CONCLUSION GENERALE
« Il n'y a pas de développement sans
sécurité, il n'y pas de sécurité sans
développement, et il ne peut y avoir ni sécurité, ni
développement si les droits de l'homme ne sont pas respectés
(...) ».159Cette citation de Kofi Annan,
qui invoque la triple nécessité, pour les Nations Unies d'assurer
la sécurité, le développement et les droits de l'homme,
lève en réalité le voile sur un grand débat qui
porte sur la relation qu'entretiennent ces trois notions. Ainsi à
l'heure de la mondialisation, l'effectivité des droits de l'homme est un
défi majeur.
Pour la Communauté internationale, toute personne
privée de liberté doit être traitée avec
dignité.160Il va sans dire que la
détention provisoire est une mesure exceptionnelle, et c'est à ce
titre que peut être affirmée son interprétation
restrictive. Elle a pour finalité le maintien de la personne
suspectée pour les nécessités de l'instruction, la
préservation de l'ordre public et la protection de l'individu
lui-même161. La durée
de la détention tient compte de la nature de l'infraction commise et de
la peine correspondante162.
Mesure grave mais nécessaire, la détention
préventive doit faire l'objet d'une utilisation raisonnable, car il
paraît contradictoire de priver une personne de sa liberté pour la
commission d'une infraction dont on n'a pas la certitude qu'elle en soit
l'auteur alors que la présomption d'innocence nous impose de penser
qu'en effet, elle ne l'est pas, tout du moins pour le moment. Il est important
de noter que la détention provisoire excessive est un problème
mondial qui affecte tant les pays développés que ceux en
développement.
C'est pourquoi il incombe à chaque Etat de prendre des
mesures adéquates afin de garantir l'effectivité des droits
fondamentaux dans l'administration de la justice pénale. A cet effet, le
législateur togolais a su comprendre cette philosophie des droits de
l'homme. Il n'a pas hésité à intégrer dans sa
Constitution les différents instruments internationaux et
régionaux relatifs aux droits de
l'homme163.
Ce travail de recherche tout en traitant de façon
générale la protection des droits de l'homme dans le
régime de la détention préventive au Togo comporte
cependant des limites liées aux questions de l'enfance. La
détention provisoire des mineurs en conflit avec la loi n'a
159 Dans une liberté plus grande : développement,
sécurité et respect des droits de l'homme pour tous, Rapport
du
Secrétaire général, 24 mars 2005,
A/59/2005.
160Article 10 par.1 du PIDCP.
161Jean PRADEL, procédure pénale,
Editions CUJAS, 14è édition 2008/2009, 678 p.
162 Article 113 du Code de procédure pénale du
Togo.
163Les différents instruments internationaux et
régionaux des droits de l'homme ratifiés et signés par
l'Etat
togolais font parties intégrante à notre
Constitution.
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pas été abordée spécifiquement
dans le cadre de ce travail. L'approfondissement de ce sujet pourrait faire
l'objet d'une autre recherche vue la complexité de cette
procédure.
Au terme de la présente étude, il ressort que
bien consacrée par les instruments juridiques internationaux et
régionaux faisant partie intégrante de la Constitution
togolaise164, la protection des droits des
détenus préventifs est précaire et limitée en
raison des défaillances textuelles et institutionnelles. En effet, la
détention provisoire est réglementée au Togo par la
Constitution, Code pénal et le Code de procédure pénale.
Il faut noter que ce dernier n'a pas connu beaucoup de réformes visant
à réajuster ou à conformer la détention
préventive aux exigences de respect des droits de l'homme. Dans la
pratique, beaucoup de défis restent à être
relevés165 : l'absence de motivation du
mandat de dépôt, les détentions abusives de longues
durées, les conditions de détention dégradantes et
déplorables, la surpopulation carcérale, les pertes en vies
humaines, les droits et libertés élémentaires des
détenus bafoués, l'ineffectivité d'indemnisation des
détenus bénéficiant d'une décision de non-lieu, de
relaxe ou d'acquittement. A tous ces problèmes, doivent être
trouvés rapidement des remèdes.
A qui incombe la responsabilité de cette situation ?
A priori, il est probable de l'imputer au corps judiciaire.
Cependant, il convient de relever que la responsabilité
doit être partagée entre tous ceux qui interviennent dans la
conception des mécanismes et l'exécution de la mesure de la
détention provisoire au Togo.
En premier lieu, le législateur n'a pas pris assez de
dispositions pour mieux protéger les droits des personnes
détenues provisoirement. A titre d'exemple, l'actuel Code de
procédure pénale et l'ordonnance portant sur l'organisation
judiciaire au Togo sont en écart avec la Constitution et le Nouveau Code
pénal. L'absence d'institutionnalisation des juges des libertés
et de la détention ne garantit pas le respect des droits fondamentaux
des détenus préventifs.
En deuxième lieu, l'exécutif ne met pas à
la disposition des acteurs judiciaires et pénitentiaires des moyens
matériels, institutionnels et humains suffisants pour leurs missions.
164La Constitution du 14 octobre 1992, modifiée
le 31 décembre 2002 et 2007.
165Bureau du Haut-commissariat des Nations unies
aux droits de l'homme au Togo : Rapport sur le respect et la mise en oeuvre des
droits de l'homme et des libertés fondamentales dans l'administration de
la justice au Togo, publié en Décembre 2013, p. 26.
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En troisième lieu, les acteurs judiciaires,
l'Inspection Générale des Services Judiciaires et
Pénitentiaires, les mécanismes chargés de contrôle
des conditions de détention font preuve d'un manquement grave dans leurs
tâches d'exécution et de contrôle.
Alors, que faire pour mettre fin à toutes ces
défaillances ? La présente étude est opportune et pourrait
contribuer à améliorer la protection des droits fondamentaux des
détenus préventifs au Togo. A cet effet, elle suggère donc
:
Sur le plan législatif, une révision du Code de
procédure pénale du Togo s'avère indispensable. Le nouveau
Code de procédure pénale devrait introduire les mesures
alternatives non privatives de liberté d'une part, et d'autre part
institutionnaliser le juge des libertés et de la détention. Il
est impérieux que le législateur redéfinisse clairement
les délais et motifs de la détention provisoire.
Le nouveau Code de procédure pénale devrait
instituer un recours juridictionnel afin que les détenus
préventifs puissent contester les mandats de dépôt
décernés par le ministère public pendant leur
détention.
Aussi une révision de l'arrêté colonial
régissant les prisons civiles au Togo s'avère-t-elle
nécessaire. Le nouveau texte devrait prendre en compte les règles
minimales de Tokyo et autres textes relatifs à la détention
provisoire. Chaque juridiction doit être dotée d'une prison civile
ou au moins une maison d'arrêt respectant les normes internationales.
Le législateur devrait revoir l'ordonnance N°78-
35 du 7 septembre 1978 portant organisation judiciaire au Togo afin de
régler le problème de juge unique qui ne garantit pas souvent le
principe d'impartialité. Les règlements intérieurs des
juridictions relatifs à l'organisation des audiences doivent être
repensés car ces règlements contredisent les délais
légaux (48 à 72 heures) que le Code de procédure
pénale a prévu pour qu'une affaire soit appelée à
l'audience.
Sur le plan pratique, les pouvoirs publics doivent
accroître le budget de fonctionnement alloué à
l'administration pénitentiaire afin d'améliorer les conditions
matérielles et morales d'exécution de la mesure de
détention provisoire. Les pouvoirs publics doivent également
augmenter le nombre d'acteurs judiciaires, les surveillants de l'administration
pénitentiaire et le personnel pénitentiaire. Leur niveau
d'instruction doit être amélioré par des cours et des
stages de recyclage sur la protection des droits de l'homme dans
l'administration de la justice, sur l'éthique et la
déontologie.
Les magistrats doivent faire preuve de sagesse et
d'éthique dans l'usage de la détention provisoire. Avant de
recourir à un mandat de dépôt, ils devront se demander si
c'est l'unique moyen pour parvenir à la manifestation de la
vérité. Pour certaines infractions moins
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graves, ils doivent procéder à la
médiation pénale en s'inspirant de celle des enfants en conflit
avec la loi166.
Sur le plan du contrôle de la mesure de détention
provisoire, l'Inspection Générale des Services Judiciaires et
Pénitentiaires et les Organisations de défense des droits de
l'homme doivent faire régulièrement des visites inopinées
dans les juridictions et dans les lieux d'exécution de la
détention provisoire afin de toucher du doigt les réalités
du terrain et par conséquent prendre des mesures appropriées s'il
y a lieu. Ceci contribuerait également à dissuader les magistrats
et le personnel pénitentiaire véreux, et partant à mieux
garantir la protection des droits des détenus provisoires.
A moyen terme, les Cours d'appel doivent organiser des
audiences d'assises foraines au moins six à sept assises par an en
matière criminelle au lieu d'une seule session ; les tribunaux doivent
tenir des audiences de jugement au moins sept à huit audiences par mois
en matière correctionnelle. Ces audiences foraines permettront de
désengorger les prisons civiles togolaises voire réduire le
nombre des prévenus ou inculpés préventifs.
A long terme, les autorités publiques devraient
conclure des partenariats publics-privés d'une part, et d'autre part
instituer la coopération entre les services publics dans la gestion des
prisons civiles à savoir : Ministère de la santé,
Ministère de la justice, Ministère de l'Action sociale. La
nécessité d'étendre la couverture sanitaire aux personnes
privées de libertés s'avère très indispensable.
Il en va de l'intérêt des pouvoirs publics, car
une détention préventive faite dans de bonnes conditions et dans
les délais réguliers constitue également un indice de
respect des droits de l'homme et permet ainsi d'apprécier le
degré de libéralisme et la capacité du pays au respect du
droit et à la mise en oeuvre d'une justice saine et efficace.
Pour que la garantie des droits fondamentaux des
détenus préventifs devienne une réalité, il faut
une intervention accrue de la Communauté internationale, des
organisations de la société civile et des organisations de
défense des droits de l'homme.
Aujourd'hui, la justice togolaise a besoin d'actes pour
écrire au fronton des palais de justice, prisons civiles et en lettre
d'or, cette phrase qui est inscrite à l'entrée du Palais de
l'Europe à Strasbourg « Là où les hommes
sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de
l'Homme sont violés. S'unir pour les faire respecter est un devoir
sacré ». Les citoyens togolais notamment les
autorités politiques, les ONG, les ODDH, la CNDH, la
société civile,
166La loi n°2007 - 017 du 06 juillet 2007
instituant le Code l'enfant au Togo.
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les acteurs judiciaires et pénitentiaires doivent
pouvoir faire leurs ces mots du Père Joseph
WRESINSKI167 et prendre conscience de leur devoir
sacré de garantir et de protéger les Droits de l'Homme au
Togo.
167Joseph WRESINSKI est un prêtre
diocésain français, fondateur du Mouvement des droits de
l'homme ATD Quart Monde, initiateur de la lutte contre
l'illettrisme.
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