B) Les Relations Sociales en Télétravail
et le Risque d'Isolement
L'une des réticences les plus populaires sur le
télétravail est le manque de relations sociales. Plus que pour
l'entreprise, la crainte est cette fois-ci du côté des
salariés. « Les facteurs individuels socio-organisationnels et
le leadership influencent la manière dont les individus vivent la
dispersion géographique ». Wilson, en 2008, nous alerte sur
les dangers d'une mauvaise gestion organisationnelle et de leadership du
télétravail. Cela pourrait entraîner ce que l'on appelle
une
« déproximité » du
télétravailleur vis-à-vis de ses autres
collègues.
Il existe 3 principaux risques dû à ce
phénomène, que l'on classera de manière croissante :
- Interprétation des messages échangés
via les TIC : Les TIC peuvent être une réelle source de
confusion au travail comme dans la vie de tous les jours.
En effet, que ce soit par mail, par SMS ou même par appel
téléphonique, il est difficile de percevoir le côté
émotif des échanges. Bien que certaines méthodes
permettent de les faire transparaître un peu mieux (émojis, gif,
etc...), il reste difficile de savoir si son interlocuteur ressent vraiment les
émotions que l'on perçoit car il est
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plus facile de tricher. De plus, la perception négative ou
positive du ton du message est influencée par l'état
émotionnel du lecteur ou de la nature habituelle des relations qu'il
entretient avec son interlocuteur. En face à face, ce sont les
communications verbales et non verbales qui nous donnent des indications sur
l'émotion de l'interlocuteur (ton de voix, gestuelle, expressions du
visage, ...). A distance, les interlocuteurs vont interpréter aussi bien
le sens que la portée des messages. Un message peut paraître
parfois agressif alors que de l'autre côté du
téléphone, l'interlocuteur était peut-être en train
de sourire. Il faut donc prendre le plus de recul possible, éviter
d'interpréter les messages et ne pas hésiter à communiquer
pour éviter de potentiels non-dits.
Aujourd'hui avec la recrudescence de logiciels de type «
Visio » comme Skype ou plus récemment Zoom, il est plus simple de
faire passer ses émotions car on se retrouve dans une situation
très proche du présentiel. Ces logiciels peuvent dont être
de bons moyens pour palier le présentiel, sans pour autant en abuser.
- Appauvrissement des échanges : L'absence de
cette communication non verbale évoquée
précédemment va impacter négativement la sociabilisation
du télétravailleur.
En effet, le télétravail filtre les échanges
pour ne garder que ce qui est utile au travail. Les échanges seront
certes plus productifs mais restent strictement professionnels. En
télétravail, on risque bien souvent de passer à
côté de beaucoup d'informations personnelles sur ses
collègues (collègues qui ne vont pas bien, ambiance dans les
locaux, ...) ce qui va rendre sa sociabilisation plus difficile. On parle alors
d'appauvrissement des échanges.
- L'isolement : La conséquence de
l'appauvrissement des échanges, peut se traduire dans les cas les plus
extrêmes, par de l'isolement.
Si des temps de réunion ne sont pas organisés entre
le télétravailleur et le reste de son équipe, pour que
chacun discute de sa vie personnelle, de comment va chacun, de la vie de
l'entreprise et autres, le télétravailleur peut se sentir exclu
de la vie de groupe, et même parfois de la vie de son entreprise.
Et quelques fois il ne s'agit pas que d'un ressenti mais bien
d'une réalité. Lorsque les sollicitations se trouvent être
de moins en moins nombreuses et que les rares échanges sont peu
enrichissants, le télétravailleur ne fait plus partie, dans
l'esprit de
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ses collègues, du groupe. Ce sentiment d'isolement,
ajouté au fait que le télétravail est parfois mal
accepté par les autres collègues, entraine de la
culpabilité de la part du télétravailleur et une
volonté constante de vouloir prouver qu'il sert à quelque chose
au sein du groupe. Cela va se traduire par une déconnexion difficile,
mais aussi par une forme de « qui-vive » qui va contraindre le
télétravailleur à se rendre toujours disponible afin
d'éviter toute remarque.
C'est pour cela qu'il est important que le manager anime son
groupe, crée une vraie cohésion et maintienne ce lien.
Pour éviter ces dérives du
télétravail, il est important de bien comprendre la notion de
distance. Il y a en effet ce que l'on appelle la distance physique ou
objective. Elle décrit dans notre cas l'éloignement physique
entre le groupe en présentiel et les télétravailleurs.
Cette distance est purement factuelle. Elle entraine donc une adaptation au
niveau de l'organisation car les collaborateurs travaillent de manière
désynchronisée du fait du manque de coordination informelle. Elle
se traduit également par une réduction naturelle des interactions
et des échanges entre les membres. Cependant les individus peuvent
très bien vivre cette distance physique s'ils mettent en place des
outils et des manières de fonctionner dans le but de réduire
l'impact de la distance. On parle alors de réduction de la «
distance perçue ».
Ce concept est quant à lui basé sur le cognitif et
l'affectif, il n'est pas factuel comme celui de la distance physique. La
distance perçue est la perception que se fait un individu de sa
proximité ou de sa distance avec un autre individu. Par exemple je peux
me sentir proche de quelqu'un (distance perçue) alors que cette personne
habite à des centaines de kilomètres de moi (distance physique /
objective). Et c'est finalement cette distance perçue qui nous
intéresse ici. Est-ce que le télétravailleur se sent
proche ou non de ses collègues ? C'est cet indicateur qui nous permet
d'évaluer la qualité des relations sociales d'une personne.
Voyons comment WILSON, O'LEARY et MEITU expliquent ce
modèle conceptuel avec le schéma ci-dessous :
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Modèle de la Proximité perçue
par O'LEARY, WILSON et METUI (2014, P. 1225)
Ce schéma illustre parfaitement ce que représente
la proximité perçue. Elle est impactée par la
proximité physique évoquée plus tôt, la
communication et l'identité partagée.
Plus la communication est saillante, moins la distance se fait
sentir. Plusieurs facteurs composent cette qualité de communication.
Tout d'abord il a bien sûr la fréquence de communication qui est
importante pour que l'individu se sente concerné et sente qu'on lui
prête attention. Ensuite il y a l'intensité de la communication,
sa valeur et l'importance qui en est fait. Et enfin il y a les interactions
qu'elle génère. Leurs qualités mais aussi leurs
réciprocités.
Il en va de même pour l'identité partagée.
« Un individu s'identifie à une équipe à partir
du moment où il se considère membre d'un collectif, lorsque
l'identité est saillante. » Pratt, en 1998, met l'accent sur
l'importance de l'identité commune d'un groupe que l'on peut
définir par l'auto-catégorisation d'un groupe social. Selon lui,
un groupe c'est « apprendre à se comprendre ». Une
identité partagée, c'est aussi poursuivre un but commun.
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Tous ces facteurs agissent donc positivement ou
négativement pour former la distance perçue. Si cette distance
est faible alors cela veut dire que le télétravailleur et ses
collaborateurs arrivent à dépasser la distance physique qui les
sépare pour collaborer. Si cette distance est forte, le
télétravailleur a de fortes chances de se sentir isolé du
groupe, seul. Il est alors important de mettre en place des processus pour
souder le groupe et augmenter la distance perçue du
télétravailleur avec ses collègues. Et c'est notamment le
rôle du manager.
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