III. CONDUITE DE L'ETUDE
La conduite de l'étude repose sur la revue de
littérature (A) et sur la méthodologie choisie (B) qui
aboutissent à l'articulation et à la justification du plan
(C).
A. REVUE DE LITTERATURE
Très peu d'auteurs togolais se sont penchés sur
la question de la protection des droits de l'homme dans le contexte de la
détention préventive. Cette revue de littérature s'appuie
donc sur les documents d'auteurs étrangers, de standards internationaux
et des rapports d'activités en la matière.
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Pour le juge togolais Kodjo Woayi, la détention
préventive-t-elle que réglementée par la loi n° 83-1
du 2 mars 1983, portant Code de procédure pénale est conforme aux
standards internationaux et régionaux en matière de respect de la
dignité humaine30. Elle reflète
« les réalités togolaises », bien que
reprenant à certains endroits les dispositions françaises.
L'auteur estime qu'afin d'éviter qu'il n'y ait trop d'abus dans la
détention, il faudrait rendre plus efficace les contrôles des
juridictions d'instruction ; outre ce contrôle juridictionnel, des
efforts doivent également être consentis sur le plan
d'investissement humain.
Selon Yves Cartuyvels31,
historiquement, les droits de l'homme ont principalement servi de «
bouclier » contre les excès potentiels du droit pénal, en
limitant son intervention à un triple point de vue : normatif - en
excluant ou en restreignant toute forme d'incrimination portant atteinte aux
droits de l'homme ; sanctionnateur - en interdisant toute forme de peine
inhumaine et dégradante incompatible avec le respect fondamental de la
dignité humaine ; procédural enfin - en exigeant un ensemble de
garanties liées au droit de l'inculpé à un procès
équitable.32
Cette assertion est d'autant plus vérifiée que
pratiquement tous les pays du monde abandonnent progressivement la
procédure de type inquisitoire au profit de la procédure de type
accusatoire qui est fille du principe du contradictoire. Ainsi, paraphrasant le
célèbre dictum de l'arrêt Campbell et Fell contre
Royaume- Uni, rendu en 1984-« La justice ne saurait s'arrêter
à la porte des prisons », Professeur Frédéric
Sudre a pu affirmer sans crainte que « la Convention européenne
des droits de l'homme ne s'arrête pas à la porte des prisons
».33Pour lui, une lecture superficielle
de la jurisprudence de la Cour EDH montre en premier lieu que cette
dernière cherche de manière constante à trouver un juste
équilibre entre le respect de la personne humaine du détenu et de
ses droits fondamentaux d'une part, et la protection de la
société et de l'ordre public d'autre part. Il estime que
contrairement à d'autres traités internationaux de protection des
droits fondamentaux, la Convention européenne des droits de l'homme
protège les personnes privées de liberté exclusivement
contre les détentions arbitraires (article 5). Nonobstant cette lacune
textuelle, les personnes privées de
30Kodjo Woayi, La règlementation de la
détention préventive dans le Code de procédure
pénale de la loi n°83 - 1 du 2 mars 1983, Mémoire
présenté en vue de l'obtention du Diplôme du Cycle III,
Ecole Nationale d'Administration du Togo, section magistrature, 1989, p.
45-47.
31Juriste, criminologue, philosophe et Professeur
ordinaire à la Faculté de Droit de l'Université
Saint-Louis - Bruxelles (USL-B).
32 Yves Cartuyvels, « Droits de l'homme,
bouclier ou épée du droit pénal », éd.
Facultés Universitaires Saint-Louis Bruxelles - F.U.S.L., Bruylant,
2007, p.23.
33Frédéric Sudre, op. Cité
dans la préface de l'oeuvre de Béatrice Belda : Les
droits de l'homme des personnes privées de liberté, Contribution
à l'étude du pouvoir normatif de la Cour européenne des
droits de l'homme, Prix de thèse de la Faculté de droit de
Montpellier I, p. 2.
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liberté jouissent au sein du système
conventionnel d'une protection effective de leurs droits fondamentaux.
Béatrice Belda34 relève en ce sens
que« la problématique relative à la pertinence de la
pénétration des droits de l'homme dans les lieux privatifs de
liberté est, par conséquent, largement dépassé.
Elle laisse à présent place, logiquement, à la question
plus précise de l'effectivité et de l'efficacité de la
protection des droits des
détenus»35.
Certaines études, relatives à la
détention provisoire ont relevé que les conditions de
détention demeurent, presque partout en Afrique, déplorables. Me
Jean-Marie Dado Tossou36
précisait ainsi justement que
«l'état sanitaire des détenus dans les
lieux de détention au Bénin très préoccupant
reflète les conditions abominables dans lesquelles
végètent la population carcérale
béninoise». Pour lui, c'est ce qui explique l'existence des
infections qui sont des infections de manque d'hygiène essentiellement
dermatologiques comme la gale37. De même, il
estime que c'est dans ces conditions déplorables de détention,
que les justiciables constatent un recours excessif à la
détention préventive.
D'autres études menées par le système des
Nations Unies et d'autres ONG telles que Amnesty International, Prisonniers
Sans Frontières ont démontré que les longues
détentions provisoires violant le principe de délai raisonnable,
sont souvent sources de surpopulation carcérale. Selon ces mêmes
études, l'usage excessif de mandat de dépôt dans les phases
de procédures sommaire et d'information porte atteinte au principe de la
présomption d'innocence38.
Pour Me Gilbert Collard39, quand la
justice va mal, c'est la société dans son ensemble qui va
très mal. Me Guy Danet40 renchérit en
disant que la justice pénale française devient indigne de son
pays, terre présumée de liberté et de respect des droits
de l'homme; les motifs prévus et les conditions de mise en oeuvre de la
détention provisoire ne sont plus acceptables, la présomption
d'innocence est devenue une notion creuse, vide de toute réalité
et de toute signification; quant au secret percé de l'instruction, il ne
sert plus qu'à nuire à ceux qu'il est censé
protéger.
34 Maître de Conférences de Droit public
à l'Institut de Droit Européen des Droits de l'Homme.
35 Béatrice Belda : Les droits de l'homme
des personnes privées de liberté, Contribution à
l'étude du pouvoir normatif de la Cour européenne des droits de
l'homme, Prix de thèse de la Faculté de droit de Montpellier I,
p.24.
36Greffier au Tribunal de Parakou (R/Bénin).
37 Jean-Marie Dado Tossou : La
garantie du droit à la santé des détenus préventifs
dans les prisons du Bénin », Mémoire de recherche,
Université de Nantes, 2012 - 2013, p.56.
38Haut-commissariat des droits de l'homme au Togo,
Rapport sur le respect et la mise en oeuvre des droits de l'homme et des
libertés fondamentales dans l'administration de la justice au Togo,
décembre 2013, p. 26 ; 39 Gilbert Collard, Les dérives
judiciaires ; et si ça vous arrivait ? Eyrolles, 2011, p.193.
40Me Guy Danet, Président du Conseil national
des barreaux, Gazette du Palais, 30 juillet 1996.
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Dans un article, Jean-Manuel
Larralde41, disait à juste titre que «
les droits des personnes incarcérées présentent de
nombreuses particularités théoriques, mais leur exercice concret
doit également attirer
l'attention.»42Des réformes,
urgentes et radicales, sont indispensables.
On peut à présent se demander quelles sont les
meilleures garanties substantielles et procédurales en matière de
protection des droits de l'homme au cours d'une détention
préventive ?
Aujourd'hui, le système universel et les
systèmes régionaux de protection des droits de l'homme
privilégient les mesures alternatives à la détention
préventive. En effet, la Commission Européenne des Droits de
l'Homme avait déjà souligné dans sa décision B.
contre la France de 1988, que « l'Etat est tenu de contrôler en
permanence les conditions de détention de manière à
garantir la santé et le bien être des prisonniers, compte tenu des
exigences habituelles et raisonnables de l'emprisonnement
»43. Ainsi pour la
Communauté internationale, les Etats ont des obligations de garantir les
droits fondamentaux des détenus préventifs qui sont entre autres
: le droit à la vie, le droit à un logement carcéral, le
droit au respect de son intégrité physique, le droit à
l'information, le droit à la santé, le droit à une
alimentation saine et équilibrée, le droit d'être
jugé dans un délai raisonnable et le droit au respect de la
présomption d'innocence.
En somme, les auteurs suscités ainsi que les
instruments juridiques internationaux44 et
régionaux45 préconisent que toute
législation doit viser l'intérêt supérieur de
l'être humain voire la dignité du détenu préventif
dans une procédure pénale, gage d'un procès
équitable
41Maître de conférence en droit public
à l'Université de Caen Basse-Normandie.
42Jean-Manuel Larralde, Les droits des personnes
incarcérées : entre punition et réhabilitation, CRDF,
n°2, 2003, p. 73.
43 CEDH, 10 mars 1988, décision B. c/RFA, DR
55. p 271, p. 290.
44 Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)
(adhéré le 24 mai 1984) ; le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) (adhéré
le 24 mai 1984), la convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants (signé le 25 mars
1987 et ratifié le 18 novembre 1987) et son protocole facultatif
(signé le 15 septembre 2005 et ratifié le 20 juillet 2010), la
convention relative aux droits de l'enfant (signé le 26 janvier 1990 et
ratifié le 1er août 1990) et les conventions de
Genève de 1949 et les Règles minima des Nations Unies pour
l'élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles
de Tokyo) adoptées par l'Assemblée générale dans sa
résolution 45/110 du 14 décembre 1990.
45 Convention de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales, Convention européenne des droits
de l'homme, La Déclaration américaine des droits et des devoirs
de l'homme, La Convention américaine relative aux droits de l'homme, la
Charte Africaine des droits de l'Homme et des peuples ; l'Acte constitutif de
l'Union africaine, la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de
l'enfant, le protocole à la charte africaine des droits de l'homme et
des peuples, relatif aux droits de la femme, le protocole relatif à la
charte africaine des droits de l'homme et des peuples, relatif à la cour
africaine des droits de l'homme et des peuples.
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respectueux des droits de l'homme. C'était
déjà l'avis d'un grand juriste, Faustin Hélie, qui
écrivait : « en Angleterre, la liberté provisoire n'est
pas seulement dans les lois, elle est dans la «Common law», elle est
dans les moeurs, elle est dans l'état d'esprit du juge ».
Qu'en est-il au Togo? Les juges togolais ont- ils ce souci des libertés
individuelles à l'instar des juges anglais?
L'originalité de notre étude réside dans
l'évaluation du degré de protection des droits de l'homme au
cours de la détention préventive dans un pays où les
institutions de la République sont en pleine modernisation. Notre
travail consiste à étudier l'impact potentiel des instruments et
mécanismes internationaux relatifs aux droits fondamentaux des
détenus préventifs sur la réglementation de la
détention préventive afin de déceler les forces et
faiblesses. Cela nous permettra d'envisager les perspectives pour une bonne
administration de la justice pénale respectueuse des droits fondamentaux
des détenus préventifs.
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