La place des rappeuses dans l'industrie musicale françaisepar Léa Piacentini ISCPA - Bachelor de Production de projets artistiques 2022 |
3/ Le choix stratégique des featuringsLes featurings ont une place importante dans le marché du rap français. Ils permettent aux artistes de diversifier leur proposition artistique, de trouver un nouveau public, de visibiliser d'autres artistes, de se légitimer dans le milieu professionnel et auprès du public. Ils peuvent jouer un rôle important dans la visibilisation des rappeuses. «Le featuring est un lieu d'intégration dans le monde du rap et les artistes invitant font de leur position professionnelle un levier intégrateur» (Corentin Roquebert). Si un rappeur invite une rappeuse pour un feat, cela lui donne non seulement de la visibilité mais une légitimité auprès du public du rappeur. Il faut casser le traditionnel feat rappeur/chanteuse et inviter des rappeuses sur des couplets où elles kickent pour banaliser le fait qu'une femme puisse kicker «aussi bien» qu'un homme. Ce mouvement d'intégration des rappeuses dans le paysage du rap français doit donc également venir des rappeurs, et de leurs labels. «Les valeurs du hip hop, c'est l'entraide et faire avec les moyens du bord. Même la soeur, si tu la trouves forte, tu la portes. Même si elle te fera de l'ombre parce qu'elle est plus forte, tu la portes. Il faut faire des feats avec des rappeurs, où elles montrent qu'elles kickent.» (Josué Bananier). Enfin, les recommandations algorithmiques des plateformes de streaming sont largement influencées par les featurings dans les morceaux. Cela pourrait donc pousser les rappeuses dans les algorithmes et permettre aux auditeurs qui écoutent le morceau en feat de découvrir de nouvelles artistes. 4/ L'opportunité du digitala - Le pouvoir des plateformes de streaming Les plateformes de streaming comme Spotify, Deezer, Apple Music, YouTube Music... sont les principaux facteurs de nouvelles découvertes musicales. Dans mon sondage Google Form, 45,5% des participants ont répondu qu'ils découvraient de nouveaux artistes plutôt sur les plateformes de streaming (l'entourage arrivant en deuxième avec 35%). Les plateformes de streaming ont donc un rôle dans la visibilité qu'à un artiste face aux auditeurs. 48 Graphique extrait du sondage Google Form, voir en annexe «Quand j'écoute des rappeurs, on me propose que des rappeurs par la suite. Quand j'écoute des rappeuses, on me propose uniquement des femmes, même si ça n'a rien à voir comme Angèle, Shakira etc...» (Éloïse Bouton). 49 Des chercheurs de l'université d'Utrecht ont analysé les pratiques d'écoute de 330 000 utilisateurs sur neuf ans. Ils ont découvert que seulement 25% des artistes écoutés sont des femmes, que la première chanson recommandée est toujours signée par un homme et que les utilisateurs devaient attendre la septième chanson pour que l'algorithme recommande le morceau d'une femme. L'algorithme des plateformes de streaming est fait de telle manière à analyser les écoutes de l'auditeur et l'enferme ensuite petit à petit dans un genre musical, en lui faisant des recommandations qu'il considère comme proches de ses goûts. On peut se demander si c'est une bonne chose que ce soit le facteur numéro un pour le public de découverte de nouveaux artistes, puisque les plateformes de streaming ne poussent pas vraiment l'auditeur à diversifier ses écoutes et ses goûts. Ainsi, les rappeuses ne sont pas avantagées par ces plateformes, car, si l'auditeur ne recherche pas de lui-même des rappeuses, elles ne lui seront probablement pas recommandées. Les chercheurs de l'université d'Utrecht ont proposé un remaniement de l'algorithme de ces plateformes, qui permettrait de revoir le classement des artistes masculins. il suffirait d'abaisser le rang des morceaux d'artistes masculins d'un nombre de places fixes, pour faire remonter les artistes féminines dans les recommandations. Entrer en playlists sur les plateformes de streaming est aussi un enjeu important pour un artiste. En effet, deux tiers du temps d'écoute de Spotify sont consacrés aux playlists. Si des playlists algorithmiques sont créées en fonction des écoutes de chaque utilisateurs, les playlists éditoriales sont aussi très importantes. Celles-ci sont créées et gérées par les équipes des plateformes de streaming elles-mêmes. «19 des 20 meilleures playlists en 2020 ont été créées par des éditeurs et éditrices de playlists Spotify, totalisant près de 161,5 millions de followers»36. Elles représentent également un tiers du temps d'écoute sur Spotify. Ainsi, le pouvoir d'exposition qu'elles offrent est énorme, et le fait qu'elles soient créées par l'équipe de la plateforme offre une sorte de garantie de qualité dans la perception de l'auditeur. «Les playlists des sites de streaming remportent un vif succès : 8 jeunes sur 10 les écoutent ; elles ont un rôle de prescripteur puisqu'un jeune sur 2 y a récemment découvert un artiste» (AGI-SON)37. Si les curateurs de ces 36 iMusician, Pourquoi les playlists Spotify sont-elles importantes ?, 2020 37 Comment les 12-18 ans écoutent-ils de la musique ?, SoCo pour AGI-SON, 2019 50 playlists pensent à intégrer plus d'artistes féminines et plus de rappeuses dans leurs playlists éditoriales, ce serait un gros coup de pousse. À l'inverse, leur absence de ces playlists les invisibilise. Veiller à la parité dans ces playlists est important et boosterait les écoutes des rappeuses, en plus de faciliter leur découverte par de nouveaux auditeurs. À titre d'exemple, dans la playlist Rapstars de Deezer en juin 2022, il y avait un titre d'une rappeuse (Shay, DA), sur un total de 50 titres. J'ai aussi remarqué que la playlist Rap Chill, toujours sur Deezer, comptait un peu plus de titres de rappeuses, c'est-à-dire 4 sur 50 au total. Cependant, 3 de ces titres de rappeuses étaient en featuring avec des hommes (LeJuiice ft La pépite; Zinée ft Sean; Vicky R ft A2H). Un morceau seulement de rappeuse seule (Eesah Yasuke, Fuck1rsa) figurait donc dans cette playlist. b - Les services pour artistes indés On sait qu'aujourd'hui, le marché de la musique en France se construit de plus en plus autour de l'artiste «indépendant», qui reste maître de ses décisions et propriétaire de sa musique. L'industrie du rap se compose de labels indépendants, qui repèrent et développent les artistes et sont reliés aux majors via différents contrats. Des entreprises comme Believe proposent des solutions de distribution et de marketing pour ces labels et artistes «indés». Depuis plusieurs années, ces services vont plus loin grâce à l'émergence de plateformes qui répondent à des besoins précis de ces artistes indépendants. RekYou pour trouver un studio d'enregistrement, Groover pour contacter des professionnels de la musique, Bridge audio pour stocker les fichiers audios, Base For Music pour créer des campagnes digitales... Sans oublier les agrégateurs qui permettent à n'importe qui de distribuer sa musique sur les plateformes de streaming (Tunecore, Imusician, Distrokid...). Ces plateformes rendent accessibles à tous la production musicale, et, combinées, permettent de réaliser un projet presque en 360. Grâce à ces plateformes, les artistes ont aujourd'hui toutes les clés en main pour produire eux-mêmes leurs projets. Ce sont aussi de vrais leviers de rencontre, RekYou avec son service Musical Project Manager, propose un accompagnement de projet complet de la production à la promotion en s'adaptant aux besoins de chaque artiste; Groover permet aux artistes d'avoir un feedback, et plus si affinités, de professionnels. 51 En se servant de ces services pour réaliser leurs projets, les rappeuses n'auront pas à attendre qu'on les repère. Elles gardent le contrôle sur leur création. Ces services sont «neutres», dans le sens où ils n'auront pas de rémunération sur le projet de l'artiste. Cela peut éviter de tomber sur un DA qui les pousse à faire de la pop parce que ça se vend mieux. Ces services sont rarement seulement des plateformes, ils proposent en général un accompagnement et des conseils précieux. «Les rappeuses doivent exploiter tout le digital. Les réseaux YouTube, TikTok, Insta, et des nouvelles plateformes qui se créent. Ça leur permet de s'exprimer comme elles veulent et de toucher le public qui leur correspond. Les outils comme RekYou, Groover, Base For Music etc... Il faut qu'elles s'en saisissent. La technologie en général, comme les NFTs, pareil.» (Josué Bananier, fondateur de RekYou). 52 En clair, construire un projet solide musicalement comme visuellement, et connaître son public est important pour une artiste, si elle veut garder le contrôle sur sa musique et s'entourer d'une équipe qui lui correspond. Les réseaux sociaux et les services qui naissent du digital sont une opportunité pour les rappeuses de pousser leurs projets, sans attendre que l'industrie leur donne leur chance. 53 |
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