De l'avoir pour la valorisation de l'être. essai de compréhension de l'être et l'avoir chez Gabriel Marcelpar Ange TEZANGI AZAKALA Université Saint-Augustin de Kinshasa - Grade en philosophie 2020 |
I.3. LA COEXISTENCE DE L'ETRE ET DE L'AVOIR DANS LEUR MOUVANCEI.3.1. La corrélation entre l'être et l'avoirIl n'y a pas de mots plus usuels que les termes « Etre » et « Avoir », pas de mots plus embarrassants que ceux-ci dans une approche philosophique. Heidegger et Martin Buber en notre temps, Aristote, dans l'antiquité l'ont également fait remarquer. Nous disons : la terre est ronde, ma montre est sur la table. J'ai une femme. Cette propriété est à moi, etc. Autant d'exemples, autant de sens différents qui mettenten relation l'être et l'avoir.Gabriel Marcel n'est pas resté muet face à ces deux concepts et surtout face à leur interrelation dans le temps et l'espace. Gabriel Marcel se veut concret et pragmatique lorsqu'il affirme que, « être et avoir sont deux catégories irréductibles »15(*).« Tout avoir se définit en quelque façon en fonction de mon corps, c'est-à-dire de quelque chose qui, étant un avoir absolu, cesse par là même d'être un avoir en quelque sens que ce soit »16(*). « Je ne puis, poursuit-il, (...) dire que j'ai un corps, du moins à proprement parler, mais la mystérieuse relation qui unit à mon corps est à la racine de toutes mes possibilités d'avoir »17(*). Autrement dit, l'être doit nécessairement avoir comme l'avoir doit nécessairement être pour exister, que ce soit du point de vue concret, psychologique, moral, intellectuel car tout ce que l'être a, fait partie de la possession, de l'avoir. A défaut, son existence sera inexistable.C'est à juste titre que nous affirmerons que non seulement je suis mon corps mais également j'ai mon corps comme j'ai mon être. Dans la même visée, Erich FROMM souligne que : « Le choix entre avoir et être, en tant que notion contraire, ne frappe pas le sens commun. Avoir, semblerait-il, est une fonction normale de notre vie : pour pouvoir vivre, il faut avoir certaines choses afin d'en tirer plaisir. Au contraire, il semblerait qu'avoir est l'essence même de l'être ; et que celui qui n'a rien n'est rien»18(*). C'est dire que pour subsister, l'homme a besoin des biens élémentaires. Ces biens, sont sa possession, et c'est par elle qu'il affirme : il pense que c'est dans le respect de cette possession que consiste sa liberté19(*). L'homme de droit formel ne trouve sa dignité que dans la possession légale de ses biens. Mais il est impossible d'identifier complètement la dignité humaine à la chose possédée. « Tout être a quelque chose : un corps, des vêtements, un toit... ou, pour l'homme et la femme modernes, un poste de télévision, une machine à laver, etc. Vivre sans rien avoir est pratiquement impossible »20(*). En clair, l'avoir en soi, n'est rien d'autre qu'un élément fondamental pour la valorisation et pour l'accomplissement de l'être car on ne peut pas l'être avec son avoir. Il faut avoir pour exister ou pour survivre. Avoir et être font la spécificité de l'homme. L'avoir est toujours et déjà au service de l'homme depuis son apparitiondans l'univers.Il en va de même pour Denis BOSOMI sur la coexistence de l'esprit et du corps car : « l'esprit (l'être) sans le concours de la matière (avoir) serait inefficace ; l'esprit en nous a besoin du corps pour agir pleinement et donc pour être pleinement lui-même »21(*).L'être a nécessairement besoin de l'avoir pour se réaliser pleinement. C'est pourquoi, le slogan de corporéité, veut tout simplement dire chez Gabriel Marcel, coexistence du corps-sujet ou de l'être et avoir au sens propre de notre terme fondamental. L'avoir pour Gabriel Marcel, a toujours et déjà été un élément de valeur pour l'êtreà première vue de sa pensée. On peut bien le déduire par cette phrase de Gabriel Marcel : « Il y a bien un sens où il est vrai de dire que le corps est un avoir, puisqu'il est comme zone frontière entre l'être et avoir »22(*). En d'autres termes, le corps est pris comme une médiation entre le moi et la chose possédée (l'avoir). Pour Gabriel Marcel, bien que le corps soit un avoir, il est aussi une réalité qui est au-delà de toute conception objectivante, il est de l'ordre de l'être.Pour lui, la corporéité, selon qu'elle exprime l'unité de l'homme, corps-sujet (être et avoir), est la manière humaine d'être-au-monde, d'être inséré, d'être-en-situation. De ce fait, la corporéité, c'est « mon corps, c'est renouer avec l'existence »23(*). En effet, sur le plan philosophique, aborder la question de la corporéité, c'est réfléchir sur le sens même de l'existence humaine. Dans la mesure où nous considérons le corps humain comme « la matrice de l'existence » ou le nexus de ma présence au monde rendu manifeste24(*). Dans cette perspective, le corps comme l'avoir ou une possession dans la dimension humaine de l'être, est le lieu de révision de la métaphysique et de toutes les théories qui instrumentalisent l'homme. Il est donc une approche concrète pour une anthropologie philosophique renouvelée. * 15 G. MARCEL, Cité par Roger Vernaux, op.cit., p. 152. * 16 IDEM, Etre et Avoir, op.cit., p. 119. * 17Ibid. p. 122. * 18 E. FROMM, op.cit., p. 33. * 19 Cf. J-M. PALMIER,Hegel. Essai sur la formation du système hégélien, Paris, Cherche-Midi, 1968, p. 98. * 20 E. FROMM, op.cit., p. 41. * 21 D. BOSOMI LIMBAYA, L'homme et sa destinée. Le parcours de l'anthropologie philosophique de s. Augustin, s. Thomas et J. de Finance, Kinshasa, USAWA, 2013, p. 75. * 22 G. MARCEL, Etre et Avoir, op.cit., p. 102. * 23 NGIMBI NSEKA, Tragique et intersubjectivité dans la pensée de Gabriel Marcel, MAYIDI, 1981, p. 55. * 24Cf. C. NKETO LUMBA, cité par H. KAVUSA, « Entrevue avec le professeur NKETO LUMBA Cléophas » in L'homme, cette excédentarité inclôturable, N°83, Kinshasa, Canisius, (janvier 2010), p. 69-74. |
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