CHAPITRE I : L'URGENCE DE LA MOBILISATION DE L'ETAT
TOGOLAIS EN FAVEUR DE
LA PROTECTION DES DROITS DES DETENUS PREVENTIFS
60
Section 1 : L'effectivité des mécanismes de
protection des droits de l'homme dans la phase procédurale de la
détention préventive 60
Section 2 : L'amélioration de la prise en charge des
droits économiques, sociaux et culturels 68
CHAPITRE II : L'INTERVENTION ACCRUE DES ORGANISATIONS
INTERNATIONALES ET
DES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE 76
Section 1 : L'intervention accrue des institutions
internationales et des partenaires en développement 76
Section 2 : L'intervention accrue des organisations de la
société civile et des Organisations de défense des
droits de l'homme 83
CONCLUSION GENERALE 90
BIBLIOGRAPHIE 95
TABLE DES MATIERES 103
7
INTRODUCTION GENERALE
La protection de la dignité humaine au cours d'une
procédure pénale est l'un des fondements de tout système
démocratique respectueux des droits de
l'homme1. Ainsi, un Etat de droit n'est-il pas
seulement un Etat qui garantit la prééminence du droit, c'est
aussi un Etat qui assure la protection des personnes et notamment celles
impliquées dans des affaires pénales. L'un des principes
fondamentaux en droit pénal, garantissant le respect des droits
fondamentaux des personnes soupçonnées d'avoir commis ou
tenté de commettre une infraction, est la présomption
d'innocence2. Ce principe dispose que «
tout prévenu ou accusé est présumé innocent
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
établie à la suite d'un procès qui lui offre les garanties
indispensables à sa défense
»3. Selon l'article 14, paragraphe
(PARA.) 2 du Pacte International relatifs aux Droits Civils et Politiques
(PIDCP)4 : « toute personne accusée
d'une infraction pénale est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie». La présomption d'innocence
implique en principe, qu'à ce stade les mesures privatives de
liberté ne devaient pas être prises contre le prévenu ou
l'accusé. Mais pour les nécessités de l'instruction et des
mesures de sûreté, toutes les personnes contre lesquelles
pèsent des charges suffisantes susceptibles de motiver leur
culpabilité peuvent être placées en détention
préventive avant jugement.
Mesure grave, mais nécessaire, la détention
préventive doit faire l'objet d'une attention particulière, car
les abus ou atteintes en la matière ont des répercussions
néfastes sur la protection des droits et libertés fondamentaux
des détenus préventifs.
De nos jours, le souci majeur de la Communauté
internationale est sans nul doute une protection efficace des droits de l'homme
dans l'administration de la justice. Ainsi, presque tous les Etats s'efforcent
de réglementer au mieux et de surveiller plus rigoureusement toutes les
mesures qui peuvent porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux
au cours de la procédure pénale notamment la garde à vue
et la détention préventive.
1Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme adoptée par l'Assemblée générale des
Nations Unies le 10 décembre 1948.
2 Le principe de la présomption d'innocence
est inscrit dans la Déclaration Universelle des droits de l'homme
(art.11) et dans la Constitution togolaise (art. 18). Ce principe est aussi
garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(art. 14, para. 2), par la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples (art. para. 1 b), la Convention américaine relative aux droits
de l'homme (art. 8, para. 2) et la Convention européenne des droits de
l'homme (art. 6, para.2).
3 Art. 18 al.1er de la Constitution
togolaise du 14 octobre 1992, modifiée le 31 décembre 2002.
4Pacte International relatif aux Droits Civils et
Politiques (PIDCP) adopté le 16 décembre 1966 et entrée en
vigueur le 23 mars 1976.
8
Le Togo en tant qu'Etat membre des Nations
Unies5, a fait d'énormes efforts pour
introduire dans son droit positif des normes et mécanismes
internationaux et régionaux relatifs aux droits économiques,
sociaux, culturels, civils ou politiques dont t'il a ratifiés.
La mise en application de ces mécanismes juridiques
nécessite l'intervention d'un grand nombre d'acteurs, l'apport de moyens
et expertises, lesquels concourent à garantir le respect des droits de
l'homme dans le contexte de la détention préventive. A ce titre,
on peut citer le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, les
Organisations non gouvernementales (ONG), la Communauté internationale,
les partenaires en développement et de coopération et bien
entendu le pouvoir judiciaire, notamment les magistrats, les avocats, greffiers
et le personnel de l'administration pénitentiaire. Chacun de ces acteurs
constitue un maillon important dans le processus de protection des droits
fondamentaux des détenus préventifs.
La présente étude analyse les normes
internationales de protection des droits de l'homme en matière de
détention préventive, ainsi que le cadre légal et la
pratique en la matière au Togo. Elle propose en outre une
évaluation sur la base de ces considérations juridiques afin de
mieux appréhender le degré d'effectivité des droits
fondamentaux des détenus préventifs. Aussi, «la
détention préventive et la protection des droits de l'homme au
Togo», tel est l'intitulé de la présente
étude.
L'introduction de notre étude s'articule autour
de trois parties : le contexte et la délimitation (I), le cadre (II) et
la conduite de l'étude (III).
I. CONTEXTE ET DELIMITATION DE L'ETUDE
Dans cette partie, il sera abordé tour à
tour le contexte de l'étude (A) et sa
délimitation(B).
A. CONTEXTE DE L'ETUDE
Les conditions de détention déplorables et
dégradables observées ces dernières années au Togo
sont consécutives à plusieurs facteurs tels que les
détentions préventives massives et
5Le Togo est membre de l'ONU depuis le 20 septembre
1960.
9
prolongées, cause de la surpopulation carcérale,
à s'en tenir aux statistiques de l'Administration pénitentiaire
du Togo6.
Les conditions de détention actuelles laissent croire
que l'inculpé ou le prévenu subit anticipativement la peine
encourue avant même sa condamnation. Cette situation aussi bien choquante
que révoltante heurte les principes de la présomption
d'innocence, de délais raisonnables, de procès équitables
pourtant prescrits par les instruments internationaux et régionaux
relatifs aux droits de l'homme ratifiés par le Togo. Montesquieu le
relevait déjà : « les peines, les dépenses, les
longueurs, les dangers mêmes de la justice sont le prix que chaque
citoyen donne pour sa liberté »7.
Comme le dit souvent « la procédure c'est la prudence, la
trêve, la réflexion. »
Conscient de l'ampleur des mauvaises conditions de
détention, du non-respect des garanties procédurales et de la
lenteur judiciaire ainsi que de leurs impacts, les autorités togolaises
ont initié depuis 2003 des réformes importantes en vue d'assainir
le secteur judiciaire8 et pénitentiaire.
Ces dysfonctionnements se justifient par certains
facteurs socio-politiques (1) et économiques (2) qui sont autant
d'obstacles au respect des droits fondamentaux des détenus
préventifs au Togo9.
1. Contexte socio-politique
Longtemps condamné pour son déficit
démocratique, pour les violations des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales par la Communauté internationale suite aux
troubles socio- politiques des années 1990 et 2005, le Togo a souscrit
depuis 2006 à plusieurs
engagements internationaux et régionaux afin de refaire
son image et de regagner la confiance
des opérateurs
économiques.10 Cette situation a eu un
impact majeur sur plusieurs aspects du développement économique
et social. Après une longue période d'isolement, marquée
par
6Statistiques des détenus : Au 04
décembre 2015, sur un effectif total de 4518 détenus, on
dénombre 3013 détenus préventifs et 1505 détenus
condamnés soit un taux de 66,69 % et 33,31 % ; au 1er
décembre 2014, sur un effectif total de 4231 détenus, on retrouve
2596 détenus préventifs et 1635 détenus condamnés
soit un taux de 61,36 % et 38,64 %.
7Montesquieu, « de l'esprit des lois
», nouvelle édition, Paris, Garnier, 1871, p. 72.
8Projet d'appui d'urgence au secteur
pénitentiaire (PAUSEP) et Programme national de modernisation de la
justice (PNMJ) financés par l'Union Européenne et PNUD.
9République du Togo, Rapport national de
mi-parcours dans le cadre de l'EPU, 2011, p.20.
10 Accords politiques global avec les 22
engagements, signés le 14 avril 2004 auprès de la Commission de
l'Union européenne, la Déclaration de Kampala sur la
détention en Afrique des 19-21 septembre 1996, la Déclaration d'
Ouagadougou sur l'accélération de la réforme pénale
et pénitentiaire en Afrique des 18 et 20 septembre 2002.
10
11
l'interruption de l'aide au développement et l'absence
d'investissements, l'Etat togolais s'est engagé en 2006 dans une
politique d'ouverture qui a permis la reprise de la coopération
politique et économique avec les partenaires internationaux, notamment
avec l'Union Européenne (UE). C'est dans cette optique que le pays a
signé en 2006 un accord de siège avec le Haut-Commissariat des
Nations Unies aux Droits de l'Homme (HCDH)11. La
mission du HCDH était de veiller à la promotion et au respect des
droits de l'homme, à l'instauration de la démocratie et de l'Etat
de droit en apportant à l'Etat togolais son expertise. Ainsi, le premier
rapport présenté en 2011 par le Togo dans le cadre de l'Examen
Périodique Universel (EPU) fait état d'un faible respect des
droits de l'homme dans l'administration de la justice, notamment aux textes
laconiques, aux conditions de détention et la lenteur des
procédures judiciaires, source de la surpopulation carcérale avec
comme corollaire la détérioration des conditions de
détention.
En dépit de l'adhésion du Togo aux conventions
internationales, régionales en matière de la protection et
promotion des droits de l'homme et malgré la mise en oeuvre des
programmes de réformes des administrations de la justice et
pénitentiaire, le régime de la détention préventive
prévu par le Code de Procédure Pénale (CPP) n'a pas connu
de réformes visant à le réajuster ou à le conformer
aux standards internationaux relatifs aux droits de l'homme dans
l'administration de la justice pénale.
L'usage systématique des mandats de dépôt
et mandats d'arrêt justifient les détentions provisoires de
longues durées et arbitraires.
Les détenus préventifs et les condamnés
définitifs partagent les mêmes cellules dans les prisons civiles.
Les conditions de détention ne respectent pas les règles minima
en la matière : ineffectivité de mesures alternatives à la
détention, manque de soins médicaux entrainant parfois des pertes
en vies humaines, surpopulation carcérale, insuffisance des moyens de
subsistance.
Cette situation n'est pas spécifiquement propre au
Togo. Les conditions de détention demeurent, presque partout en Afrique,
déplorables. Tel est, en effet, le constat fait à Kampala les 19,
20 et 21 septembre 1996 par cent trente-trois (133)
délégués venant de quarante-sept (47) pays dont quarante
(40) Etats africains impliqués dans les questions pénales et
pénitentiaires12. Après avoir
relevé que dans de nombreux pays d'Afrique, le taux de surpopulation
dans les prisons avait atteint des limites inhumaines, que l'alimentation
était
11 Accord entre le Haut-Commissariat des Nations Unies
aux Droits de l'Homme et le Gouvernement de la République togolaise
relatif à l'établissement d'un bureau du HCDH au Togo,
signé le 10 juillet 2006. 12Déclaration de Kampala sur
la santé en prison en Afrique tenu à Kampala les 12 et 13
décembre 1999.
insuffisante en qualité et en quantité, que
l'accès aux soins était difficile, les
délégués ont recommandé, « que soient
assurées aux détenus, des conditions de détention
compatibles avec la dignité inhérente à la personne
humaine».
Dans un souci de mise en oeuvre des recommandations de
mécanismes internationaux et institutions en matière de respect
des droits de l'homme dans l'administration de la justice, le Togo a entrepris
entre 2005 et 2010 un vaste Programme National de Modernisation de la Justice
(PNMJ). Cela a été possible grâce à l'appui du PNUD
et de l'UE.
Dix ans après la mise en oeuvre du PAUSEP et PNMJ, on
constate toujours un nombre pléthorique des détenus
préventifs qui sont en attente de jugement depuis plusieurs mois voire
plusieurs années. Selon un rapport établi en 2012 par
l'Inspection générale des services juridictionnels et
pénitentiaires, plus de 70% des détenus dans les prisons sont des
détenus préventifs. En matière criminelle, les
procédures durent au minimum 36 mois et peuvent aller jusqu'à
sept (7) ans13. Ce constat dans la mise en oeuvre
de la détention a très souvent des répercussions
néfastes sur le bien-être physique, mental et social du
détenu. Cette situation a longtemps alimenté des critiques des
autorités togolaises et des acteurs de la justice par la
communauté internationale. Les reproches formulés contre le
régime de la détention préventive en vigueur au Togo ont
pour essentiels caractéristiques : le défaut d'obligation de
motiver les décisions de placement en détention, l'usage abusif
des titres de détention, l'absence d'indemnisation des victimes de
détention abusive, la vétusté et à
l'exiguïté des prisons civiles qui ne permettent pas toujours le
respect des droits des prisonniers14. Cette
situation déplorable n'a pas laissé le pouvoir législatif
togolais indifférent, a visité plusieurs centres de
détention15 du 11 au 14 novembre 2015 afin
de s'imprégner des réalités.
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