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La problématique de l'efficacité de l'aide internationale en Haà¯ti pour la période allant de 1995 à  2018


par Elga EXIL
Université Quisqueya - Licence en Sciences Economique 2022
  

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5- Obstacles à l'efficacité de l'APD en Haïti

L'aide publique au développement (APD) est souvent perçue comme peu efficace et rime pour certains avec un gaspillage de l'argent du contribuable. Quoique chaque pays a ses propres caractéristiques, l'inefficacité de l'aide dans la majorité des pays assistés peut s'expliquer parfois pour ne pas dire souvent par des causes communes. Etant donné que les différents travaux effectués autour de l'aide en Haïti montrent qu'elle est inefficace, dans cette partie du travail, on se donne pour objectif de présenter certains obstacles à l'efficacité de l'APD en Haïti.

Parmi les principaux obstacles à l'APD on peut citer : la faiblesse institutionnelle, la corruption, les catastrophes naturelles, l'instabilité politique.

5.1- La faiblesse institutionnelle

Les problèmes dont souffre Haïti sont directement liés à la faiblesse institutionnelle que connaît le pays depuis longtemps. Ce vide institutionnel favorise les inégalités, empêche la croissance, augmente la pauvreté et facilite la corruption en Haïti. Pour Cecilia Ann Winters et Robert Derrell (cité dans Paul, 2012), la différence de développement économique entre Haïti et la République Dominicaine a pour origine une accumulation de causes dont certaines sont institutionnelles. A cause de la négligence de cette dimension locale beaucoup de stratégies de développement parfois très coûteuses à mettre en oeuvre ont échoué. C`est le cas des politiques d`ajustement structurel (PAS) mises en oeuvre dans de nombreux pays par les institutions de Bretton Wood. Non seulement elles se sont révélées inefficaces (Beaulière, 2007), les stratégies de ce type ont produit le comportement inverse au sein des populations locales (Mobekk et Spyrou, cité dans Paul, 2012).

La problématique de la gouvernance est aujourd'hui au fond de toutes les discussions dès qu'il s'agit de la gestion de l'appareil décisionnel dans les pays moins avancés. En Haïti, des problèmes de gouvernance politique, exprimés par des comportements antidémocratiques, le non-respect des règles du jeu et la fraude électorale, ont eu des conséquences graves sur la vie de tous les haïtiens et sont, sans aucun doute, à la base des difficultés diverses, comme par exemple l'instabilité socio-politique et l'insécurité, que l'on a enregistrées dans le pays ces derniers temps. La mauvaise gouvernance économique qui s'y est associée a laissé ses traces négatives sur l'économie du pays, désarticulée et en panne de croissance, suite à de mauvais choix faits par les dirigeants. En matière de gouvernance, pour l'année 2008, Haïti se trouve en dernière position pour les pays de l'Amérique latine et de la Caraïbe.

En Haïti, le pilotage à vue est souvent le trait dominant de la gestion de la chose publique, ce qui est contraire aux principes de la bonne gouvernance qui nécessite des plans, des objectifs et des lignes de base pour mesurer les progrès. Certainement, les conséquences s'en ressentent au niveau social puisque la gestion que l'on fait des ressources est faible et ne laisse pas assez de place à la construction de l'armature éducative et sanitaire accessible à la grande majorité des citoyens.

Les principes autour de l'efficacité de l'aide soulignent que, pour pouvoir générer un développement à long terme, l'aide doit servir à renforcer les institutions de l'État et que ce renforcement est plus efficace si l'aide est canalisée par celles-ci. Pourtant, au lieu de renforcer l'Etat et les institutions, l'aide est offerte dans un cadre ne favorisant pas, comme dans beaucoup d'autres pays, l'épanouissement institutionnel des gouvernements (Collier et Dollar, 2004 ; Ear, 2007).

Dans les pays possédant des systèmes de gestion des ressources publiques transparents et efficaces, l'aide passe par l'appui budgétaire. Ainsi, le pays a la possibilité d'agir sur ses priorités et d'engager des investissements permettant d'accroître le tissu productif. Par contre, beaucoup de bailleurs craignent des malversations au vu de la faiblesse des mécanismes de contrôle des finances publiques et préfèrent le canal des ONG pour leur apport d'aide. Au cours des dernières décennies, des Organisations Non Gouvernementales et d'autres fournisseurs privés ont de plus en plus occupé des fonctions qui relèvent des attributions fondamentales de l'État haïtien. D'un côté, ceci a permis de combler des lacunes à des endroits où les autorités n'intervenaient pas. D'un autre côté, ceci a contribué à affaiblir davantage les institutions étatiques.

Dans un contexte de dépendance vis-à-vis de l'aide, l'Etat haïtien se voit dans l'incapacité de déterminer par lui-même les priorités nationales, quant aux prises de décisions économiques et aux types de production et de développement à privilégier. Ainsi, la dépendance de l'aide déresponsabilise les dirigeants, encourage la recherche de rentes, favorise la corruption et entrave le développement d'une société civile saine dans la mesure où les dirigeants se sentent davantage redevables de leurs actes aux pays donateurs qu'à leurs propres citoyens. Ces dirigeants montrent leur incapacité à mobiliser les ressources nationales nécessaires, à la fois humaines et financières, pour financer le développement du pays.

Il importe de rappeler qu'en raison de notre défaillance institutionnelle chronique, une bonne partie de l'aide est détournée par les organismes exécutants, en particulier les ONG, pour payer des salaires faramineux à un personnel expatrié pléthorique, alors que leur travail pourrait être réalisé sur place, à moindre coût par des haïtiens. Dans un tel contexte, une large part de l'aide est répartie à l'extérieure sans être utilisée au profit du pays. En plus de la fragmentation qui est un problème sérieux, les fonds ont rarement été investis dans des programmes structurels, élaborés selon les priorités du peuple haïtien. On pourrait bien se demander comment une aide littéralement détournée aurait pu atteindre ces objectifs de développement économique et d'amélioration des conditions de vie des plus défavorisés.

Aucun pays ne peut prétendre à se développer sans infrastructures institutionnelles de haute qualité. Donc, autant que l'aide fragilise les institutions haïtiennes, elle ne pourra pas atteindre ses objectifs de réduction de la pauvreté car elle sera toujours détournée et empochée par des élites corrompues.

? La corruption

La corruption est un phénomène constaté dans tous les pays, les riches comme les pauvres, les petits comme les grands (Easterly, cité dans BIGIRIMANA et al. 2011). Elle est placée au quatrième rang après la criminalité, l'inflation et la récession selon une enquête réalisée par l'agence Roper Starch International (Easterly, cité dans BIGIRIMANA et al. 2011). Suivant les données fournies par l'International Credit Risk en 1990, la corruption et l'efficacité de l'APD sont inversement corrélées. De même qu'elle est inversement corrélée avec l'investissement (BIGIRIMANA et al., 2011). En effet, le phénomène de la corruption impacte directement l'efficacité de l'aide, et a des effets indirects sur les conditions politiques nécessaires à l'efficacité de l'APD surtout dans les nations fragiles.

La corruption se définit de multiples façons. Ces définitions varient selon les facteurs culturels, juridiques ou autres. D'une manière générale, elle est perçue comme le fait d'abuser les fonctions publiques ou privées pour son bénéfice personnel (OCDE, 2008). D'autre part, selon Transparency International, la corruption résulte du comportement de la part d'agents du secteur public, qu'il s'agisse de politiciens ou de fonctionnaires, qui s'enrichissent, eux ou leurs proches, de façon illicite, à travers l'abus des pouvoirs publics qui leur sont confiés (OCDE, 2008).

Le niveau de la corruption varie d'un pays à l'autre, pour être plus clair, des nations plus corrompues et d'autres moins. En Haïti, la corruption constitue l'un des plus grands problèmes qui ronge le coeur du pays. Elle ne s'agit pas donc d'un phénomène nouveau. Depuis les années 1990, la problématique de la corruption semble avoir pris de l'ampleur (Cadet, cité dans Magaly Brodeur 2012). Aujourd'hui, il est indéniable que la corruption affecte tous les rouages de l'Etat. Son niveau a varié en fonction des priorités des gouvernements en place.

En effet, le pays ne jouit pas d'une bonne réputation en ce qui a trait à la lutte contre la corruption. Au contraire, cette dernière est un fléau qui s'est, au fil des décennies, graduellement institutionnalisé en Haïti. Les rapports en témoignent. Selon une enquête réalisée par le Bureau de recherche en informatique et en développement économique et social (BRIDES), l'Unité de lutte contre la corruption (ULCC) et l'Institut de la Banque mondiale (IBM), 93 % des ménages affirment que la corruption est maintenant un problème « très grave » en Haïti (BRIDES et al., cité dans Magaly Brodeur 2012). Les impressions se reflètent lorsqu'on suit l'évolution des indices de perception de la corruption de l'ONG Transparency International. De 2002 à nos jours, Haïti est passé du 89e rang mondial (score de 22 sur 100) à 168e rang (score de 18 sur 100) en matière de corruption (Transparency International, 2002 et 2019). Elle figure actuellement dans la liste des pays les plus corrompus dans le monde et est réputée la plus corrompue de la Caraïbe. Il s'agit là d'une situation qui est loin d'être enviable et à laquelle le pays doit s'attaquer pour assurer son développement.

Tableau 2 : Haïti et corruption (Score)

Haïti, Degré de liberté face à la corruption (1995-2017)

Période

1995-2003

2004-2009

2010-2017

Score moyen

10.00

17.33

18.25

Source : A partir de la base de données en ligne de l'Université de Sherbrooke5(*)

Le phénomène de la corruption en Haïti relève de la complicité des acteurs haïtiens, mais aussi des acteurs étrangers présents dans le pays tels que les organisations internationales (OI) et les organisations non gouvernementales. D'ailleurs, dans une enquête diagnostique sur la gouvernance et la corruption en Haïti réalisée en 2007, 41% des ONG ont affirmé payer des pots-de-vin afin d'obtenir des contrats publics (BRIDES et al., cité dans Magaly Brodeur 2012). Ce phénomène est tellement bien implanté dans les moeurs haïtiennes, qu'il arrive que, même si plusieurs le condamnent, une fois en situation de pouvoir, ils paraissent s'en accommoder. D'ailleurs, «l'assertion couramment reprise « volé l'État cé pas volé » tend à illustrer le degré d'imprégnation de l'acceptation de la corruption en Haïti» (Cadet, cité dans Magaly Brodeur 2012, p. 51).

En fait, la corruption revêt différentes formes en Haïti telles que : pot-de-vin, concussion, enrichissement illicite, blanchiment d'argent provenant de crimes économiques, abus de fonctions, trafic d'influence, malversations, fraude fiscale, surfacturation des services à l'Etat, sous facturation des redevances à l'Etat, détournement de fonds, népotisme, passation illégale de marché public (ULCC, stratégie de la lutte contre la corruption). Les pots-de-vin représentent la forme la plus fréquente de corruption en Haïti. Quel que soit la forme considérée, la corruption constitue un obstacle au développement socio-économique du pays et à l'instauration d'un Etat de droit, mine la confiance du citoyen dans les institutions publiques, projette une image négative du pays à l'extérieur et décourage les investisseurs privés tant nationaux qu'étrangers. Elle fausse les règles du jeu démocratique et de l'économie de marché et elle est coûteuse pour la société.

En ce qui a trait à la corruption en Haïti, plusieurs cas se présentent tels que : L'affaire Petro Caribe, surfacturation... Ces différents cas de corruption prouvent qu'on est loin d'éradiquer ce fléau qui met à nu toute la nature de la classe de cet Etat haïtien.

? L'affaire PetroCaribe comme cas plus récent de corruption en Haïti

Dans tous les cas de corruption en Haïti, les fonds «PetroCaribe» est l'exemple le plus récent et d'actualité prouvant l'installation de la corruption à grande échelle dans le pays. Ce cas dessine clairement une autre architecture de la corruption en Haïti. Ce programme est le fruit d'un accord entre Venezuela et divers pays de la région caribéenne dont Haïti en fait partie. Cet accord facilite les pays bénéficiaires l'acquisition des produits pétroliers à un coût raisonnable et à payer leur commande suivant des modalités avantageuses. Haïti a adhéré à ce programme après la signature d'un accord entre la République bolivarienne du Venezuela et la République d'Haïti le 15 mai 2006 et ratifié par l'Assemblée Nationale le 29 août 2006 (CSCCA, mai 2019). Ce contrat donne à Haïti la possibilité de payer un certain pourcentage de sa facture pétrolière à la livraison et d'investir le solde dans des projets économiques et sociaux. Il s'agit en fait d'un prêt concessionnel au taux préférentiel de 2% l'an remboursable sur 17 ans ou 1% l'an remboursable sur 25 ans suivant les conditions de répartition des ressources financière avec un délai de grâce de deux ans pour tous les cas (CSCCA, mai 2019).

Démarré en août 2007 lors de la signature du traité de sécurité énergétique (TSE)6(*), le Fonds PetroCaribe a généré 4.23 milliards de dollars américains à l'État haïtien du 5 mars 2008 au 14 avril 2018 (CSCCA, mai 2019). Ce fonds, malheureusement dilapidé, allait créer des tensions socio-politiques. Ce qui avait occasionné des enquêtes réalisées par la commission éthique et anti-corruption au niveau du parlement haïtien et ensuite des rapports d'audit de la CSCCA. Le deuxième rapport publié en mai 2019 par la CSCCA a fait mention du nom de l'ex président Jovenel MOÏSE comme étant l'une des personnes impliquées dans un «stratagème de détournement de fonds». Pourtant, lors de son passage à Paris en 2018 l'ex a déclaré : «la corruption est un crime contre le développement». Son discours critique à l'égard de la corruption n'a pas cessé. Lors de son intervention à la 73e session de l'Assemblée Générale des Nations Unies, il a affirmé avoir identifié 5 problèmes dont Haïti fait face : «la corruption, corruption, corruption, corruption et corruption».

Le pays traîne honteusement actuellement dans la corruption au plus haut niveau de la société. La corruption généralisée devient un mal endémique, une bourbe salissante. Ce phénomène est devenu une véritable plaie sociale qui gangrène nos institutions, rend la politique malade et qui nuit gravement au développement du pays. Il est clair que la corruption qui gangrène à tous les niveaux de l`administration publique haïtienne participe sans aucun doute à l`inefficacité des financements internationaux (Péan, 2007).

* 5 Données disponibles via le lien suivant: http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codeTheme=9&codeStat=HFI.CORRUPTION&codePays=HTI&optionsPeriodes=Aucune&codeTheme2=9&codeStat2=x&codePays2=DJI&optionsDetPeriodes=avecNomP&langue=fr

* 6 TSE: Ce traité était signé entre le Venezuela et des pays de la région Caribéenne dont Haïti en fait partie.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard