L'application du concept de la responsabilité de protégerpar Grâce AWAZI Université de Goma - Licence 2019 |
CHAPITRE I. RESPONSABILITE DE PROTEGER EN DROIT INTERNATIONALAvant d'aborder la question relative à la valeur ajoutée qu'apporte la responsabilité de protéger en droit international (section 2), nousallons tout d'abord aborder la notion de l'évolution du concept de la responsabilité de protéger (section1). Section 1. EVOLUTION DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGERDans le cadre de cette section concernant l'évolution de la responsabilité de protéger, nous envisagerons d'une part la source de la responsabilité de protéger (§1), et d'autre part son fondement juridique et ses notions voisines (§2). §1. SOURCE DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGERPour ce qui est de la responsabilité de protéger, elle est désormais bien connue : c'est la responsabilité de protéger les civils du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité, qui incombe d'abord à l'Etat sur le territoire duquel les exactions ont lieu et, à titre subsidiaire, si celui-ci ne peut ou ne veut la mettre en oeuvre, à la « communauté internationale » qui peut alors intervenir seulement après une autorisation du Conseil de sécurité sous Chapitre VII pour la version onusienne de 200527(*), alors que la version initiale de 2001 (rapport de la CIISE) considérait le Conseil de sécurité comme une autorité prioritaire mais pas exclusive. Si la question de l'intervention militaire cristallise tous les débats, il faut prendre garde à ne pas y réduire la R2P qui est en réalité beaucoup plus large puisqu'elle inclut non seulement l'intervention le cas échéant mais aussi la prévention et la reconstruction, et que l'usage de la force militaire n'est envisagé qu'en dernier recours. Contrairement à un préjugé répandu, l'idée d'une « responsabilité de protéger » ne date pas du rapport éponyme de la CIISE qui l'a fait connaître en 2001. Elle a plusieurs sources.28(*) La première, ancienne, est l'idée de souveraineté conditionnelle, déjà théorisée par les juristes de la fin du XIXe siècle. Le principe de non-intervention ne protège que les Etats « réellement dignes de ce nom ». On parle alors d'« intervention pour cause d'abus de souveraineté » ou de « détournement de souveraineté »29(*). Durant cette période, marquée par la non-intervention coupable au Rwanda en 1994 et l'intervention au Kosovo en 1999, quelques idées préparent à la R2P. notamment la notion de « sécurité humaine », apparue au début des années 90, d'abord définie par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) comme la somme de sept éléments (sécurité économique, sécurité alimentaire, sécurité sanitaire, sécurité environnementale, sécurité personnelle, sécurité collective et sécurité politique), de façon beaucoup trop large, puis restreinte à la fin de la décennie au coût humain d'un conflit violent30(*). La deuxième est la redéfinition de la souveraineté comme responsabilité opérée par Francis DENG, alors représentant du Secrétaire général sur les personnes déplacées. Deng affirme notamment que, « pour mériter le nom de gouvernement, un gouvernement doit désormais satisfaire certaines conditions, qui impliquent toutes des limitations de l'usage du pouvoir » ; et que « la communauté internationale » a « l'obligation » de s'en assurer31(*). La troisième est ce qui est parfois appelé la « doctrine Annan », selon laquelle la souveraineté ne constitue plus un rempart derrière lequel peuvent se commettre toutes les exactions. En 2000, Annan note, d'une part, « qu'aucun principe juridique pas même celui de la souveraineté ne saurait excuser des crimes contre l'humanité » et, d'autre part, qu'« il s'agit au fond d'un problème de responsabilité : en cas de violations massives des droits de l'homme universellement acceptées, nous avons la responsabilité d'agir ». Au tournant du millénaire, il articule clairement la question en montrant les limites du vocable classique de l'intervention humanitaire et l'intérêt d'une reformulation en termes de responsabilité d'agir (R2P)32(*). La R2P a été avalisée par le Secrétaire général des Nations Unies et bénéficie d'un large soutien auprès des différents groupements de la société civile internationale. En 2006, le Conseil de sécurité y a fait explicitement référence au paragraphe 4 de l'importante résolution 1674 du 28 avril 2006 relative à la protection des populations civiles en période de conflit armé, qui « réaffirme les dispositions des paragraphes 138 et 139 du Document final duSommet mondial de 2005 ». Si, en 2008, la R2P n'est que brièvement mentionnée parmi les principaux thèmes abordés par le Secrétaire général de l'ONU dans son rapport à l'Organisation, en janvier 2009, ce dernier consacrait un rapport développé à la mise en oeuvre du principe. Et, après qu'en juillet 2009, elle lui eut consacré plusieurs jours de débats à l'initiative de son président, l'Assemblée générale des Nations Unies adoptait par consensus, le 14 septembre 2009, sa première résolution en la matière. L'année 2009 a donc été, comme l'a souligné le Secrétaire général, « une année décisive pour la mise en oeuvre de laresponsabilité de protéger ».33(*) A. La souveraineté nationale et la responsabilité de protégerL'État est le seul sujet du droit international public possédant une souveraineté. En effet, la souveraineté est une qualité qui est propre à l'État et le caractérise. Elle est aussi la garantie d'une non-ingérence provenant des autres États ou même de l'Organisation des Nations unies. Néanmoins, si la souveraineté signifie le pouvoir de l'État de décider lui-même, sans être soumis à un pouvoir extérieur ou supérieur, elle ne dispense pas l'État de respecter ses engagements ainsi que les règles du droit international. La souveraineté se trouve ainsi soumise aux limitations que l'État a acceptées par convention et à celles qui résultent des règles du droit international. Parmi ces dernières, nous pouvons évoquer, notamment, le respect des Droits de l'Homme. Avec l'émergence récente du concept de la responsabilité de protéger (b), la souveraineté de l'État (a) est redéfinie en une « souverainetéresponsabilité ». L'État est responsable de protéger sa population. Il ne peut plus commettre des crimes à son encontre et se réfugier derrière laditesouveraineté pour échapper à toute intervention extérieure. a. La souveraineté de l'ÉtatLa souveraineté est désignée, selon le schéma westphalien, l'identité juridique de l'État en droit international. C'est une notion qui introduit ordre, stabilité et prévisibilité dans les relations internationales, en ce sens que les États souverains sont considérés comme étant égaux, indépendamment des différences de taille ou de richesse. Le principe de l'égalité souveraine des États est consacré au paragraphe 1 de l'Article 2 de la Charte des Nations Unies. Au plan interne, la souveraineté signifie la capacité de prendre des décisions contraignantes à l'égard de la population et des ressources qui se trouvent sur le territoire de l'État. Cela étant, de manière générale, l'autorité de l'État est considérée comme étant non pas absolue, mais limitée et réglementée au plan interne par les dispositions constitutionnelles relatives à la séparation des pouvoirs34(*). L'une des conditions de la souveraineté d'un État quel qu'il soit est l'obligation correspondante de respecter la souveraineté de tous les autres États : la règle de non-intervention est consacrée au paragraphe 7 de l'Article 2 de la Charte des Nations Unies. Un État souverain est habilité en droit international à exercer une compétence exclusive et totale à l'intérieur des frontières de son territoire. Les autres États ont l'obligation correspondante de ne pas intervenir dans les affaires intérieures d'un État souverain. Si cette obligation est violée, l'État victime a en plus le droit de défendre son intégrité territoriale et son indépendance politique. À l'époque de la décolonisation, ce sont les États nouvellement indépendants qui ont réaffirmé de la manière la plus catégorique le principe de l'égalité souveraine des États et son corollaire, la règle de non-intervention35(*). L'État est une institution humaine dont la finalité est d'assurer à ses citoyens la sécurité et le bien-être de leur personne. Afin de remplir cette fonction, il dispose de certaines prérogatives qui lui permettent d'exercer son hégémonie sur ses citoyens et de s'opposer à toute ingérence étrangère susceptible de compromettre son existence. À cet effet, tout État dispose d'une armée et d'une force de sécurité en vue de protéger la personne et les biens des citoyens. L'État est donc doté d'une puissance irréductible à celle de toute autre entité en son sein. Le pouvoir dont dispose un État est à cet effet le pouvoir suprême, celui qui est au-dessus des autres.36(*) De ce point de vue, les États sont constitués d'un territoire, d'une population et d'un pouvoir politique. C'est dans l'exercice de ce dernier que relève le principe de souveraineté. Celui-ci peut être considéré comme le critère de l'État en ce sens qu'on ne peut parler d'un État que lorsqu'il est souverain. Le principe de souveraineté confère à ceux qui détiennent le pouvoir de commandement le droit de prendre les décisions pour l'orientation de la politique globale nationale. Il y a ainsi un lien entre les notions de souveraineté, de puissance et de pouvoir. La souveraineté exprime l'idée d'un pouvoir ou d'une puissance de commander que détient l'État. La souveraineté nationale se traduit en droit international par le droit àl'autodétermination. Encore appelé le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le droit àl'autodétermination est le principe issu du droit international selon lequel chaque peuple dispose d'unchoix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de touteinfluence étrangère. Ce principe a été affirmé après la seconde guerre mondiale dans la Charte desNations unies signée à San Francisco le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945. Le point2 de l'article premier inclut parmi les buts des Nations unies celui de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes»37(*). Ce droit a aussi été consacré par l'article premier du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 : « Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel»38(*).À partir de ces considérations, on peut dire que ce droit est sous-entendu dans sa mise en oeuvre par certains principes dont celui de l'intégrité territoriale et de l'intangibilité des frontières et le principe de non-ingérence. La résolution 1514 (XV), adoptée le 14 décembre 1960 par l'Assemblée générale des Nations unies stipule que « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'uniténationale et l'intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec les buts et les principes desNations unies »39(*). Quant au principe de non-ingérence, il est défini dans l'article 2 de la Charte des Nations unies qui précise qu': « Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations uniesà intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État»40(*). Cependant, il y a une autre dimension du droit international qui lie les États à la communauté internationale et autorise un contournement de la règle du droit régissant le principe de non-ingérence.41(*)Ainsi, dans le cas de menace contre la paix ou de non-respect des droits de l'homme, le droit international autorise de façon partielle et contrôlée l'intervention internationale dans les affaires d'un État souverain. Ceci montre les limites de la souveraineté nationale et justifie le principe de la responsabilité de protéger car les États sont liés à la communauté internationale par des traités qu'ils ont librement ratifiés et qui font partie intégrante de leurs lois fondamentales. C'est ainsi qu'on est passé d'une souveraineté nationale à une souveraineté de responsabilité.42(*) * 27 Le Document final du Sommet Mondial du 20 septembre 2005. Adopté par la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU. A/60/L.1 du 24 octobre 2005, §139. Disponible à l'adresse: http://www.ilo.org/global/docs/WCMS_079440/lang-fr/index.htm consulté le 1 juillet 2019 à 01h30'. * 28 Jean-Baptiste JEANGÈNE, «Responsibility to Protect, Protection of Civilians and their Interaction», in United Nations University Press, Tokyo, 2012, pp. 2-3. * 29 Jean-Baptiste JEANGÈNE, op. cit., p. 3. * 30 Ibid. * 31 Ibid, pp. 3-4. * 32 Ibid, p. 4. * 33 Assemblée générale de l'ONU., Rapport du Secrétaire général, Alerte rapide, évaluation et responsabilité de protéger, A/64/864, 14 juillet. 2010, §14. Disponible dans l'adresse : https://dacces-ods.un.org/TMP/9662747.97916412.html consulté le 13 avril 2019 à 03h03'. * 34 Rapport de la CIISE : la responsabilité de protéger, op.cit, p.12, par.2.7 * 35 Ibid, p.12, par.2.8 * 36 Bantchin NAPAKOU, « De la souveraineté à la responsabilité de protéger », in revue internationale de philosophie, Université de Lomé, Togo, IX N°17 pp. 54-57. * 37 Charte des Nations Unies signé à San Francisco le 26 juin 1945, Article 1 point 2. (Recueil de Droit International, collection d'instruments, Nations Unies, New York, 2018, tome I, pp. 3-22. Téléchargeable dans l'adresse : http://legal.un.org/poa et http://legal.un.org/avl ). * 38 Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé en New York le 16 Décembre 1966 et entrée en vigueur le 23 mars 1976, article 1 alinéa 2. (Recueil de Droit International, collection d'instruments, Nations Unies, New York, 2018, tome I, pp. 385-398. Téléchargeable dans l'adresse : http://legal.un.org/poa et http://legal.un.org/avl ). * 39 A/RES 1514 du 14 Décembre 1960. Disponible dans l'adresse : https://www.un.org/fr/decolonization/declaration.shtml consulté le 4 mai 2019 à 16h30'. * 40 Article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies. * 41 Bantchin NAPAKOU, op. cit., pp. 58-59. * 42 Ibid., p. 60. |
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