VII. Discussion
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De manière générale, les résultats
obtenus à la fin de l'évaluation du niveau d'exposition
professionnelle par la méthode du Control Banding ont
révélé un niveau d'exposition chimique professionnelle
très élevé. Ces résultats semblent corroborer ceux
de Savary B. et al. par la méthode du Scooring et
d'Hiérarchisation des Risques Potentiels (HRP). En effet, les
résultats obtenus étaient moyens à importants selon la
partie des DEEE concernée (Savary B. et al., 2004).
En effet, la majorité des agents affirment être
confrontés à la poussière émanant du
matériel reçu mais aussi de certains résidus de
substances. Parmi elles, nous avons des résidus de poudre de toner,
d'encre liquide ou visqueuse des imprimantes (réservoirs d'encre qui
sont recyclés par exemple), des résidus d'hydrocarbures ou
d'huile usagés etc. Le démantèlement manuel étant
le procédé utilisé à la DSN avec moins de casse que
dans le secteur informel mais cela n'élimine pas les dangers
présents.
Au-delà de la poussière, le recyclage expose
aussi aux champignons et bactéries du fait de leur longue conservation
et souvent de leur exposition à l'humidité. A cela, s'ajoutent
les anciennes machines obsolètes qui ne respectent plus les normes
internationales car renfermant des proportions importantes de substances
chimiques réglementées et qui sont parfois
démantelées dans les mêmes conditions que les machines de
dernière génération.
En effet, selon une étude réalisée dans
plusieurs entreprises de recyclage en Belgique, il a été
retrouvé des concentrations importantes en métaux dans certaines
zones de recyclage. Ces résultats de mesurage étaient comparables
à ceux effectués en Allemagne (Barbieux J.P. et al.,
2008). Les activités de démantèlement sont
à l'origine d'une émanation de poussière importante. La
concentration de plomb retrouvée dans une entreprise de
démantèlement de petits appareils électriques, des
moniteurs et des postes de télévision se situait entre 1,4 et
54,2 jig/m3, ce qui dépassait de loin la VLEP qui est de 0,15 jig/m3
(Barbieux J.P. et al., 2008). La présence d'encre
d'imprimante contribue fortement à l'exposition des travailleurs. Des
expérimentations animales avec les toners ont montré qu'ils
pouvaient être classés dans la catégorie des «
poussières solides bio-persistantes sans toxicité significative
connue ». La poussière de toner contient des particules de type
alvéolaire. D'après les analyses de Castaing G. et
Guilleux A., Octobre 2010, lors des différents
procédés de manipulation, nous pouvions avoir la présence
de substances telles que :
· Pigments (Ex : TiO2, Fe3O4, Pb, Co,
Al...)
·
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Solvants (Ex : toluène, xylène,
N-méthyl-2-pyrrolidone*(*Réprotoxicité
avérée de la substance et elle est utilisée comme solvant
dans certaines pâtes de pigment) ...)
· Résines, liants (Ex :
dérivés d'esters de colophane, acide maléique, acide
fumarique, PVC...)
· Additifs volatils (Ex : 2-butanone
oxime, cyclohexanone oxime, ...)
Pour ce qui est des imprimantes, le diamètre des
particules d'aérosols peut être inférieur à 100 nm
(particules ultrafines) (Qyan Y. et al, 2015). Tout de
même, certains de ses constituants comme la résine polyester, la
cire, le noir de carbone et l'oxyde de titan sont considérés
comme des substances dangereuses. Ces deux derniers étant classés
2B par le CIRC. Le danger de la poudre de Toner réside plus dans sa
capacité à s'accumuler dans les voies aériennes et
entrainer des réactions inflammatoires. L'intoxication chronique due
à une exposition régulière à la poudre de toner
peut être à l'origine de maladies respiratoires comme l'asthme, la
broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) ... (SUVA,
2015)
Les résultats obtenus à la fin de
l'étude de l'évaluation ventilatoire n'ont pas montré
d'influence possible de l'exposition sur les troubles ventilatoires. En
comparant le risque de survenue des troubles ventilatoire globaux, nous n'avons
pas trouvé dedifférence significative entre les 2 populations
d'étude c'est-à-dire qu'il semblerait que l'exposition n'est pas
un facteur de risque d'apparition de troubles ventilatoires. En revanche, en
considérant le statut tabagique dans nos 2 populations d'étude,
le tabac semblerait influencer l'apparition de troubles ventilatoires et de
BPCO uniquement chez les cas [p <0,05 OR (IC95%) : 2,496 (1,382-4,506) et
31,01 (1,816529,7) respectivement]. Ceci pourrait s'expliquer par la proportion
importante de fumeurs chez les cas. En effet, la BPCO est une maladie
respiratoire chronique définie par une obstruction permanente et
progressive des voies aériennes dont la cause la plus fréquente
est le tabagisme (Larroque A., 2012). Cependant, chez
la population témoin, tous les asthmatiques étaientdes fumeurs
alors que chez les cas, il semblerait que le tabac n'influence pas l'apparition
d'asthme chez les agents de la DSN. Or la comparaison des proportions d'asthme
entre les deux groupes n'avait pas montré de différence
significative (33,3 % vs 26,7% : p= 0,6483 OR(IC95%) : 1,175 (0,6443-2,141)],
cela pourrait faire penser que l'exposition au DEEE pourrait favoriser
l'apparition d'asthme chez les recycleurs. En effet, l'asthme est
considéré comme l'une des maladies respiratoires les plus
fréquentes en milieu professionnel (CHSCT,
2014).Et un schéma général de
physiopathologie des maladies respiratoires liées à l'exposition
professionnelle a été proposé par plusieurs auteurs. Les
risques toxicologiques des encres sont essentiellement liés à
deux principales voies d'exposition : la voie respiratoire et
celle cutanée. Cependant, la voie orale n'est pas négligée
non plus. Le manque d'hygiène (nettoyage insuffisant des mains et du
visage avant le repas, manger avec des vêtements souillés) peut
contribuer à la concentration de ces substances dans l'organisme. Les
tenues sont lavées à la maison pour certains et pour d'autres,
elles sont lavées à l'entreprise même et sécher
à l'air libre du jardin. La plupart des agents affirment prendre une
douche après le service une fois à la maison. Tous ces
comportements peuvent contribuer à la dissémination de ces
particules de poussières d'un endroit à un autre. Ces
poussières sont toutes susceptibles de provoquer des surcharges
pulmonaires (pneumoconioses de surcharge). La survenue et la gravité de
ces pathologies sont liées à la granulométrie des
poussières. (Castaing G. et Guilleux A., Octobre
2010)
L'inhalation de substances nocives entraine des
conséquences variées pour les voies respiratoires. Ces
conséquences sont liées non seulement aux substances toxiques
elles-mêmes, mais aussi à leur concentration, la taille des
particules de poussière, la profondeur de l'atteinte dans les voies
respiratoires et aux facteurs individuels. Certaines maladies se
déclenchent rapidement, d'autres se manifestent longtemps après
les expositions ce qui nécessite un temps de latence allant de quelques
mois à des années.
Cependant, l'exposition peut être réduite
grâce aux mesures de protection collective ou individuelle. En effet
chaque agent a en sa possession un équipement de protection individuelle
: 2 tenues à manches longues, une paire de lunettes, une paire de
chaussures protectrice, une paire de gants et un demi-masque jetable de type
FFP2. Cependant, ce dernier n'est pas renouvelé constamment affirme la
majorité des agents. De plus, certains équipements sont
privilégiés par rapport aux autres. Pour les masques, seuls 67%
des agents affirment les porter. En revanche, il arrive qu'ils enlèvent
leurs masques qui deviennent gênants pour eux et surtout quand il fait
chaud dans la salle augmentant ainsi les risques d'inhalation de particules.
Des employés de deux entreprises de démantèlement aux
Etats-Unis se sont lavés les mains après le travail et ont subi
des tests de contrôle. Les résultats ont montré la
présence de plomb et de cadmium, ce qui met en évidence le risque
de contamination (Grimes C. et al., 2019). Cependant,
l'étude menée à la DSN ne pourrait pas affirmer avec
certitude que les troubles respiratoires observés chez les agents ont
une origine professionnelle ou qu'ils sont dus à la manipulation de
DEEE. En effet, certaines pathologies prennent du temps avant l'apparition des
symptômes comme pour certaines pneumoconioses. L'idéal serait
d'élargir la population d'étude en incluant d'autres entreprises
de recyclage de DEEE et d'y associer des analyses quantitatives des matrices
environnementales et d'établir un suivi dans le temps des
paramètres biologiques. Tout de même une étude
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comparative entre les travailleurs du formel et ceux de
l'informel seraient intéressant dans l'étude des impacts.
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