L'application de la responsabilité de protéger à la lumière de la souveraineté étatique. Cas de la Côte d'Ivoire.par GràƒÂ¢ce AWAZI KITAMBALA Université de Goma Faculté de droit - Licence en Droit Public 2019 |
b. Emergence et acceptation de la R2PL'émergence du concept d'une « responsabilité de protéger » a été discutée à plusieurs reprises ces dernières années. En réaction aux cruelles atrocités et aux massacres de masse en Somalie, au Rwanda, en Bosnie,... au début des années 199043(*), les politologues et les juristes ont commencé à discuter de « l'intervention humanitaire » comme étant une nécessité face à la violence au sein des Etats44(*). Aux Nations Unies, le secrétaire général Boutros GHALI s'est interrogé sur le fait de savoir si les règles existantes au sujet de la souveraineté étaient ou non appropriées pour les défis du monde de l'après-guerre froide. Francis DENG, son adjoint, a discuté du concept de « souveraineté en tant que responsabilité », ajoutant cette perspective à la discussion de plus en plus intense à la fin des années 1990. C'est au successeur de Boutros GHALI, Kofi ANNAN, qu'est revenue la tâche de faire avancer les discussions pour redéfinir les normes autour de l'intervention. En juin 1998, ANNAN s'est interrogé sur le fait de savoir si « l'ancienne orthodoxie » de la souveraineté empêchait la communauté internationale d'envisager l'intervention dans des conflits internes graves : « La Charte protège la souveraineté des peuples. Elle n'a jamais été conçue comme une autorisation pour les Etats de piétiner les droits de l'homme et la dignité humaine. La souveraineté implique la responsabilité, pas uniquement le pouvoir ». L'année suivante a vu émerger la crise, la guerre et l'intervention au Kosovo et au Timor oriental. Ces évènements et les réactions confuses et hésitantes venant de toutes parts dans la communauté internationale, ont déterminé ANNAN à revenir à la nécessité d'une norme internationale nouvelle. L'ouverture de l'Assemblée générale étant prévue pour la mi-septembre 1999, ANNAN a décidé que ce forum extrêmement visible serait l'occasion d'un discours majeur sur le sujet. Il avait prévu, selon un proche conseiller, d'utiliser « la chaire de secrétaire général afin de changer le climat au sein du Conseil de sécurité45(*)». Dans son discours, ANNAN a ouvertement soulevé des questions fondamentales concernant les normes existantes basées sur la souveraineté et la non-intervention. Il a déclaré que « la souveraineté des Etats, dans son acception la plus basique, est redéfinie par les forces de la globalisation et de la coopération internationale... l'Etat est actuellement largement conçu comme étant au service de son peuple et non vice versa ». Faisant référence aux précédents du Rwanda, du Kosovo et du Timor oriental, ANNAN a déclaré que chacun avait démontré soit « les conséquences de l'inaction face au crime de masse », soit « les conséquences de l'action en l'absence d'une unité totale du côté de la communauté internationale ». En réponse à cette situation, ANNAN a proposé de « développer une norme internationale en faveur de l'intervention afin de protéger les civils du massacre en masse»46(*). Un an plus tard, lors du Sommet du Millénaire des Nations Unies, tenu en septembre 2000, Annan a une nouvelle fois défié les membres des Nations Unies à relever la question de l'intervention. Le gouvernement canadien a répondu au défi lancé par Annan en constituant une Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des états (CIISE) afin de préparer des recommandations qui traiteraient le dilemme sur la protection des civils contre le massacre dans un système d'Etats souverains.47(*) Dirigée par Gareth EVANS et Mohamed SAHNOUN, la CIISE a présenté, l'année suivante, un rapport qui tentait de changer la dynamique du débat en recadrant la question non comme un droit d'intervenir, mais comme la « responsabilité de protéger » les individus en danger. La CIISE a brièvement exposé les fondements juridiques et éthiques de la R2P, établissant ainsi que chaque Etat a la responsabilité première ; la responsabilité n'incombe à la communauté internationale que lorsqu'un Etat ne peut ou ne veut protéger ses citoyens. La Commission a identifié trois composantes de la responsabilité de protéger : la prévention, la réaction et la reconstruction.48(*) La responsabilité de réagir, la composante la plus controversée qui, dans des cas extrêmes, impliquerait l'emploi de la force sans l'accord de l'Etat cible, a été définie et limitée par des « critères décisifs » et des « principes de précaution ». Ceux-ci visaient à éviter que des Etats ne détournent le principe de la R2P pour permettre une intervention intéressée et à servir de « déclencheur » pour débuter le processus de réaction lorsque le seuil est dépassé. Tout en consacrant l'autorité première du Conseil de sécurité pour invoquer la responsabilité de protéger, la CIISE a laissé la possibilité ouverte pour le cas où le Conseil ne voudrait ou ne pourrait pas agir : ce sont alors les organisations régionales ou les coalitions entre des Etats volontaires qui pourront fournir une protection aux populations menacées.49(*) Par un accident de l'histoire, le rapport de la CIISE a été publié peu de temps après les attaques du 11 septembre 2001, dont les conséquences ont totalement éclipsé tant le rapport que ses conclusions. Toutefois, la réactivation de la norme de la R2P a été le fait d'ANNAN qui, à la fin de l'année 2003, a constitué un groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement. EVANS a été nommé membre du groupe et le rapport qu'il a présenté en décembre 2004 mobilisait le langage et les recommandations de la CIISE sur la réaction devant la violence et l'atrocité de masse. ANNAN a par la suite utilisé les recommandations du groupe pour réaffirmer l'importance qu'il y a à adopter la nouvelle norme de la responsabilité de protéger dans son rapport Une liberté plus grande, publié en mars 2005 comme document-cadre pour le Sommet mondial qui allait avoir lieu en septembre.50(*) Ce duo complexe entre ANNAN et les groupes « extérieurs » a donné une forte impulsion à l'adoption de la R2P et ils furent récompensés par l'inclusion de trois paragraphes approuvant la nouvelle norme dans le document final du Sommet.51(*) Cette acceptation a pourtant été accompagnée par de considérables modifications des propositions de la CIISE. Aucun critère décisif n'a été inclus, les principes de précaution n'ont pas été discutés et la réforme proposée du Conseil de sécurité afin de lui permettre de répondre plus efficacement aux crises humanitaires a été omise. Néanmoins, les promoteurs de la R2P ont célébré l'adoption du document final comme étant un tournant qui comble un « vide normatif capital » et « le passage de la norme ferme de non-intervention à la nouvelle norme de la responsabilité de protéger s'est produit52(*) ». * 43 Jean-François THIBALT, « L'intervention humanitaire armée », in annuaire Français de relations internationales, Paris, vol X, 2009, p. 2. * 44 Vincent A. AUGER, La responsabilité de protéger Six ans après,Afrique & Francophonie- 2e trimestre 2011, p. 85. * 45 Vincent A. AUGER, Op. Cit, p. 86. * 46Rapport de la CIISE : La responsabilité de protéger, Op. Cit., p. 23. * 47 Vincent A. AUGER, Op. Cit, p. 86. * 48Ibid. * 49Ibid, p. 87. * 50Vincent A. AUGER, op. cit, p. 87. * 51Ibid. * 52Ibid, pp. 87-88. |
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