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La détention préventive et protection des droits de l'homme au Togo.


par Lar KOMBATE
Université de Nantes (France) - Master 2 droit international et européen des droits fondamentaux 2016
  

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CHAPITRE I : L'URGENCE DE LA MOBILISATION DE L'ETAT TOGOLAIS EN FAVEUR DE

LA PROTECTION DES DROITS DES DETENUS PREVENTIFS 60

Section 1 : L'effectivité des mécanismes de protection des droits de l'homme dans la phase procédurale de la

détention préventive 60

Section 2 : L'amélioration de la prise en charge des droits économiques, sociaux et culturels 68

CHAPITRE II : L'INTERVENTION ACCRUE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES ET

DES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE 76

Section 1 : L'intervention accrue des institutions internationales et des partenaires en développement 76

Section 2 : L'intervention accrue des organisations de la société civile et des Organisations de défense des

droits de l'homme 83

CONCLUSION GENERALE 90

BIBLIOGRAPHIE 95

TABLE DES MATIERES 103

7

INTRODUCTION GENERALE

La protection de la dignité humaine au cours d'une procédure pénale est l'un des fondements de tout système démocratique respectueux des droits de l'homme1. Ainsi, un Etat de droit n'est-il pas seulement un Etat qui garantit la prééminence du droit, c'est aussi un Etat qui assure la protection des personnes et notamment celles impliquées dans des affaires pénales. L'un des principes fondamentaux en droit pénal, garantissant le respect des droits fondamentaux des personnes soupçonnées d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction, est la présomption d'innocence2. Ce principe dispose que « tout prévenu ou accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d'un procès qui lui offre les garanties indispensables à sa défense »3. Selon l'article 14, paragraphe (PARA.) 2 du Pacte International relatifs aux Droits Civils et Politiques (PIDCP)4 : « toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie». La présomption d'innocence implique en principe, qu'à ce stade les mesures privatives de liberté ne devaient pas être prises contre le prévenu ou l'accusé. Mais pour les nécessités de l'instruction et des mesures de sûreté, toutes les personnes contre lesquelles pèsent des charges suffisantes susceptibles de motiver leur culpabilité peuvent être placées en détention préventive avant jugement.

Mesure grave, mais nécessaire, la détention préventive doit faire l'objet d'une attention particulière, car les abus ou atteintes en la matière ont des répercussions néfastes sur la protection des droits et libertés fondamentaux des détenus préventifs.

De nos jours, le souci majeur de la Communauté internationale est sans nul doute une protection efficace des droits de l'homme dans l'administration de la justice. Ainsi, presque tous les Etats s'efforcent de réglementer au mieux et de surveiller plus rigoureusement toutes les mesures qui peuvent porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux au cours de la procédure pénale notamment la garde à vue et la détention préventive.

1Déclaration Universelle des Droits de l'Homme adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948.

2 Le principe de la présomption d'innocence est inscrit dans la Déclaration Universelle des droits de l'homme (art.11) et dans la Constitution togolaise (art. 18). Ce principe est aussi garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 14, para. 2), par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (art. para. 1 b), la Convention américaine relative aux droits de l'homme (art. 8, para. 2) et la Convention européenne des droits de l'homme (art. 6, para.2).

3 Art. 18 al.1er de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992, modifiée le 31 décembre 2002.

4Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) adopté le 16 décembre 1966 et entrée en vigueur le 23 mars 1976.

8

Le Togo en tant qu'Etat membre des Nations Unies5, a fait d'énormes efforts pour introduire dans son droit positif des normes et mécanismes internationaux et régionaux relatifs aux droits économiques, sociaux, culturels, civils ou politiques dont t'il a ratifiés.

La mise en application de ces mécanismes juridiques nécessite l'intervention d'un grand nombre d'acteurs, l'apport de moyens et expertises, lesquels concourent à garantir le respect des droits de l'homme dans le contexte de la détention préventive. A ce titre, on peut citer le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, les Organisations non gouvernementales (ONG), la Communauté internationale, les partenaires en développement et de coopération et bien entendu le pouvoir judiciaire, notamment les magistrats, les avocats, greffiers et le personnel de l'administration pénitentiaire. Chacun de ces acteurs constitue un maillon important dans le processus de protection des droits fondamentaux des détenus préventifs.

La présente étude analyse les normes internationales de protection des droits de l'homme en matière de détention préventive, ainsi que le cadre légal et la pratique en la matière au Togo. Elle propose en outre une évaluation sur la base de ces considérations juridiques afin de mieux appréhender le degré d'effectivité des droits fondamentaux des détenus préventifs. Aussi, «la détention préventive et la protection des droits de l'homme au Togo», tel est l'intitulé de la présente étude.

L'introduction de notre étude s'articule autour de trois parties : le contexte et la délimitation (I), le cadre (II) et la conduite de l'étude (III).

I. CONTEXTE ET DELIMITATION DE L'ETUDE

Dans cette partie, il sera abordé tour à tour le contexte de l'étude (A) et sa délimitation(B).

A. CONTEXTE DE L'ETUDE

Les conditions de détention déplorables et dégradables observées ces dernières années au Togo sont consécutives à plusieurs facteurs tels que les détentions préventives massives et

5Le Togo est membre de l'ONU depuis le 20 septembre 1960.

9

prolongées, cause de la surpopulation carcérale, à s'en tenir aux statistiques de l'Administration pénitentiaire du Togo6.

Les conditions de détention actuelles laissent croire que l'inculpé ou le prévenu subit anticipativement la peine encourue avant même sa condamnation. Cette situation aussi bien choquante que révoltante heurte les principes de la présomption d'innocence, de délais raisonnables, de procès équitables pourtant prescrits par les instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés par le Togo. Montesquieu le relevait déjà : « les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers mêmes de la justice sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté »7. Comme le dit souvent « la procédure c'est la prudence, la trêve, la réflexion. »

Conscient de l'ampleur des mauvaises conditions de détention, du non-respect des garanties procédurales et de la lenteur judiciaire ainsi que de leurs impacts, les autorités togolaises ont initié depuis 2003 des réformes importantes en vue d'assainir le secteur judiciaire8 et pénitentiaire.

Ces dysfonctionnements se justifient par certains facteurs socio-politiques (1) et économiques (2) qui sont autant d'obstacles au respect des droits fondamentaux des détenus préventifs au Togo9.

1. Contexte socio-politique

Longtemps condamné pour son déficit démocratique, pour les violations des droits de l'Homme et des libertés fondamentales par la Communauté internationale suite aux troubles socio- politiques des années 1990 et 2005, le Togo a souscrit depuis 2006 à plusieurs

engagements internationaux et régionaux afin de refaire son image et de regagner la confiance

des opérateurs économiques.10 Cette situation a eu un impact majeur sur plusieurs aspects du développement économique et social. Après une longue période d'isolement, marquée par

6Statistiques des détenus : Au 04 décembre 2015, sur un effectif total de 4518 détenus, on dénombre 3013 détenus préventifs et 1505 détenus condamnés soit un taux de 66,69 % et 33,31 % ; au 1er décembre 2014, sur un effectif total de 4231 détenus, on retrouve 2596 détenus préventifs et 1635 détenus condamnés soit un taux de 61,36 % et 38,64 %.

7Montesquieu, « de l'esprit des lois », nouvelle édition, Paris, Garnier, 1871, p. 72.

8Projet d'appui d'urgence au secteur pénitentiaire (PAUSEP) et Programme national de modernisation de la justice (PNMJ) financés par l'Union Européenne et PNUD.

9République du Togo, Rapport national de mi-parcours dans le cadre de l'EPU, 2011, p.20.

10 Accords politiques global avec les 22 engagements, signés le 14 avril 2004 auprès de la Commission de l'Union européenne, la Déclaration de Kampala sur la détention en Afrique des 19-21 septembre 1996, la Déclaration d' Ouagadougou sur l'accélération de la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique des 18 et 20 septembre 2002.

10

11

l'interruption de l'aide au développement et l'absence d'investissements, l'Etat togolais s'est engagé en 2006 dans une politique d'ouverture qui a permis la reprise de la coopération politique et économique avec les partenaires internationaux, notamment avec l'Union Européenne (UE). C'est dans cette optique que le pays a signé en 2006 un accord de siège avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme (HCDH)11. La mission du HCDH était de veiller à la promotion et au respect des droits de l'homme, à l'instauration de la démocratie et de l'Etat de droit en apportant à l'Etat togolais son expertise. Ainsi, le premier rapport présenté en 2011 par le Togo dans le cadre de l'Examen Périodique Universel (EPU) fait état d'un faible respect des droits de l'homme dans l'administration de la justice, notamment aux textes laconiques, aux conditions de détention et la lenteur des procédures judiciaires, source de la surpopulation carcérale avec comme corollaire la détérioration des conditions de détention.

En dépit de l'adhésion du Togo aux conventions internationales, régionales en matière de la protection et promotion des droits de l'homme et malgré la mise en oeuvre des programmes de réformes des administrations de la justice et pénitentiaire, le régime de la détention préventive prévu par le Code de Procédure Pénale (CPP) n'a pas connu de réformes visant à le réajuster ou à le conformer aux standards internationaux relatifs aux droits de l'homme dans l'administration de la justice pénale.

L'usage systématique des mandats de dépôt et mandats d'arrêt justifient les détentions provisoires de longues durées et arbitraires.

Les détenus préventifs et les condamnés définitifs partagent les mêmes cellules dans les prisons civiles. Les conditions de détention ne respectent pas les règles minima en la matière : ineffectivité de mesures alternatives à la détention, manque de soins médicaux entrainant parfois des pertes en vies humaines, surpopulation carcérale, insuffisance des moyens de subsistance.

Cette situation n'est pas spécifiquement propre au Togo. Les conditions de détention demeurent, presque partout en Afrique, déplorables. Tel est, en effet, le constat fait à Kampala les 19, 20 et 21 septembre 1996 par cent trente-trois (133) délégués venant de quarante-sept (47) pays dont quarante (40) Etats africains impliqués dans les questions pénales et pénitentiaires12. Après avoir relevé que dans de nombreux pays d'Afrique, le taux de surpopulation dans les prisons avait atteint des limites inhumaines, que l'alimentation était

11 Accord entre le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme et le Gouvernement de la République togolaise relatif à l'établissement d'un bureau du HCDH au Togo, signé le 10 juillet 2006. 12Déclaration de Kampala sur la santé en prison en Afrique tenu à Kampala les 12 et 13 décembre 1999.

insuffisante en qualité et en quantité, que l'accès aux soins était difficile, les délégués ont recommandé, « que soient assurées aux détenus, des conditions de détention compatibles avec la dignité inhérente à la personne humaine».

Dans un souci de mise en oeuvre des recommandations de mécanismes internationaux et institutions en matière de respect des droits de l'homme dans l'administration de la justice, le Togo a entrepris entre 2005 et 2010 un vaste Programme National de Modernisation de la Justice (PNMJ). Cela a été possible grâce à l'appui du PNUD et de l'UE.

Dix ans après la mise en oeuvre du PAUSEP et PNMJ, on constate toujours un nombre pléthorique des détenus préventifs qui sont en attente de jugement depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Selon un rapport établi en 2012 par l'Inspection générale des services juridictionnels et pénitentiaires, plus de 70% des détenus dans les prisons sont des détenus préventifs. En matière criminelle, les procédures durent au minimum 36 mois et peuvent aller jusqu'à sept (7) ans13. Ce constat dans la mise en oeuvre de la détention a très souvent des répercussions néfastes sur le bien-être physique, mental et social du détenu. Cette situation a longtemps alimenté des critiques des autorités togolaises et des acteurs de la justice par la communauté internationale. Les reproches formulés contre le régime de la détention préventive en vigueur au Togo ont pour essentiels caractéristiques : le défaut d'obligation de motiver les décisions de placement en détention, l'usage abusif des titres de détention, l'absence d'indemnisation des victimes de détention abusive, la vétusté et à l'exiguïté des prisons civiles qui ne permettent pas toujours le respect des droits des prisonniers14. Cette situation déplorable n'a pas laissé le pouvoir législatif togolais indifférent, a visité plusieurs centres de détention15 du 11 au 14 novembre 2015 afin de s'imprégner des réalités.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry