annexe 10.IX : les thèmes abordés lors des entretiens

Annexe 10.X : Réponse au questionnaire de l'identité professionnelle

Annexe 10.XI : Verbatims des entretiens

Annexe 10.XII : Tableau synthétique des entretiens

Annexe 10.XIII : Tableau croisé des entretiens

Index des figures

Figure 1: Les modalités d'enseignement 21

Figure 2: Modèle de 6ème inclusive 30

Figure 3: Interprétation des expériences de sixième inclusive 33

Figure 4: les rôles du PE spé et du professeur de collège dans un collège inclusif 35

Figure 5: Dispositif inclusif "plus de maîtres que de classes" 35

Figure 6: La structure SEGPA a t-elle sa raison d'être ? 68

Figure 7: Les dispositifs mis en place dans les collèges répondants à l'inclusion 69

Figure 8: Carte mentale de E1 81

Figure 9: Carte mentale E3 82

Figure 10: Carte mentale E4 84

Figure 11: Carte mentale E6 85

Figure 12: Carte mentale E7 86

Figure 13: Carte mentale E8 88

Figure 14: Carte mentale E9 89

Figure 15: Carte mentale E10 90

Figure 16: Carte mentale E2 91

Figure 17: Carte mentale E5 93

Figure 18: Carte mentale E11 94

Figure 19: L'identité professionnelle du PE spé 113

Index des tableaux

Tableau 1: De l'ancien paradigme au nouveau paradigme 26

Tableau 2: Objectifs des questionnaires papier 56

Tableau 3: Concours de recrutement des personnels enseignants du 1er degré en 2017 62

Tableau 4: Échantillonnage des personnes interrogées 62

Tableau 5: Catégorisation 66

Tableau 6: Présentation du panel interrogé 71

Tableau 7: Pratique de la co-intervention dans les collèges 71

Tableau 8: Le savoir-faire et savoir être du PE spé 74

Tableau 9: Les catégories des participants 75

Tableau 10: Analyse longitudinale E3 78

Tableau 11: Les forces de la SEGPA 95

Tableau 12: Les qualités du PE spé 104

Tableau 13: Lien entre identité biographique et identité professionnelle 105

Tableau 14: Un empan liminal 107

Tableau 15: Les PE spé et l'institution 109

Tableau 16: Le tout inclusif 118

1. Introduction

Afin de mieux cerner le questionnement qui a été le mien je vais, dans cette introduction, présenter mon cheminement professionnel et intellectuel et les questions qui m'ont amenée à mon étude de recherche. Dans un premier temps, j'expliquerai la genèse de mon questionnement, ensuite j'observerai le milieu dans lequel j'exerce depuis vingt ans et son évolution, notamment à travers différentes lois. Enfin, j'expliquerai comment je suis passée du questionnement à ma démarche de recherche.

1.1 Genèse du questionnement

A mes débuts professionnels, j'ai enseigné pendant deux ans dans des classes dites « ordinaires » puis je me suis très vite orientée vers des élèves ayant des difficultés scolaires et comportementales. J'exerce donc depuis vingt ans comme professeur des écoles spécialisée en SEGPA1.

Mon rapport au savoir a toujours été très compliqué et, compte tenu de mon parcours scolaire pavé d'embûches, je devais donner un sens à mon métier. Quel était le rêve que je me faisais à propos de l'école ? J'imaginais une école sans ségrégation, sans exclusion, sans étiquettes, où chaque enfant pourrait, en fonction de sa propre singularité, évoluer dans une école où il ne serait pas jugé en fonction de ses capacités ou incapacités. Je rêvais d'une école qui aurait oublié de hiérarchiser les élèves, de les sélectionner selon des critères porteurs d'exclusion. Je rêvais d'une école où chaque élève serait traité comme un humain quelles que soient ses potentialités car, selon moi, chaque différence est un atout pour progresser, évoluer et partager.

Force est de constater que mon rêve resterait à l'état de rêve. L'école dont je rêvais et dont je rêve ne peut exister si la société et l'école elles-mêmes ne sont pas prêtes à l'accepter. Cette société qui porte en-elle historiquement les germes de l'exclusion, qui parque les individus dès qu'ils sont diagnostiqués « à la marge » en est toujours aux premiers balbutiements. Or, « il n'y a pas de vie majuscule sans vie minuscule » (Gardou). L'école est un tout, somme de plusieurs parties et, sans ces parties, le tout n'existe pas. Néanmoins, le tout inclusif, comme le préconisent certains chercheurs est-il la bonne réponse contre la ségrégation ? L'école dispose t-elle des moyens nécessaires pour inclure tous les élèves ? Comment les enseignants envisagent-ils l'école inclusive ? Tous les élèves ont-ils intérêt à être inclus dans des classes ordinaires au risque d'être une fois de plus mis à la marge ?

1 SEGPA : Section d'Enseignement Général Professionnel et Adapté

Face à cette école qui fabrique en son sein des inégalités, des discriminations, des exclusions, il fallait que je donne un sens à ma quête de justice et d'équité. Ce sens, je l'ai découvert en enseignant auprès d'élèves que la société et l'institution avaient décidé d'étiqueter et de parquer à l'écart des élèves qui correspondant à la norme établie. Je suis devenue enseignante spécialisée, à la marge des enseignants ordinaires. J'ai toujours considéré que, quelles que soient les difficultés inhérentes à l'élève, qu'elles soient d'ordre psychologique, familiale, cognitive ou comportementale, l'élève est avant tout une personne qui est capable d'apprendre. Encore faut-il trouver les moyens à mettre en place pour favoriser les apprentissages et que l'école ne soit pas à nouveau cette institution qui, pour beaucoup d'élèves, est synonyme de rejet. Dans ce cadre précis, l'inclusion des élèves de SEGPA en milieu ordinaire serait-il pertinent ? Les enseignants du secondaire sont-ils prêts à accueillir ces élèves, non pas comme une classe, mais comme des individus greffés au sein d'une classe comportant déjà une forte hétérogénéité souvent difficile à gérer ?

1.2 : Observation de l'évolution de mon milieu professionnel

Lorsque j'ai obtenu ma certification pour enseigner auprès d'élèves en difficultés scolaires, il y a vingt ans, il était courant d'entendre déjà à cette époque que les SEGPA allaient disparaître. C'est encore le cas aujourd'hui, mais cela devient plus tangible, compte tenu du contexte évolutif de l'école à visée inclusive. Comment peut-on promouvoir une école à visée inclusive en laissant exister des structures dites « ségrégatives » ? Or, lorsqu'on considère les leviers pour que l'école devienne inclusive, la SEGPA porte en elle tous ces leviers : pédagogie adaptée et différenciée, travail en équipe, heures de synthèse et de coordination, réunions avec les principaux partenaires qui encadrent un élève, élaboration de projets, coopération. Mais la SEGPA pose problème dans le sens où elle génère une certaine stigmatisation liée à l'étiquetage et va à l'encontre des principes inclusifs, mais les politiques (rapport Tolmont) sont conscients de son fonctionnement pérenne et contribuent à son maintien.

Les lois de 2005 sur l'égalité des droits et des chances, de 2013 et de 2019, portent en elles des continuités mais surtout des accélérations vers le processus d'une école inclusive. Des expériences sont menées à certains endroits pour inclure les élèves pré-orientés SEGPA dans les classes de l'ordinaire. La structure SEGPA fait désormais l'objet d'observations (bilan des SEGPA de Abraham et Desprez, 2018), de préconisations et de critiques, ainsi Puig et Benoit parlent d'une « structure archaïque » qui n'a pas su évoluer avec son temps.

1.3 : Les enjeux de l'inclusion et les conséquences sur l'identité professionnelle.

Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la façon dont se sont mises en place les tentatives d'inclusions. Les enseignants spécialisés et les enseignants de collège étaient-ils partie prenante dans le processus ? Etait-ce sur la base du volontariat ? Comment les enseignants du secondaire ont-ils été accompagnés ? Quelles sont les nouvelles missions des enseignants spécialisés ?

S'intéresser à l'école à visée inclusive va donc de pair avec l'évolution de la construction de l'identité professionnelle des enseignants du secondaire, formés et non formés à l'inclusion.

1.3.1 : Expérience personnelle

Enseigner en SEGPA a été un choix construit et mûrement réfléchi. Forte de mes années d'expériences, mon identité professionnelle s'est construite sur la base d'un groupe classe où je pouvais mener des pédagogies innovantes sans crainte d'un non respect des programmes. Bien que l'enquête PISA de 2018 estime que les résultats des élèves de SEGPA seraient les mêmes si ces derniers avaient suivi une scolarité dans l'ordinaire, je reste persuadée que les graines que nous avons semées, à savoir la confiance en soi, l'intérêt pour l'école, l'engagement dans des projets, la valorisation et l'estime de soi, l'autonomie, la découverte professionnelle, ont pu germer chez un certain nombre d'entre-eux.

Or, mon identité professionnelle semble devoir subir des transformations inhérentes aux volontés portées par les politiques. En effet, si l'inclusion se généralise à toutes les classes de SEGPA, que deviendra alors ma mission en tant que professionnelle ? Quelles seront mes nouvelles fonctions ? Aurai-je toujours une classe ?

1.3.2 : Les enseignants du secondaire

Le même enjeu peut être posé aux enseignants du secondaire qui, pour la plupart, ne sont pas formés pour accueillir ces jeunes « ayant des difficultés graves et persistantes » (circulaire, 2016). Bien souvent ces enseignants travaillent déjà avec les élèves de SEGPA. Ils connaissent le profil de ces élèves et ne rechignent pas forcément à leur faire cours. En général, ils mettent en place des pédagogies adaptées et cherchent avant tout à les intéresser. Mais lorsqu'ils font cours à ces élèves, ils ont devant eux « un groupe classe » bien défini avec des caractéristiques propres et singulières. Or, avec la visée inclusive, ces élèves de SEGPA ne seraient plus un groupe classe mais des individus avec leur singularité, insérés dans une classe ordinaire, avec la difficulté pour l'enseignant de gérer encore une fois une hétérogénéité massive. La construction identitaire des enseignants s'est formée sur l'image qu'ils se faisaient du métier et de la transmission du savoir à apporter aux élèves. Les enseignants « véhiculent un ensemble de valeurs et de croyances partagées par d'autres, compatibles avec leur pratiques professionnelles ou personnelles et repérables à travers les représentations du métier, des autres et d'eux-mêmes » (Cattonar, 2001,p.44). Ils se construisent avec une « identité pour soi » et « une identité pour autrui » (ibid, 2001,p.44). Or, leur construction identitaire est questionnée, malmenée, et chez certains on observe une véritable crise identitaire. Désormais, ces enseignants doivent faire face à de nombreuses évolutions : détérioration des conditions d'exercices et d'emploi, dévalorisation de leur statut social, modification du public scolaire, désinstitutionnalisation de l'école. Toutes ces transformations ont non seulement modifié la teneur de l'exercice professionnel mais ont aussi complexifié et rendu plus incertains la tâche et le rôle des enseignants, elles semblent aussi avoir ébranlé les bases de leur identité traditionnelle. (Cattonar, 2001, p.50). Ils doivent sans cesse répondre à des injonctions paradoxales. Ainsi on leur demande de « contribuer à l'amélioration de la performance de l'école pour lui permettre de tenir son rang dans la comparaison internationale et de participer à une école accueillante de toutes les différences » (Ramel, 2010 ,p.390), on leur demande d'abandonner la posture de l'enseignant « magister » pour devenir le pédagogue ou le « praticien réflexif ».

1.3.3 : Entre le dire et le faire

La plupart des enseignants partagent le même désir d'une école pour tous. Mais les discours portés par les institutions ne disent rien des pratiques réelles, or les contradictions sont notables entre les « belles paroles, les bons sentiments » (Cifali, 2020) et la réalité de terrain. Ce n'est pas en prononçant le mot « école inclusive » que tout se mettra en place. Il ne suffit pas « de dire pour

transformer ». Nous avons besoin d'illusions et elles peuvent être créatrices mais elles ne sont pas la réalité, elles nous guident, nous portent. Elles portent notre quête. Nous vivons constamment des tensions entre nos rêves et la réalité.

Vivre avec un handicap n'est pas être une victime. L'école devrait rester une institution, dans le sens noble du terme, qui ne soit pas aux mains des uns ou des autres, mais qui crée les conditions pour que chacun trouve sa place , « l'institution doit être garante de la violence lorsque les humains travaillent ensemble et doit veiller à ce qu'elle-même ne soit pas porteuse de destruction. » (Cifali, 2021)

Accepter l'autre, accepter les différences, est un cheminement long qui n'en est encore qu'à ses balbutiements. Une école à visée inclusive nécessite des remaniements importants, tant sociétaux que professionnels et politiques. Les enseignants sont-ils prêts à ce changement ? Le projet d'une école à visée inclusive dans la France d'aujourd'hui est-il réalisable ? Et si oui quels en sont les enjeux ?

1.4 : Du questionnement à la démarche de recherche

L'école à visée inclusive conduit nécessairement, comme nous l'avons déjà exprimé, à de multiples changements, dont celui de l'identité professionnelle. Identité professionnelle des professeurs non formés à l'inclusion et identité professionnelle des enseignants formés à l'inclusion. D'où mon questionnement : En quoi l'école inclusive impacte t-elle l'identité professionnelle des enseignants de collège non formés et formés à l'inclusion ?

Pour pouvoir passer d'une démarche réflexive à une démarche scientifique, nous clarifierons dans un premier temps le cadre institutionnel et le cadre notionnel afin d'élaborer la problématique, des hypothèses et un protocole de recherche en vue de récolter des données à analyser.

Nous définirons à la fois les concepts d'inclusion et d'intégration mais aussi l'évolution des textes institutionnels en lien avec l'inclusion mais également de la SEGPA. Les chercheurs donnent-ils tous la même définition de ces deux concepts ? Peut-on mettre en place le « tout inclusif » ? Quels sont les principes sous-jacents qui animent l'école inclusive ? La SEGPA a t-elle encore un rôle à jouer dans ce processus ?

Dans un second temps, nous aborderons l'identité professionnelle, sa construction et son évolution. Comment les identités professionnelles des enseignants du secondaire spécialisés ou non se construisent-elles aujourd'hui ? Existe t-il une ou plusieurs identités en fonction de si nous sommes spécialisés ou non ? Quelles sont les différences, les points communs entre un enseignant

de collège et un professeur des écoles spécialisé ? Peut-il y avoir des points de convergences ? Si oui, lesquels ?

2. Le cadre notionnel

Aujourd'hui, les termes « inclusion », « inclusif », « école inclusive » font partie de notre quotidien. Oserions-nous dire que ce sont des termes « à la mode » ? Probablement que pour certaines personnes, il est de bon aloi d'utiliser ces termes mais ils relèvent surtout d'une idéologie basée sur des principes d'humanité et d'équité.

Dans cette partie, nous étudierons les fondements de l'inclusion, les notions d'intégration et d'inclusion à travers leurs différences et leurs points communs et nous aborderons ce qui est au coeur de notre étude, la structure SEGPA qui porte en elle plusieurs paradoxes, à savoir qu'elle génère à la fois la stigmatisation et l'étiquetage mais qu'elle dispose aussi de tous les éléments dans son fonctionnement pour être inclusive.

2.1 : L'éducation inclusive : un cheminement lent, pavé d'embûches

2.1.1: L'origine des principes de l'école inclusive

Lorsqu'on cherche à comprendre les tenants et les aboutissants d'une éducation inclusive, il nous semble a priori que c'est une volonté récente des politiques et des chercheurs. Or, l'éducation inclusive est une ambition générale d'éducation globale, mondiale, porteuse d'idéaux universalistes ancrée depuis la Renaissance. Magdalena Kohout-Diaz en 2018, lors d'une conférence explique que l'UNESCO porte cette notion d'éducation inclusive depuis qu'elle a émergée en Grande-Bretagne et en Italie dans les années 1970. Cet idéal d'éducation inclusive trouve sa genèse chez le philosophe, théologien et pédagogue de la fin de la Renaissance, Coménius. Il a produit un ouvrage, La grande didactique, dont le sous-titre est Traité de l'art universel d'enseigner tout à tous, discipline qu'il appellera Pampeadia. Cette discipline était insérée dans un grand ensemble philosophique de réforme générale de la conception du monde humain, dont les éléments centraux étaient l'universalisme, la fin des discriminations, l'humanisme.

A l'instar de ces principes universalistes prônés par Coménius, la déclaration de Salamanque marque un tournant dans la prise en compte de la diversité et de l'égalité des chances pour tous les élèves à l'échelle internationale. Les membres ayant rédigé cette déclaration affirment les éléments suivants :

Ø « L'éducation est un droit fondamental de chaque enfant qui doit avoir la possibilité d'acquérir et de conserver un niveau de connaissances acceptable.

Ø Chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts, des aptitudes et des besoins d'apprentissage qui lui sont propres.

Ø Les systèmes éducatifs doivent être conçus et les programmes appliqués de manière à tenir compte de cette grande diversité de caractéristiques et de besoins.

Ø Les personnes ayant des besoins éducatifs spéciaux doivent pouvoir accéder aux écoles ordinaires, qui doivent les intégrer dans un système pédagogique centré sur l'enfant, capable de répondre à ces besoins.

Ø Les écoles ordinaires ayant cette orientation intégratrice constituent le moyen le plus efficace de combattre les attitudes discriminatoires, en créant des communautés accueillantes, en édifiant une société intégratrice et en atteignant l'objectif de l'éducation pour tous ; en outre, elles assurent efficacement l'éducation de la majorité des enfants et accroissent le rendement et, en fin de compte, la rentabilité du système éducatif tout entier. »

Il est à noter que le terme « inclusion » ou « école inclusive » n'est pas utilisé. Seul le terme intégration est noté. Toutefois, tous les éléments de la déclaration seront repris ultérieurement dans les principes d'une école à visée inclusive.

2.1.2 : L'évolution des textes institutionnels et une prise de conscience

en France

La déclaration de Salamanque a conduit la France à poser les jalons des principes d'une école inclusive. L'école est une chance et un droit auxquels tous les enfants peuvent prétendre. La loi pour l'égalité des droits et des chances du 11 février 2005 a affirmé le droit pour chacun à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile, à un parcours scolaire continu et adapté. Elle s'est fixé pour objectif d'inclure tous les élèves sans distinction, même si le terme inclusion n'est toujours pas utilisé. Il faut attendre la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République du 8 juillet 2013 pour aller plus loin et améliorer encore les conditions d'accès à l'enseignement des élèves en situation de handicap et pouvoir y lire le terme d'inclusion. Le terme inclusion y est utilisé en indiquant que « le service public d'éducation veille à cette inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction ». Par ailleurs, dans cette loi de juillet 2013, il est indiqué que « pour garantir la réussite de tous, sous-entendu une inclusion pour tous, l'école doit s'enrichir et se conforter par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative ».

Cette volonté de promouvoir une école inclusive est confortée par la loi sur l'école de la confiance de juillet 2019. Cette loi permet d'engager à la fois une transformation profonde des conditions d'accompagnement des élèves en situation de handicap ou élèves à besoins éducatifs particuliers et une amélioration significative des conditions de recrutement, de formation et de travail de leurs accompagnants qui créent les bases d'un véritable service public de l'école inclusive.

En France, bien que le terme « inclusion » et « éducation inclusive » soient récents, force est de constater que les pouvoirs publics mettent tout en oeuvre pour tendre vers cet idéal d'une école sans discrimination, sans exclusion. L'éducation inclusive ambitionne une société soucieuse du respect de ses membres et de la dignité humaine qui fait maîtriser par tous les élèves les compétences et la culture nécessaires pour être acteurs de leur devenir, transformer leurs relations avec autrui et participer à la constitution même de cette société.

En conséquence, la question qui peut se poser réside toujours entre le « dire et le faire ». Comment les politiques peuvent-elles ambitionner de mettre en place une école inclusive alors qu'en son sein, les principes ségrégatifs élitistes perdurent ? Quels sont les moyens à déployer afin que la marge cohabite avec la norme définie par la société ?

2.2 : La SEGPA, une structure spécialisée dans une école à visée inclusive ?

Avec la loi de 2005, l'enseignement spécialisé est à un tournant de son histoire. La loi pose la nécessité d'un transfert de compétences des milieux spécialisés vers le milieu ordinaire. En France, le modèle binaire prédomine : le « two-track approach » (Benoit). D'un côté la voie ordinaire, de l'autre la voie spéciale. L'objectif de l'école inclusive est de tendre vers le « one- track approach » (une seule et unique voie pour tous les élèves). Dès lors, nous nous questionnons sur l'avenir de la structure SEGPA qui porte en son sein les stigmates de la ségrégation, par sa structure et son fonctionnement bien à elle, par l'étiquetage des élèves qui en font partie et aussi par l'identité bien spécifique des enseignants spécialisés qui y enseignent.

2.2.1 : L'origine de la SEGPA

L'histoire des SEGPA fait partie de la politique de lutte contre les échecs scolaires et est étroitement liée aux histoires d'élèves dont les résultats scolaires ne correspondent pas aux normes attendues par le système scolaire. Des terminologies diverses se sont succédées au fil du temps à travers les textes officiels pour dénommer ce genre de public : arriérés, débiles légers, déficients intellectuels... puis on a parlé de retard léger, d'échec scolaire, d'élèves inadaptés, en difficultés....

2.2.1.1 : L'origine du tri des élèves

L'origine du tri des élèves date de la fin du XIXème siècle. Un certain nombre d'enfants, bien que dans l'âge de l'obligation scolaire, se retrouvent rapidement « hors-loi » scolaire ou encore considérés comme non scolarisables. A cette époque, on utilise le terme « inéducable ». (Gardet, 2019, p.283). Ces enfants « inéducables » sont pris en charge par les orphelinats et les colonies pénitentiaires qui bénéficiaient, à l'époque, d'une grande bienveillance des pouvoirs publics car ils étaient reconnus pour leur mission d'assistance. Ces établissements se géraient à l'interne et utilisaient parfois des techniques cinglantes.

Entre 1881 et 1882, Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique, rend l'école obligatoire pour les élèves âgés de six à treize ans. Une prise de conscience de certains politiques apparaît. Ainsi, Léon Bourgeois (ancien ministre de l'instruction publique mais à l'époque ministre des

La solution la meilleure à cet égard consiste à scolariser ces enfants dans des conditions

affaires étrangères) adresse un courrier à Aristide Briand, nouveau ministre de l'Instruction Publique et dit : « jusqu'à ce jour, les enfants anormaux se trouvent hors la loi, puisqu'ils ne peuvent être instruits dans des écoles ordinaires et qu'aucune école publique n'est mise à leur disposition. » (Gardet, p. 283).

En 1880, sur l'effectif total des colonies pénitentiaires publiques et privées qui est de 7 215 colons, il est estimé l'existence de 2 580 mineurs de moins de 12 ans (36%) et de 2 384 mineurs de 14 ans (33%). Si une instruction primaire est théoriquement prévue, l'éparpillement de ces jeunes enfants dans les différentes structures entraînant une prise en charge indifférenciée avec les mineurs n'étant plus d'âge scolaire, en rend l'application difficile. A partir de cette date, l'État doit faire face à un nombre important d'enfants qui ne réussissent pas à l'école, c'est pourquoi, en 1905, deux médecins, Binet Alfred et Simon Théodore élaborent la première échelle métrique afin de mesurer le développement de l'intelligence des enfants en fonction de leur âge. Ce test, appelé test Binet-Simon, permettra d'identifier les enfants « retardés mentaux » afin de les orienter vers des classes spécialisées. Le 15 avril 1909, le gouvernement adopte une loi instituant les classes de perfectionnement pour enfants « arriérés ». Ces classes de perfectionnement fonctionneront jusque dans les années 70.

2.2.1.2 : La création des Sections d'Enseignement Spécialisés

A partir des années 1940, le métier d'éducateur spécialisé voit le jour. Les instituteurs réclament alors une place sur les questions d'éducation incluant le domaine de l'inadaptation. Deux centres sont créés pour former ces instituteurs : le centre de Beaumont-en Oise en 1947 et le centre de Suresnes (qui continue encore à former aujourd'hui des enseignants spécialisés) en 1954. Ces centres ont pour vocation de former un front laïque revendiquant la constitution d'une nouvelle coordination de l'enfance sous tutelle du seul ministre de l'Education Nationale.

En janvier 1959, l'obligation de scolarisation est portée de 14 à 16 ans. Nombre d'adolescents arrivent alors dans les établissements du secondaire et certains avec des retards scolaires importants. Les élèves avec une déficience intellectuelle arrivent des classes de perfectionnement, jusque-là limitées à l'école élémentaire.

Entre 1965 et 1966, Labrégère (ancien instituteur, puis inspecteur, puis formateur des maîtres spécialisés) applique à l'enfance inadaptée les mesures en vigueur pour l'ensemble du système scolaire. Des recommandations sont émises (Heurdier, 2016, p.135) :

aussi proches que possible de la normale, c'est-à-dire en évitant de les séparer de leur milieu naturel, familial et scolaire, et de leur imposer la ségrégation qui en résulte de leur placement en établissement spécialisé, ségrégation qui risque d'aggraver leur désadaptation. Il est de plus indispensable d'assurer à ces élèves une formation professionnelle adaptée à leur état et à leurs aptitudes [...] C'est pourquoi, il convient de prévoir la multiplication des classes spéciales d'externat annexées à des établissements ordinaires dans tous les cas où la santé des enfants et des concentrations des effectifs le permettent.

Ces recommandations ont été suivies et elles sont encore aujourd'hui les bases de la SEGPA (professionnalisation, classes annexées à un établissement scolaire ordinaire). A cette époque un consensus apparaît sur la pédagogie spécialisée. La catégorie des « débiles légers » aboutira à introduire l'expression « en difficulté » jusque dans la dénomination des nouvelles options en 1987 (cette expression évoluera vers la notion de « besoins éducatifs particuliers »). A contrario, certains acteurs ont oeuvré à cette époque pour un reflux de l'enseignement spécialisé s'appuyant sur le principe d'étiquetage, sur la ségrégation et le caractère sociologiquement marqué de l'orientation dans le spécialisé (Heurdier, p. 147).

Il est donc nécessaire de créer une nouvelle structure pour les accueillir : les Sections d'Enseignement Spécialisées (SES) apparaissent dans la circulaire de septembre 1965 (Il faudra attendre vingt-cinq ans pour que cette circulaire soit abrogée). Les SES dispensent alors un enseignement général et un enseignement professionnel et reçoivent comme public des élèves reconnus comme « déficients intellectuels légers ne présentant pas de handicaps associés importants » (circulaire, 1967).

Figure 1: Les modalités d'enseignement

En 1970, le rapport du Vème plan met en avant les finalités éducatives, curatives et préventives avec la généralisation des dépistages qui se doivent d'être réalisés le plus tôt possible. Le tableau dressé fait état des « carences » du système, parmi lesquelles « [le] caractère trop souvent définitif des «étiquettes» qui situent l'enfant dans une classification et risquent de l'y maintenir quels que puissent être les erreurs de diagnostic ou les résultats de la cure. [...] système abusivement ségrégatif où le placement en internat est trop souvent choisi plus en raison d'habitudes ou de certaines facilités qu'il apporte que de critères objectifs. » (Heurdier, p.138).

2.2.1.3 : Les SEGPA, un tournant ?

Les SEGPA sont apparues en 1996 suite à la disparition des SES2. La loi d'orientation de 1989 repense alors l'organisation interne de l'enseignement spécialisé. Le nouveau régime juridique devient l'intégration individuelle et collective. Il y est écrit que « l'éducation est la première priorité nationale [...]. Le droit à l'éducation est garanti à chacun [...]. L'acquisition d'une culture générale

2 SES : section d'enseignement spécialisé

et d'une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique. »

2.2.2 : Analyse des textes institutionnels

Trois circulaires définissent les modalités de la SEGPA depuis sa création : celles du 20 juin 1996, du 29 août 2006 et du 28 octobre 2015. Ces circulaires sont les corollaires des lois promulguées pendant ces mêmes années. Hypothétiquement, il est d'ailleurs possible d'imaginer , que suite à la loi sur l'école de la confiance de 2019, une circulaire voit le jour avec de nouvelles modalités pour la SEGPA. En comparant les trois circulaires de 1996, 2006 et 2015, nous pouvons observer des expressions qui relèvent du nouveau paradigme de l'école inclusive et celles qui relèvent des anciennes logiques de séparation. (Annexe I).

Le public accueilli dans ce type de structure n'a pas évolué, il est toujours défini de la même façon : ce sont des « élèves présentant des difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n'ont pu remédier les actions de prévention, de soutien, d'aide et d'allongement des cycles dont ils ont pu bénéficier. Ils présentent sur le plan de l'efficience intellectuelle des difficultés se traduisant par des incapacités et des désavantages ». En revanche, le terme de SEGPA inclusive apparaît dans la circulaire de 2015 ainsi qu'une refonte des missions de l'enseignant spécialisé et des enseignants du collège à qui on demande dès lors de travailler de concert. Il est écrit que « Si la Segpa permet aujourd'hui la mise en oeuvre d'une pédagogie attentive aux besoins des élèves qui en relèvent, elle doit nécessairement évoluer pour mieux répondre à leurs besoins éducatifs particuliers [...] Au sein d'un collège plus inclusif, la Segpa, bien identifiée comme structure, doit permettre, pour les élèves issus de classes de CM2 pré-orientés en Segpa, de poursuivre les enseignements du cycle de consolidation, et pour l'ensemble des élèves en situation de grande difficulté scolaire d'être mieux pris en compte dans le cadre de leur scolarité en collège ». La seconde partie de la phrase indique que désormais, même si la SEGPA est bien identifiée, elle se doit de contribuer à aider tous les élèves du collège, y compris ceux qui ne sont pas orientés SEGPA. Dans la même visée, en 2017, a été créé le CAPPEI3, une certification commune aux enseignants du premier et second degré afin de répondre aux exigences d'un collège inclusif. Ainsi, les enseignants formés à l'inclusion deviennent garants collectivement de la qualité des enseignements dispensés en construisant ensemble des progressions et des projets d'enseignement adaptés. Par ailleurs, il est mentionné que « La Segpa ne doit en effet pas être conçue comme le lieu unique où les enseignements sont dispensés aux élèves

3 CAPPEI : certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive.

qui en bénéficient. Ces élèves sont accompagnés dans leurs apprentissages par les enseignants spécialisés, soit dans leur classe au sein de la Segpa, soit dans les temps d'enseignement dans les autres classes du collège, soit dans des groupes de besoin. On veillera à ce que, pour chaque élève de la Segpa, la classe dans laquelle il suit les cours avec les autres élèves soit la même tout au long de l'année et que tous les élèves d'une division de la Segpa ne soient pas intégrés dans une même classe, afin de faciliter l'inclusion dans le groupe et le sentiment d'appartenance ». La nécessité d'apporter cette précision vient du fait que toutes les SEGPA ne fonctionnement pas de manière identiques. En effet, certains enseignants spécialisés sont amenés à enseigner plusieurs matières (français, mathématiques, physique-chimie, histoire-géographie....). Dès lors, lorsqu'un élève inscrit en SEGPA peut suivre des cours dans l'ordinaire, il sera rattaché à une classe de référence et ce durant toute l'année. Cela permet ainsi une meilleure inclusion SEGPA-ordinaire.

Enfin, le rôle des enseignants spécialisés est redéfini dans la circulaire de 2015. Fort de ses compétences en matière de différenciation et de pédagogies adaptées, l'enseignant spécialisé peut désormais « favoriser, au travers d'échanges au sein de l'équipe enseignante, la mutualisation des compétences professionnelles sur les difficultés des élèves, sur la manière de les surmonter, les objectifs à atteindre et sur les aménagements à mettre en oeuvre dans le cadre de la différenciation pédagogique ». « Les enseignants spécialisés ont ainsi la possibilité d'intervenir, en lien avec le professeur de la discipline, au sein des autres classes du collège sous forme de co-intervention ou de groupe de besoins ».

Tout en gardant une certaine spécificité, la SEGPA évolue vers une inclusion de plus en plus forte et les politiques publiques s'aperçoivent de la nécessité de cette structure. Dans le rapport de Sylvie Tolmont à l'Assemblée Nationale en 2014, elle considère que la disparition des SEGPA serait « une perte sèche irréparable ». Elle explique que les SEGPA constituent « une chance, voire un modèle pour l'école d'aujourd'hui, car elles permettent la mise en oeuvre d'une pédagogie exceptionnellement attentive aux besoins des élèves » mais, paradoxalement, cette structure adaptée est « anormale » au regard des principes de l'inclusion (Delaubier, 2014 dans rapport de 2014). A travers la lecture de la circulaire de 2015, il apparaît que la structure SEGPA vise à être maintenue, comme une forme possible de différenciation des parcours au sein du collège.

Bien que la structure SEGPA soit encore aujourd'hui valorisée dans son fonctionnement par les politiques, la nouvelle certification CAPPEI définit l'enseignant spécialisé comme une personne ressource et experte en pédagogie. Dans le cadre d'un collège inclusif, on peut se demander alors quelles seront les nouvelles missions de l'enseignant spécialisé. Aura t-il toujours une classe face à lui ? Sera t-il un collègue expert qui apportera ses connaissances didactiques et pédagogiques pour

pallier l'hétérogénéité grandissante ? Dans quel but expérimente t-on dans plusieurs collèges, les 6ème SEGPA en inclusion totale ?

2.2.3 : L'organisation interne de la SEGPA

L'équipe pédagogique de la SEGPA est constituée d'un directeur adjoint, de professeurs des écoles spécialisés et de professeurs de lycée professionnel. Sous l'autorité du chef d'établissement, le directeur adjoint chargé de la SEGPA assure (circulaire, 2015) :

Ø « l'organisation pédagogique de la SEGPA. Il est associé au projet d'établissement et participe aux travaux de l'équipe de direction, dont il est membre.

Ø La cohérence de l'ensemble du projet de fonctionnement de la SEGPA

Ø Le suivi et la coordination des actions mises en place par les PE spécialisés4 et les professeurs des classes concernées pour les élèves du collège bénéficiant de la SEGPA.

Ø L'organisation et la planification des stages en milieu professionnel, la conduite de la transmission des bilans annuels aux familles et à la CDOEA5 si une révision d'organisation est envisagée.

Ø La liaison avec les autres établissements dispensant une formation et le suivi du devenir des élèves sortis de la SEGPA. »

Une partie de l'enseignement général est assuré par des enseignants spécialisés, titulaires ou non du CAPPEI6 qui adaptent leur enseignement en passant par l'aménagement des situations, des supports et des rythmes d'apprentissage. Ces adaptations privilégient des pratiques d'individualisation et de différenciation pédagogique. A partir de la classe de 4ème, les élèves de SEGPA bénéficient d'enseignements professionnels assurés par des PLP7 dans des domaines variés : l'habitat, la restauration, la peinture, l'agriculture... Les activités qui sont proposées permettent à l'élève de commencer à construire son projet professionnel qui sera conforté pendant l'année de 3ème. Les élèves construisent de nouveaux apprentissages à partir de situations concrètes.

Afin de répondre aux objectifs des champs professionnels, les élèves sont amenés à découvrir le monde de l'entreprise en réalisant des stages tout au long de l'année. En 4ème, ce sont des stages de découverte qui visent à l'acquisition d'attitudes sociales et professionnelles ainsi qu'à

4 PESPE : professeur des écoles spécialisé

5 CDOEA : commision départementale d'orientation vers les enseignements adaptés

6 CAPPEI : certificat d'aptitude professionnelles aux pratiques de l'école inclusive.

7 PLP : professeur de lycée professionnel.

l'appréhension à un niveau adapté de connaissances techniques. En 3ème, ce sont des stages d'application qui ont pour objectif « l'articulation entre les compétences acquises dans l'établissement scolaire et les langages techniques et les pratiques du monde professionnel » (circulaire, 2015). Les PLP encadrent, accompagnent et orientent les élèves en fonction de leurs aspirations mais aussi de leurs possibilités en tenant compte de leurs besoins éducatifs particuliers. Lors des réunions de synthèse et de coordination qui ont lieu toutes les semaines, l'équipe pédagogique analyse, échange et permet le suivi de chaque élève à travers ses possibilités d'évolution, les soutiens et les aides diverses susceptibles de lui être apportés.

Cette organisation bien spécifique et caractérisant la SEGPA, ne concerne que les élèves orientés en SEGPA. Dans le cadre d'une école inclusive, nous pourrions nous demander dans quelle mesure cette organisation bien rodée ne pourrait pas s'étendre aux élèves de tout le collège et pourrait favoriser ainsi la découverte des métiers dans son ensemble alors que les préconisations actuelles tendraient plus vers la disparition des ateliers qui ne répondent pas aux exigences des attendus du socle commun en fin de troisième.

2.2.4 : La SEGPA : D'un système intégratif à un système inclusif?

Comme nous avons pu le voir précédemment, les paradoxes sont nombreux concernant la structure SEGPA. D'un côté, ses potentiels sont mis en avant par les institutions (organisation bien huilée, meilleure intégration, des enseignants de qualité) et de l'autre une structure qui ne répond pas aux objectifs d'un collège à visée inclusive. Dès lors, quels sont les moyens qui permettraient de rendre la SEGPA inclusive ? Quels sont les freins inhérents à la SEGPA ?

L'académie de Lille (2016), bien avant le rapport remis par deux inspecteurs sur les SEGPA, a mis en place un dispositif inclusif pour les 6ème SEGPA : les 6ème pré-orientés SEGPA étaient inclus dans les classes de 6ème ordinaires. (Annexe II). Dans le vadé-mécum, un tableau explicatif compare le modèle ancien de la SEGPA avec le modèle attendu dans une SEGPA inclusive :

Tableau 1: De l'ancien paradigme au nouveau paradigme

Le fonctionnement ancien

Le fonctionnement nouveau attendu

Des élèves qui ne se mélangent pas aux autres ou très peu.

Des élèves davantage inclus parmi leurs camarades du collège.

Un parcours de scolarisation identique pour tous.

Une personnalisation des parcours de scolarisation avec une élévation du degré d'ambition (DNB8 professionnel et bac professionnel).

Des enseignants spécifiques (PE spécialisés + Professeur de lycée professionnel) qui travaillent peu en équipe avec les autres professeurs du collège.

Une mutualisation des compétences professionnelles dans le cadre d'un travail en équipe à construire et à développer.

Une structure distincte des autres classes du collège avec des objectifs et une organisation propre, disposant d'une DHG9 fléchée.

Une structure (continuant de disposer d'une DHG fléchée) fonctionnant davantage en mode « dispositif » et contribuant à un fonctionnement du collège plus inclusif.

 

Deux ans après ce vadémécum, en 2018, l'Inspection Générale a remis au Ministre de l'Education Nationale un rapport concernant les SEGPA, rédigé par Mme Abraham et M. Desprez. Ce bilan propose des pistes de réflexion pour permettre à la SEGPA de devenir plus inclusive. Deux inspecteurs, en 2018, ont été missionnés pour effectuer un bilan sur les SEGPA. Leur mission était de chercher à analyser « comment les acteurs repensent, depuis la circulaire de 2016, la scolarisation des élèves qui bénéficient de l'orientation en EGPA, leurs parcours de formation et d'orientation et comment la structure SEGPA s'organise et fonctionne dans le respect du principe d'inclusion énoncé par la loi du 8 juillet 2013 ». Le vadémécum de Lille a été un des points d'appui pour aborder les modalités de l'inclusion. La méthode qui a été retenue a été une enquête de terrain où la mission s'est déplacée dans différentes académies : dix SEGPA ont été visitées. Des entretiens ont été menés avec des équipes de direction, des directeurs adjoints de SEGPA et des équipes enseignantes.

L'objectif de ce bilan porte sur les évolutions possibles de la SEGPA tout en ne remettant pas en cause le bien-fondé de cette structure. Les inspecteurs souhaitent confirmer les SEGPA dans leur capacité à répondre au principe d'une école inclusive énoncé par la loi de 2013 en communiquant et démontrant que la SEGPA reste en capacité de traiter et résorber la grande difficulté scolaire et conduire à la réussite. La mission constate que l'inclusion des élèves de SEGPA en classe ordinaire reste marginale pour plusieurs raisons :

Ø Les parents d'élèves des autres classes, qui méconnaissent l'enseignement spécialisé, s'opposent parfois de manière radicale aux tentatives et formes d'inclusion qui tendent à se

8 DNB : Diplôme national du brevet

9 DHG : Dotation Horaire Globale

développer parce qu'ils ont des difficultés à accepter que des élèves de SEGPA soient « intégrés » ou « inclus » dans la classe de leur enfant.

Ø Les professeurs, qui parfois méconnaissent ce public, et ont le plus souvent une image dépréciative des élèves qui le composent. Outre leur méconnaissance, les professeurs ont peur d'avoir une difficulté supplémentaire à gérer en terme de gestion de classe.

Ø Certaines équipes enseignantes ne souhaitent pas que se développent le modalités d'inclusion qui permettent aux élèves de SEGPA de poursuivre une scolarité ponctuelle ou totale au sein des classes de collège.

Or, selon la mission, ces inclusions sont des valeurs ajoutées. Mais certains enseignants ne le perçoivent pas comme tel et souhaitent le maintien en l'état de la structure SEGPA qu'ils considèrent « comme une chance pour les élèves », proche « d'un cocon » (ce que reprochent d'ailleurs à la SEGPA les tenants de l'inclusion...)

Les expériences dont nous avons parlées, notamment celle de l'académie de Lille, se développent en France. Néanmoins, la mission observe que certains enseignants se découragent pour rejoindre le dispositif car ils sont habités par la crainte de perdre leur identité professionnelle en enseignant en binôme auprès d'un public à BEP. Le rôle des chefs d'établissement est alors de rassurer, dissiper les craintes concernant l'incertitude qui pèse sur l'évolution de cette structure et des postes d'enseignants. A l'instar du vadémécum de Lille, la mission constate de nombreux points positifs à inclure les élèves de sixième pré orientés SEGPA en classe ordinaire :

Les préconisations envisagées (Annexe III) par la mission correspondent en tous points à celles qui ont été mises en place par l'académie de Lille. Ces préconisations tendent à démontrer à la fois l'utilité de la SEGPA tant dans son fonctionnement que dans son approche pédagogique en

lien avec le traitement de la grande difficulté scolaire et la possibilité d'une évolution vers une meilleure inclusion des élèves qui composent cette structure. Il semble que les conclusions ne se portent pas sur une éventuelle disparition des SEGPA mais plutôt vers une uniformisation des SEGPA. En effet, les disparités qui existent sur le plan national, avec notamment la prise en charge de ces élèves par les professeurs de collège, doivent évoluer afin que ces élèves puissent bénéficier d'un enseignement riche et varié. Suite à cette enquête de terrain qui a duré dix ans, basée sur des entretiens auprès d'équipes de direction, de directeurs de SEGPA, d'enseignants spécialisés et d'élèves, il serait intéressant de se demander toutefois pourquoi les enseignants du secondaire n'ont pas fait partie du panel interrogé, sachant qu'ils interviennent auprès de ces élèves et qu'ils ont certainement un avis à exprimer... Néanmoins, ce bilan apporte des éléments objectifs qui peuvent éclairer la situation actuelle des SEGPA.

Le premier point qui a été interrogé porte sur l'élève de SEGPA avec ses « difficultés graves et persistantes ». Les inspecteurs s'interrogent sur d'autres élèves de l'ordinaire qui parfois ne se distinguent pas tant que cela des élèves de SEGPA dans leur profil. Le second point indique que les parents n'adhèrent pas facilement à la proposition de l'orientation en SEGPA (préjugés, image de la SEGPA, enfants à la marge). Le troisième point indique que la place de la SEGPA au sein du collège est variable ainsi que son fonctionnement. Certains collèges favorisent les passerelles (passage d'un élève de SEGPA vers l'ordinaire) alors que d'autres s'y opposent.

Les inspecteurs notent que malgré des textes institutionnels communs, chaque SEGPA dispose d'un fonctionnement propre. Il n'existe pas d'uniformité nationale. On peut émettre l'hypothèse que les impulsions vers une meilleure inclusion pourraient venir à la fois de l'équipe de direction mais aussi des enseignants eux-mêmes en mettant en place un travail d'équipe, une meilleure concertation, une ouverture d'esprit aux changementx et aux évolutions inéluctables liées à ces changements. Par ailleurs, dans une enquête PISA de 2018, les résultats concernant l'obtention des diplômes indiqueraient que l'élève de SEGPA aurait eu des résultats similaires s'il avait suivi un cursus ordinaire. Tous ces éléments d'observation tendent à démontrer que la structure SEGPA n'a plus vraiment sa raison d'être. Or, les politiques savent pertinemment que le travail mené par les enseignants spécialisés tout au long du cursus de l'élève portent ses fruits. Si les élèves de SEGPA venaient à être inclus totalement dans l'ordinaire, les enseignants du secondaire pourraient-ils remplir les mêmes fonctions sachant qu'ils doivent déjà faire face à un grand nombre d'élèves en difficulté ?

2. 3 : Des expériences de terrain

2.3.1 : L'expérience de Laville et Saillot

Plusieurs chercheurs ont mené des enquêtes de terrain sur l'inclusion des SEGPA, uniquement délimitée aux sixièmes. Laville et Saillot (2019) ont effectué une recherche dans un collège de la région parisienne situé en REP10. Dans ce collège s'est mise en place une démarche visant la mise en oeuvre de modalités de scolarisation inclusive avec les SEGPA. L'objectif du collège était de « favoriser l'acquisition d'une culture commune à tous les collégiens afin de prévenir les risques de décrochage et d'exclusion scolaire de l'ensemble des élèves ».

Le projet a vu le jour suite aux attentats de Charlie Hebdo, dans l'objectif d'améliorer le climat scolaire. Il a engendré des réflexions autour de l'inclusion des élèves de SEGPA, tant au niveau des pratiques enseignantes qu'au niveau de sa mise en oeuvre organisationnelle. Ce projet s'est mis en place sur la base du volontariat. Tous les élèves de SEGPA ont été inscrits dans une classe de référence dans l'ordinaire et chaque professeur spécialisé était mandaté pour être professeur principal dans une classe de l'ordinaire. On pourrait schématiser ce projet de la façon suivante :

Figure 2: Modèle de 6ème inclusive

10 REP : Réseau d'Education Prioritaire

Les collègues enseignants ont mal perçu ces initiatives car cela leur a été imposé sans concertation préalable. Les chercheurs se sont appuyés sur deux concepts pour analyser la situation : celui de liminalité (situation d'entre-deux), emprunté à l'anthropologie et celui de dilemme emprunté à Clot en clinique de l'activité.

Les constats observés chez les enseignants :

Ø Impression d'être emmenés de force par leur direction

Ø Sentiment d'être insuffisamment formés

Ø Pouvoir d'agir limité pour accueillir l'ensemble des élèves En discutant avec les enseignants, les chercheurs ont noté deux dilemmes :

Ø Le paradoxe entre les valeurs inclusives qu'ils défendent et la réalité praxéologique du terrain

· L'accueil des élèves de SEGPA, vécu comme précipité et comme un « écran masquant »

· L'hétérogénéité de profil des élèves inclus

Ø Les difficultés organisationnelles

· Budget

· Constitution des emplois du temps

· Institutionnalisation des réunions

· Articulation des exigences des textes officiels entre élèves à « BEP » et ordinaires

De plus, l'identité des principaux acteurs de terrain est bouleversée : les professeurs de collège constatent que certains de leurs élèves ont parfois les mêmes problématiques que les élèves de SEGPA, ce qui n'est pas surprenant car l'orientation d'un élève en SEGPA est tributaire de l'accord parental. Paradoxalement, c'est grâce à l'étiquetage SEGPA que peuvent se développer des pratiques d'enseignement dans le collège. Les échanges avec les professeurs de collège « laissent entrevoir le poids des représentations sociales du handicap, son aspect déficitaire » (Laville et Saillot, p. 318), dans le sens où il est moins culpabilisant de ne pas faire progresser un élève d'ULIS11 qu'un élève de SEGPA... La situation des élèves de SEGPA agit alors comme un révélateur de la tension entre le genre professionnel des enseignants d'éducation prioritaire qui repose sur la défense des valeurs de lutte contre l'inégalité et les nouvelles situations d'enseignement auxquelles les professeurs disent être confrontés. Les élèves de SEGPA, quant à

11 ULIS : Unité Localisée pour l'Inclusion Scolaire

eux, s'inscrivent dans un principe de liminalité : ils sont dans un « entre deux ». Il est « confortable d'appartenir à un groupe défini et confortable aussi d'aller chercher la norme » (Ibid,p.319). Un an après cette expérience, le chef d'établissement a fait machine arrière dans le processus inclusif.

2.3.2 : L'expérience de Berzin

Berzin (2015) a mené une enquête sur la Picardie concernant la politique d'inclusion sur des élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP). Une cinquantaine d'entretiens semi-directifs a été réalisée auprès de parents, d'enseignants et de directeurs d'école. Elle constate que dans le second degré, « l'accueil des élèves à BEP12 relevait encore davantage du militantisme que d'une réelle connaissance d'un droit à l'éducation » (p.79). Outre l'insuffisance des moyens d'accompagnement, les témoignages recueillis mettaient avant tout l'accent sur les difficultés de collaboration à l'intérieur même de l'établissement.

L'analyse des représentations des enseignants a montré que la plupart d'entre eux imputent les difficultés d'apprentissage à des caractéristiques intrinsèques des élèves et interrogent rarement les situations d'apprentissage-enseignement mises en oeuvre (Monfroy, 2002, in Berzin, p.81). Afin qu'une école inclusive puisse voir le jour et fonctionne, il est nécessaire de croiser les regards et « d'articuler deux systèmes : l'ordinaire et le spécialisé » (p. 84).

Suite aux entretiens, Berzin aborde des pistes de réflexions. Elle note des évolutions significatives :

Ø Une meilleure connaissance des lois et du rôle de l'enseignant spécialisé

Ø Une évolution dans la manière de voir l'élève à BEP

Ø Des enseignants bienveillants et à l'écoute

Ø Des décloisonnements, des projets

Ø Des adaptations de supports qui profitent à tous les élèves Toutefois, certaines limites restent prégnantes et visibles :

Ø Le manque de temps pour les enseignants

Ø La difficulté à mobiliser les équipes

Ces expériences ont vu le jour dans plusieurs établissements, mais devant la complexité du fonctionnement, les résistances des uns et des autres, la peur du changement, le processus inclusif

12 BEP : Besoins Educatifs Particuliers

ne s'est pas encore inscrit de façon pérenne car « l'enseignant peut penser en toute bonne foi que l'inclusion scolaire est une valeur à défendre et à promouvoir... mais qu'il n'a pas de motifs valables de changer ses habitudes dans la mesure où l'histoire de l'éducation des jeunes à BEP est dominée par une logique ségrégative » (Zaffran, 2013, in Laville et Saillot, p.319). Par ailleurs, un élément très important à prendre en compte dans la mise en place du dispositif inclusif pour les 6ème SEGPA est le nombre d'élèves pré-orientés. En effet, si 4 élèves sont pré-orientés SEGPA, il est plus facile de les inclure dans l'ordinaire que s'ils sont 16, surtout si aucune ouverture de classe n'est prévue dans l'ordinaire... Dès lors, le schéma ci-dessous, à l'instar de L. Cuban sur le cycle des innovations, peut illustrer ce qui se passe dans différents établissements qui tentent de mettre en place ces dispositifs inclusifs.

Figure 3: Interprétation des expériences de sixième inclusive

2.3.3 : L'académie de Lille, pionnière en matière d'inclusion

La parution des textes relatifs à la SEGPA vient modifier en profondeur les parcours de scolarisation des élèves qui en bénéficient et, par là même, la façon dont s'articule le fonctionnement de la SEGPA avec les autres classes du collège.

L'académie de Lille n'a pas attendu ces textes, elle avait déjà anticipé en incluant les 6ème SEGPA appelées « 6ème inclusives ». Ce dispositif a mobilisé 14 établissements. La personnalisation du parcours de scolarisation d'un élève de SEGPA est un objectif de la réforme. Comment se traduit-il?

Ø Mise en place d'un projet pédagogique individuel établi pour l'élève

Ø Un emploi du temps

Ø Les documents relatif au parcours Avenir (inscrit dans les projets d'établissement)

Ø L'ensemble des documents sur l'élève (compte rendu de synthèse...)

Un pilotage du parcours de l'élève qui implique:

Ø Une communication renforcée avec la famille

Ø Une communication entre les enseignants

Pour mener à bien ce projet, il est nécessaire qu'il y ait partage d'informations relatives à la connaissance des élèves :

Ø Pendant l'acte d'enseignement

Ø En amont et en aval de l'acte d'enseignement

Le travail en amont et en aval des séquences d'enseignement devient très important : en amont, l'enseignant doit bâtir des progressions communes, préparer des séances en co-intervention, se mettre d'accord sur le type d'intervention de chaque professionnel, le partage des tâches et en aval, l'analyse réflexive des séances, l'échange sur les pratiques.

Le vadémécum insiste sur le temps a déployer pour parvenir à ces objectifs et préconise de l'institutionnaliser dans l'emploi du temps, prévoir des temps de concertation communs pris sur le temps de concertation ou sur le temps personnel. Dans l'optique de cette inclusion des élèves de SEGPA, quels sont les rôles de l'enseignant spécialisé et du professeur de collège ?

Figure 4: les rôles du PE spé et du professeur de collège dans un collège inclusif

Dans ce vadé-mécum il nous est proposé deux modalités d'expérimentations : une inclusion totale et une inclusion avec des regroupements au sein de la SEGPA. Par ailleurs, des modalités d'intervention sont proposées s'inspirant du dispositif « plus de maîtres que de classes » : co-intervention / co-animation / co-enseignement :

Figure 5: Dispositif inclusif "plus de maîtres que de classes"

Il est précisé toutefois que ces modalités d'enseignement peuvent être source d'inquiétude pour les enseignants :

Ø Le PLC n'est plus le seul enseignant dans sa classe et doit envisager son programme, ses méthodes, ses séances avec un autre enseignant et lui faire une véritable place.

Ø Le PE spécialisé n'a plus sa classe et doit s'adapter aux méthodes et exigences de son collègue tout en trouvant sa place au sein d'une classe qui n'est pas la sienne.

L'expérience a donc été mise en place et les tenants de cette expérimentation ont interrogé les principaux acteurs pour avoir leur point de vue :

Les apports de l'inclusion pour les élèves (point de vue des enseignants) :

Ø « Les élèves se sont adaptés naturellement, ils ont deux enseignants. La présentation s'est faite naturellement le jour de la rentrée.

Ø Les élèves du dispositif ne sont pas stigmatisés dans les autres disciplines.

Ø Les échanges entre les enseignants facilitent la compréhension des élèves en difficulté.

Ø Les élèves en difficulté osent participer, le climat de classe est propice aux échanges. L'erreur a été dédramatisée, les enseignants ont pris conscience pour certains élèves de la difficulté et non de « la non volonté ».

Ø Constat d'un bon climat de classe, de « bonnes mentalités ».

Ø Le dispositif a permis de repérer et d'aider des élèves non identifiés en CM2 ». Les apports de l'inclusion pour les enseignants ont été les suivants :

Ø L'inclusion permet la mutualisation des compétences et l'enrichissement de chacun : le PE spécialisé apporte sa spécificité dans la gestion de la grande difficulté scolaire, le PLC sa maîtrise de la didactique. « Je peux rester un moment sans intervenir et juste écouter le cours, je vois l'histoire autrement. Je ne verrai plus les angles de la même façon ! ».

Ø Prendre conscience que dans la classe, il y a plus d'élèves en difficulté, c'est « déstabilisant mais l'aide du PE spécialisé a apporté un éclairage sur l'adaptation des cours pour permettre une meilleure compréhension pour certains élèves ».

Toutefois, malgré une expérience qui semble avoir réussi, quelques points de vigilance sont notés :

Ø Les temps de préparation et de concertation gagnent à être clarifiés dans l'emploi du temps.

Ø Les programmations gagneraient à être uniformisées.

Ø Les adaptations ne doivent pas s'arrêter au niveau de la sixième.

Ø Des enseignants ne sont pas encore prêts à modifier leurs pratiques et à questionner les besoins de l'élève.

Comme nous pouvons le constater, mettre en place une politique inclusive n'est pas chose aisée. Elle nécessite d'importantes transformations tant au niveau organisationnel que pédagogique. De plus, cela implique un changement de mentalités, de pratiques et une collaboration importante.

2.3.4 : Des éléments de controverse s scientifiques

Les politiques imposent mais ne se demandent pas ce que cela fera dans la singularité des personnes. L'inclusion peut être une belle idée mais peut être catastrophique dans les faits. Exister dans un groupe avec une petite différence c'est compliqué alors avec une grande différence... compliqué pour l'enseignant et pour l'élève. Les institutions peuvent devenir maltraitantes par leurs injonctions car elles ne prennent pas le temps de comprendre dans quoi nous sommes. (Cifali, 2021).

Entre le dire et le faire, le pas est grand même si la volonté est louable. Nous verrons dans cette partie, à la fois que la charge de travail des enseignants, sans école inclusive, est déjà très difficilement réalisable et que des expériences de terrain sur l'inclusion des élèves de SEGPA qui ont vu le jour se sont révélées fort peu constructives.

Le travail réel et les conditions de travail des enseignants sans fonctionnement inclusif

Comme nous l'avons vu dans l'expérience pionnière de Lille, les exigences en matière de travail pour parvenir à atteindre les objectifs d'une inclusion réussie sont nombreuses et quasi irréalisables tant le travail demandé en amont et en aval est important. Torres (2014) parle d'une « dévaluation sociale du métier ». En effet, il constate qu'avec la massification des publics, les enseignants font face à des classes chargées en effectif et de plus en plus hétérogènes (amener le plus d'élèves d'un groupe classe au baccalauréat). De plus, le pouvoir d'achat des enseignants baisse régulièrement. Enfin, la reconnaissance sociale du métier est précarisée.

Dans une synthèse de Maroy en 2006, ce dernier explique que l'enseignant doit « tenir sa classe » et « faire apprendre aux élèves » ce qui implique une activité d'une grande complexité qui varie selon l'environnement, le public, les buts et les moyens fixés pour les atteindre (Maroy, 2006, p.114). Il est un exécutant devant tenir compte des injonctions, des missions de l'école et son travail s'inscrit dans une organisation disciplinaire des programmes. Néanmoins, c'est un travail de l'humain. On se soucie des besoins de l'enfant et de sa psychologie. Aujourd'hui, les tenants de

3.1 : le cadre théorique : PLC et PE face à une école inclusive

l'inclusion reprochent aux enseignants spécialisés d'être trop dans la bienveillance, de vouloir redorer l'estime de soi aux élèves.

L'enseignant est déjà fortement sollicité en charge de travail : l'activité de l'enseignant, notamment du secondaire, se joue au moment des préparations en amont du cours et au moment de faire cours. Cela implique aussi une mise en forme pédagogique des savoirs (Barrère, 2002). Avant de parler d'école inclusive, les chercheurs comme Lang, Dubet, Barrère, constatent un déplacement du coeur du métier avec une transformation de l'enseignant « magister » vers l'enseignant « pédagogue ». Le praticien réflexif est promu au détriment de modèles anciennement valorisés comme celui du « maître instruit ». Désormais, l'enseignant est amené à travailler en équipe (projets pluri-disciplinaires) et s'investit plus dans la gestion de son établissement. Dès lors, l'enseignant doit davantage s'investir dans des taches administratives et de gestion scolaire. (Eurydice, 2005).

A l'instar de Lang, Dubet et Barrère, Rayou et Van Zanten (2004) évoquent une « gestion de classe plus hétérogène et plus difficile ». Le travail des enseignants devient tout autant émotionnel qu'intellectuel car il faut mobiliser, outre les savoirs académiques, des connaissances et savoir-faire divers pour assurer des interactions qui rendent les apprentissages possibles. L'intensification du travail contribue à rendre parfois les conditions de travail difficiles : manque de temps, surcharge chronique, remplacement du temps passé devant les élèves par la réponse aux demandes administratives, diversification de leur expertise, curriculum et pédagogie formatée et cadrée (Hergreaves, 1994). Cette intensification des taches demandées tend vers une remise en cause de l'identité professionnelle des enseignants, c'est pourquoi au regard de ce que préconise l'école inclusive en matière d'investissement tant professionnel que personnel, cela ne peut se faire sans heurts.

3. Problématisation et cadre théorique

Ce mémoire s'inscrit à la fois dans un contexte institutionnel et professionnel dans lequel nous sommes investis. Il vise à mieux comprendre le rôle de la SEGPA et des acteurs qui en font partie directement ou indirectement, à savoir les professeurs des écoles spécialisés et les professeurs de collège qui interviennent auprès du public SEGPA dans un contexte de politique inclusive.

L'étude que nous réalisons porte sur les changements de l'identité professionnelle, à la fois des professeurs de collège et surtout des enseignants spécialisés travaillant en SEGPA, qui vont naître de la politique inclusive défendue d'une part, par les institutions et d'autre part, par un nombre important de chercheurs.

L'identité professionnelle des enseignants serait mise à mal dans ce contexte d'école inclusive, semble t-il, selon certains chercheurs. Nous allons essayer de comprendre pourquoi, en définissant dans un premier temps ce qu'est l'identité professionnelle, puis dans un second temps, les conséquences éventuelles sur l'identité de nos acteurs professionnels. Nous notons cependant que la littérature scientifique est très pauvre dans l'analyse de l'identité professionnelle des enseignants spécialisés en SEGPA et qu'il est parfois difficile, voire impossible, de trouver matière à enrichir les hypothèses de notre étude.

3.1.1: Concepts d'intégration et d'inclusion

Dans le cadre de notre étude, il est important de définir ces deux termes afin, d'une part, de positionner la SEGPA dans notre champ d'analyse et d'autre part, comprendre dans notre analyse de récoltes de données empiriques pourquoi les enseignants sont amenés à associer de manière identique ces deux concepts et quel(s) questionnement(s) le processus inclusif pose t-il dans leur construction identitaire ?

Au travers de nos lectures, les articles sont nombreux à évoquer la nécessité de devoir définir les termes inclusion et intégration. Est-ce juste une querelle sémantique ou ces deux notions sont-elles vraiment antinomiques ?

Dans la déclaration de Salamanque (juin 1994), on parle d'« intégration », or les tenants de l'inclusion ont les mêmes visées que celles décrites dans la déclaration, à savoir le combat des discriminations, une visée humaniste et une école identique pour tous. Selon Armstrong (2006), « l'inclusion s'oppose à l'intégration car les enfants intégrés peuvent en effet être perçus comme « des visiteurs » en provenance de milieux spécialisés et non comme des membres à part entière de la communauté scolaire. L'éducation inclusive implique une double transformation : des écoles, pour qu'elles deviennent des communautés ouvertes à tous sans restriction et des pratiques, pour permettre les apprentissages de tous dans la diversité. » (in Boutin et Bessette, 2009, p 18). A l'instar d'Armstrong, les tenants de l'inclusion totale préconisent une transformation majeure des pratiques pédagogiques courantes. Ces pratiques doivent être modifiées pour s'inscrire « dans un plan de transformation complète de la société » (Gardou et Poizat, 2007, in Boutin et Bessette, 2009, p.21). « La notion d'inclusion repose sur un principe éthique : celui du droit pour tout enfant,

quel qu'il soit, à fréquenter l'école ordinaire. » (Plaisance, Belmont, Vérillon, Schneider, 2007, p.160). « L'inclusion, à la différence de l'intégration, suppose non seulement l'intégration physique mais aussi pédagogique afin de permettre à tous les élèves d'apprendre dans une classe correspondant à leur âge ceci quelque soit leur niveau scolaire. » (Thomazet, 2006, p.20). Pour Stainback et Stainback (1992), « une école ou une classe inclusive accueille tous les élèves dans un même lieu. Aucun d'eux, qu'il s'agisse des élèves en difficulté ou des autres, n'est exclu et placé dans des dispositifs ou classes spéciales. » (Boutin et Bessette, 2009, p.52). D'après tous ces chercheurs, dans le processus inclusif, c'est l'école et la société qui s'adaptent à l'élève et à ses besoins particuliers et non l'inverse, ce qui implique un changement radical du positionnement de l'école mais aussi de la société dans son ensemble.

A contrario, les tenants de l'intégration défendent l'idée que l'école doit tout mettre en oeuvre pour que l'élève puisse s'adapter à son environnement actuel, le comprendre et l'accepter. « On permet à des élèves en difficulté de fréquenter la classe ordinaire ou d'autres dispositifs destinés à favoriser leur apprentissage et leur développement. L'intégration requiert la collaboration de l'enseignant de la classe ordinaire avec les spécialistes avant même la mise en place de quelque dispositif que ce soit. On associe l'intégration au processus de normalisation. » (Boutin et Bessette, 2009, p.28). Certains auteurs parlent aussi de la théorie du behaviorisme (comportementalisme) qui s'oppose au socio-constructivisme que défendent les tenants de l'inclusion.

La position de l'école inclusive implique des modifications ou des transformations au niveau des contenus d'enseignement, des stratégies, et des structures éducatives. Les modalités pour une école inclusive peuvent se résumer en un certain nombre de dispositifs selon Boutin et Bessette (2009, p.57) :

Ø Création un climat favorable à l'acceptation de la diversité.

Ø Modalités d'intervention concernant méthodes et techniques pédagogiques (enseignement mutuel, travail d'équipe, apprentissage coopératif).

Ø Place importante donnée à l'individualisation et à la différenciation.

Ø Pédagogie de projet.

Ø Dispositif organisationnel destiné à favoriser une inclusion responsable.

Toutefois, Gillig (2006) n'est pas convaincu de la faisabilité de l'inclusion sous sa forme radicale car elle requiert une transformation de l'école et de la communauté toute entière. Elle préconise une modification importante des contenus, des approches et des méthodes d'enseignement (Boutin et Bessette, 2009, p.61). Nous pouvons nous demander, en effet, si la société est prête à ce changement radical. Il en est de même pour l'ensemble de la communauté éducative : sans formation, sans préparation, sans moyens supplémentaires, peut-on raisonnablement penser que cet idéal d'école inclusive pourra se mettre en place ? Plusieurs auteurs

insistent sur le fait qu'une inclusion totale, surtout si elle est mal orchestrée, risque d'avoir des répercussions négatives sur le fonctionnement de la classe. Crouzier explique certains obstacles à l'inclusion qui se résument à la difficulté de transfert des savoir-faire spécialisés vers les pratiques des enseignants ordinaires. (Crouzier, 2010, p.39). En effet, l'identité professionnelle des enseignants, notamment dans le secondaire, s'est construite en opposant ceux qui ont développé des compétences avérées en faveur d'élèves en difficulté de ceux pour qui c'est inutile, puisque pour eux ces élèves doivent avoir une place à part. Cette construction identitaire, dont nous reparlerons, est encore en proie à de nombreuses résistances. De plus, la formation mise en place pour cette évolution ne semble pas préparer et sécuriser suffisamment les personnels.

Jean Pierre Peyroulou, chercheur à l'EHESS va plus loin en disant que « l'inclusion scolaire est incompatible avec les seules performances scolaires et par conséquent avec un système pensé et fonctionnant sur l'unique principe de la sélection, du scolaire de compétition et d'une course d'obstacles du primaire au supérieur » (Crouzier, 2010, p.188). Or, d'après Plaisance, « La notion d'éducation inclusive reflète l'exigence faite au système éducatif d'assurer la réussite scolaire et l'insertion sociale de tout élève, indépendamment de ses caractéristiques individuelles ou sociales » (Ebersold, S, Plaisance, E, Zander, C, 2016, p.10). Cette contradiction entre les exigences d'un système éducatif sélectif et des valeurs éthiques anime les chercheurs.

Plaisance (2020) cite à plusieurs reprises Cury, spécialiste brésilien du droit à l'éducation, qui explique que l'exclusion et l'inclusion « entretiennent des relations dialectique, que l'une n'existe pas sans l'autre et que par conséquent, une réflexion qui s'appuie sur la notion d'éducation inclusive ne peut ignorer les termes de l'inégalité et de la discrimination précisément pour les contrecarrer ». Cury donne une définition de l'éducation inclusive : « Dans son principe, l'éducation inclusive correspond à une modalité de scolarisation où ceux qui étudient ont les mêmes droits que leurs pairs, sans discrimination de sexe, de race, d'ethnie, de religion et de capacité. Ils disposent donc du droit de fréquenter les mêmes établissements et de participer aux activités de leur âge » (Cury, 2009, p.42).

Notons que la volonté de tendre vers une école inclusive questionne beaucoup et qu'aucun consensus n'est admis pour attester de son bien-fondé (Desombre, 2011 et Mazereau, 2015 in Chevallier et Rodriguez, 2016, p.230). De plus, quelques chercheurs notent un décalage trop important entre l'idéologie inclusive et la pratique (Plaisance, 2012 in Ibid, p.230).

Que nous parlions d'intégration ou d'inclusion, les chemins qui nous amènent à ces deux concepts sont proches et leur objectif est sensiblement identique : que les élèves aient les mêmes droits et le même accès au savoir. Il nous semble que la différence notable entre ces deux concepts est l'universalité. En effet, l'inclusion est un concept universel d'où la difficulté de la mettre en place.

Le processus intégratif est en place en France et le concept d'inclusion fait son chemin dans les esprits. Désormais, la question qui se pose est sa mise en place concrètement. Si on se réfère aux tenants de l'inclusion totale, les classes et les structures spécialisées doivent fermer et la collaboration étroite entre tous les partenaires de l'école doit être la garante de la réussite de tous les élèves à besoins éducatifs particuliers. Or, force est de constater qu'une inclusion « non réfléchie, non anticipée et non acceptée par l'ensemble des acteurs concernés peut représenter une mise en danger ressentie et objective de la personne » (Ventoso et Fumey, 2016, p.100). De nombreuses questions émergent alors : Les enseignants sont-ils prêts à ce changement radical ? Quels sont les objectifs des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre de cette école inclusive ? Quelles sont les formations mises en place ou qui verront le jour ? Dans quelle mesure peut-on passer d'une idée, d'un concept, à une mise en pratique sur le terrain par les enseignants quand ces derniers ne sont ni préparés, ni formés ? Quel est le devenir de la SEGPA, de ses enseignants spécialisés, de ses élèves ?

3.1.2 : Identité et changement

L'analyse de la littérature scientifique semble montrer, d'une part, la difficulté intrinsèque à mettre en place une école inclusive dans une école qui se veut toujours sélective et ségrégative, et d'autre part, une identité professionnelle chez les enseignants qui se voit bouleversée, questionnée par ce paradigme inclusif.

La difficulté de notre étude réside dans l'analyse de deux corps de professionnels bien distincts en proie à des changements qui vont affecter leur identité : les professeurs de collège appartenant au second degré et les professeurs des écoles spécialisés appartenant au premier degré mais travaillant dans le second degré. Bien que ces deux corps aient désormais un référentiel commun depuis 2015, les formations initiales conservent leur particularité propre et singulière. Le professeur des écoles spécialisé est amené, par sa polyvalence, à travailler en projet, à mettre en place des décloisonnements, à travailler en équipe, à se réunir avec des partenaires extérieurs à l'école alors que le professeur de collège est centré sur sa discipline dans laquelle il excelle généralement et le programme qu'il doit mener à bien durant une année. Si les SEGPA venaient à se transformer ou à disparaître, quelles seraient alors les conséquences sur l'identité professionnelle des professeurs des écoles spécialisés et sur les enseignants du second degré non spécialisés qui devraient accueillir en totalité les élèves de SEGPA ?

Dans sa thèse, Zimmermann (2013) parle de la polyvalence comme caractéristique de l'identité professionnelle des professeurs des écoles. Il souligne que cette polyvalence est un élément récurrent des textes officiels depuis une dizaine d'années et qu'il existe un lien explicite

entre cette polyvalence et cette construction de l'IP13(Zimmermann, 2013, p.11). Cette polyvalence est une force pour le professeur des écoles spécialisé en SEGPA car, à la différence de ses collègues du collège, ce dernier met des liens spontanément entre les matières et voit au-delà de la simple transmission didactique de la discipline pure.

Centré sur le PE non spécialisé, Zimmermann constate les difficultés pour l'enseignant du premier degré à trouver sa place entre ce qui lui est prescrit par les textes officiels et sa façon de se construire en tant que professionnel. Tardif et Lessard (1999) montrent que les enseignants ne peuvent simultanément répondre à l'ensemble des exigences parfois contradictoires qui se posent à eux. Il leur faut donc trouver un équilibre entre ce qu'ils peuvent faire et ce qu'ils doivent faire. Ces tiraillements provoquent un sentiment d'impuissance à répondre aux exigences du métier (Zimmermann, 2013, p.31). D'où une transformation de l'enseignant qui ne cesse d'être dans l'adaptation et qui petit à petit façonne une identité plurielle. Tardif et Lessard parlent de « caméléon professionnel ». Il change de peau , s'adapte aux situations, aux interlocuteurs, modifie sa posture. Selon Roux-Pérez (2003), l'IP est à la fois considérée comme la manière de se définir au travail et celle dont les autres nous voient au travail. Cette théorie rejoint celle de Dubar quant à la reconnaissance d'autrui dans la construction identitaire. L'enseignant s'appuie sur une revendication d'appartenance au groupe, tantôt sur des formes de différenciation, tantôt sur l'affirmation d'une singularité de leur contexte professionnel. Selon cette auteure, les enseignants construisent leur IP selon trois échelles :

Ø Une échelle collective, où l'identité se constitue sur des représentations collectives et des valeurs communes afin de défendre le groupe professionnel au sein de l'école.

Ø Une échelle de sous-groupes professionnels, en raison de clivages importants au sein de ce groupe.

Ø Une échelle individuelle qui prend en compte les itinéraires professionnels singuliers (Zimmermann, 2013, p 36).

Roux-Pérez explique donc qu'il ne peut y avoir une IP mais plusieurs IP car le développement des sous-identités est souvent source de tensions et incompatibles.

Dubar nous explique que l'identité de métier est plus complexe qu'il n'y paraît. Il associe les processus biographiques de construction d'une « identité pour soi » et les mécanismes structurels de reconnaissances des « identités pour autrui ». Les identités dépendent des relations avec les autres et de la perception subjective de sa situation et aussi des rapports au pouvoir. L'identité, c'est la marque d'appartenance à un collectif qui permet aux individus d'être identifiés par les autres mais aussi de s'identifier face aux autres. On ne peut dissocier l'identité personnelle de l'identité

13 IP : Identité Professionnelle

professionnelle, elles se construisent et évoluent ensemble. On note, selon Dubar, une construction à la fois dynamique et relationnelle.

3.1.3: Définition des théories de l'identité

La notion d'identité est polysémique. Bret (2015) définit l'identité ainsi : l'identité est « ce qui définit un individu à la fois dans sa singularité et dans son appartenance à une catégorie plus large qu'est son clan, sa société, sa famille [...] ; c'est aussi ce qui ne peut pas être défini parce qu'elle est toujours engagée dans des variations subtiles » (Clerc, 2000, p. 27). Produit des socialisations successives, construite à partir de son groupe d'appartenance et du groupe de référence espéré, elle prend des colorations différentes selon que l'on se penche sur son aspect personnel, social... ou professionnel (Bret, 2015, p.6).

Pour tenter de définir l'identité, plusieurs versants peuvent être abordés. Nous en retiendrons deux : le versant psychologique et le versant social.

Selon le versant psychologique, Iannccone, Tatéo et Marsico (2008) avancent que l'expérience familiale de l'enfance de l'enseignant ainsi que le souvenir de soi comme élève constituent les principales sources pour construire son IP. Les éléments biographiques, en interaction avec des éléments du contexte, joueraient un rôle essentiel, en générant différentes stratégies des enseignants leur permettant de faire face aux difficultés qu'ils rencontrent. Il existerait une co-habitation entre le « soi-élève » et le « soi-enseignant ».

Selon le versant social, l'identité professionnelle se définit à la fois pour « soi » et pour « autrui » (Dubar, 1991 in Cattonar, 2001, p.44). Elle évolue, se transforme et porte en elle une dynamique qui permet à l'enseignant de « maîtriser le cours de son existence » (Gaujelac, 2002, in Piroux, 2017, p.6). Kaddouri (2006) explique que l'identité se construit entre « soi et autrui, entre continuité et changement, entre unité et multiplicité ». Tenter de comprendre l'identité professionnelle des enseignants, c'est « tenir compte à la fois de la position des individus à l'intérieur du champ institutionnel et de la trajectoire sociale et scolaire antérieure à l'entrée dans ce champ et surtout de la reconstruction subjective de cette trajectoire » (Dubar, 1992, p.520 in Bret, 2015, p.10). Bret, en s'appuyant sur les analyses de Ion et Gohier, explique que les conditions familiales, biographiques et institutionnelles (accès au métier, instituts de formation, associations et syndicats) sont d'une importance centrale dans sa construction, sa légitimation et sa consolidation (Ion, 1990) qui se réalisent, lors des relations, au travers de l'identification, « processus par lequel la personne se reconnaît des ressemblances avec ses différents groupes de référence [...] et intériorise certains

de leurs attributs ou de leurs caractéristiques » d'où un sentiment d'appartenance et de l'identisation, « processus par lequel l'individu tend à se singulariser, à se distinguer des autres », conduisant à l'autonomie et l'affirmation de soi (Gohier et al., 2000, pp.118-123).

La fonction identitaire selon Albric « sert à la construction et au maintien de l'identité d'un groupe social. Chacun élabore une image de soi en accord avec celle que, selon lui, les autres lui attribuent » (Cattonar, 2001, p.43). Ce qui rejoint la définition que donne Dubar de l'identité professionnelle qui résulte selon lui d'une double transaction : d'une part d'ordre biographique (projeter un désir de soi, en rupture ou en continuité) et d'autre part d'ordre relationnel (faire reconnaître par les autres la validité de l'identité visée par le professionnel) (Piroux, 2017, p.6). L'enseignant n'a souvent d'autres choix que de se conformer aux attentes du groupe social qu'il va intégrer. Néanmoins, la difficulté est de trouver la bonne association entre la singularité propre à l'enseignant et le groupe social d'appartenance. Les dynamiques présentes chez l'enseignant le poussent à développer des stratégies visant à maintenir un sentiment d'unité et de cohérence. Toutefois, la mutation de la politique éducative, qui passe d'une « two tracks approach » (Benoit, 2002, p.67), deux voies de scolarisation distinctes, l'une ordinaire, l'autre spécialisée, à un « one track approach » qui consiste à scolariser systématiquement les enfants et adolescents à besoins éducatifs particuliers dans les classes ordinaires, peut engendrer des retentissements dans la manière d'approcher l'enseignement. Les enseignants sont alors confrontés à bon nombre d'interrogations sur leurs pratiques face à un métier en pleine mutation et qui ne ressemble probablement pas aux motivations exprimées lors de leur formation initiale.

3.1.4 : Les PLC et les enseignants spécialisés de SEGPA , une mutation profonde?

La mission des enseignants, depuis la loi de 2005, influe sur le vécu identitaire des professionnels. Même si l'enseignant porte en lui des valeurs éthiques et morales et qu'il pense en toute bonne foi selon Zaffran « que l'inclusion scolaire est une valeur à défendre et à promouvoir » (Laville et Saillot, 2019, p.320), force est de constater qu'entre le dire et le faire, le pas est grand et questionne les professionnels dans leur identité.

Dans un rapport d'information (Gonthier-Maurin, 2012), le rapporteur y observe un déplacement du coeur du métier de professeur, de la transmission du savoir d'un expert en direction d'un novice, vers une prise en charge élargie d'un élève devenu singulier au sein d'un groupe classe de plus en plus hétérogène. Elle constate une crise du métier qui se traduit par de nombreux

dilemmes, notamment un sentiment d'impuissance, d'une pression évaluative et de solitude. Le défi de l'école inclusive interroge aussi sur la professionnalité des enseignants. En effet, les expériences de terrain menées par des chercheurs et les analyses qu'ils en font (Crouzier, Goémé et Saint-Denis, Maroy, Perez, Faure-Brac et Gombert et Roussey, Guillot, Cros et Aubin, Jaboin, Laville et Saillot, Chevallier-Rodriguez, Delbury, Berzin, Piroux) montrent que le défi qui attend les professionnels est d'envergure et les freins et/ou obstacles sont parfois des montagnes infranchissables. En effet, la politique d'inclusion affecte en profondeur les missions des enseignants.

3.1.4.1 : L'identité professionnelle des PLC

Dans le second degré, depuis le décret du 25 mai 1950, le statut des enseignants n'a pas changé. Or, Torrez constate une « inadéquation entre un statut inchangé et la réalité fonctionnelle de leurs missions qui a été modifiée ». L'incertitude du métier suscite des interrogations et des angoisses. En effet, l'enseignant « magister » a disparu au profit de l'enseignant « pédagogue » ou « réflexif ». Il doit désormais, avec la massification des élèves, former le « tout venant », instruire les élèves quels que soient leurs projets et/ou leurs besoins (Torrez, 2014, p.146). De plus, avec le référentiel de 2015, commun à tous les enseignants, l'enseignant doit répondre à d'autres missions toujours plus complexes les unes que les autres. Désormais il est clairement exprimé que les enseignants doivent travailler en équipe. Le verbe « coopérer » est utilisé dans trois compétences et le développement professionnel y est envisagé comme une démarche individuelle et collective dans laquelle l'enseignant est invité à s'engager. Goémé et Saint-Denis (2014) étayent ce référentiel en nous expliquant que lors de la formation initiale des professeurs de collège, ces derniers reçoivent une nouvelle culture à promouvoir, celle de :

Ø pouvoir éduquer tous les élèves.

Ø favoriser le sens de l'activité plus que le discours.

Ø concevoir que le métier de l'enseignant ne se limite pas uniquement à la classe.

Ø penser le métier enseignant comme exerçant dans un cadre collectif où la responsabilité éducative est partagée.

donner du temps à la réflexion.

Les lois de 2005, 2013 et 2019 renforcent un sentiment d'incompétence chez les enseignants qui « naviguent de la ressemblance à l'étrangeté » (Piroux, 2017, p.8). La liberté pédagogique qui est le ciment de leur identité tend à s'amoindrir et on assiste à des tensions entre les injonctions « verticales provenant de l'institution et les revendications d'ordre identitaire » (Piroux, 2017,

p.10). Piroux rajoute que « la difficulté pour l'enseignant dans l'accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers va être d'agréger ses propres constituants identitaires avec les identités prescrites par les autres significatifs en désaccord bien que rencontrés dans le même milieu professionnel de manière à pouvoir établir une projection de soi, validable par son environnement de travail » (Piroux, 2017, p.7).

3.1.4.2 : L'identité professionnelle des enseignants spécialisés en SEGPA

Avant toute tentative de définition, l'intérêt porté aux enseignants spécialisés quant à leur identité professionnelle est très pauvre dans la littérature scientifique. Nous n'avons pas trouvé dans nos lectures scientifiques d'articles parlant de l'IP des professeurs spécialisés en SEGPA.

Jaboin (2010) nous dit qu'enseigner dans le second degré pour les professeurs des écoles c'est « endosser un héritage », celui des pratiques sédimentées et des valeurs léguées par la tradition de l'enseignement spécialisé ». Ainsi, dans leurs exigences et leurs finalités, les enseignements adaptés ne sont pas aussi normatifs que l'école élémentaire (Jaboin, 2010, p.148). L'enseignant spécialisé en SEGPA est comme l'élève de SEGPA, à la « marge » (Benoit, 2021). Bien qu'il soit issu du premier degré, force est de constater, qu'il ne se revendique ni du premier degré ni du second degré. Il est à part. Il adapte les savoirs en fonction de chaque élève, leur redonne confiance, et est souvent dans la bienveillance. De plus, l'enseignant spécialisé, comme nous l'avons expliqué en introduction, porte en lui les principes défendus par les tenants du tout inclusif : il est habitué à travailler en équipe, à partager, à ouvrir sa porte aux collègues, à coopérer. Les enseignants spécialisés « accordent une place de choix à la classe spécialisée comme lieu de respiration et de restauration de la confiance en soi » (Mazereau, 2010, p.23). Lorsque la scolarisation est partielle, c'est toujours le modèle de l'intégration qui fonctionne pour les enseignants ordinaires qui accueillent ces élèves. C'est ce que reprochent des chercheurs comme Puig et Benoit (stage MIN à Suresnes, octobre 2021) qui, pour défendre une école inclusive, constatent d'une part que la SEGPA a un fonctionnement intégratif et non inclusif, et d'autre part reprochent aux enseignants spécialisés une trop grande bienveillance et des exigences moindres envers le public SEGPA.

Face au paradigme de l'école inclusive, les enseignants spécialisés voient leur identité professionnelle se transformer, « se bouleverser mettant parfois à mal leur expertise supposée. » (Soyez, 2018). Dorison parle d'une « segmentation des identités professionnelles ». L'enseignant spécialisé doit donc devenir un levier au service d'un collège inclusif d'où la nécessité d'un « transfert de compétences entre les enseignants spécialistes de leur discipline et des professeurs des

écoles experts dans le traitement de la grande difficulté scolaire » (Soyez, 2018, p86). Aujourd'hui, avec notamment la certification CAPPEI, l'expertise de professeur des écoles spécialisé ne peut plus être circonscrite à son domaine d'intervention. Sa légitimité repose désormais sur le repérage, l'identification et l'analyse des besoins éducatifs particuliers de tous les élèves d'un établissement. Etre ainsi professeur ressource, c'est d'abord informer, voire former les équipes pédagogiques de l'établissement pour répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain. (Soyez, Puig, Benoit, Jellab).

3.1.4.3 : L'enseignant spécialisé : un empan liminal

L'enseignant spécialisé de SEGPA est un enseignant du premier degré de part sa formation initiale, toutefois, il enseigne dans le second degré. Il n'appartient dans les faits, ni au premier degré, ni au second degré. Il est dans un entre-deux. Dans sa thèse, Saint Martin (2014) explique l'origine du concept. Le concept de liminalité est un concept anthropologique énoncé par Van Gennep sous le terme de liminarité pour décrire les rites de passage. Le mot vient de l'anglais liminal « au niveau du seuil », lui même dérivé du latin limen « seuil » qui désigne le pas de la porte. Étymologiquement, il renvoie donc à la notion de limite entre l'intérieur et l'extérieur.

Van Gennep (1909) s'intéresse au déroulement des rites de passage. Parmi les rites qu'il développe, celui qui nous intéresse est le rite de marge qui constitue un rite liminaire, un « entre-deux », dans lequel l'individu se trouve dépossédé de son statut antérieur, sans en avoir acquis encore un nouveau. C'est donc la période de tous les dangers : il flotte entre deux mondes. Ce rite assure un changement d'état ou de position sociale, en passant par une période où l'individu est placé en dehors de la société. Il a donc une fonction d'insertion dans une société donnée, à des moments particuliers de la vie d'un individu, qui sort d'un monde pour entrer dans un autre (Saint Martin, 2013, p.18). En 1969, Turner reprend les rites de passage de Van Gennep et précise l'étape du rite de marge employant les termes de liminalité et liminarité. Elle se caractérise par une absence de statut, qui permet le passage d'un statut initial à un autre plus élevé.

La définition de ce concept nous permettra de mieux appréhender la situation d'ambivalence qu'entretient le PE spécialisé de SEGPA entre sa formation initiale et le rôle qui lui est dévolu dans sa fonction de spécialisé dans le secondaire. Afin de mieux cerner le rôle du PE spécialisé, nous devons également définir le concept de bienveillance, terme récurrent dans le langage de ce dernier.

3.1.4.4 : le concept de bienveillance

Nous tenterons de démontrer dans notre partie analyse que la bienveillance fait partie inhtégrante des qualités humaines de l'enseignant spécialisé de SEGPA. Mais que met-on derrière le

terme de bienveillance ? Les enseignants de SEGPA sont-ils maternants ou bienveillants ? Selon

Roelens (2019), la bienveillance est pensée comme le moyen de soutenir le devenir autonome d'un
autrui vulnérable. Roelens émet une distinction entre « bien veiller, bien veiller sur et bien veiller

à ». Dès 1830, Guizot, ministre de l'Instruction Publique, écrit aux instituteurs quant aux relations

qu'ils doivent avoir avec les parents d'élèves, en leur disant que « la bienveillance y doit présider :
s'il ne possédait la bienveillance des familles, son autorité sur les enfants serait compromise, et le

fruit de ses leçons serait perdu pour eux » (P. Kahn, cité par Roelens, 2019, p.22). Guizot reconnaît

ainsi la légitimité de l'institution mais aussi de l'action éducative. Mais la bienveillance a souvent
été dépeinte comme une menace directe ou indirecte envers l'autonomie individuelle et ses

conditions d'exercice, autrement dit comme une vulnérabilité en elle-même. Aldo Naouri, pédiatre,

nous dit que la bienveillance n'est que le masque d'une « sollicitude maternelle sans borne qui
permet de satisfaire l'intégralité des besoins et des désirs et qui provoquerait chez l'individu la

fixation au stade infantile ». Donc l'absence d'autonomie, au contraire de l'école traditionnelle qui se veut plus stricte avec un nombre important de limites. Eirick Prairat critique cette thèse en disant que la bienveillance n'est pas complaisance (ibid, p.25).Roelens en vient à définir ses trois notions afin de définir précieusement le concept de bienveillance.

Bien veiller :

Il s'agit tout d'abord de se donner les moyens de percevoir les vulnérabilités de l'autre. Cela implique de la présence, « art d'être présent, [...] disponible [...], impliqué », prêt à donner «de son énergie, de sa patience, de son savoir-faire, de son expérience » , ainsi que de l'attention, ce qui signifie à la fois se soucier de ce que peuvent être les besoins des autres et prendre conscience des siens. Il s'agit ensuite de construire le socle d'un agir pertinent et non contre-productif quant à l'autonomie d'autrui. (ibid, p.28)

Bien veiller sur :

Inscrire les rapports interindividuels dans une double logique de prendre soin de l'autre et d'avoir soin de la relation avec l'autre, au sein d'un processus d'accompagnement et de protection de l'autonomie individuelle. Bien veiller sur l'autre implique d'être en relation avec lui et avoir soin de la relation avec lui. Il témoigne d'une volonté de trouver, dans toute médiation culturelle et symbolique, une position d'équilibre qui permet, lorsqu'on s'adresse à quelqu'un, de pouvoir à la fois « garder le contact, conserver la confiance » et en même temps « le respecter dans son identité

et son intimité, [...] maintenir une distance symbolique qui est toujours pour lui une distance protectrice » (Ibid, p.29)

Bien veiller à :

L'autonomie individuelle se déploie dans un temps où elle est inscrite et dans un monde où l'individu doit se diriger. Si la bienveillance vise à étayer l'autonomie individuelle d'autrui, celle-ci ne peut s'envisager sans la transmission d'un certain nombre de savoirs et leur compréhension, par l'appropriation singulière d'un héritage.

3.1.4.5 : L'identité du nouvel enseignant spécialisé

Puig (2021) défini le nouvel enseignant spécialisé, titulaire du CAPPEI ainsi : Il est une personne ressource pour l'éducation inclusive :

Ø Comprend et peut appliquer la politique inclusive.

Ø A une connaissance des partenaires de l'école et des ressources de son environnement.

Ø Sait travailler avec les familles.

Il est à même de mobiliser une connaissance approfondie des besoins particuliers et des réponses pédagogiques :

Ø Expertise didactique.

Ø Expertise méthodologique.

Ø Expertise pédagogique, psycho-neuro-cognitiviste.

Il professionnalise son adaptation à divers types de dispositifs et de configurations.

Quel est le profil de l'enseignant inclusif ? (Source : EuropeanAgency for SpecialNeedsand Inclusive Education 2021)

Ø Il valorise la diversité des apprenants : les différences entre les élèves constituent une ressource et un atout pour l'éducation.

Ø Il accompagne tous les apprenants.

Ø Il travaille avec les autres : collaboration et travail en équipes sont des approches essentielles pour tous les enseignants.

Ø Il poursuit sa formation professionnelle personnelle continue.

3.2 : Question directrice pour le mémoire et hypothèses

Afin de comprendre l'évolution des identités professionnelles des acteurs travaillant en SEGPA, notre démarche sera à la fois herméneutique, nous donnerons du sens aux faits, aux événements, aux comportements et aux pratiques et praxéologique, nous explorerons les possibles pour agir, pour modifier les actions et les pratiques quotidiennes.

Pour aller dans le sens de l'inclusion définie par les textes institutionnels, la SEGPA qui porte en elle les stigmates de l'étiquetage et de la stigmatisation questionne. Des expérimentations sont menées pour inclure les 6èmes pré-orientés SEGPA dans des classes de référence en ordinaire. Dès lors, le devenir des enseignants spécialisés et des professeurs de collège accueillant ces élèves à besoins éducatifs particuliers est interrogé.

Au regard du paradigme inclusif et de sa complexité sur les acteurs professionnels, la problématique de notre mémoire sera de répondre à la question suivante :

En quoi le fonctionnement de la SEGPA avec le rôle des professeurs des écoles spécialisés traduit-il les objectifs d'une école inclusive?

Pour répondre à cette question, nous allons mettre en place une démarche élaborée à partir de questionnaires et d'entretiens puis d'analyses. Deux analyses systémiques retiendront notre attention :

Ø Une analyse systémique de la SEGPA

Ø Une analyse systémique des acteurs qui interviennent en SEGPA : nous nous demanderons si les PE14 spécialisés vivent une crise identitaire ou si cette crise identitaire existe, concerne t-elle tous les autres acteurs ?

3.3 : Les hypothèses

Afin de répondre à la question, nous formulerons trois hypothèses :

Ø Hypothèse n°1 : Compte tenu des principes de l'école inclusive, la SEGPA dans son fonctionnement est à considérer comme un modèle pour les enseignants du collège.

Ø Hypothèse n° 2 : Malgré une formation initiale commune, les PE spécialisés se situent dans un entre-deux.

14 PE : Professeur des Ecoles

Ø Hypothèse n° 3 : L'inclusion doit être réfléchie et anticipée et pas à n'importe quel prix.

4. Définition d'un projet de méthodologie de recherche

Afin de pouvoir répondre à notre problématique et aux hypothèses formulées, nous avons élaboré d'une part des questionnaires à visée quantitative, d'autre part des entretiens semi-dirigés.

4.1 : Rappel succinct de l'objet de notre recherche

Notre question de départ porte sur la SEGPA, les acteurs qui interviennent en SEGPA et un changement majeur, l'inclusion, qui influe sur l'identité professionnelle des professeurs spécialisés en SEGPA. En s'appuyant sur les concepts théoriques de l'inclusion par Gardou, Plaisance, Thomazet, on constate que la structure SEGPA porte en elle un modèle de l'inclusion à la fois dans son fonctionnement et le rôle des enseignants spécialisés. D'où notre hypothèse n°1 : Compte tenu des principes de l'école inclusive, la SEGPA dans son fonctionnement est à considérer comme un modèle pour les enseignants du collège.

Par ailleurs, l'enseignant spécialisé en SEGPA est d'abord un enseignant du premier degré, ayant suivi une formation initiale à l'INSPE ou l'IUFM au même titre que ses collègues qui enseignent dans le premier degré et pourtant ce dernier se retrouve dans le second degré. D'où notre hypothèse n°2 : Malgré une formation initiale commune, les PE spécialisés se situent dans un entre-deux.

Enfin, l'inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers pose questions. Elle est un changement majeur qui peut impacter en profondeur l'identité professionnelle. D'où mon hypothèse n°3 : L'inclusion doit être réfléchie et anticipée et pas à n'importe quel prix.

4. 2 : la position du chercheur

Comme nous l'avons vu précédemment, nous nous positionnerons dans un paradigme à la fois herméneutique consistant à donner du sens à ce que nous allons entendre et qui nous permettra de valider ou d'invalider nos hypothèses et praxéologiques car avec l'analyse des résultats, notamment des entretiens, il nous sera possible d'explorer des pistes qui nous permettront d'agir.

Notre posture sera de comprendre en quoi le fonctionnement de la structure SEGPA répond aux exigences de la politique inclusive et quelles en sont les conséquences sur l'identité professionnelle des principaux acteurs qui travaillent en lien avec cette structure.

L'objectif de notre recherche est de poser un regard réflexif sur les résultats obtenus dans les questionnaires et sur les réponses données par les interviewés qui donneront lieu à une analyse interprétative, une reconstruction, « une oeuvre qui part d'un état de la question ou d'une tension et propose un montage inédit d'éléments de langage architecturaux et représentationnels qui se veulent constituer une nouvelle proposition, solution ou question » (Paillé, 2006, p 109).

4.3 : Le protocole de recherche

Comme nous l'avons vu précédemment, au sein de la structure SEGPA, des professeurs des écoles spécialisés y travaillent. Généralement, deux types de structure existent : la SEGPA 48 (48 élèves) avec deux professeurs des écoles et la SEGPA 64 (64 élèves) avec trois professeurs des écoles. Chaque SEGPA est administrée par un directeur de SEGPA, à mi-temps (sur deux SEGPA) ou à plein temps. En fonction de la dotation horaire globale, des heures sont allouées aux professeurs de collège pour intervenir en SEGPA, soit sur la base du volontariat, soit contraints. En conséquence, les enseignants spécialisés peuvent intervenir sur plusieurs matières, en fonction de la répartition interne du collège.

L'objet de nos recherches nous amène à élaborer un protocole de recherche aux fins de mener des questionnaires à visée quantitatives et des entretiens semi-directifs. Le choix du terrain, ainsi que les personnes interrogées et la méthodologie des entretiens réalisés, ont été pensés à la suite des questionnaires qualitatifs et quantitatifs réalisés à la fin de mon M1. Ces questionnaires exploratoires viendront s'ajouter dans la phase d'analyse et de réflexion aux données obtenues dans cette recherche approfondie et présentée ci-après.

4.4 : Les techniques d'enquête

4.4.1 : La réalisation des questionnaires exploratoires 4. 4 .1.1 : L 'émergence du questionnement

L'émergence de notre questionnement a commencé durant l'année 2020-2021. Nous étions en Master 1 à l'université de Caen et la formation portait sur les élèves à besoin éducatifs particuliers. Avant de cibler le sujet qui nous intéressait, nous nous sommes posés des questions sur les représentations qu'avaient les enseignants à la fois de l'inclusion et aussi des élèves de SEGPA. Nous nous sommes aussi aperçus que dans la ville où nous habitons, certaines expérimentations d'inclusions totales ou partielles avaient vu le jour ces dernières années, c'est-à-dire des élèves pré-orientés SEGPA inclus dans une classe ordinaire.

4. 4 .1.2 : Le public visé

A partir de ces constats et questionnements, ont été réalisés des questionnaires exploratoires, cinq pour être précis :

Ø Un questionnaire papier destiné aux enseignants ayant participé à l'expérience d'une sixième SEGPA inclusive (Annexe IV)

Ø Un questionnaire papier destiné aux enseignants du collège où j'exerce (Annexe V)

Ø Un questionnaire quantitatif destiné aux enseignants de Normandie dont le collège a une SEGPA ( https://docs.google.com/forms/d/1VlRd4mdoLjZq6VJ__Q8DuETtr7iYMitL1Oj7_E8h9_w/ edit)

Ø Un questionnaire quantitatif destiné aux directeurs de SEGPA de Normandie ( https://docs.google.com/forms/d/1vfEtzOLyVxRdkH5Mlv0WklaoCizZjLpKUZEznMGjk5 Y/edit)

Ø Un questionnaire destiné aux élèves de SEGPA ( de mon collège) de la sixième à la troisième (Annexe VI)

Afin de compléter ce panel de questionnaire durant la première année de Master, nous avons réalisé un entretien semi directif avec une élève de troisième SEGPA. (Annexe VII)

4. 4 .1.3 : Les objectifs et modalités

Ø Les questionnaires papiers :

a) Les objectifs

Tableau 2: Objectifs des questionnaires papier

Questionnaire enseignants/directeurs

Questionnaire élèves

- définition de l'inclusion

- sa perception de lui

- perception des enseignants sur les élèves de

- vivre en SEGPA

SEGPA

- la confiance en soi

- la formation / aux injonctions ministérielles

- une volonté de retourner dans l'ordinaire ou pas

- les freins et leviers de la SEGPA

- l'estime de soi

- les freins et les leviers de l'enseignant spécialisé

- le rôle des enseignants

 

Les questionnaires ont été distribués dans les casiers des enseignants. Ils avaient pour
consigne de nous les remettre dans notre casier directement (cas de notre collège) et pour le collège

b) Les modalités

ayant une sixième inclusive, nous sommes passée par une collègue qui a transmis puis récolté les questionnaires.

Ø Les questionnaires exploratoires quantitatifs :

Pour cerner au mieux le sujet que nous souhaitions traiter, nous avons pensé continuer par un questionnaire exploratoire quantitatif auto-administré avec recours à internet que nous expliquons ci-dessous. L'accord auprès de tous les inspecteurs de Normandie avait été sollicité. Plusieurs types de questionnaire existent mais ce dernier a retenu notre attention pour plusieurs raisons :

Ø Les personnes questionnées bénéficient d'un support visuel.

Ø On cible un nombre important de gens.

Ø Le budget est limité.

Ø La collecte des données est rapide et analysable facilement. Mais ce mode de passation peut engendrer certains inconvénients :

Ø Faible taux de réponses.

Ø On peut avoir des réponses partielles.

Ø Les interrogés peuvent se méfier du caractère anonyme (internet = pas fiable).

Ø Attention des interrogés volatile, c'est pourquoi nous avons essayé de réaliser un questionnaire qui se fasse « rapidement ».

Le thème principal de ces questionnaires exploratoires :

Ø L'impact de la politique inclusive sur les enseignants et directeurs de SEGPA. Les sous thèmes abordés : (5)

Ø Questions générales sur l'identité de l'enseignant et son collège

Ø Le collège et la SEGPA : les freins et les leviers

Ø L'organisation pédagogique

Ø L'organisation en cas de 6ème SEGPA incluse totalement

Ø La perception que peuvent avoir les enseignants d'un élève de SEGPA. Le public :

Ø Enseignants de collèges intervenant auprès des élèves de SEGPA et élèves à BEP,

Ø Enseignants spécialisés de SEGPA

Ø Directeurs de SEGPA. Une approche quantitative :

Ø Tous les collèges de Normandie, regroupant les départements de la Seine-Maritime, Eure, Orne, Manche et Calvados, comprenant une structure SEGPA.

Ø Nombre : 23 collèges enBasse-Normandie et 50 collèges enHaute-Normandie. Détermination du mode de collecte :

Ø Questionnaire auto-administré avec recours à internet (google form) Choix des questions :

Ø Fermées en majorité avec quelques ouvertes où le questionné peut répondre librement. Règles d'éthique :

Ø Courrier auprès de tous les inspecteurs pour expliquer notre démarche et le cadre institutionnel dont nous faisons partis, et solliciter leur consentement (autorisation).

Ø Respect de l'anonymat des réponses

Explication aux questionnés de notre démarche et de notre but : (petit texte d'introduction avant de répondre).

Ø Je suis en première année de Master à Caen et j'ai besoin de recueillir des données de terrain afin de compléter mes données théoriques dans l'optique de la réalisation de mon mémoire sur l'inclusion et plus particulièrement la place de la SEGA dans ce processus inclusif. Ce questionnaire prend environ 15 minutes et est totalement anonyme. Je vous remercie par avance du temps que vous y passerez et qui me permettra sans nul doute une meilleure analyse des problèmes et des solutions envisageables.

Nombre de personnes ayant répondu:

Ø 31 enseignants ont répondu à ce questionnaire. (moins de 1%) dont 61,3 % de PLC et 19 % de PE spécialisés.

Ø 27 directeurs/trices ont répondu. (19,8%)

4.4.2 : Le questionnaire quantitatif en décembre 2021

A l'instar des questionnaires exploratoires de juin, nous avons utilisé la même méthodologie. Toutefois, notre sujet étant délimité et précisé, nos questions ont été orientées sur l'identité professionnelle des enseignants de SEGPA et des professeurs de collège intervenant en SEGPA. (questionnaire sur l'identité professionnelle)

98 enseignants ont répondu au questionnaire sur l'identité professionnelle (75,5 % de PLC et 19,1 % de PE spécialisés).

Les questions ont été élaborées suite à nos lectures scientifiques. Nous nous sommes inspirée notamment de l'article de Cattonar (2001) sur les identités professionnelles enseignantes.

4.4.3 : L' entretien semi-directif

L'entretien peut être tenu comme une méthode de collecte d'informations (Boutin, 2006 ; Mucchielli, 2009) qui se situe dans une interaction entre un intervieweur et un interviewé (Boutin, 2006 ; Poupart, 1997 ; Savoie-Zajc, 2009) en vue de partager un savoir expert et de dégager une compréhension d'un phénomène (Savoie-Zajc, 2009).

Trois arguments justifient le recours à l'entretien (Poupart, 1997, in Baribeau et Royer, 2012, p 25) :

1) l'argument épistémologique, qui permet l'exploration en profondeur de la perspective de l'acteur;

2) l'argument éthique et politique, qui ouvre à la compréhension et à la connaissance de l'intérieur des dilemmes et des enjeux auxquels fait face l'acteur;

3) l'argument méthodologique, qui donne un accès privilégié à l'expérience de l'acteur.

Notre entretien semi-directif s'appuie sur un guide d'entretien (Annexe VIII) déterminé au préalable de façon à obtenir des informations sur les thèmes considérés comme importants dans le cadre des hypothèses de recherche. Il est donc orienté et se structure autour d'une consigne de départ et une liste de quelques thèmes repérés pour lesquels l'entretien doit permettre d'obtenir des informations de la part de l'interviewé.

Nos questions :

Les questions de notre entretien sont élaborées en fonction de nos trois hypothèses de départ. Elles portent sur les différents aspects qui nous intéressent :

Ø Le fonctionnement de la SEGPA

Ø L'impact de l'inclusion sur le fonctionnement des enseignants

Ø L'identité professionnelle des professeurs des écoles spécialisés et des professeurs de collège en lien avec l'inclusion

Ces questions vont nous permettre d'avoir accès à la conception générale de l'interviewé dans ses aspects pragmatiques mais également au niveau de son système de valeurs sous-jacent et ses fondements théoriques.

Les entretiens réalisés se sont basés sur une grille d'entretien (Annexe IX) qui nous a permis de délimiter notre sujet de recherche.

Notre rôle pendant l'entretien :

Nous avons veillé à ne pas poser des questions trop inductives pour permettre à l'interviewé de

répondre en totale liberté. Il nous est arrivé parfois de ne pas suivre le guide d'entretien car la personne parlait librement et d'elle-même abordait les questions de mon guide. Il nous est arrivé aussi de relancer l'interviewé suite à ce qu'il venait de dire et qu'il nous semblait intéressant d'approfondir. Nous présentons dans le guide d'entretien en annexe déjà citée, les modalités de la restitution des résultats ainsi que les règles déontologiques (anonymat).

4. 5 : Le choix des acteurs pour les entretiens semi-directifs

Pour réaliser nos entretiens, nous avons contacté, par le biais de l' inspecteur du pôle inclusif, des directeurs de SEGPA. Nous avons expliqué que dans le cadre d'un Master Conception et Animations des Dispositifs d'Enseignement et de Formation (CADEF) à l'INSPE de Rouen, nous souhaitions interroger à la fois des enseignants spécialisés en SEGPA et des professeurs de collège qui intervenaient auprès des élèves de SEGPA. La thématique de notre mémoire a été transmise aux directeurs qui se sont chargés de demander à leurs collègues s'ils étaient d'accord pour réaliser un entretien. Les directeurs nous ont communiqué les adresses mail des personnes puis nous sommes entrés en contact afin de définir soit un entretien en visio (distance géographique), soit en direct.

4.5.1 : L'échantillon des personnes interrogées

Les débuts ont été laborieux. Il a fallu attendre deux mois avant de trouver des personnes qui acceptent de répondre à l'entretien. Avec l'appui des directeurs de SEGPA qui ont su trouver les mots auprès de leur équipe, nous avons pu obtenir des accords nous permettant de mener à bien notre réflexion. Onze personnes ont accepté de mener l'entretien. Lorsque les rendez-vous ont été pris, les entretiens ont été menés. A chaque entretien, l'autorisation d'être enregistrée a été formulée.

Les entretiens se sont déroulés soit en visio à cause de la distance géographique ou du COVID, soit en présentiel. Dans chaque collège où nous sommes allés, nous avons toujours reçu un très bon accueil et les entretiens ont toujours été riches et fructueux. Ce qu'il est ressorti des entretiens, c'est que bon nombre d'interviewés étaient heureux de pouvoir enfin parler de leur métier et de leurs conditions de travail mais aussi d'être écouté. L'entretien s'est toujours déroulé de la même façon : présentation de l'intervieweur, présentation de la recherche puis questions. Bien que nous disposions d'une grille de questions, le répondant était libre de parler comme il le souhaitait. Parmi les répondants, nous avons huit professeurs des écoles spécialisés ou en cours de spécialisation et trois professeurs de collège. Nous avons choisi un panel représentatif de la population enseignante en matière d'âge notamment car au regard des transformations qui se mettent en place dans l'enseignement spécialisé en SEGPA, il nous semblait pertinent d'interroger différentes générations.

Dans le tableau présenté ci-dessous, nous avons respecté l'anonymat des répondants en leur attribuant chacun un code. Les enseignants interrogés travaillent tous dans un collège ayant une SEGPA et les PLC interviennent avec des élèves de SEGPA.

E3, E7, E9 sont des jeunes enseignants en SEGPA qui passent l'examen du CAPPEI15. Cet examen leur permettra d'être nommé à titre définitif en tant que titulaire d'un poste de SEGPA.

E4, E6, E8, E10 sont titulaires du diplôme d'enseignant spécialisé. En fonction de leur âge, ils sont titulaires soit du CAPSAIS16(E4, E8, E6), soit du CAPA-SH 17(E10).

E5, E2 et E11 sont des professeurs de collège titulaires du CAPES18.

Sur les huit personnes interrogées parmi les professeurs des écoles, six sont de sexe féminin, deux sont de sexe masculin. Ce panel correspond à la représentativité des genres dans le premier degré19, comme nous pouvons le voir dans le tableau présenté ci-dessous.

15 CAPPEI : Certificat d'Aptitude professionnel aux pratiques de l'Education Inclusive

16 CAPSAIS : Certificat d'Aptitude aux Actions Pédagogiques Spécialisées d'Adaptation et d'Intégration Sscolaire

17 CAPA-SH : Certificat d'Aptitude Professionnel pour les Aides spécialisées et la scolarisation des élèves en situation de Handicap.

18 CAPES : Certificat d'Aptitude au professorat de l'enseignement du second degré.

19 proportion homme/femmes dans le premier degré

Tableau 3: Concours de recrutement des personnels enseignants du 1er degré en 2017

Tableau 4: Échantillonnage des personnes interrogées Légende du tableau :

PLC interrogés PE non titulaire du CAPPEI PE spécialisés

4.5.2 : Présentation de chaque enseignant.

E1 est professeur des écoles spécialisé depuis quatorze ans en SEGPA dans une zone REP+. Elle a enseigné treize ans en école primaire. Elle a exercé pendant deux ans la fonction de directrice adjointe de la SEGPA dans l'établissement dans lequel elle était PE spécialisée. Elle aime travailler avec des élèves en difficulté, croit dans les vertus de la SEGPA et ce qu'elle apporte à ces derniers.

E3 est professeur des écoles depuis quatre ans et elle passe le CAPPEI. Elle a toujours travaillé en SEGPA, deux ans en REP+ puis deux ans en milieu rural. Elle a un regard plutôt aiguisé sur les professeurs des collèges quant à la prise en charge de l'élève en difficulté.

E4 est professeur des écoles spécialisé depuis trente-deux ans. Il a enseigné d'abord auprès d'enfants délinquants (une année) puis en SEGPA. Il enseigne en milieu rural avec des taux de catégories sociaux-professionnels proche des collèges en REP+. Il ne connaît pas le primaire. Il est passionné par son travail, défend l'identité de la SEGPA et vit une profonde crise identitaire.

E6 est professeur des écoles spécialisé depuis vingt-deux ans. Elle a effectué une année dans le primaire où elle s'est sentie inutile.La SEGPA lui offre une sécurité, un bien-être. Elle est très timide et n'a aucune confiance en-elle.

E7 est une jeune enseignante depuis trois ans Elle n'a jamais enseigné dans le primaire et a choisi la spécialisation au bout d'un an de SEGPA. Motivée, elle croit au bien fait de la structure SEGPA.

E8 est professeur des écoles spécialisé depuis vingt-quatre ans. Il a travaillé pendant sept ans en EREA20 puis en SEGPA. Il revendique le fonctionnement de la SEGPA. Il considère qu'il n'y a pas qu'une seule forme d'intelligence et met en avance les transferts de compétences qu'il peut y avoir entre les ateliers de la SEGPA et ce que mettent en oeuvre les PE spé.

E9 est professeur des écoles spécialisé en SEGPA depuis quatorze ans. Elle n'a jamais enseigné en primaire. Elle a déjà passé le CAPPEI mais l'a râté, elle recommence cette année. Convaincue des bienfaits de la SEGPA, elle considère que l'enseignant spécialisé doit évoluer pour aller vers d'autres missions, notamment plus inclusives.

E10 est professeur des écoles spécialisé depuis quatorze ans dans le milieu spécialisé. Elle a d'abord enseigné auprès d'adolescents ayant un handicap moteur puis en SEGPA. Elle n'a jamais enseigné en primaire. Elle est ouverte d'esprit, se pose beaucoup de questions sur le bien-être des élèves, est convaincue du bien fondé de la structure SEGPA.

E3 est professeur de physique-chimie depuis sept ans. Elle n'a connu qu'un seul collège situé en

20 EREA : Établissement régional d'Enseignement Adapté

REP+ et travaille avec des SEGPA. Elle vit, malgré son jeune âge, une crise identitaire, prisonnière entre ce que lui demande l'institution et ce qu'elle peut réellement faire sur le terrain.

E5 est professeur de mathématiques depuis huit ans. Elle n'a connu qu'un seul collège, s'y sent bien. Elle travaille avec une sixième inclusive, sur la base du volontariat. Elle vit une crise identitaire, prisonnière entre ce que lui demande l'institution et ce qu'elle peut réellement faire sur le terrain.

E11

est professeur d'anglais depuis quatorze ans. Elle a travaillé dans un collège « protégé »

 

pendant un an et ensuite elle a été envoyée dans un collège à Bobigny situé en REP+ où elle est restée un an. Depuis elle enseigne dans un collège de REP+ et travaille avec des SEGPA. Elle vit une crise identitaire, prisonnière entre ce que lui demande l'institution et ce qu'elle peut réellement faire sur le terrain.

4.5.3 : L'entretien implique de la confiance

Selon Vermesch (1994), l'entretien d'explicitation est une technique d'aide à la verbalisation de l'action dans une démarche de recherche pour une prise de conscience des éléments implicites de l'action. La relation que nous avons élaborée entre l'interviewé et l'intervieweur est une relation de confiance. le contrat de communication implicite repose « sur la confidentialité, le non jugement, la bienveillance et le respect » (Vermesch, 2000). Ce que nous souhaitions avant tout c'est que les répondants s'expriment avec naturel et disent ce qu'il ressentaient en fonction de leur vécu. Il nous est arrivé, dans plusieurs entretiens, que des répondants nous disent : « J'ai le droit de dire ça ? » ou bien certains attendaient mon approbation à ce qu'il venait de dire : « J'imagine que c'est ça ? » Il fallait alors les rassurer en leur disant qu'ils avaient le droit de tout dire et qu'en aucun cas, nous ne porterions de jugement , « Je ne porte pas de jugement, je pose juste des questions ».

Les deux premiers entretiens que nous avons menés sur notre secteur ont été compliqués car d'une part c'était intimidant pour nous, d'autre part, nous avons senti une certaine défiance de la part des répondants. Au fur et à mesure de l'avancée dans les entretiens, nous nous sommes mis de plus en plus en retrait et sommes moins restés figés sur notre grille de questions laissant place à un espace dialogique plus serein. Généralement, les répondants avaient bien cerné le sujet et y répondaient aisément en toute sincérité. Nous avons constaté qu'il était plus simple pour nous d'interroger des personnes qui ne vivaient pas dans la même ville et dont nous ne connaissions rien. Ils étaient plus à même de nous raconter leur vécu sans nécessairement faire de parallèle avec le collège où nous enseignons. En effet, les interrogés travaillant dans la même ville que nous avaient tendance à nous impliquer : « Oui, dans ton collège, t'as eu tel élève ? », « On te l'a envoyé », « C'est pareil que chez toi ». Par ailleurs, E1 n'a pas hésité à nous dire « Ton entretien est redondant, il va falloir le

revoir ! ».

La plus grande difficulté que nous avons traversée fut la mise à distance entre notre profession et mon implication dans notre métier et notre posture de chercheur. Nous avons constaté qu'au fur et à mesure des entretiens, la posture de chercheur l'a emporté et a permis une meilleure analyse de ce que nous pouvions entendre. Cela revient à écouter et entendre. Nous avons rebondi sur les termes qu'ils employaient pour savoir ce que cela sous-tendait dans leurs esprits. Nous notons également que tous les entretiens sauf E1 se sont passés dans la bienveillance avec beaucoup de rire et de sourires. Les répondants étaient contents de pouvoir parler. E6, bien que n'étant pas à l'aise à l'oral, a joué le jeu et s'est détendue au fur et à mesure de l'entretien. On a senti de la gêne, elle était mal à l'aise. Lorsqu'elle a mentionné le fait qu'elle était tombée amoureuse : « Je n'ai pas validé, mais je suis tombée amoureuse. » [elle rit à en pleurer, très gênée par ce qu'elle vient de dire] ou E3, qui autour d'un café éclate de rire, honteuse de ne pas connaître les textes de loi alors qu'elle est en formation CAPPEI, « [rire] ça y me les faut pour le CAPPEI en plus ! »

4.6 : Le traitement des données.

4.6.1 : les questionnaires

Notre première entrée sera basée sur l'analyse des questionnaires. Ces questionnaires à visées quantitatives ont été réalisés sur Google drive. Nous avons recensé les réponses dans un tableur. A partir des tableaux et des données récoltées, nous avons pu réaliser des tableaux croisés dynamiques qui permettent de sélectionner des colonnes et d'obtenir ainsi d'affiner la recherche.

4.6.2 : Les entretiens semi-directifs

Les entretiens semi-directifs, au nombre de onze ont été retranscrits intégralement (Annexe X). Ils portent une lettre afin de respecter l'anonymat. Pour analyser chaque entretien, nous avons élaboré des catégories afin d'extraire les verbatims de chaque interviewé. La difficulté ou complexité de notre sujet est qu'il regroupe plusieurs thématiques et liens : l'identité professionnelle des PE spé et le fonctionnement de la SEGPA dans un contexte inclusif.

Tableau 5: Catégorisation

H1 : Compte tenu des principes de l'école inclusive, la SEGPA dans son fonctionnement est à considérer comme un modèle

Catégories

Sous catégories

Les forces de la SEGPA

- une pédagogie adaptée

- des effectifs réduits

- du temps / programme

- utilité de la SEGPA

Répondre aux exigences de
l'inclusion

- la co-intervention

- un travail d'équipe

- les expériences (PASS, sixième inclusive)

H2 : M

algré une formation initiale commune, les PE spécialisés se situent dans un entre-deux

La définition des élèves de
SEGPA

- par le PE

- par le PLC

La perception du PLC par le

PE

 

L'identité professionnelle

- lien entre identité biographique et identité professionnelle

- un sentiment d'appartenance à un groupe défini

Les qualités du PE spécialisé

 

H3 : L'inclusion doit être réfléchie et anticipée et pas à n'importe quel prix.

Une réflexion sur l'inclusion

 

Les injonctions ministérielles

 

Une crise identitaire

 

4.7 : Les conditions pour valider nos hypothèses.

L'analyse transversale où nous allons croiser les résultats de l'analyse longitudinale vont nous permettre d'infirmer ou de confirmer la validation de nos hypothèses.

Hypothèse 1 : Compte tenu des principes de l'école inclusive, la SEGPA dans son fonctionnement est à considérer comme un modèle pour les enseignants du collège.

Pour valider notre hypothèse n°1, cela suppose :

Ø Que les interviewés trouvent des forces dans la SEGPA.

Ø Que les interviewés estiment que la SEGPA porte en elle, dans son fonctionnement, les

Parmi les personnes interrogées, nous avons des enseignants de collège, des enseignants spécialisés et des directeurs de SEGPA. Nous nous sommes limités aux réponses des PE spécialisés

principes d'une école inclusive.

D'où notre hypothèse n°2 : Malgré une formation initiale commune, les PE spécialisés se situent dans un entre-deux.

Pour valider notre hypothèse 2, cela suppose :

Ø Qu'il existe une identité héritée

Ø Qu'il existe des qualités professionnelles communes et une même vision de l'élève

Ø Que les interviewés perçoivent de la même façon les PLC

Ø Qu'ils ont une méconnaissance du premier degré

D'où notre hypothèse n°3 : L'inclusion doit être réfléchie et anticipée et pas à n'importe quel prix.

Pour valider notre hypothèse 3, cela suppose :

Ø Que les interviewés aient une même définition de l'inclusion

Ø Qu'ils vivent une crise identitaire liée au prescrit institutionnel

Ø Qu'ils aient une ouverture d'esprit

Pour cela, nous nous appuierons sur les réponses faites lors des entretiens et des questionnaires. Dans une première partie d'analyse des données, nous nous attacherons à décortiquer les résultats des différents questionnaires, puis dans une seconde partie, nous utiliserons les réponses des interviewés que nous rassemblerons avec des intitulés d'analyse que nous avons définis à la fois pour les questionnaires et les entretiens semi-directifs.

5. Analyse des données des questionnaires

Dans un premier temps, nous étudierons et analyserons les réponses aux questionnaires détaillés précédemment.

5.1. La SEGPA, un modèle à promouvoir

et directeurs de SEGPA.

5.1.1 : L'utilité de la SEGPA

27 directeurs de SEGPA ont répondu à notre questionnaire. Les directeurs de SEGPA, qui sont à la fois chargés de coordonner les actions de l'ensemble de l'équipe pédagogique et d'assurer le suivi des élèves, pensent très majoritairement (à plus de 95%) que la SEGPA a sa raison d'être.

Sur ce graphique, nous notons l'importance des dispositifs mis en place dans de nombreuses

Figure 6: La structure SEGPA a t-elle sa raison d'être ?

Ils mettent en avant comme leviers principaux que la SEGPA permet de redonner confiance aux élèves, qu'une adaptation de la pédagogie est mise en place et que les réunions de coordinations et de synthèse facilitent le travail d'équipe. Toutefois, ils regrettent l'étiquetage et constatent que les élèves restent trop entre eux.

5.1.2 : Répondre à l'inclusion

5.1. 2.1 : les leviers

D'après la définition de Thomazet, « L'inclusion, à la différence de l'intégration, suppose non seulement l'intégration physique mais aussi pédagogique afin de permettre à tous les élèves d'apprendre dans une classe correspondant à leur âge ceci quel que soit leur niveau scolaire. » (Thomazet, 2006, p.20), la SEGPA répond à cette définition. Les dispositifs mis en place, l'ouverture d'esprit des PE spécialisés répondent aux exigences de l'inclusion.

SEGPA de la Normandie et nous observons que, quelles que soient les disparités entre les SEGPA, cette dernière tend vers un fonctionnement toujours plus inclusif tout en préservant le bien-être de l'élève qui est la préoccupation majeure des équipes SEGPA. Pour répondre aux principes de l'école inclusive, les SEGPA s'ouvrent au collège et inversement avec la mise en place de dispositifs :

Figure 7: Les dispositifs mis en place dans les collèges répondants à l'inclusion

Comme nous pouvons le constater, des dispositifs innovants permettent des liens entre les élèves de SEGPA et les élèves de l'ordinaire. Les élèves de SEGPA fréquentant leurs pairs sont à moyenne échéance de moins en moins stigmatisés. De plus, avec la réformes des cycles, les élèves pré-orientés SEGPA ne redoublent plus, en conséquence, ils sont tous dans la même tranche d'âge. De part leurs spécificités pédagogiques et leurs manières d'appréhender l'élève en difficultés, les PE spécialisés répondent aux exigences de l'inclusion en apportant leur savoir faire. Les directeurs de SEGPA sont enclins à partager cette noble idée d'inclusion, toutefois ils restent prudents. Ils expliquent qu'il « faut tendre à être le plus possible inclusif, mais pas au détriment du bien être des élèves et aussi, il faut s'appuyer sur le savoir faire des enseignants du 1er dégré, et garder la formation pré-professionnelle. Mise en oeuvre des classes de 6è inclusives dans lesquelles les PE interviennent en co-enseignements avec les PLC quelques heures par semaine et à d'autres moment prennent en charge les élèves de 6è pré-orientés uniquement ».

De plus, pour inclure un élève, cela doit être réfléchi et préparé en amont : « inclure un élève, ce n'est pas seulement le placer dans une autre classe à certaines heures, il faut un véritable accompagnement, un travail en collaboration étroite entre l'enseignant de la classe de référence et celui de la classe d'accueil ; parce que les élèves de SEGPA sont trop nombreux ; parce qu'il me semble beaucoup plus intéressant de favoriser la coopération entre les classes d'un même niveau, la construction de projets communs et le co-enseignement ». La SEGPA fonctionne en groupe classe, ce qui est une des bases de la réussite de nos élèves. Nous l'avons vu , les élèves de SEGPA sont à « réparer », c'est pourquoi tout doit être réfléchi : Le groupe classe en SEGPA est la base de

l'enseignement adapté surtout en 6ème où les élèves sont souvent en souffrance dans le système scolaire et ont besoin ensemble de se reconstruire et de prendre conscience de leur capacité à réussir. L'inclusion, pour être bénéfique, doit répondre à une projet comme le DNB-pro, la confrontation au milieu ordinaire, l'approfondissement de connaissances ou compétences dans une discipline...

5.1 .2.2 : Les freins

Dans le cadre des sixièmes pré-orientés SEGPA qui ont fait l'expérience d'une sixième inclusive, les directeurs de SEGPA constatent de nombreux freins, à la fois chez les PLC et les PE spécialisés :

Ø Une image dévalorisée des élèves, un manque de moyens humains et financiers

Ø La peur de disparaître chez les PE spé.

Ø Trop d'heures d'enseignement par jour pour les élèves (fatigabilité, concentration limitée)

Ø Des classes ordinaires surchargées

Ø La difficulté pour se repérer dans les emplois du temps

Ø Le manque d'investissement des PLC

Ø Les PLC préfèrent travailler avec l'élite

Ø Le manque de formation des enseignants

Ø L'impossibilité de mettre en place une sixième inclusive si trop de pré-orientés

Ø Le manque de soutien réel des institutions et des textes encadrants

Ø Le manque d'investissement des équipes

Ø Le manque de travail collectif

Ces freins nous les retrouvons dans les analyses de Saillot et Laville (2019) sur un collège ayant mené des expériences de sixième inclusive. Dans le tableau ci-dessous, nous avons répertorié les réponses des enseignants sur le souhait ou non de voir les élèves de SEGPA totalement inclus dans le collège.

31 personnes ont répondu au questionnaire

Tableau 6: Présentation du panel interrogé

Vous êtes

Nombre

PLC

19

PLP

6

PE spé

6

 

A la question : Souhaiteriez-vous que les élèves de SEGPA soient totalement inclus dans les classes ordinaires et pratiquez-vous de la co-intervention ?, nous notons les réponses suivantes :

Tableau 7: Pratique de la co-intervention dans les collèges

Vous êtes

Nombre

Inclusion totale des élèves de SEGPA

Co-

intervention

 
 

OUI

NON

OUI

NON

PLC

19

 

18

9

9

PLP

6

 

6

1

5

PE spé

6

 

6

3

2

 

Aucun des enseignants interrogé ne souhaite l'inclusion totale des élèves de SEGPA. Or, si l'ensemble de la communauté éducative n'est pas prête à ce changement, si les institutions ne donnent pas les moyens humains et financiers pour mener à bien ce projet, l'inclusion totale ne peut aboutir et nous pourrions nous interroger sur le bien fondé de cette inclusion totale souhaitée par nos politiques et de nombreux chercheurs (Puig par exemple).

Au regard de ce qui vient d'être analysé, nous pouvons affirmer que notre hypothèse n°3 est validée. Les directeurs adjoints de la SEGPA sont enclins à faire évoluer la SEGPA vers des dispositifs toujours plus inclusifs mais à certaines conditions:

Ø Préserver le bien être de l'élève

Ø L'inclusion doit être réfléchie, préparée et anticipée et au cas par cas.

La SEGPA a une organisation bien à elle et un fonctionnement qui a fait ses preuves. La SEGPA, de par son fonctionnement, offre des conditions de travail propices au développement de

5.1.3 : Une pédagogie à part

l'enfant. Un directeur explique que « les élèves ont besoin d'être rassurés, de reprendre confiance en eux et donc de travailler en petits effectifs », « ils ont besoin d'un enseignement adapté dont ils ne peuvent pas bénéficier la plupart du temps dans une classe générale », l'enseignement apporté aux élèves relève d'une « plus grande souplesse ». Il est nécessaire de « favoriser la coopération entre les classes d'un même niveau, la construction de projets communs et le co-enseignement ».

La SEGPA semble s'apparenter à une famille, « la SEGPA peut apparaître parfois comme "un cocon un peu trop protecteur" mais, après tout, à quoi bon vouloir supprimer une structure adaptée et, en effet, sécurisante pour ces élèves en difficultés ? » . « Les élèves ont besoin de stabilité et repères » grâce notamment au PE spécialisé qui généralement les suit pendant quatre années et s'investit dans une relation de confiance. Dans l'hypothèse d'une inclusion totale des élèves de SEGPA, ces derniers perdraient ce qui fait la force de la SEGPA car « le groupe classe en SEGPA est la base de l'enseignement adapté surtout en 6ème où les élèves, souvent en souffrance dans le système scolaire, ont besoin ensemble de se reconstruire et de prendre conscience de leur capacité à réussir ». Les élèves de SEGPA bénéficient de conditions de travail qui leur sont bénéfiques dans leur construction identitaire : Ils bénéficient « d'effectifs moindres, d'une prise en compte individuelle, du temps pour chaque élève, la construction d'un véritable projet d'orientation professionnelle, un travail important sur l'estime de soi, de la bienveillance, une écoute attentive et une compréhension de chaque besoin ». Ce fonctionnement intrinsèque à la SEGPA semble porter ses fruits dans la construction de l'identité de l'élève mais aussi chez le PE spécialisé qui ne semble pas vivre une véritable crise identitaire. Or, nous nous rendons compte que les PLC ne vivent pas si bien toutes les transformations sociétales et les répercussions qu'elles peuvent avoir dans leur classe. Le PLC, expert de sa discipline, ayant une formation initiale calée sur le profil « magister » semble aujourd'hui en proie aux difficultés et aux doutes. Son travail s'intensifie, se diversifie et se complexifie. (Maroy, 2006, p.126). Il découvre un nouveau « public scolaire » et les « difficultés de réaliser les missions de l'école dans une société en mutation » expliquent en partie son mal-être.

A la différence des PE spécialisés qui ont de petits effectifs et qui sont habitués à gérer l'hétérogénéité , « la gestion de classe devient de plus en plus difficile et elle implique des compétences très diverses » (Maroy, 2006, p.123). Le travail des PLC « devient tout autant émotionnel qu'intellectuel car il faut mobiliser, outre les savoirs académiques, des connaissances, des savoir-faire divers pour assumer les interactions qui rendent possible l'apprentissage » (Rayou et Van Zanten, 2004, p.31). Hargreaves, en 1994, décrit l'intensification du travail des enseignants par les corollaires suivants :

Ø Manque de temps pour le développement des compétences

Ø Surcharge chronique

Ø Remplacement du temps devant élèves par des tâches administratives

Ø Diversification de leurs expertises

L'enseignant du secondaire est , semble t-il, obligé de développer des compétences auxquelles il n'est pas préparé. Or, l'enseignant de SEGPA, lui, développe ces compétences en permanence car le fonctionnement de la SEGPA le lui permet : des effectifs allégés, du temps accordé aux élèves, une pression moindre des programmes, des réunions d'équipe, un directeur adjoint de la SEGPA qui permet aux PE spécialisés de mieux appréhender les difficultés du quotidien, une pédagogie individualisée et personnalisée. Désormais le PLC qui travaille notamment en banlieue avec des conditions de travail de plus en plus difficiles doit, quant à lui , s'adapter dans « le domaine du maintien de l'ordre par des stratégies plutôt masculines de domination directe ou par des stratégies de contrôle des classes par des techniques plus douces ». Les PLC doivent « faire le deuil des modèles et projets pédagogiques forgés en formation initiale » (Maroy, 2006, p.126).

Au regard de ce qui vient d'être analysé, nous pouvons affirmer que notre hypothèse 1 est validée, à savoir que la SEGPA porte en elle un fonctionnement à promouvoir et qui peut servir de modèle afin de palier à la fois à l'hétérogénéité et aux difficultés grandissantes au sein des classes. Les PE spécialisés et le fonctionnement de la SEGPA portent en eux les clés de la réussite dans une société en profonde mutation.

5.2 : Une identité professionnelle ancrée dans une histoire

5.2.1 : Des qualités communes

Nous utiliserons pour analyser le rôle des PE spécialisés en SEGPA, les réponses aux questionnaires des directeurs et des enseignants (PLC et PE).

Les PE spécialisés en SEGPA ont des qualités professionnelles communes et, comme avec leurs élèves, ils savent s'adapter aux nouvelles exigences ou transformations. Ils « co-interviennent » et « adaptent les documents si nécessaire », ils ont « des connaissances sur la façon d'aborder et de remédier aux difficultés rencontrées par les élèves de SEGPA » mais aussi les autres élèves en cas de co-intervention. Ils « sont garants du projet individuel de l'élève ». Ils travaillent dans « la bienveillance ».

A l'aide d'un tableau, nous avons recensé les réponses des enseignants : Tableau 8: Le savoir-faire et savoir être du PE spé

PLC

 

A reçu une formation, des compétences que nous n'avons pas.

 
 

Apport de pratiques et de connaissances

 
 

Approches différentes

 
 

Compréhension plus large de l'enfance et de l'adolescence

 
 

Ressource essentielle pour le collège

 
 

Porte un autre regard sur l'élève

 
 

Nous apporte des clés.

 
 

Meilleure prise en charge de la difficulté scolaire

PE spécialisés

 

Préparé à la gestion d'élèves en difficultés

 
 

Porte un regard bienveillant

 
 

Un certain savoir-faire.

 

5.2.2 : Une crise identitaire chez les PE spécialisés en SEGPA ?

Pour répondre à cette question, nous avons utilisé en partie le questionnaire sur l'identité professionnelle et nous avons, à l'aide d'un tableau, regroupé les réponses afin de répondre aux questions. (Annexe X)

Dans le tableau ci-dessous, nous avons récapitulé les participants et le corps auquel ils appartiennent :

Tableau 9: Les catégories des participants

Catégorie

Hommes

Femmes

professeur du second

degré

30

50

Professeur spécialisé du premier degré

6

12

 

Afin de mieux cerner le sujet et d'en délimiter les contours, nous avons fait le choix de n'utiliser que les réponses des PE spécialisés. Nous constatons que la crise identitaire nait de deux causes :

La première est institutionnelle.

Les PE spécialisés expriment une « volonté à peine déguisée de détruire l'école publique en la rendant toujours moins efficace [...] de manière à favoriser la migration des élèves et des personnels vers le privé ». Ils reprochent la « non reconnaissance » par la hiérarchie qui explique selon eux le manque de vocation dans l'enseignement mais aussi la multiplication des phénomènes

de résistance (Maroy, 2006, p.132). Les mots « mépris, ne pas se sentir reconnu » sont récurrents dans les réponses apportées. Par ailleurs, les enseignants font remarquer qu'il existe un « fort décalage entre les attentes institutionnelles, la réalité de terrain et les besoins de notre société ». Dans les réponses ouvertes les PE spé. critiquent les lois sur l'inclusion et les conséquences sur leur identité professionnelle mais aussi sur le bien-être des élèves. Un des répondants écrit que « les lois sur l'inclusion ne sont qu'un outil déguisé pour faire des économies sur le dos des plus faibles. Cette loi (Il parle de la loi de 2005), sous couvert d'une éthique qui se veut humaniste et incontestable, permet de supprimer des places en établissements spécialisés (IME, IMPRO, ITEP...) et d'envoyer tout ce petit monde vers les établissements dits "ordinaires". La situation est d'autant plus perverse qu'aucun personnel de l'éducation nationale ne peut refuser un jeune en situation de handicap. Qui peut dire : je ne veux pas de "machin" par qu'il en fauteuil ou parce qu'il est autiste ? Personne ! On passerait pour des monstres. La conséquence sur mon identité professionnelle, c'est que maintenant, je me sens dépassé, submergé par des situations de plus en plus nombreuses, sources de souffrance des élèves. Je n'ai pas les moyens de leur permettre à tous d'évoluer sereinement à mes côtés. Je dois faire des choix, des sacrifices. Ca me désole, j'en ai honte. Je ne suis pas en mesure de répondre à la mission qui est la mienne. Le plus grave dans cette affaire, c'est qu'on bousille des jeunes sur le long terme ! C'est juste scandaleux d'agir de la sorte, de se cacher derrière l'humanisme des gens pour faire des économies », d'autres se questionnent sur l'avenir de la SEGPA....

La seconde est sociétale : « On nous fait passer pour des privilégiés accrochés à leurs privilèges vacanciers, on dénigre nos missions et leur importance et dans l'ignorance générale véhiculée par l'air ambiant des réseaux sociaux de l'idiocratie, on assiste à au détachement du soutien des familles à notre égard. » Les PE spécialisés sont habitués à gérer l'hétérogénéité et sont habitués à prendre « l'élève tel qu'il est » (Rayou et Van Zanten, 2004). La difficulté dont ils font part n'est pas tant dans la gestion de classe ou les conditions de travail mais plutôt dans la non reconnaissance affichée de l'institution et la non prise en compte du bien-être de l'élève. A l'instar des enseignants du secondaire qui, comme le soulignent Rayou et van Zanten en 2004 évoluent dans « la prise en compte de l'élève, demandant plus de concertation sur la discipline, sont moins honteux et plus enclins à avouer leurs échecs ou leurs faiblesses en classe », alors que paradoxalement, ils ont le sentiment de « perte de statut », et de « dévalorisation de leur profession » (Tardif, 1998), les PE spécialisés en SEGPA ressentent à travers cette non reconnaissance, cette dévalorisation de leur métier, cette crise intérieure, identitaire qui provoquent chez eux un certain mal être. Dans nombre d'enquêtes d'opinion, le corps enseignant,dans son ensemble, semble ressentir cette crise (Maroy, 2006, p.134). La crise identitaire ressentie par de nombreux PE spécialisés est à mettre en relation également avec le statut même du PE spécialisé, à

savoir le corps auquel il appartient. Mais nous notons que cette crise identitaire n'est pas liée au changement que provoque les lois sur l'inclusion.

5.2.3 : Un empan liminal.

Comme nous l'avons vu précédemment, le PE spé. a reçu une formation initiale correspondant au corps du premier degré. Il appartient donc au premier degré mais il est amené à enseigner dans le second degré avec un fonctionnement très éloigné du premier degré (emploi du temps, personnel administratif et de direction, public adolescent...). Dans ces conditions, nous sommes amenés à nous interroger sur son identité professionnelle. Comment se situe le PE spé ? A quel corps appartient-il ? Se sent-il encore dans le premier degré ou plutôt plus proche du second degré ?

Van Gennep développe le rite de marge qui constitue un rite liminaire, un « entre-deux », dans lequel l'individu se trouve dépossédé de son statut antérieur, sans en avoir acquis encore un nouveau. C'est donc la période de tous les dangers : il flotte entre deux mondes.

Dix enseignants sur dix-huit interrogés dans le questionnaire sur l'IP21, répondent qu'ils se sentent à la marge. Ce sont des « enseignants hybrides » qui bénéficient de la « richesse et de la polyvalence » du premier degré, « spécialistes dans plusieurs types d'approches pédagogiques » avec une « capacité d'adaptation dans un milieu encore trop magistral » mais dont le statut est « batard », souvent trop « lourd à porter ». De plus, et nous le verrons dans l'analyse des entretiens, une grande majorité des PE spé. n'a jamais enseigné en primaire. Une fois la formation initiale terminée, ils ont été « balancés » (E3) dans le spécialisé. Ils s'y sont adaptés et généralement y sont restés. Les PE spé. sont conscients de leurs forces émanant de leur formation initiale comme le montre Zimmermann dans sa thèse sur l'identité professionnelle des professeurs des écoles, toutefois, un certain nombre ne se retrouvent pas dans le second degré. Ils sont dans un « entre-deux » et flottent entre deux mondes.

Compte tenu des réponses ouvertes des répondants, nous serions tentés d'infirmer notre hypothèse 2, à savoir que le PE spé en SEGPA est dans un entre-deux. Ces premières données exploitées à partir des questionnaires vous nous permettre de mieux définir notre sujet et répondre à notre problématique en analysant désormais les entretiens que nous avons fait passer.

21 IP : identité professionnelle

6. Analyse longitudinale des entretiens 6.1. Présentation

La méthodologie d' analyse des onze verbatims comporte plusieurs étapes :

Ø Lire les verbatims (annexe XI)

Ø Faire le portrait de chaque enseignants (neuf PE spé. et trois PLC)

Ø Recenser leurs représentations de la SEGPA

Ø Relever leurs propos sur leur identité professionnelle et ses éventuels changements

Ø Elaborer un tableau synthétisant les données de chaque enseignant autour des questions

suivantes :

· la SEGPA est-elle un modèle de fonctionnement à promouvoir ?

· Quelles sont les forces de la SEGPA ?

· Quelles sont les qualités des PE spé ?

· Comment perçoivent-ils les élèves ?

· Vivent-ils une crise identitaire et si oui, comment se traduit-elle ?

· Sont-ils dans un entre-deux ?

· Comment perçoivent-ils le professeur de collège ?

· Existe t-il un lien entre leur construction biographique et leur construction

professionnelle ?

· Comment vivent-ils les injonctions ministérielles ?

· Que mettent-ils en place pour répondre à l'inclusion ?

· Quels sont selon eux les leviers et les freins à une école inclusive dans le cadre de la

SEGPA ?

A l'aide des verbatims, nous avons trié les réponses des interviewés en fonction des thèmes. Nous avons dans un premier temps réalisé des tableaux en reprenant de nombreux verbatims correspondants aux thématiques puis nous les avons regroupés dans des tableaux plus synthétisés. (Annexe XII)

A titre d'exemple, nous vous proposons le tableau de E3 :

Tableau 10: Analyse longitudinale E3

Les forces de la SEGPA

Les qualités des PE spé

La perception des élèves de SEGPA

Une crise identitaire

- avoir des classes à petits effectifs

- les élèves ont le temps de pouvoir échanger entre eux

- travailler le projet
professionnel

- redonner confiance aux
élèves

- adapter les contenus

- importance d'avoir un
groupe classe

- marcher en atelier - marcher en projet

- un enseignement qu'est
hyper adapté à leurs besoins. - un travail d'équipe

- transfert de compétences avec les ateliers -individualisation -personnalisation

- motivant

- patience

- bienveillance

- prise en compte de
l'individualité de chaque élève

- donner envie à un élève de rentrer dans sa classe

- d'être heureux

- troubles du comportement,

grosses grosses difficultés
scolaires

- qui ont besoin de
l'enseignant

- balancé dans le second

degré

- obligée de m'adapter

- je ne me sens pas légitime pour être personne ressource - peur de ne plus faire le

même métier en cas
d'inclusion

- AESH de luxe

- peur de perdre sa liberté pédagogique

Un entre-deux

La perception des PLC

Un lien entre deux identités

(biographique et
professionnelle)

Les injonctions

ministérielles

- jamais connu le premier degré.

- je suis polyvalente

- je suis à la marge parce que je ne travaille pas dans le premier degré.

- expert de leur discipline

- refus de se remettre en

question

- les PLC ne sont pas prêts

- mauvaise perception des

élèves en difficultés

- pas d'individualisation

- j'étais un cancre

- j'aimais l'école

- les cours étaient balancés

- pas de manipulation

- cracher leur savoir

- les PLC ne savent pas

s'adapter au public

- pas d'accord avec

forcément ce que les
supérieurs nous demandent. - les lois sont balancées - pas de retour

- les lois sont connues un peu

La SEGPA une réponse à l'inclusion

L'image de la SEGPA

Le tout inclusif

Leviers/freins à l'inclusion

- le système de barrette - présenter la SEGPA pour éviter la stigmatisation - on propose des PASS

- plusieurs types d'inclusionsd'apprendre, possibles

- dépend du nombre d'élèves - la co-intervention : les deux

enseignants qui co-
construisent quelque chose ensemble.

- la SEGPA c'est quand

même un petit cocon

- Leur redonner envie

de travailler

- réparer un peu des élèves qui ont été blessés dans leur vie

- les élèves ne peuvent pas être tous inclus

- c'est quoi l'école ordinaire ?

- l'étiquette SEGPA - inclusion inversée

6.2. Analyse longitudinale des données par enseignant

Nous avons choisi, à partir de l'analyse longitudinale de chaque enseignant de réaliser une carte mentale pour chacun d'eux afin de repérer les grands thèmes :

Ø Le PE spécialisé

Ø

Figure 8: Carte mentale de E1

La construction identitaire

Ø Les forces de la SEGPA

Ø La SEGPA, une réponse à l'inclusion

Nous commencerons par les cartes mentales des PE spécialisés : E1, E3, E4, E6, E7, E8, E9 et E10 puis les cartes mentales des PLC : E2, E5, E11.

6.2.1 : Les FE spécialisés

E1 est une professeur expérimentée qui a connu à la fois le premier degré et le second degré. Elle considère appartenir au premier degré et s'est retrouvée en SEGPA suite à une recommandation de son inspecteur qui lui a dit « Est- ce que vous avez pensé à la suite ? ». Son objectif était de « ne pas s'enterrer dans un poste » et ne plus passer son temps « à réconforter des vieilles instits en fin de carrière aigries qui font mal leur boulot alors qu'elles ont été excellentes ». Elle a vécu l'expérience de la 6ème inclusive dans son collège et en tire une conclusion globalement positive pour les élèves au niveau de la stigmatisation, « l' inclusion a favorisé les gamins qui ont fait une sixième inclusive, ils connaissent tous les sixièmes donc ils connaissent toute leur cohorte en fait ». En revanche, elle est convaincue du bien fondé de la SEGPA « qui est une chance que tous les élèves devraient avoir ». Elle met en avant la polyvalence, les petits effectifs, la prise en compte de la difficulté scolaire. Elle se sent utile.

E3 est une jeune collègue qui n'a jamais exercé en primaire, elle considère « avoir les compétences de quelqu'un du premier degré » et être « polyvalente ». Elle met en place des « projets » et « n'est pas du tout une PLC ». Elle se sent « à la marge ». E3 perçoit les PLC comme des experts de leur discipline qui « crachent leurs savoirs » et « balancent les cours sans se préoccuper des élèves ». Elle ressent une aversion contre les PLC, liée à son expérience personnelle. Les qualités du PE spé sont sociales et humaines avant tout avec « la bienveillance ». Travailler en SEGPA est « motivant », elle veut faire « progresser » les élèves et se « démener pour eux ». Elle se sent utile. Elle ne « pense pas que tous les élèves puissent être inclus » car la SEGPA est un « cocon » et que le bien-être de l'élève est prioritaire. Elle « répare des élèves qui ont été blessés ».

Figure 9: Carte mentale E3

E4 est un professeur expérimenté, fatigué et usé par les injonctions mais toujours aussi motivé par son travail auprès des élèves. C'est sa « motivation ». Sa SEGPA est « ouverte » avec des mises en barrettes et une sixième inclusive sauf en maths et en français où « les élèves sont sortis ». Il se définit comme un « vieux machin », (le mot vieux est un terme récurent dans ses propos) qui se « bat contre lui-même », qui a « peur de perdre l'identité de la SEGPA », qu'on lui « vole » son savoir-faire pour le donner aux PLC. E4 est en « souffrance ». Il se demande avec l'inclusion ce

qu'il va devenir, « j'ai vraiment très peur, qu'est-ce qu'on va devenir, qu'est ce que vont devenir nos élèves ? ». Il « se remet en question » en permanence, ce qui crée chez lui « un mal-être » profond. Son travail est centré sur l'élève dans sa globalité : « l'élève arrive avec sa valise de problèmes, il est encombré, il faut faire le tri avant de pouvoir entrer dans les apprentissages ». L'élève « doit avoir confiance ».

Ses réactions envers les PLC sont très claires : « ce sont de très bons élèves, excellents dans leur domaine mais qui ne savent pas faire passer leur savoir car ils le maîtrisent trop ». En SEGPA l'enseignant a « un autre regard » sur l'élève, il dispose d'une « liberté de fonctionnement » et ne subit pas la « pression des programmes » d'où une certaine liberté : « faire du français ou parler de la pluie, du beau temps, il peut le faire. Ou si il veut les emmener dehors, il peut le faire ». L'inclusion lui fait peur, il trouve que l'expérience de la sixième inclusive « est une perte de temps » puisqu'ils reviennent ensuite en 5ème SEGPA. Il se demande si derrière cette « belle idée » contre laquelle « personne ne peut être en désaccord » ne se cachent pas « des histoires d'argent et d'économie ». Pour ne pas perdre son identité, « il tire les ficelles » pour ne perdre la main, « je me bats contre moi-même pour essayer encore trouver de me convaincre, de dire Allez, si je m'investis, j'aurai encore le pouvoir ».

Figure 10: Carte mentale E4

E6 est une professeur expérimentée, timide, qui à la base ne voulait pas répondre à mes questions. Son directeur l'a motivée et l'entretien s'est très bien passé. Elle n'a fait qu'une seule année en primaire et n'a jamais quitté la SEGPA car elle « s'y sent utile ». Ses élèves sont « ses doudous » et

sa famille c'est « l' équipe SEGPA ». La SEGPA est dans le bâtiment principal mais ils ont une salle des professeurs SEGPA. Elle n'arrive pas à s'affirmer et prendre confiance en elle, elle est « encore mal à l'aise par rapport aux élèves » et « se sent parfois démunie ». Ce qu'elle veut par-dessus tout c'est que ses élèves « soient heureux dans sa classe » et qu'elle-même y soit heureuse. Elle se définit comme « un coeur de cible ». L'élève de SEGPA est « atypique », « attachant, à qui il faut donner une chance pour le faire progresser ». Elle rajoute « qu'il faut changer le regard qu'ils portent sur eux ». C'est pourquoi, le PE spé se définit comme « à l'écoute, je sens les choses, j'ai une intuition, une empathie, j' aime les élèves » et pour ce faire « je suis souple et patient ». Son identité semble héritée. Elle a toujours été une bonne élève avec un « parcours très lisse » pour « faire plaisir à maman ». La SEGPA selon elle « permet aux élèves en difficultés de mettre en valeur des compétences qu'ils ont déjà en eux, de leur redonner confiance, ce qui, dans la vie, est complètement indispensable sinon tu ne peux pas être heureux ». Sa perception du PLC est qu'il est "expert dans sa discipline" , c'est " sa matière qui prime", et que "leur degré d'exigence finalement est une forme de maltraitance". L'inclusion, elle n'est pas contre, mais elle doit "être réfléchie et anticipée".

Figure 11: Carte mentale E6

E7 est une jeune professeur qui passe le CAPPEI et qui se qualifie de « bébé de l'éducation nationale ». Elle n'a jamais enseigné dans le primaire et a un sentiment d'appartenance à la SEGPA. Elle « ne connaît pas les enseignants du premier degré ».

Elle était terrifiée lorsqu'elle a su qu'elle allait enseigner à des adolescents, « mais qu'est-ce-que c'est un adolescent ? Comment je travaille avec eux ? J'adapte comment ? ». « L'envie de sourire et de pleurer » dit-elle.

Lorsqu'elle parle de son identité, elle utilise le mot « challenge » et lorsqu'elle parle de ses élèves, elle utilise le mot « défi ». Elle est ouverte d'esprit et se questionne sur la pédagogie à mettre en place pour « motiver ses élèves ». Elle pense que « si je n'avais pas eu le parcours que j'ai eu , je ne pourrais pas travailler avec des enfants qui sont en difficultés scolaires ». Le PE spé est « bienveillant » et elle rajoute que « la bienveillance, elle devrait être partout ». Elle est « dans la compréhension », Elle a de « la patience », et une « capacité à s'adapter en proposant différents supports ». Il est nécessaire d'avoir beaucoup de « motivation ». Oui à la co-intervention qu'elle trouve « hyper enrichissante » qui est basée sur des projets. Elle aime travailler avec les PLC car ils sont « experts dans leur discipline » et de son côté, elle leur apporte « la méthodologie et la pédagogie ». Elle apprécie avant tout « le partage » plutôt que « la discipline ».

Figure 12: Carte mentale E7

E8 est un enseignant expérimenté qui n'a connu que l'enseignement spécialisé « avec un public spécifique depuis vingt-deux ans ».

L'inclusion c'est « que l'on vive tous ensemble » et surtout « que l'on tienne compte des spécificités de chacun pour pouvoir y répondre au mieux et pouvoir donner une chance à tous ». « C'est une belle idée, mais derrière cette belle idée, y a des remaniements et des suppressions de postes et des élèves se retrouvent placés avec d'autres sans bénéficier d'adaptations ». L'inclusion passe selon lui par « la différenciation des parcours » et non « l'uniformisation ». La SEGPA est une force dans les « liens » qu'elle met en oeuvre et il souhaiterait qu'elle « soit plus ouverte aux autres élèves ». Travailler en SEGPA est pour lui une « fierté ».

Son identité s'est construite sur le modèle du second degré, néanmoins il se sent très différent de ses collègues PLC qu'il appelle « les profs de l'autre côté ». Il n'envisage pas de « retourner en primaire car le public et les méthodes de travail sont différents ». Si la SEGPA venait à évoluer dans un tout inclusif, il « changerait de métier et deviendrait cuistot ! ». Toutefois, ce serait pour lui « une trahison ». Cette inclusion deviendrait pour lui synonyme « d'inégalitaire ».

Il établit un lien fort entre sa construction biographique et professionnelle. L'expérience qu'il a vécu en 6ème l'a marqué profondément. Il a « fait partie d'une classe expérimentale avec une inclusion inversée mêlant des élèves de CPPN22 et des élèves ordinaires ». Cette expérience a été « une expérience marquante » car, issu d'un milieu social classique (parents enseignants), il a découvert d'autres types d'élèves qui « savaient faire plein de choses avec leurs mains » et il a pris conscience qu'il n'y avait pas « qu'une seule forme d'intelligence ».

Les qualités du PE spécialisé sont l'amour des enfants et le fait de savoir qu'il y a plusieurs formes d'intelligence. Son discours est paradoxal sur la crise identitaire car, d'un côté, il est toujours aussi motivé par le travail qu'il met en oeuvre avec ses élèves et souhaite qu'ils « réussissent et progressent » et de l'autre, il a le sentiment d'un « mépris et d'une non reconnaissance de l'institution ».

22CPPN : Classe Pré Professionnelle de Niveau

Figure 13: Carte mentale E8

E9 est enseignante depuis quatorze ans. Elle est très impliquée dans le processus inclusif et met en place de la co-intervention avec les collègues PLC. Elle se qualifie de « caméléon professionnel », elle change de posture régulièrement pour contribuer à faire évoluer les comportements et attitudes de ses collègues.

L'inclusion, selon elle, doit être « ponctuelle ». « Ce n'est pas tout beau , tout propre, cela demande beaucoup d'investissements, de temps et on n'a pas de retour sur les expériences. Tout dépend du besoin des élèves ». Le collègue PLC « apporte le savoir » et elle apporte « la pédagogie, le savoir-faire ». Certains PLC freinent des quatre fers pour la co-intervnetion car ils ont peur du « jugement ». Le PLC est « là pour faire cours, pour suivre le programme et malheureusement , il n'a pas le temps de s'occuper des élèves à BEP. Individualiser, il ne sait pas faire ». En SEGPA, « on n'a pas cette pression des programmes ». La perception de l'élève et le travail sont différents : « on est en petits effectifs, on a le temps de s'adresser à chacun des élèves durant la journée, on a le temps de réparer ce qui a été blessé ». La SEGPA c'est un « cocon ».

Elle ne subit pas de crise identitaire car elle se « qualifie de personne ressource » et apprécie « ses nouvelles missions ». Néanmoins, elle s'interroge sur « le devenir de la SEGPA ». « On a tendance à se dire (si on continue les pré orientés 6ème) si on fait la même chose en cinquième, en quatrième, en même temps, est-ce que la SEGPA va disparaître ? ». Selon elle, les PE spé vivent une « vraie crise identitaire » due aux changements qui incombent aux nouveaux professeurs à travers leurs nouvelles missions. Son sentiment d'appartenance tend vers le premier degré car « elle

n'a pas le même travail que les professeurs du collège, pas la même formation et des visions totalement différentes ». Néanmoins, elle rajoute que, face au premier degré, elle « se sent à la marge ». Les qualités du PE spé sont dans l'observation, l'écoute et la bienveillance car l'élève de SEGPA est un élève « abîmé par pleins d'échecs et qu'il a une mauvaise estime de soi ».

Figure 14: Carte mentale E9

E10 est enseignante depuis quatorze ans. Elle n'a jamais travaillé dans le primaire. Dans son collège a été menée l'expérience de la classe miroir. En début d'année, des évaluations sont réalisées sur deux classes, SEGPA et ordinaire. En fonction des résultats, les enseignants répartissent les élèves en fonction des besoins. c'est une inclusion inversée. Elle propose des idées intéressantes comme élaborer des progressions communes afin d'aider au mieux les élèves. Les leviers ont été nombreux : « Une bonne communication entre les enseignants. Des échanges fructueux, des petits projets qui ont été mis en place ». Néanmoins, elle pense que l'inclusion à tout prix ce n'est « ni judicieux, ni possible » car l'élève, quand il arrive en SEGPA, pour « la première fois, il est ravi de venir à l'école, il progresse, il ne vient pas avec la boule au ventre », et ce dont elle a peur c'est qu'en cas d'inclusion totale, les élèves repartent dans leurs difficultés et leurs appréhensions de l'école, selon elle, c'est « les envoyer au casse pipe ». Elle qualifie la SEGPA de « cocon » que les élèves de SEGPA ont « du mal à quitter ». Le PE spé. développe des qualités d'écoute, d'adaptation, une certaine façon d'être. Entre sa formation initiale et aujourd'hui, elle considère qu'il n'y pas eu de

Elle est ouverte d'esprit et trouve que l'inclusion dans « la théorie » est une « super idée ». Mais elle a peur que ce soit dans « un objectif de réduction des moyens avec la fermeture des

« transformation mais une création ». Elle n'a pas de sentiment d'appartenance au premier degré même si elle en a les compétences et la polyvalence. Elle ne se sent pas appartenir non plus au second degré. La SEGPA lui permet une « liberté pédagogique, la non pression des programmes ». Elle aime la relation avec ses élèves, c'est une source de « motivation ». Par ailleurs, elle aime « le travail d'équipe et se sent bien dans l'équipe SEGPA ».

Figure 15: Carte mentale E10

6.2.2 : Les PLC

E2

est enseignante depuis 8 ans. Elle est dans le même collège depuis sa titularisation.

 
 

Elle enseigne la physique-chimie et a toutes les classes du collège une heure par semaine dont les SEGPA. Elle en très contente car « tous les élèves doivent pouvoir accès aux sciences ». Ce qui apparaît majoritairement dans son profil est que, malgré son jeune âge dans la profession, elle est en « souffrance ». « C'est de plus en plus difficile, tout le monde a plein de choses à faire ». Elle est arrivée avec beaucoup de connaissances qui ne lui servent pas. Elle a du axer ses contenus sur l'aspect « pédagogique ».

établissements spécialisés pour pouvoir mettre tous les élèves dans l'ordinaire ». Elle pense qu'il faut garder la structure SEGPA car sinon, les élèves « couleront ». C'est « une chance de réussite pour des élèves qui n'auraient pas pu suivre en ordinaire ». Les élèves de SEGPA sont des élèves qui « ne seront peut-être pas cadres et alors... on n'est pas heureux quand on n'est pas cadre ?".

Elle aime son travail, se sent « hypervalorisée de pouvoir apprendre des choses », en revanche elle ne supporte plus le regard de la société, « ah , t'es encore en vacances ? ». Elle rêve de faire correctement son travail mais elle est « freinée par tout : le nombre d'heures, le nombre d'élèves, le budget à la nage, la récupération du matériel... ». Elle déplore le fait de « ne pas être formée ». Elle se « remet en question de façon permanente, a l'impression de ne pas faire correctement son travail » et n'arrive pas à conjuguer les demandes institutionnelles et la différenciation qu'elle doit mettre en place pour motiver les élèves.

Figure 16: Carte mentale E2

E5

est enseignante depuis huit ans. Elle a toujours travaillé dans le même collège. Elle est

 
 

professeur principal d'une classe de sixième incluant des élèves pré-orientés SEGPA. A la base, c'était imposé, puis elle a accepté librement. Elle est professeur de mathématiques.

Elle apprécie la co-intervention avec les deux PE spé de qui elle apprend beaucoup. Pour elle, « c'est un plus de communiquer avec eux ». Elle remarque que les PE spé travaillent d'abord « sur le positionnement de l'élève », « ils n'entrent pas dans la discipline tant que les élèves ne sont

pas dans la posture d'élève ». Elle regrette d'avoir « la pression des programmes, de toujours devoir avancer et de ne pas avoir le temps de se concentrer sur le bien-être de l'élève ». Le fait d'avoir « des visions totalement différentes permet de se questionner et savoir comment on pourrait faire autrement ».

L'inclusion, elle y est favorable mais pas pour tous les élèves. « Pour certains élèves, c'est bénéfique, ça leur permet de travailler à leur rythme et de voir qu'ils sont capables de suivre dans certaines disciplines ». Pour d'autres, elle parle de « souffrance ». Elle pense que « l'inclusion doit être réfléchie et qu'elle ne convient pas à tous les élèves ». Si tous les élèves devaient être inclus, elle parle de « catastrophe », car elle « ne saurait pas les gérer au regard du nombre dans la classe et elle n'aurait pas la patience ».

Concernant son métier, le mot « compliqué » est utilisé de nombreuses fois dans son verbatim. Elle dit que « tant qu'on n'est pas sur le terrain, on ne sait pas ce que c'est que le métier de professeur ». Elle se « questionne de façon permanente », elle est « épuisée » car elle a l'impression de mal faire son travail et de laisser des élèves sur la touche. Sa souffrance réside dans le fait qu'elle ne « peut faire progresser ses élèves comme elle le voudrait, qu'elle a du mal à gérer l'hétérogénéité et qu'elle n'a pas les moyens nécessaires pour y arriver ». Le PE est essentiel dans l'approche qu'il peut avoir avec les élèves en difficulté. Il est « dans l'écoute, il veut faire progresser ses élèves et il les connaît en profondeur ».

Figure 17: Carte mentale ES

E11

est enseignante depuis 14 ans. Après une année sur un poste protégé, elle s'est « trouvée

 
 

balancée » dans un collège REP+, « jetée dans l'arène ». Elle est professeur d'anglais et choisit d'avoir chaque année une classe de SEGPA.

Elle ne voit pas comment mettre en place de la co-intervention car elle « a bien à faire dans son cours et qu'elle ne trouve pas le temps », toutefois, elle pense que ce « serait un plus considérable ». Les élèves de SEGPA sont des élèves qui « sont capables d'assimiler les choses mais peut-être sur un temps plus long et avec une quantité limitée ». L'inclusion, elle n'est pas contre, bien au contraire, car elle constate des difficultés similaires entre sa classe « profil » et les élèves de SEGPA. Cela lui « paraît pertinent ». Mais elle se « sent perdue ». Elle se demande « justement dans quelle mesure les élèves en difficultés de l'ordinaire ne devraient pas être en SEGPA avec toutes les adaptations qu'il peut y avoir ». Elle s'interroge sur l'orientation dans l'ordinaire des élèves en difficultés en constatant « qu'ils vont rester dans l'ordinaire toute leur scolarité, toute leur vie, alors qu'ils auraient eu besoin d'un enseignement adapté, un rythme adapté, une classe plus petite pour pouvoir exister ».

L'enseignement n'est pas une vocation mais elle aime enseigner. Elle est très exigeante envers elle-même et envers ses élèves. Néanmoins, elle traverse une crise identitaire. Les « injonctions de différenciation et le peu de moyens qu'on nous donne pour faire cette différenciation, c'est révoltant ». Elle est au « bord de la souffrance professionnellement ». Un

mépris de l'institution, « on nous lâche, on nous berce d'illusions tout le temps et puis on nous promet des choses qu'on n'a jamais ». Elle n'arrive pas « à faire confiance à son ministre de tutelle pour faire en sorte d'avoir les bonnes conditions pour aider les gamins et les faire progresser ».

Figure 18: Carte mentale E11

7. Analyse transversale

Après avoir étudié les différents entretiens, nous allons dans cette étape croiser nos données afin de valider ou d'invalider nos hypothèses. Sur la méthodologie, nous avons procédé en deux temps : tout d'abord, nous avons choisi d'attribuer une couleur pour chaque catégorie et nous avons repris chaque entretien. Ensuite, dans un tableau mis en annexe XIII, nous avons croisé, en fonction de chaque catégorie, tous les entretiens. En fonction des catégories que nous avions définies, nous allons croiser les réponses de nos répondants et tenter de répondre ainsi à nos hypothèses. Nous tentons tout d'abord de répondre à notre première hypothèse :

Ø Compte tenu des principes de l'école inclusive, la SEGPA dans son fonctionnement est à considérer comme un modèle pour les enseignants du collège.

7.1 : La SEGPA , un modèle de fonctionnement. 7.1.1 : Déterminer les forces de la SEGPA

Dans un tableau, nous reprenons les réponses de nos répondants afin de les comparer et de les croiser. Nous avons demandé aux répondants quelles étaient pour eux les forces de la SEGPA et en quoi elle répondait à l'inclusion ? A cette question, les PE spé ont répondu les éléments suivants :

Tableau 11: Les forces de la SEGPA

 

E1

E3

E4

E6

E7

E8

E9

E10

RAPPORT

Petits effectifs

X

X

 

X

 
 

X

X

5/8

Du temps

X

X

X

X

 
 

X

X

6/8

Non pression des programmes

X

 

X

 
 

X

X

X

5/8

Travail d'équipe

X

X

X

X

 

X

 

X

6/8

Individualisation/personnalisation

 

X

 
 

X

X

 

X

4/8

Redonner confiance

X

X

X

X

X

X

X

X

8/8

Changer le regard

 
 

X

X

 

X

 
 

3/8

Pédagogie basée sur le projet

 

X

 
 

X

 
 
 

2/8

Un lieu agréable

X

X

X

X

X

 

X

X

6/8

Transfert de compétences

ateliers/général

X

X

X

 
 

X

 
 

4/8

Ouverture d'esprit des PE

X

X

 

X

X

X

X

X

7/8

 

E1, E3,E4, E6, E9, E10 utilisent l'expression « avoir du temps » dans leur entretien. Cette

E2, E5 et E11 sont éloignés dans leur perception. Ils donnent un rôle prépondérant aux PE qui selon E5 sont un « point de repère pour les élèves » et E11 pense que les PE spé « ont une relation plus intime avec les élèves ». Ils semblent avoir une méconnaissance du travail réalisé par les PE et le fonctionnement interne de la SEGPA. Néanmoins, ils sont conscients de son utilité : E5 pense que si la structure disparaissait, « les élèves de SEGPA qui auront des difficultés vont couler si on les met dans une classe ordinaire. La SEGPA est une chance de réussite pour des élèves qui auraient eu du mal à réussir dans un parcours classique ». E11 rajoute que parfois des élèves de l'ordinaire, mal orientés, « vont rester dans une scolarité toute leur vie, alors que eux ils auraient eu besoin d'un enseignement adapté, un rythme adapté, une classe plus petite pour pouvoir exister dedans. »

7.1.1.1 : Redonner confiance

Toutes les personnes interrogées mettent en avant qu'une force de la SEGPA est de redonner confiance aux élèves. E3 l'exprime clairement. E6 explique que la SEGPA « permet aux élèves en difficultés de mettre en valeur les compétences qu'ils ont déjà en eux, de redonner confiance en eux, ce qui dans la vie est complètement indispensable pour être heureux ». On note d'ailleurs que le mot « heureux » est employé par E3, E4, E6, E7, E10. E8 rajoute : « C'est l'essence même du taf ! ». Une élève de troisième SEGPA est très claire sur ce point : elle dit se « sentir bien en SEGPA et n'avoir jamais envisagé l'ordinaire » car « les professeurs s'occupaient d'elle », notamment les professeurs des écoles spécialisés, et surtout elle avait « peur de perdre ses repères ». Elle a été stigmatisée dès la primaire, non par les enseignants, mais par les élèves qui la « frappait, l'insultait et la harcelait ». Lorsqu'elle est arrivée en sixième, elle pensait qu'elle était « conne », « différente », « bête ». Avec les quatre années en SEGPA, elle a repris confiance en elle et a pris conscience de ce qu'elle était capable de réaliser. Mazereau (2010) conforte ce point en expliquant que l'enseignant spécialisé accorde une place de choix à la classe spécialisée comme lieu de respiration et de restauration de la confiance en soi.

Nous pouvons nous interroger alors sur ce qui permet de redonner confiance aux élèves. 7.1.1.2 : La SEGPA, un fonctionnement bien huilé

Parmi les élément structurants de la SEGPA et qui peuvent être des forces pour la réussite d'élèves en difficultés, nous observons dans les réponses des répondants quatre variables :

L e temps :

E4, E6, E8 ont clairement exprimé que le changement de regard était important dans

notion de temps est à mettre en corrélation avec la liberté pédagogique dont bénéficient les PE spé avec des programmes adaptables. E3 : « Les élèves ont le temps de pouvoir échanger entre eux, de pouvoir dire ce qu'ils pensent, d'argumenter ». E4 : « c'est la liberté de fonctionner. Et si je veux faire du français ou si je veux parler de la pluie, du beau temps, je peux le faire. Ou si je veux les emmener dehors, je peux le faire ». E6 : « Ils ont besoin qu'on ait du temps. J'ai du temps pour chacun d'entre eux, c'est énorme. Du coup, je ne me sens pas déchirée, partagée ». E9 : « on n'a pas cette pression des programmes, etc. On va vraiment prendre l'élève et le but c'est de le faire progresser en fait ». E10 : « Alors évidemment, on n'avance pas forcément au même rythme, c'est que l'effectif réduit permet un travail plus individualisé, d'avoir des interlocuteurs peut-être plus disponibles. Ils sont rassurés, c'est des gamins qui ont besoin de repères, de temps ». E1 : « S'il n'y a pas une trace écrite récente, c'est pas grave. Si on n'évalue pas tout exactement, ce n'est pas grave non plus, voilà c'est cette liberté là, pédagogique ».

A contrario, les professeurs de collège interrogés clament dans leurs entretiens qu'ils n'ont pas assez de temps. Ce manque de temps provoque chez eux des difficultés d'organisation et met à mal leur professionalisme.

Les petits effectifs :

E1, E3, E6, E9 et E 10 mettent en avant les petits effectifs. Le fait d'être en petits effectifs permet aux élèves de « prendre plus la parole » (E3). « D'entrer plus facilement dans les apprentissages » (E4), « d'avoir les mêmes bases d'apprentissage que les autres mais en adaptant les contenus des cours et les outils utilisés », « de transférer les compétences" (E3), de « renforcer la complémentarité » (E8) entre les ateliers et les cours de mathématiques et de français, « le projet professionnel qui est commencé très tôt dans la scolarité » (E3). E9 rajoute que les petits effectifs lui permettent « tous les jours de s'adresser à chacun des élèves » et dans sa journée, elle doit « s'adresser au moins une fois à chacun de ses élèves pour les réparer, rétablir leur estime de soi ». Pour E10 « les élèves n'avancent pas au même rythme, ils ont un travail individualisé, des interlocuteurs plus disponibles et ils sont rassurés ». Quant à E7, elle fonctionne « en projet et en plan de travail ».

Les classes à effectif réduit sont une demande des enseignants du secondaire depuis des années, qui permettrait de mieux gérer l'hétérogénéité grandissante. Ramel (2010) explique dans son article que les enseignants "regrettent la suppression des classes à effectif réduit car cette suppression a entraîné des effets négatifs sur les élèves en difficulté, sur les autres et sur les professeurs".

Un autre regard sur l'élève

l'évolution de l'élève. Les autres répondants, bien que n'ayant pas utilisé explicitement l'expression « changer de regard » ont la même approche dans leurs propos. E7 : « permettre à l'élève d'aller le plus loin possible », E10 : « en fonction de ses capacités », E1 : « les voir progresser ».

La SEGPA, une famille

Cette approche pédagogique qui semble appartenir à la SEGPA se retrouve dans la perception de la SEGPA elle-même. Les répondants sont nombreux à avoir utilisé les mots « cocon », « famille », « équipe ». Et cette perception de la SEGPA se retrouve également chez les élèves. E6 explique qu'en cas de sixième inclusive, les élèves « ne veulent pas y aller. Ils sont trop bien. Ils sont un groupe ». La SEGPA fait « partie de l'identité du collège, c'est important d'avoir un groupe classe, d'avoir un petit cocon dans lequel on peut se retrouver, auquel on peut se référer » (E3), lorsque les élèves pré-orientés sont dans une sixième inclusive, les élèves « sont rassurés que je sois dans la classe, quand ils vont intervenir, quand ils vont parler » (E9). La SEGPA « c'est plus familial, c'est presque obligé puisqu'on a un fonctionnement d'instit ». « c'est dur pour eux de quitter leur petit cocon de SEGPA » (E10).

Les parents viennent conforter parfois le travail réalisé en SEGPA. E10 nous dit que « les parents arrivent en disant : pour la première fois, mon enfant est ravi de venir à l'école, il est content, il a pas la boule au ventre, il trouve qu'il arrive à progresser ».

Nous constatons ici un des problèmes fondamentaux par rapport à la perception et au vécu des PLC. E2, E5 et E11 s'expriment largement sur leur manque de temps, qu'ils n'arrivent pas à faire face aux injonctions prescrites. Torres (2014) parle d'une « dévaluation sociale du métier ». En effet, il constate qu'avec la massification des publics, les enseignants du secondaire font face à des classes de plus en plus chargées en effectif et de plus en plus hétérogènes, ce qui amène une souffrance au travail. Or, ce sentiment de souffrance, dont nous reparlerons, n'est pas exprimé par les PE spécialisés. En réalité, les PLC souhaiteraient des conditions de travail similaires aux PE spécialisés (temps, effectifs, moins de pression institutionnelle) mais compte tenu des lois sur l'inclusion, la politique de l'éducation nationale ne se dirige pas vers ce type d'organisation.

7.1.2 : La SEGPA, un modèle d'inclusion?

Rappelons les principes d'une école inclusive : les modalités pour une école inclusive peuvent se résumer en un certain nombre de dispositifs selon Boutin et Bessette (2009, p.57) :

Ø créer un climat favorable à l'acceptation de la diversité

Ø modalités d'intervention concernant méthodes et techniques pédagogiques (enseignement mutuel, travail d'équipe, apprentissage coopératif)

Ø place importante donnée à l'individualisation et à la différenciation

Ø pédagogie de projet

Les interviewés, dans les forces de la SEGPA, citent le travail en équipe (E1, E3, E4, E6, E8, E10) qui se met en place au sein de la SEGPA, et au sein du collège avec des projets pluridisciplinaires. E3 : « on avait fait un projet en anglais sur Thanksgiving et du coup, avec le collègue PLP en HAS, on a fait toute une matinée de la cuisine et on avait préparé des repas, enfin des plats typiques de cinq villes. C'est un peu un mélange de tout : atelier, projet, pas trop de frontal, faire en sorte que ce soit l'élève qui construise un peu son savoir ». E6 : « On est une équipe, on arrive à discuter tous ensemble avec des points de vue différents ». E4 : « On a ouvert dans les classes un grand trou dans le mur, j'interviens avec ma collègue pour un même groupe » E10 : « travail d'équipe, travail d'équipe, c'est intéressant et motivant ». E1 : « quand il y avait la 6ème inclusive.le travail en équipe avec l'équipe français. Et en maths, si on cherchait, on y arriverait aussi, ça se fait très bien ».

L'individualisation et la différenciation

E3 : « J'ai envie de me démener et de faire en sorte de pouvoir répondre à tous leurs besoins. Donc oui, c'est motivant, leur permettre d'avoir les mêmes bases d'apprentissage que les autres, mais en adaptant, en adaptant les contenus de cours, les outils utilisés, d'adapter son enseignement pour que chaque élève puisse acquérir les mêmes connaissances, mais par des chemins différents ». E10 : « pouvoir adapter le programme et que l'élève suive désormais ses apprentissages à son rythme, en fait en fonction de ses capacités ». E3 : « on va quand même proposer des aménagements et des adaptations pour qu'il puisse suivre le même enseignement que les autres ».

Une ouverture d'esprit

E3 : « Et on avait émis l'idée de pouvoir casser tout un niveau pour faire des groupes de besoin », E8 : « On a deux systèmes de co-intervention, heu... un triple système de co-intervention. Avec les profs d'atelier, la deuxième intervention qu'on a c'est entre PE, on a un projet sur le développement durable », E6 : « on a eu une réunion avec des parents dont les enfants avaient des dys. Moi, j'ai adoré ce moment-là parce qu'un moment d'échange et de partage, l'association qui nous donne des pistes pour voir comment on peut travailler ensemble ». E9 : « On a vraiment essayé de communiquer, de construire des choses ensemble, pour tous les élèves. Le but n'était pas du tout de juger l'un ou l'autre quoi. Je le fais déjà un petit peu, donc ça serait un peu poursuivre une mission, peut-être les étendre vers d'autres défis à relever ». E7 : « Oui, un gros projet avec le

Sous l'impulsion des PE spé et leur ouverture d'esprit se mettent en place des dispositifs inclusifs qui amènent les élèves à être des collégiens à part entière, tout en adaptant leur pédagogie

prof de physique-chimie en 6ème, on a mélangé deux classes, on a fait cours tout le temps à deux avec 33 élèves Je vais pouvoir plus aller voir les élèves, les aider, les accompagner, leur dire ce qu'il faut faire, comment se comporter tout en chuchotant. Je pense que ça a un impact important pour les élèves de SEGPA, où on voit que certains sont très bien inclus dans la classe. C'est hyper enrichissant. On se répartit les rôles : il a plus commencé à mener parce que c'était des thèmes sur lesquels je n'étais pas à l'aise ». E10 : « on a créé une sixième miroir : donc c'est une sixième, la 6ème SEGPA, qui a un emploi du temps en miroir avec une sixième ordinaire sur quasiment toutes les matières. C'est de faire une progression commune au niveau des notions ».

Les PE Spé. utilisent beaucoup le terme « motivation » et sont ouverts d'esprit. Ils sont habitués à un fonctionnement en équipe (entre les 2 PLP et les 2 ou 3 PE spé) et n'hésitent pas à impulser des idées, toujours dans l'intérêt des élèves. Toutefois, on ne peut omettre des freins à ce que souhaitent mettre en oeuvre les PE :

Lorsque les PE spé proposent des co-interventions, ils se retrouvent devant des réponses négatives de la part des PLC qui « ont peur du jugement » (E6, E9). E3 explique que « les collègues n'ont pas spécialement envie de faire la co-intervention, c'est les collègues qui ne veulent pas ». E6 avait demandé mais « C'était prévu : le prof est pas trop chaud, quoique un peu timide... ça lui semble un petit peu compliqué ». E10 nous explique qu'il y a des « couacs dans les emplois du temps. Il y a plein de choses qui n'avaient pas été prises en compte et du coup, les barrettes, l'emploi du temps barrette, sixième SEGPA et sixième miroir ». E9 rajoute que cela lui « ajoute une somme de travail considérable ».

Les PE spé semblent convaincus du bien fondé de la SEGPA. Pour répondre à l'inclusion telle que la définit Plaisance, à savoir « que la notion d'école inclusive repose en premier lieu sur un principe éthique : celui du droit pour tout enfant, quel qu'il soit, à fréquenter l'école ordinaire », la SEGPA, de part son rôle et son fonctionnement interne, répond à ce droit. D'ailleurs, E3 se questionne sur la notion même d'école ordinaire, elle se demande « C'est quoi l'école ordinaire ? » , elle trouve ça « un peu bizarre qu'on dise l'école ordinaire. C'est dire que les élèves qui sont en SEGPA ne sont pas dans une école ordinaire ? ». Comme Zaffran, les PE spécialisés sont persuadés que l'inclusion est une valeur à défendre et à promouvoir , mais ils se retrouvent parfois face à des enseignants de collège qui refusent de modifier leurs pratiques (mission 2018) et qui subissent des tiraillements répétés entre ce qu'ils peuvent faire et ce qu'ils doivent faire (Tardif et Lessard).

aux difficultés de leurs élèves. Comme le souligne E3, « cette pédagogie devrait être mise en place aussi au niveau des collégiens de l'ordinaire ». Les PE spé sont conscients des problématiques de leurs élèves et oeuvrent par leur pédagogie et par le fonctionnement même de la SEGPA (petits effectifs, du temps, des programmes allégés, de la différenciation, de l'individualisation) à la réussite de tous les élèves. Les enseignants de collège vivent une profonde "redéfinition de leur rôle et de leurs missions [...] La crainte accompagnée souvent de résistance que suscite chez beaucoup d'enseignants la volonté d'intégrer un plus grand nombre d'élèves présentant des difficultés est celle de voir leur métier changer en profondeur, touchant par là-même à la nature de leur métier et donc à leur identité professionnelle" (Ramel, 2010, p.385).

Les PE spé donnent du sens à ce qu'ils mettent en place et même s'ils sont conscients d'une mutation profonde de leur métier, ils travaillent dans l'adaptation. Or, force est de constater que cette adaptabilité les incite à mieux gérer les changements qui les attendent. A la différence du professeur de collège, le PE spé n'a pas à renoncer "au mythe de l'homogénéité" (Ramel, 2010, p.389), ce qui l'amène ainsi à considérer les tâches liées à l'inclusion comme possible à réaliser.

Pour valider notre hypothèse n°1 : Compte tenu des principes de l'école inclusive, la SEGPA dans son fonctionnement est à considérer comme un modèle pour les enseignants du collège, il fallait d'une part que les répondants reconnaissent des forces à la SEGPA et d'autre part qu'ils estiment que de par son fonctionnement, la SEGPA porte en elle les principes inclusifs. Compte tenu des réponses, nous considérons que notre hypothèse 1 est validée.

Désormais, nous allons tenter de valider ou d'invalider notre hypothèse n°2 qui porte sur l'identité professionnelle du PE spé. Comme nous l'avons dit précédemment dans notre cadre théorique, les données scientifiques sur l'IP des PE spé sont minces. Nous nous appuierons sur le concept d'identité défini par Dubar (identité héritée) et le versant psychologique défini par Iannccone, Tatéo et Marsico (2008). Concernant l'empan liminal, les travaux de Gennep nous seront utiles.

7.2 : Une identité professionnelle à la marge

Une définition de l'élève de SEGPA :

7.2.1 : Une perception commune de l'élève de SEGPA.

Dans la circulaire de 2015, l'élève de SEGPA est défini comme « présentant des difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n'ont pu remédier les actions de prévention, d'aide et de soutien ».

Qu'en pensent nos répondants ? Le mot « difficultés » n'est quasiment pas employé quand on leur demande ce qu'est un élève de SEGPA. En revanche, les termes employés portent plus sur la globalité de l'élève. E4 parle de « désordre total dans leur tête, qu'ils sont encombrés, qu'ils s'empêchent de réfléchir et qu'il faut trier, faire du rangement, ils sont abîmés ». E3 « répare des élèves qui ont été blessés dans leur vie », E7 les décrit comme des élèves « ayant des difficultés d'apprentissage et qu'ils ne sont pas, comme elle peut l'entendre parfois, des imbéciles ». E9 reprend le même terme que E4, à savoir « abîmés », « ils ont une mauvaise estime de soi, souvent découragés, ils cumulent tous les problèmes ». Le mot « attachant » est repris par E8, E6, E9 et E10. Nous pouvons noter que les mots employés par les répondants sont violents : « abîmés, réparés, blessés ». Les PE spé semblent avoir une relation plus psycho-sociale que disciplinaire. A contrario, les PLC sont beaucoup plus sur le côté « attente disciplinaire » : E5 définit l'élève comme « ayant besoin de plus de temps ». E2 : « ils ont du mal à avoir des règles, lever la main, travailler dans le silence, se concentrer » et E11 rejoint E5 en disant « ils sont capables d'assimiler des tas de choses mais sur un temps plus long avec une quantité plus limitée ».

Certes, les PE spé. sont conscients des difficultés scolaires de leurs élèves, mais leur vision est élargie aux différentes problématiques qui touchent les élèves de SEGPA. Ils cumulent en effet, comme le disent les répondants, des problèmes cognitifs, sociaux, économiques. Zaffran (2010) corrobore ce constat sur l'élève de SEGPA. A défaut d'analyses sociologiques poussées sur les élèves de SEGPA, il remarque, en établissant une étude comparative entre les élèves qui se dirigent vers la voie ordinaire et les élèves qui sont orientés vers le spécialisé, que les difficultés ne sont pas uniquement liées aux résultats scolaires mais bien plus à des difficultés sociales. Pour justifier son analyse, il explique qu'il « suffit de souligner la forte proportion d'élèves dont le chef de famille est ouvrier non qualifié ou inactif, par comparaison aux employés, de noter l'effet de la taille de la famille et de la composition du ménage sur l'orientation (les élèves de Segpa vivent plutôt dans une famille recomposée ou monoparentale, ils ont trois frères ou soeurs ou plus).) » (Zaffran, 2010, p.86). De cette perception de l'élève découle une perception du travail différente à la fois des PLC mais aussi des PE de l'ordinaire. Ce qui nous a surpris lors de la retranscription des entretiens, ce sont l'utilisation des termes « heureux », « contents » et « motivation ». E3, E6, E1 pensent que la mission principale de l'enseignant, « c'est de donner envie à l'élève de rentrer dans la classe et d'être heureux dans sa classe, heureux d'apprendre de nouvelles choses ».

Les répondants ont envie de « se démener en classe ». Pour eux, c'est une véritable source de motivation (E3, E6, E8, E10). Ils prennent l'élève dans sa globalité avec « ses difficultés, ses connaissances, ses capacités, la famille » (E10, E4). Nombreux disent également que pour eux c'est important de se « sentir utile » (E6, E1, E10, E3). D'ailleurs, E6 explique très bien que son premier poste qui était un poste protégé dans une école de campagne, où tout s'était bien passé, était beaucoup moins gratifiant pour elle car « ce sont les élèves qui lui apprenaient et qu'elle ne servait à rien ». Dans cette perception du travail, tous les répondants parlent de « réussite et de progrès ». Compte tenu de la définition donnée par la circulaire, au regard des réponses, nous pouvons dire que la perception du travail mais aussi de l'élève va bien au-delà du constat de « difficultés ». Cette dimension psycho-sociale où l'élève est pris dans sa globalité, où le contexte de l'élève est pris en compte, modifient à la fois l'attitude de l'enseignant mais a aussi une répercussion sur l'élève dans ses apprentissages. Ce qui nous amène à nous interroger sur les qualités intrinsèques de l'enseignant spécialisé de SEGPA.

7.2.2 : Les qualités du FE spé.

A la question : « Donnez deux ou trois qualités de l'enseignant spécialisé en SEGPA », voici les réponses des répondants :

Tableau 12: Les qualités du PE spé

Qualités

E1

E3

E4

E6

E7

E8

E9

E10

RAPPORT

Bienveillance

 

X

X

 

X

 
 
 

3

Patience

X

X

 

X

X

 

X

 

5

Etre à l'écoute

X

 
 

X

 
 

X

X

4

Aimer les enfants

X

 

X

X

 

X

 

X

5

Observateur

 
 
 
 
 
 

X

 

1

Comprendre

 

X

X

 

X

 
 

X

4

 

La définition de bienveillance du dictionnaire Larousse est la suivante : « Disposition d'esprit inclinant à la compréhension, à l'indulgence envers autrui ». Roelens (2019) propose une conceptualisation de la « bienveillance » pensée comme un « moyen de soutenir le devenir autonome d'un autrui vulnérable et de faire face à certains défis, comme l'éducation ».

La patience est définie comme suit dans le dictionnaire Larousse : « Aptitude à ne pas s'énerver des difficultés, à supporter les défaillances, les erreurs ». Entre la perception du travail et la perception de l'élève, les répondants se sentent investis d'une mission, celle de donner à l'élève

l'envie de croire en lui, en ses capacités et que même s'il ne correspond pas à la norme établie par la société, il a des choses en lui qui font qu'il est un être unique. E8 explique qu'il « n'y a pas qu'une seule forme d'intelligence », E6 : « que chaque élève a des compétences, il faut juste savoir les mettre en valeur, leur redonner confiance ». Il n'est donc pas surprenant de constater que les réponses reflètent une approche de l'élève basée sur la bienveillance, sur l'écoute, mais aussi sur la patience. Cette bienveillance passe aussi par « un autre regard » (E4, E9). Un regard qui tolère la différence et qui permet à l'élève de prendre confiance en lui et ainsi d'entrer dans les apprentissages.

Au regard des définitions du Larousse et de Roelens, les PE spé. comprennent, font preuve d'indulgence et amènent l'élève durant ces quatre années à acquérir les bases de l'autonomie. E4 utilise la métaphore de la maison avec « les fondations ». Il construit les « fondations de la maison durant les années de sixième, cinquième, quatrième. Puis en troisième, les fondations sont là, et on peut se poser et travailler pour l'avenir ». Nous pouvons noter E9 qui ne donne qu'une qualité : l'observation. Elle se positionne dans le cadre d'une sixième inclusive où elle travaille beaucoup en co-intervention auprès de deux professeurs d'histoire-géographie ainsi qu'une professeure de mathématiques. Lorsqu'elle parle des co-interventions, elle explique la pédagogie des deux enseignants d'histoire et elle note qu'elle a « un regard différent et une notation différente. Pour les élèves pré orientés, ça les rassure qu'elle soit là dans la classe quand ils vont intervenir, qu'ils vont parler ». Grâce à son observation, elle a un regard qu'elle ne pourrait pas avoir si elle avait la classe entière et cela lui permet de constater que pour certains, l'inclusion est une réussite et pour d'autres, un échec.

En conclusion de cette sous partie, nous pouvons dégager certains traits caractéristiques de l'identité professionnelle des PE spé : ils prennent l'enfant dans sa globalité, sont dans la bienveillance, dans la patience et dans l'écoute de l'élève. Ils souhaitent avant tout son bien-être, qu'il soit bien dans l'école et dans sa tête et qu'il réussisse. Qu'en est-il de l'identité professionnelle du PE spé ? Y a t-il un lien entre l'identité héritée et l'identité professionnelle ? Traverse t-il une crise identitaire ? Si oui, est-elle liée à l'inclusion et une éventuelle peur de la disparition de la structure SEGPA ? Se considère t-il comme appartenant au premier degré, de par sa formation initiale, ou au second degré ? Quelle regard porte t-il sur les PLC ?

Tableau 13: Lien entre identité biographique et identité professionnelle

7.2.3 : Une identité héritée.

 

E1

E3

E4

E6

E7

E8

E9

E10

RAPPORT

parcours chaotique

 

X

X

 

X

 

X

 

4/8

parcours sans incident

X

 
 

X

 

X

 

X

4/8

 

Compte tenu des réponses, il semble que que quel que soit le parcours, a priori cela ne joue pas sur l'incidence à enseigner en SEGPA et surtout à vouloir y rester. Il nous semble intéressant de nous concentrer sur E1, E6, E8 et E10. Quand on regarde le parcours de E8, il est assez révélateur. En dehors du fait qu'il n'ait jamais eu de soucis scolaire (Kagne- Hypokagne), il se sent attiré irrémédiablement vers l'élève en difficulté. En sixième, il a vécu une expérience qui a marqué et sa voie professionnelle et sa façon de voir la vie et notamment les normes établies de la société. Issu de milieu enseignant, rien de mieux qu'une reproduction du schéma social. Or, en sixième, il a « fait partie d'une classe expérimentale au collège. Le chef d'établissement avait mixé la moitié des CPPN et la moitié des élèves classiques, l'inclusion à l'époque. Ils étaient tous des enfants très sages qui sont devenus des élèves pas très sages ! ». Il est persuadé que cette expérience lui a appris « à faire toutes les bêtises mais voir plein de trucs de la vie, qu'il trouvait génial, notamment la construction de meubles ». A partir de cette expérience, il a vu les choses différemment et a constaté qu'il y avait « plusieurs formes d'intelligence ».

E1 et E10 ne donnent aucune raison pour expliquer leur appétence à enseigner dans le spécialisé. E1 explique que sa première motivation pour devenir enseignante c'était « les vacances », puis une quinzaine d'années dans le primaire pour se tourner ensuite vers la SEGPA pour « éviter de devenir une vieille enseignante aigrie et fatiguée ». Quant à E10, après avoir travaillé avec des adolescents handicapés, elle s'est tournée naturellement vers les SEGPA pour continuer « l'orientation professionnelle ». E6 tient un discours qui est implicite. Il est possible d'interpréter et de lire entre les lignes. Elle admet « n'avoir aucune confiance en elle » et bien qu'elle ait été toujours une bonne élève, c'était « pour faire plaisir à maman et faire ce que maman lui disait ». Elle se définit comme un « coeur de cible » et parle de ses élèves comme « ses doudous ». Les mots qu'elle emploie sont emprunts de souffrance : elle utilise les mots « blessure, démunie, mal à l'aise » la concernant. Ce vocabulaire et son manque de confiance en elle peuvent expliquer son envie d'enseigner auprès d'élèves en difficultés où elle se « sent utile » et peut-être pouvons nous supposer ce sentiment d'exister pour elle et pour autrui.

Concernant les quatre autres répondants, on constate des points de convergence :

Ø Ils n'ont pas confiance en eux mais se considèrent tous comme « des élèves moyens, qui aiment l'école mais que l'école n'était pas adaptée à eux ».

Ø Enseigner en SEGPA est un « défi, c'est challengeant ». E7 dit avoir voulu faire un « bac scientifique parce que c'était challengeant et surtout on lui a dit qu'elle n'y arriverait pas. Ensuite, elle a passé deux fois le concours, « elle avait trop peur de dire ce qu'elle pensait car elle était persuadée qu'en face, le jury savait mieux qu'elle et qu'elle allait avoir l'air ridicule ». Elle affirme clairement que « si elle n'avait pas eu le parcours qu'elle a eu , elle n'aurait peut-être pas pu travailler avec des élèves qui sont en difficultés scolaires. Elle pense mieux comprendre les élèves, elle fait attention quand elle s'adresse à eux ». Elle ajoute « qu'il est nécessaire d'avoir traversé des difficultés dans sa vie pour pouvoir comprendre les difficultés d'autrui ».

Ø Un système éducatif qui ne convient pas. E3 et E4 se qualifient de « rebelles ». Les deux répondants, avec une grande différence d'âge, ont été parachutés ou « balancés » dans le spécialisé dès leur première affectation. Durant leur scolarité, ils ont établi les mêmes constats : « c'était l'excellence qui primait, les prof crachaient leurs savoirs, il n' y avait qu'un seul chemin ». Comme E7, leurs parcours biographique a influé sur leurs parcours professionnels dans le sens où ils comprennent mieux leurs élèves, n'ont pas envie de reproduire un schéma qu'ils ont détesté et oeuvrent pour le respect des différences en adaptant leur pédagogie.

Au regard des réponses, finalement, le lien entre identité biographique et identité professionnelle existe. On peut donc parler, comme le mentionne Dubar, d'identité héritée.

7.2.4 : Un empan liminal?

Les travaux de Gennep, repris dans la thèse de Saint-Martin, nous ont interrogés sur le positionnement professionnel du PE spé. Gennep parle de rite de passage, de flottement entre deux mondes : les enseignants spécialisé en SEGPA sont-ils dans cet empan liminal ? Se définissent-ils clairement comme appartenant au premier degré ? Travaillant dans le second degré, se considèrent-ils comme des PLC ? Jaboin (2010) nous dit qu'enseigner dans le second degré pour les professeurs des écoles , « c'est endosser un héritage, celui des pratiques sédimentées et des valeurs léguées par la tradition de l'enseignement spécialisé. »

Tableau 14: Un empan liminal

 

E1

E3

E4

E6

E7

E8

E9

E10

J'appartiens au premier degré

X

 
 
 
 
 
 
 

J'appartiens au second degré

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Je suis entre les deux

X

X

X

X

X

en partie X

 

E1 est la seule à affirmer clairement appartenir au premier degré. Sa réponse est en cohérence avec son parcours professionnel. A la différence des autres répondants qui ont, soit été directement « balancés » (E3 et E4) en SEGPA après leur année de formation initiale, soit ont eu une seule année dans l'ordinaire, E1 a passé quatorze années dans le primaire. A sa dernière inspection, « l'inspecteur lui a demandé de réfléchir à la suite de sa carrière en lui expliquant qu'elle avait la chance d'avoir un métier qui lui permettait de pouvoir enseigner en maternelle, changer de ville, de quartier et qu'il ne fallait pas s'enterrer dans un poste ». E1 justifie son appartenance au premier degré en disant « qu'elle a gardé le rituel d'écrire la date au tableau tous les matins ». E9 est partagée. Elle enseigne depuis huit ans en SEGPA. Elle est arrivée sur le poste au troisième mouvement sans l'avoir demandé mais aujourd'hui « elle ne le regrette pas et souhaite y rester ». Elle explique : « j'appartiens au premier degré, je n'ai pas le même travail que les professeurs de collège. On n'a pas eu la même formation et je pense que nos visions sont totalement différentes. Mais en même temps, j'ai envie de dire, je suis un peu à la marge. J'ai l'impression d'être un peu un caméléon ». E9 est très investie dans le processus d'inclusion et est amenée à travailler en co-intervention avec ses collègues PLC. Et elle constate, comme le mentionnent Tardif et Lessard, qu'elle change de posture en fonction de l'interlocuteur qu'elle a en face d'elle. D'où son expression de « caméléon ». Les autres répondants mettent en avant la polyvalence du PE ainsi que ses compétences comme des forces. E4 et E8 affirment que si la SEGPA venait à trop se transformer, ils changeraient de travail : E8 ferait « cuistot », quant à E4, « ce n'est pas envisageable » pour lui de retourner en primaire. Il ne se voit pas « réécrire la date au tableau tous les matins » car il devrait « réapprendre à écrire correctement et pour lui ce serait une catastrophe ». Ils disent tous qu'ils sont à la marge. Parallèlement, ils affirment ne ressembler en rien au PLC. E8 parle d'eux en les appelant « les profs de l'autre côté ». E6 nous dit « n'avoir jamais enseigné en primaire, qu'elle ne connaît aucun enseignant du primaire et qu'elle n'est même jamais allée dans une école de secteur ». Son sentiment d'appartenance est auprès de ses collègues de SEGPA.

Parmi les répondants qui se qualifient être à la marge, nous pouvons faire les constats suivants :

Ø Aucune ou une année d'expérience dans le primaire

Ø Une méconnaissance de l'enseignement en primaire

Ø Un sentiment d'appartenance à l'équipe SEGPA

Ø Des visions très différentes entre PLC et PE spé.

Ø Une richesse provenant de la polyvalence et de leurs compétences pédagogiques (qui sont en lien avec la perception de l'élève en difficultés).

Il semble donc que les PE spé interrogés se trouvent, comme le définit Gennep, dans un rite de passage mais où ils restent acculés. De même, leur perception de leur métier, leurs objectifs d'éducation semblent, comme nous l'explique Jaboin, appartenir à un héritage. Nous avons pu lire que les PE spé se distancient des PLC. Nous allons tenter de voir quelle perception ont-ils de ces professeurs de collège et pourquoi se sentent-ils si différents ?

7.2.5 : La perception des PLC par les PE spé.

En premier lieu nous aborderons la définition d'un PLC par un PE spé : Le professeur de lycée et collège est défini comme « un bon élève », « excellent dans son domaine » qui « maîtrise un savoir technique sur sa discipline ». Ils « ont des degrés d'exigence plus pointilleux sur les évaluations ». En second lieu, nous pouvons constater que les répondants sont nombreux à signifier qu'ils n'ont pas la même approche en terme de pédagogie. E4 E3 et E6 sont très virulents dans leurs propos : « les PLC , dans leur tête, ils n'ont qu'un seul type d'élève en face d'eux, ils crachent leurs cours [...] avec un seul type de document, avec un seul chemin à prendre » (E3). E4 : « le PLC maîtrise tellement bien son savoir qu'il n'arrive pas à le faire passer, qu'il commence à rencontrer les problèmes de l'hétérogénéité et la difficulté sauf qu'il n'a pas les moyens de fonctionner comme un PE spé car il a pas l'habitude ». E6 va juqu'à utiliser le mot « maltraitance ». Il n'est pas surprenant de lire les propos de E4 et de E3 compte tenu de ce qu'ils ont vécu durant leur parcours scolaire. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, le système scolaire ne leur convenait pas et il reste une certaine amertume, un regard très critique envers les enseignants de collège.

En conséquence, les PE spé n'expriment aucun point commun avec les PLC en terme de vision pédagogique et éducative. En revanche, ils sont conscients pour certains qu'ils peuvent s'apporter des choses mutuelles. E7 le fait remarquer lorsqu'elle dit « le PLC apporte le savoir et qu'elle apporte la pédagogie ».

7.2.6 : Les PE spéface aux injonctions ministérielles.

Nous entendons par injonctions ministérielles tout ce qui émane de l'Institution et nous nous posons les deux questions suivantes :

Ø Comment les PE spé réagissent-ils aux lois et textes qui définissent leurs missions ?

Ø Comment perçoivent-ils leur relation avec leur hiérarchie ?

Tableau 15: Les PE spé et l'institution

 

E1

E3

E4

E6

E7

E8

E9

E10

Connaissance des lois et des textes notamment sur l'inclusion

dans les

grandes lignes

pas

vraiment

pas

vraiment

pas

vraiment

dans les grandes lignes

pas

vraiment

 
 

Incompréhension des PE/aux demandes hiérarchiques

X

X

X

X

 

X

 

X

 

Les PE spé. aimeraient plus de visibilité sur ce que l'institution leur demande de mettre en oeuvre. Le sentiment de "naviguer à vue" est ressenti par certains qui se posent la question du pourquoi ?Dans quel but ? E3 prend l'exemple des expériences sur les sixièmes inclusives en disant « j'ai l'impression qu'on nous force mais on va nous demander de la faire sans forcément qu'il y ait de retour ». Les injonctions sont « balancées ». L'exemple du Diplôme National du Brevet professionnel (DNB pro) a été cité par E3, E8 et E10. Désormais, l'institution demande à ce que les élèves de troisième SEGPA soient présentés au DNB pro. Or, jusqu'à présent, les élèves de troisième devaient sortir de leur cursus avec l'acquisition des compétences de cycle 3. Désormais, il est demandé aux PE spé de préparer leurs élèves en travaillant des compétences de cycle 4. Or, les PE spé n'y sont pas préparés : « on doit tous les présenter, mais on ne nous propose pas de cadres pour mieux les préparer » (E3), « il n'existe pas de référentiel en français et en maths pour le DNB pro » (E8). E10 s'interroge également en se demandant « si on inscrit tous nos élèves de SEGPA au DNB pro, quel est l'intérêt de garder la structure SEGPA ? ». Les injonctions tombent sans mettre les moyens en oeuvre pour aider les enseignants. Ces derniers regrettent « le manque de formation, de concertation entre collègues ».

Nous notons également le sentiment d'un manque de soutien de l'institution chez certains, notamment E4 qui vit difficilement le fait « d'aller prêcher la bonne parole aux PLC et d'expliquer comment ça fonctionne un élève en difficultés ». E8 reproche à l'institution sa défiance envers les enseignants et un manque de reconnaissance, il dit que « le système n'est pas performant, que le gel du point d'indice témoigne clairement de la reconnaissance de l'Etat sur l'utilité de notre travail » et il se questionne sur la reconnaissance qui pour lui est « une vraie interrogation ». Hormis deux répondants qui n'ont pas évoqué le lien avec l'institution, les autres affichent nombres de questionnement sur les objectifs du gouvernement qui ne sont pas toujours explicités. Néanmoins, on remarque toujours cette ouverture d'esprit, à savoir que, malgré certains désaccords ou certaines incompréhensions, les PE spé. appliquent ce qu'on leur demande de faire, tout en restant conscients

Le versant social : étayé par Dubar, l'IP y est présentée dans une double transaction, biographique (avec soi-même) et relationnelle (avec autrui, dans la manière dont se forge la reconnaissance de soi

que parfois, ce n'est peut-être pas la meilleure chose à faire. Comme dirait E4, « on est fonctionnaire, on doit donc fonctionner et appliquer les lois ».

7.2.7 : Conclusion de cette partie

Dans cette partie, nous avons tenté de valider ou d'invalider notre hypothèse 2 : Malgré une formation initiale commune, les PE spécialisés se situent dans un entre-deux.

Le concept de liminalité est un concept anthropologique énoncé par Van Gennep sous le terme de liminarité pour décrire les rites de passage. Le mot vient de l'anglais « au niveau du seuil », lui-même dérivé du latin « limen » qui désigne le pas de la porte. Etymologiquement, il renvoie donc à la notion de limite entre l'intérieur et l'extérieur (Saint-Martin, 2014, p.18). Pour valider notre hypothèse, dans les rites de passage décrit par Van gennep, celui qui nous intéresse est le rite de marge qui constitue un rite liminaire, un « entre-deux » dans lequel un individu se trouve dépossédé de son statut antérieur, sans en avoir acquis encore un nouveau. Il flotte entre deux mondes. Les PE spé répondent-ils à ce changement d'état ? Sont-ils entre deux mondes ? Par ailleurs, pour valider notre hypothèse, nous sommes amenés à nous interroger sur l'identité professionnelle des PE spé. Deux versants étayent notre interrogation :

Le versant psychologique : étayé par Iannconne, Tatéo et Marsico (2008) qui avancent que l'expérience familiale de l'enfance de l'enseignant ainsi que le souvenir de soi comme élève constituent les principales sources pour construire son identité professionnelle. Selon ces trois auteurs, les éléments biographiques, en interaction avec des éléments du contexte, joueraient un rôle essentiel, en générant différentes stratégies des enseignants leur permettant de faire face aux difficultés qu'ils rencontrent. Ces éléments sont repris dans les travaux de Blanchard-laville (2001) qui rendent compte de l'IP sous l'angle de processus psychiques pour la plupart inconscients. Ce serait une « co-habitation » du « soi-élève » et du « soi-enseignant ». (Zimmermann, 2013, p 38). Hormis E1, les répondants expliquent leur lien entre une expérience de soi comme élève et le futur enseignant qu'ils sont devenus. Les échecs qui ont jonchés leur parcours d'élèves ou les expériences qu'ils ont vécues ont façonné leur identité professionnelle. Leur construction prend en compte leurs itinéraires singuliers. Ainsi ils aménagent, recomposent les éléments constitutifs de leur identité en fonction des situations et des interactions, pour s'adapter et construire un monde cohérent, entre contraintes, valeurs et ressources dans lesquelles ils peuvent orienter leurs actions et trouver des voies d'implication porteuses de sens pour eux-mêmes et pour les autres. (Balleux et perez-Roux, 2011, in Zimmermann, op.cit).

par les partenaires de l'activité). Dans ce cadre, l'identité se définit comme « le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions ». Ce modèle avance que la dynamique identitaire relève de deux mécanismes apparemment contradictoires (Tap, 1988) : l'identisation, qui correspond à la reconnaissance du caractère unique de la personne, et l'identification, qui correspond à la reconnaissance de sa similitude avec les autres (Zimmermann, 2013, p.41). Le processus d'identification des PE spé se retrouve dans leur sentiment d'appartenance à la SEGPA. Ils n'appartiennent ni au premier, ni au second degré. En revanche, ils appartiennent à la SEGPA qui a son identité propre.

Figure 19: L'identité professionnelle du PE spé.

Compte tenu des différents concepts théoriques définis précédemment en lien avec nos observations, nous pouvons valider l'hypothèse 2 : malgré une formation initiale commune, les PE spé travaillant en SEGPA se situent dans un entre-deux.

Dans notre dernière partie, nous allons valider ou invalider notre hypothèse 3 : L'inclusion doit être réfléchie et anticipée et pas à n'importe quel prix. Pour répondre à cette hypothèse, nous avions émis l'idée que les PE spé pouvaient vivre une crise identitaire liée aux lois sur l'inclusion et une éventuelle peur de la disparition des SEGPA. Nous nous étions également posé la

question à propos des nouvelles missions définie par le CAPPEI, à savoir que le PE spé. allait désormais devenir une personne ressource et être amené à remplir de nouvelles missions. Enfin, nous souhaitions savoir quel était leur avis sur le « tout inclusif » et ce qu'ils envisageaient de mettre en place compte tenu des lois.

7.3 : Des réponses à l'inclusion

7.3.1 : Une crise identitaire liée à la politique inclusive?

Nous sommes partis des différences entre les concepts d'inclusion et d'intégration définis par Thomazet, Plaisance, Boutin. « La notion d'inclusion repose sur un principe éthique : celui du droit pour tout enfant, quel qu'il soit, à fréquenter l'école ordinaire. » (Plaisance, Belmont,Vérillon, Schneider, 2007, p160). « L'inclusion, à la différence de l'intégration, suppose non seulement l'intégration physique mais aussi pédagogique afin de permettre à tous les élèves d'apprendre dans une classe correspondant à leur âge ceci quel que soit leur niveau scolaire. » (Thomazet, 2006, p.20). Pour Stainback et Stainback (1992), « une école ou une classe inclusive accueille tous les élèves dans un même lieu. Aucun d'eux, qu'il s'agisse des élèves en difficulté ou des autres, n'est exclu et placé dans des dispositifs ou classes spéciales. » (Boutin et Bessette, 2009, p.52). D'après tous ces chercheurs, dans le processus inclusif, c'est l'école et la société qui s'adaptent à l'élève et à ses besoins particuliers et non l'inverse, ce qui implique un changement radical du positionnement de l'école mais aussi de la société dans son ensemble. Compte tenu de ces concepts, notamment celui de l'inclusion, les élèves de SEGPA ne sont pas inclus mais intégrés. En effet, ils sont dans une classe spécialisée avec des enseignants spécialisés. Les différentes expériences de sixième inclusive (Laville et Saillot) laissent supposer que le gouvernement souhaite peut-être étendre ces expériences afin de les généraliser et quid alors de l'avenir de la SEGPA ? Désormais, les enseignants spécialisés sont formés à l'inclusion et deviennent ainsi des personnes ressources, experts en pédagogie (circulaire de 2016).

Comment se positionnent les répondants par rapport aux nouvelles missions qui leur sont confiées ? E9 se démarque très nettement de tous les autres répondants. Elle assume pleinement ses nouvelles missions : « notre rôle, il a évolué pour d'autres missions qui ne sont pas déplaisantes ». Elle rajoute qu'elle ne vit pas de crise identitaire mais qu'en revanche, elle constate « qu'il y a une vraie crise identitaire chez les enseignants spécialisés ». En revanche, elle n'est pas concernée. E3, E6 , E4 et E7 ne se « sentent pas légitimes » dans cette nouvelle posture de personne ressource. E3,

avec humour, dit « qu'elle se sent trop jeune, qu'elle ne sera pas écoutée ». Les répondants sont prêts à « aider, partager des documents », mais ne se voient pas comme personne ressource.

Par ailleurs, on note une crainte émanant directement de cette nouvelle posture : que vont-ils devenir ? Quelle sera réellement leur mission ? Ils sont plusieurs (E3, E4, E6, E10 et E1) à exprimer leur crainte de « devenir une AESH de luxe ». Comme le dit E6, elle a l'impression « qu'on lui enlèverait une partie de ses capacités car un public SEGPA reste un public SEGPA ». E4 se distingue nettement des autres et est en opposition à E9. E4 est en « souffrance » par rapport à l'inclusion. Il a l'impression d'être « manipulé », « qu'on l'utilise pour former les profs du collège et une fois qu'il aura formé tous les prof, que va t-il rester de la SEGPA ? ». Il a « peur ». Il semble perdu car il avoue ne pas pouvoir être contre l'inclusion car en théorie, c'est une belle idée et « on ne peut pas être contre » et en même temps il est persuadé de « scier la branche sur laquelle il est ». Selon Zaffran (2013), « l'enseignant peut penser en toute bonne foi que l'inclusion scolaire est une valeur à défendre ( ce qui nous disent tous nos répondants) et à promouvoir...mais qu'il n' pas de motifs valables de changer ses habitudes dans la mesure où l'histoire de l'éducation des jeunes à BEP est dominée par une logique ségrégative » (Laville et Saillot, 2017, p.319). Il souhaiterait démissionner comme son collègue l'avait fait avant lui, mais « il n'a pas le cran ». L'inclusion provoque chez lui un « mal-être » au point que désormais il ne rentre plus chez lui, comme avant, l'esprit tranquille : « j'emmène avec moi les problèmes de l'école, je ressasse. Ma difficulté actuelle pour moi c'est de me dire j'accepte, je vois le bien fondé de l'inclusion et j'essaie d'y apporter quelque chose en étant le garant de la SEGPA. Je me bats contre moi-même, je suis seul, je suis vieux, pour moi, c'est une souffrance ». Le discours de E4 ne se retrouve chez aucun autre répondant. Certes, nous notons que les autres se posent des questions, s'interrogent sur la direction que prend l'inclusion et les conséquences qui pourraient en découler mais nous ne notons pas un malaise aussi criant que nous pouvons le voir chez E4.

Si nous nous intéressons de plus près aux PLC, les réactions sont très différentes des PE spé. Les trois répondants marquent une vraie crise identitaire. Elle sont jeunes dans le métier (entre huit et dix ans d'expériences) et pourtant vivent très mal les injonctions ministérielles et leurs conditions de travail. Les pressions auxquelles est confronté l'enseignant déclenchent et alimentent de multiples dilemmes : travail autonome, hétérogénéité grandissante, suivi de la prescription, éducation ou instruction, maintien de l'ordre. Les auteurs montrent que les enseignants sont régulièrement contraints d'aller au-delà des rôles qui leur sont prescrits, qui définissent leur tâche ou relèvent de leur statut. Il leur faut trouver le bon équilibre entre ce qu'ils peuvent faire et ce qu'ils doivent faire. (Tardif et Lessard). E2 nous dit : « je ne sais même pas comment faire une heure de cours, gérer les élèves qui sont moins bons et des élèves qui ont des besoins particuliers qui sont

pas forcément moins bons mais qui ont des difficultés pas comme les autres. J'ai l'impression de ne pas faire correctement mon travail, j'ai l'impression de ne plus faire le disciplinaire qu'on me demande, j'arrive pas à faire les deux.Je trouve que j'ai trop de classes et puis faire de la différenciation, ça prend un temps fou... je me bats pour avoir du matériel, tout pour moi est un obstacle ». A l'instar de Maroy, 2006, qui explique que l'enseignant doit « tenir sa classe » et « faire apprendre aux élèves » ce qui implique une activité d'une grande complexité. Lang, Dubet, Barrère, constatent un déplacement du coeur du métier avec une transformation de l'enseignant « magister » vers l'enseignant « pédagogue ». Désormais, l'enseignant est amené à travailler en équipe (projets pluri-disciplinaires) et s'investit plus dans la gestion de son établissement. Compte tenu de la formation initiale du PLC, ce dernier n'est pas préparé à cette transformation du métier. Toutefois, les PLC essaient de donner un sens à leur métier. E2 l'exprime clairement : « je me suis adaptée de plus en plus [euh] au niveau, je me suis un peu éloignée de ce que, théoriquement, [euh] ce qui serait beau qu'on puisse faire avec [euh] tous les élèves et je me suis adaptée un peu plus au terrain, je me suis plus tournée vers l'aspect [euh] purement pédagogique je m'intéresse beaucoup plus à la pédagogie qu'au disciplinaire.

E2 , E5 et E11 ne « cessent de se remettre en question ». Ils subissent « la pression des programmes avec des classes toujours trop chargées et ont l'impression de ne pas faire progresser les élèves ». E11 dit que « la situation est révoltante, car les injonctions de différenciation et le peu de moyens qu'on nous donne pour faire cette différenciation, c'est révoltant ». E5 et E11 parlent de « souffrance au travail ».

Nous pourrions supposer, au regard de ce que nous disent les PLC, une différence notable avec les PE spé qui, de par leur polyvalence et leur adaptabilité, sont prêts à accueillir des publics d'élèves en difficultés et ont un savoir faire que les PLC n'ont pas. Leur formation initiale centrée sur l'aspect disciplinaire ne les prépare pas à l'hétérogénéité de masse aggravée par l'inclusion car l'institution ne leur donne pas les moyens de faire correctement leur travail. Les PE spé, par leur souplesse et leur ouverture d'esprit ne traversent pas de réelle crise identitaire car ils mettent en oeuvre des dispositifs qui leur permettent à la fois de répondre au prescrit, tout en utilisant et gardant l'utilité de la SEGPA.

7.3.2 : Intégration ou inclusion?

Selon Petit (2001), dans le domaine scolaire, le principe de « normalisation » et son corollaire « l'intégration », nécessitent une adaptation de la formation aux besoins des personnes concernées. Le processus d'intégration se traduit donc par des projets individualisés soutenus par une gamme de services qui vont de l'enseignement en classe ordinaire à l'enseignement en école

spécialisée, favorisant l'environnement le plus « normal » possible par l'aménagement de passerelles autorisant un retour au cursus régulier ou dans une classe ordinaire. Selon les cas, la « ségrégation » dans une classe spéciale peut s'avérer plus efficace dans l'optique d'une « normalisation », qu'une « intégration » dans une classe ordinaire. Selon Charles Gardou une école est inclusive lorsqu'elle module son fonctionnement, se flexibilise, pour offrir, au sein de l'ensemble commun, un « chez-soi pour tous, sans toutefois neutraliser les besoins, désirs ou destins singuliers ». L'école s'adapte aux besoins de l'élève et non l'inverse. « La notion d'inclusion repose sur un principe éthique : celui du droit pour tout enfant, quel qu'il soit, à fréquenter l'école ordinaire. » (Plaisance, Belmont,Vérillon, Schneider, 2007, p160). « L'inclusion, à la différence de l'intégration, suppose non seulement l'intégration physique mais aussi pédagogique afin de permettre à tous les élèves d'apprendre dans une classe correspondant à leur âge ceci quel que soit leur niveau scolaire » (Thomazet, 2006, p.20).

Chez nos répondants, nous constatons une certaine confusion entre ces deux termes très usités : E1 définit un élève inclu comme « posé là dans une classe » et un élève intégré est un élève « pour qui on met en place des choses pour que ça fonctionne dans ce groupe ». E7 confond les deux, pour elle, « c'est la même chose ». E3, E10, E8 ont des visions plus globales : « l'inclusion c'est de ne pas faire de différence entre les enfants, qu'ils sont tous sur un même pied d'égalité, c'est d'avoir des escabeaux de taille différentes pour voir tous à la même hauteur » (E3). « L'inclusion c'est de vivre tous ensemble en tenant compte des spécificités de chacun pour pouvoir y répondre au mieux et pour pouvoir donner une chance égale à tous » (E8). Les répondants sont quasi-unanimes pour dire que « c'est une belle et noble idée » mais certains se questionnent sur ce qui se cache derrière cette volonté d'inclure les élèves à tout prix. E8 et E4, E6 pensent que c'est pour faire des économies, « derrière la belle idée, j'ai peur qu'il y ait des remaniements et des suppressions de poste et que ça s'avère malheureusement être la réalité sous couvert d'inclusion : on récupère des postes et au final, nos élèves se retrouvent placés avec d'autres sans bénéficier du coup d'adaptation » (E8), « je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est plus financier qu'une super idée pédagogique » (E4, E6, E2). Certaines craintes sont affichées sur ce qu'il y a vraiment derrière cette idée d'inclusion. Néanmoins, les PE spé sont conscients du caractère stigmatisants de la SEGPA et s'ouvrent, comme nous l'avons dans la partie 7.1.2, vers l'inclusion à travers des dispositifs innovants (classes miroirs), des passerelles, des co-interventions et le partage des disciplines avec les PLC.

7.3.3 : Le tout inclusif

Désormais, il convient de se demander ce qu'ils pensent du tout inclusif ? E4, E1 et E9 ont vécu l'expérience de la sixième inclusive, nous étudierons leur réaction après le tableau ci-dessous qui indique les réponses à la question : êtes vous pour le tout inclusif ?

Tableau 16: Le tout inclusif

 

E1

E3

E4

E6

E7

E8

E9

E10

E2

E5

E11

Etes vous pour le tout inclusif ?

non

non

non

non

non

non

non

non

non

non

non

Une inclusion dans les deux sens?

X

X

X

X

X

X

 

X

 
 
 
 

7.3.3.1 : Les raisons évoquées

Plus de souplesse dans le fonctionnement interne de l'établissement:

E8 dit que « mettre tout le monde ensemble deviendrait tout simplement ingérable pour les collègues car tu devrais faire trop de différenciation », « certaines vont trouver leur voie sur des thématiques en sport ou en musique, pourquoi pas ? mais en français et en maths, ça va être difficile. Notre structure est riche et sous exploitée ».

E1, E3, E8, E6, E7 et E10 évoquent l'inclusion inversée, c'est-à-dire donner la possibilité aux élèves de l'ordinaire qui seraient attirés par les métiers manuels de profiter des ateliers de la SEGPA ou bénéficier d'un enseignement adapté quelques heures dans la semaine. E1 évoque l'idée de « proposer les ateliers à des enfants qui seraient dans l'ordinaire et qui seraient manuels ou tout simplement qui auraient envie de faire autre chose », E3 parle « d'offrir la possibilité à des élèves du collège de pouvoir suivre des heures en SEGPA, de mélanger tout le monde, que les classes soient mouvantes », E8 parle de son expérience de BAR (Bureau d'Aide Rapide) installé sur le temps du midi où les enseignants « aident les élèves de SEGPA mais aussi les autres et on se rend compte que eux aussi, de l'autre côté, ils sont aussi en demande ». E8 rajoute que ce qui le ronge c'est l'idée « d'uniformisation de la société derrière l'inclusion, et ce parcours uniforme est insupportable ».

Les conséquences du tout inclusif sur les élèves:

E10 se dit « Oh, mon dieu, les pauvres ! Ils vont galérer... On va se retrouver avec beaucoup plus d'élèves en échec scolaire, ils vont perdre le goût de venir à l'école alors que là, ils l'avaient enfin ! Je pense que ce ne serait pas judicieux. Inclure pour inclure, non. Beaucoup de parents viennent me voir pour me dire, pour la première fois, mon enfant est ravi d'aller à l'école. Il est content, il n'y va pas la boule au ventre, il trouve qu'il arrive à progresser ». E6 est contre le tout inclusif car c'est une démarche qui doit s'effectuer « dans la réflexion et maîtrisée avec d'autres

collègues. Ce serait moins traumatisant pour les élèves. Je pense que ça ne bouge pas dans le bon sens, dit-elle, le tout inclusif pour moi, c'est pas une solution. Pour moi, on est tous différent, alors pourquoi vouloir mettre tout le monde dans le même moule ? ». E3, E10, E8, E4, E7 et E9, E5, E11 pensent que tous les élèves ne peuvent pas être inclus et qu'ils se retrouveraient en souffrance. Pour E5 « ce serait catastrophique si on en arrivait là. Certains, mal orientés et qui sont dans l'ordinaire sont déjà en souffrance, c'est peut-être aussi pour ça qu'ils développent une aversion pour l'école. Les élèves ont vraiment besoin de voir l'école autrement et nous PLC on n'est pas en mesure de leur montrer un visage différent. Le tout inclure ne serait pas bénéfique pour eux ». E2 parle de « violence folle » faite aux élèves.

E10, pour avoir vécu l'inclusion, parle d'anticiper la démarche et que celle-ci doit être réfléchie et au cas par cas. Même E9 qui met tout en oeuvre pour que l'inclusion se développe dans son collège n'est pas favorable à l'inclusion totale car certains enseignants ne sont pas prêts. Quant aux élèves, ils ne peuvent pas tous suivre. Selon elle, un fonctionnement tout inclusif « pourrait être destructeur pour nombre d'élèves, c'est pourquoi elle doit être réfléchie et accompagnée ». E1 qui a fait l'expérience de la sixième inclusive (celle-ci a duré un an car les effectifs l'année suivante en SEGPA était trop nombreux) est partagée. Elle nous dit « qu'une fois les élèves arrivés en cinquième SEGPA, ils sont soulagés ». Certains élèves lui ont même dit après cette expérience « j'y arrive pas, c'est trop dur et on m'avait promis que j'y arriverai ». E4, qui comme E1, a vécu la sixième inclusive, pense que « c'est une perte de temps » puisque les élèves reviennent ensuite en cinquième SEGPA.

7.3.3.2 : Les leviers et les freins

Les leviers à l'inclusion:

E9 travaille chaque année pour ouvrir les esprits et travailler de concert avec ses collègues PLC. Dans le cadre de la sixième inclusive, elle a impulsé la co-intervention, ce qui est préconisé par les théoriciens de l'inclusion. E7, E8, E5, E4, E3 proposent des co-interventions aux collègues. E7 et E8 voient ces co-intervention comme une richesse dans le partage pédagogique et disciplinaire. E7 a mélangé deux classes, ils ont trente-trois élèves à deux enseignants. Elle « peut aller aider les élèves, les accompagner, leur dire ce qu'il faut faire, comment se comporter tout en chuchotant ». E6 est consciente qu'il « faut conserver la structure en l'adaptant pour répondre au prescrit ».

Les freins à l'inclusion sont plus nombreux:

Les PLC constatent que, s'ils ne sont pas épaulés par un PE spé dans leur classe, c'est trop difficile à gérer (E5) . Certains enseignants refusent catégoriquement de travailler avec des élèves de SEGPA. E3 rapporte des propos très durs de ses collègues : ce « sont des délinquants, des débiles, je me fais chier avec eux. Je ne peux pas faire mon programme ». Selon E4, « les profs de collège sont parfois loin des difficultés de nos élèves et qu'ils préfèrent avoir une classe ordinaire ». La co-intervention est difficile à mettre en place : E3 explique que selon elle la co-intervention c'est « quand deux enseignants co-construisent quelque chose ensemble. Mais j'ai peur que ce soit les collègues PLC qui donnent les directives ».En effet, le problème de la légitimité a été évoqué par nombres de répondants. Même si le PLC est devenu plus « pédagogue » que « magister » (Tardif et Lessard), il n'en demeure pas moins qu'il souhaite garder le contrôle de la classe.Le PLC devant l'élève en difficulté ressent « un sentiment d'incompétences qui augmente et il navigue de la ressemblance à l'étrangeté. » (Piroux, 2017,p.8) Ce sentiment pourrait être allégé par « la présence de l'enseignant spécialisé qui peut permettre le transfert du problème posé » (Ibid), ce que fait remarquer E9. E9 s'est battue pour mettre en place de la co-intervention car un des enseignants avec qui elle travaille « avait peur du jugement ». Il lui a dit « j'ai l'impression que t'étais là pour me juger, que je faisais quelque chose de mal et qu'en gros t'étais là pour me corriger, ce n'est pas facile d'avoir quelqu'un dans sa classe qui va te juger, te dire ce qui va pas, pointer tes difficultés, tes défauts ou autre chose qui fonctionnent pas très bien ». L'idée que préconise E9 est de « réussir à pointer les professeurs, sans leur jeter la pierre mais essayer d'être un caméléon discrètement, de leur apporter des choses et puis d'apporter des choses aux élèves. Je change, je veux dire, je change de personnalité en fonction du professeur que j'ai en face de moi ».

E6 et E7 disent oui à la co-intervention mais pour E6, « tout dépend de la personne, car c'est très intéressant, on peut tirer profit de l'échange, ce n'est pas impossible mais ça peut-être difficile ». E7 affirme qu'on « ne peut pas toujours travailler avec des gens qu'on n'apprécie pas. On doit être en accord sur la gestion de classe, avoir des affinités. C'est un métier où la personnalité de chaque enseignant peut être très différente et suivant qui fait que la classe, elle va pas être menée de la même façon ».

L'inclusion demande du temps de préparation et de l'anticipation :

Mettre en place de la co-intervention est chronophage. Selon E9, « il ne faut pas penser que l'inclusion c'est tout beau tout propre, ça me demande beaucoup de temps, beaucoup d'investissement, beaucoup d'heures et on n'a rien de chiffré sur les apports que ça peut avoir sur les élèves ».

Pour réussir l'inclusion, « les objectifs d'apprentissage doivent être anticipés, le travail en équipe est nécessaire, voire indispensable et que les acteurs soient partis prenantes » (Piroux, 2017, p.10). Si les acteurs subissent, les réactions seront préjudiciables à la fois à la communauté pédagogique mais aussi aux élèves (Laville et Saillot, 2019, p.309).

Pas ou peu de moyens supplémentaires :

E11 trouve qu'en théorie, l'inclusion est une très belle idée, comme E2 d'ailleurs, mais pour qu'elle puisse se mettre en place, « il faut des effectifs réduits, des aides en plus des petits groupes pour progresser en lecture, des petits groupes pour la graphie » et E11 rajoute qu'elle « ne trouve pas qu'on aille vers cela. On ne peut pas dire que l'éducation nationale soit pour la dépense pour aider les gamins en difficultés qu'on va inclure. Oui, pour l'inclusion avec des aides, des béquilles nécessaires ». E2 complète en disant : « il ne faut pas réduire les moyens, avoir une vraie aide car on n'a pas les moyens de suivre ces élèves ». Derrière ce discours récurent se cache probablement une réelle peur du changement qui attend ces professionnels. Selon Gendron (2007), « le refus de vouloir inclure serait peut-être une mesure de protection face à un monde professionnel toujours plus envahi » (Ramel, 2010, p.389). Afin de passer d'une situation de crise identitaire à un projet fédérateur comme le souhaiteraient Puig, Benoit, Gardou, il est indispensable de mettre en place des « renforts pédagogiques et des soutiens spécialisés » (Ibid).

En conclusion de cette partie, voici les constats que nous pouvons énoncer :

Ø Une crise identitaire :

· les PLC vivent une crise identitaire liée à l'hétérogénéité grandissante et à leur manque de formation dans la mise en place de pédagogies adaptées à la difficulté scolaire.

Ø Le tout inclusif

· les répondants unanimement sont contre. En revanche, ils émettent deux idées : x L'inclusion peut être inversée (ouverture ordinaire et spécialisé) x L'inclusion oui mais elle doit être réfléchie, accompagnée et au cas par cas.

Il est à noter que dans les articles portant sur l'inclusion, les chercheurs n'évoquent pas la piste d'une inclusion inversée. Dans le cadre d'une école inclusive, ce qui pose actuellement problème à l'institution (rapport d'Abraham et Despres) et aux chercheurs, c'est le devenir des ateliers en quatrième et troisième SEGPA qui « constituent un obstacle de taille pour rendre effective une organisation inclusive tout au long de la scolarité des élèves. » (Laville et Saillot, 2019, p317).

A l'instar de Zaffran, les répondants croient et défendent la belle idée de l'inclusion pour tous, le « one track approach » (Benoit, 2002). Toutefois, sa réalisation semble difficile et complexe car elle dépend de nombreux facteurs : institutionnels (politique), direction du collège (gestionnaire), équipe pédagogique (pratique) et temps social (sociétal).

Même si à l'instar de Gardou, nous pouvons affirmer qu'il n' y a pas « de vie majuscule sans vie minuscule », « il ne peut y avoir de changements dans un système éducatif sans prise en compte des représentations des acteurs, sans travail sur les différentes composantes d'une identité professionnelle enseignante » (Piroux, 2017, p.11).

En conséquence, nous pouvons dire que notre hypothèse 3 : L'inclusion doit être réfléchie et anticipée et pas à n'importe quel prix est en partie validée.

8. Conclusion :

La réflexion qui a porté ce mémoire a évolué durant l'année et continue de cheminer compte tenu des analyses que j'ai pu entreprendre. Le sujet a évolué non pas tant dans la problématique que dans les hypothèses que je m'étais fixées. Mon cheminement réflexif m'a amenée à mieux cerner mon sujet et mieux appréhender les objectifs que je poursuivais.

J'ai tout d'abord commencé une approche quantitative avec la réalisation de questionnaires à réponses ouvertes et fermées puis une approche qualitative basée sur des entretiens semi-directifs. J'étais donc dans une approche herméneutique, interprétative. Par ailleurs, je souhaitais réfléchir au positionnement à la fois des PLC et des PE spécialisés en SEGPA tant dans leur évolution identitaire que dans leur implication dans une école inclusive.

Or, je me suis rendue compte au fil du temps que je devais faire des choix méthodologiques afin qu'apparaisse dans ma réflexion une certaine pertinence au regard de ce que je voulais démontrer. La réalisation des questionnaires m'a été utile pour poser les bases de ma réflexion mais leur exploitation est selon moi, insuffisante. Quand aux entretiens semi-directifs avec les PLC, je n'ai conservé que leur rapport à leur identité professionnelle.

Je note certaines limites à mon sujet. En effet, aborder à la fois l'identité professionnelle, la SEGPA et l'inclusion mais aussi avoir eu une entrée basée à la fois sur des questionnaires et des entretiens semi-directifs ont rendu le travail difficile et complexe, ce qui ne m'a pas permis d'approfondir mes réflexions comme je l'aurai souhaitée. Concernant le guide d'entretien que j'avais élaboré dans le cadre de mes recherches, il s'est révélé utile au début pour me permettre d'avoir un cadre, puis je m'en suis détachée, laissant une parole plus libre aux répondants, tout en restant dans le cadre de mon sujet. Mais de nombreuses questions en lien avec mon cheminement réflexif sont apparues a posteriori des entretiens.

Lors de l'analyse longitudinale, j'ai pris conscience que des similitudes sémantiques (dans les termes employés) par les répondants étaient récurrentes et que bien que ne se connaissant pas et n'ayant pas nécessairement les mêmes conditions de travail, nombreux étaient les points communs tant dans leurs approches pédagogiques, qu'humaines et sociales.

Le rapport au savoir est également au coeur de notre recherche. Bien que n'ayant pas eu une approche clinique dans mon mémoire, on ne peut l'occulter et elle peut offrir des pistes de réflexion pour l'avenir. De nombreuses thèses décrivent les enjeux psychiques et les conflits personnels et professionnels éprouvés par les praticiens auprès des élèves. Certains chercheurs ont démontré que travailler avec des élèves « hors normes » induisait chez les enseignants une identification

inconsciente aux élèves et un contre-transfert qui prenait une forme éducative et non plus instructrice, les faisant quitter leur place d'enseignant (Simon, 1999).

Lors de l'écriture de mon rapport de stage, je me suis documentée sur l'histoire des SEGPA. Son fonctionnement et les PE qui y travaillent sont inscrits consciemment ou inconsciemment dans une histoire qui leur est propre. Nous pourrions parler d'identité groupale (dans le sens de professionnalisation propre) ou d'identité héritée mais pas uniquement sur le plan biographique. Oserions-nous parler de déterminisme social où tout est imbriqué ?

Compte tenu des données récoltées lors de mes entretiens semi-directifs et en réalisant l'analyse transversale, j'envisage de prolonger mes réflexions et de les approfondir sur la professionnalisation. S'intéresser à la professionnalisation et à la professionnalité des enseignants de SEGPA, permettrait à la fois de mieux définir cette profession, de faire reconnaître socialement ce métier et d'en définir ses compétences mais aussi d'en connaître les gestes professionnels avec l'apprentissage de terrain, les acquis d'expérience, les éléments identitaires de la profession ainsi que ce qui la compose.

En effet, les enseignants spécialisés de SEGPA interrogés semblent être dans un empan liminal. Il serait donc intéressant d'étendre cette recherche pour en connaître les causes dans une approche à la fois sociologique et historique. Cette recherche pourrait mettre en avant une professionnalisation certaine avec un sentiment d'appartenance à un groupe bien défini identitairement et professionnellement.

9. Bibliographie :

Inclusion,intégration et SEGPA :

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Benoit H. (2012), Pluralité des acteurs et pratiques inclusives : les paradoxes de la collaboration. La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, 57, 65-78.

Berzin C., Monchaux P. & Ibernon L. (2020), De l'intégration à l'inclusion, quelles évolutions des pratiques enseignantes : Le cas de la Picardie. Spirale - Revue de recherches en éducation, 65-2, 1323.

Boutin G. et Bessette L. (2009), Elèves en difficulté en classe ordinaire : défis, limites, moralités, Chronique sociale, Montréal, 2009.

Cifali M. (2020), «Du discours à l'activité : enjeux subjectifs, relationnels et éthiques d'une école à visée inclusive», https://vimeo.com/139591434.

Cifali M, (2021) , Conférence, Tenir parole. Responsabilités des métiers de la transmission, novembre 2021, https://www.youtube.com/watch?v=LUofTuo_YhM

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Cury Carlos Roberto Jamil.(2009), Réflexions sur les princes juridiques de l'éducation y compris au Brésil. Égalité, droit à la différence, équité. Recherche et formation pour les métiers de l'éducation .61, p.41-53, 2009.

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Ebersold S. Plaisance E. Zander C. (2016) , Ecole inclusive pour les élèves en situation de handicap : accessibilité, réussite et parcours individuels, Conférence de comparaisons internationales, CNESCO, 28-29 janvier 2016, CIEP-Sèvres.

Gardou C. (2014), La société inclusive, parlons-en ! Erès, Toulouse.

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http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/10/15102018Article636751850196507016.a spx

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