IV.2. Résultats d'étude
IV.2.1. Dynamique historique et prospective du paysage
Les classifications d'images satellitaires de 1986, 1995,
2000, 2009 et 2018 regroupées en trois décennies, ont permis
d'identifier les changements historiques d'occupation du sol dans la zone
d'étude. En dépit d'une régression forestière
observée, la zone d'étude est nettement dominée par les
classes forestières, les forêts primaires en particulier. Une
dominance qui serait liée aux multiples efforts de conservation de la
biodiversité fournis par plusieurs institutions en place principalement,
l'Institut National d'Etudes et Recherches Agronomiques (INERA).
Les taux de déforestation observés d'une
décennie à l'autre attestent une régression des surfaces
forestières dans la zone d'étude. En première
décennie (1986-1995), le taux est estimé à 0,007 % par an.
Moins alarmant, cette situation serait probablement liée à une
faible densité de la population, et à des multiples
rébellions ayant survenu à cette époque. Ce taux augmente
sérieusement à la deuxième décennie (2000-2009)
pour atteindre un seuil de 0,13%. Un seuil identique à celui
trouvé par (S. Katembera Ciza et al.,2015) dans la zone
forestière d'Isangi entre 2002 et 2010. Il s'agit d'une circonscription
spatiale qui partage un bon nombre de villages que notre zone d'étude. A
l'image de la deuxième décennie, la déforestation augmente
de plus en plus à la dernière décennie (2009-2018) et
atteint un seuil de 0,4%. Une perte annuelle légèrement
supérieure à la moyenne nationale qui oscille entre 0,2 et 0,3 %
ces vingt dernières années (GTCR, 2012 ; OFAC,2012) et atteint
par ailleurs le rythme amazonien (Demaze 2007). A l'échelle locale,
cette perte forestière au rythme amazonien s'expliquerait par une
augmentation de la densité de la population très attachée
aux activités destructives de la forêt comme le montre la figure
36. Selon le rapport administratif du district de la Tshopo (actuelle province
de la Tshopo) de 2009, cette population s'estimait à environ
67,794habitants avec une densité de 17habitants/Km2. De 1999
à 2009, cette population autour de la réserve de biosphère
de Yangambi montre un accroissement absolu de l'ordre de 6hab/Km2
soit un taux de croissance annuelle moyen de 4,1%. De plus, l'agriculture
traditionnelle, dans la plupart des régions d'Afrique, est la culture
itinérante. Cependant, à partir du moment où la
densité de population atteint et dépasse certaines limites
critiques, la période de jachère se raccourcit (tableau 17), et
la végétation se dégrade, souvent irréversiblement
(Kio, 1984).
Au courant de deux dernières décennies, les
transitions d'autres classes vers les classes anthropiques ont
été considérables. Les variations des superficies
gagnées au profit de l'agriculture ont été importantes.
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On observe entre 2000 et 2009 des pertes de 3,15% et de 21,06%
respectivement de forêts primaires et forêts secondaires au profit
de la classe agricole. De même, plus de 2% et plus de 20% respectivement
pour les forêts primaires et les forêts secondaires transitent au
profit de l'agriculture entre 2009 et 2018.
Le plus grand danger observable sur le paysage dans cette
dynamique historique est la réduction sensible des forêts
secondaires. Il s'agit en effet du type forestier qui doit assurer la
succession dans le paysage. Ce sont les forêts secondaires qui
reconstitueront la forêt dense. Elles constituent le passage
obligé vers l'état climacique dans un écosystème
forestier (OIBT, 2002). La baisse de leur taux est un signe de perturbation
pour la restauration de l'écosystème.
Au-delà de la succession, ce type forestier joue
également un rôle très important dans la
séquestration de CO2. Il s'avère ainsi, nécessaire de
circonscrire dans le temps et dans l'espace, les activités anthropiques
afin de limiter la régression alarmante des forêts secondaires.
Pour cela, la conception et la mise en oeuvre d'un plan d'aménagement
durable, constitue une condition sine qua non.
Les diverses analyses liées à la dynamique
historique du paysage telles que discutées ci-haut ont été
complétées par le calcul des indices de la structure spatiale du
paysage. Ces indices ont permis de mettre en évidence la configuration
spatiale des taches des classes dans le paysage. En effet, un total de 11
indices de la structure spatiale du paysage plus deux paramètres de
dispersion (la variance et le coefficient de variation) ont été
calculés.
Quatre principaux constats ont été
enregistrés dans l'analyse de la structure spatiale du paysage. Le
premier est celui d'une complémentarité dans
l'interprétation des résultats des indices. Ceci étant,
l'aire moyenne, la dominance des taches et l'indice de forme tous
complémentaires au nombre des taches, ont approuvé la forte
fragmentation des forêts primaires en 2000. Il s'agit également du
début d'une période au courant de laquelle, plus de 3% des
forêts primaires sont alloués à l'agriculture, un de
principaux facteurs de fragmentation.
Cette fragmentation des forêts primaires est de
même justifiée par le coefficient de variation. La classe
étant fortement fragmentée, les agrégats isolés
enregistrent des écarts importants en termes de surface occupée.
En conséquence, l'hétérogénéité des
aires de taches demeure élevée. Le deuxième constat se
rapporte à l'opposition des résultats de certains indices pour
certaines classes d'occupation du sol. Ce deuxième constat, traduit en
effet, la complexité d'analyser la configuration de certaines classes
afin de déduire leur tendance de fragmentation (dégradation) ou
de défragmentation.
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En effet, l'aire moyenne, le périmètre moyen,
l'indice de forme autant de que le nombre de taches ont attesté la
fragmentation de la classe des forêts secondaires en 2000. Un processus
qui n'est pas par contre approuvé pour la même date et la
même classe, par la dominance, et les paramètres de dispersion. En
considérant la dominance, la classe des forêts secondaires serait
fortement fragmentée en 2018.
Toutes ces complémentarités et oppositions de
certains indices dans l'analyse de la structure spatiale du paysage,
renseignent sur la nécessité d'utiliser plusieurs indices pour
caractériser la structure spatiale d'un paysage puisqu'un seul indice ne
peut résumer à lui seul, toute la complexité de
l'arrangement spatial des taches (Dale et al.,1994).
Le troisième constat quant à lui, se rapporte
à la valeur de l'aire minimale qui est identique pour toutes les
classes, alors que le quatrième constat se réfère à
la valeur du périmètre minimal, identique pour toutes classes.
En effet, la valeur identique pour toutes les classes de
l'aire minimale serait l'équivalent de la résolution spatiale
(30m) des images Landsat. La surface d'un pixel étant de
900m2 rapportée en hectare, cette surface serait de 0,09ha.
Il en est de même pour le périmètre minimal. En effet, 30m
de côté pour un pixel, multipliés par 4 justifie en fait,
le 120m pour tous les périmètres minimaux.
L'utilisation du dendrogramme de Bogaert et al., (2004) a
été très nécessaire pour éclairer certains
résultats de la dynamique historique du paysage. A la différence
des indices structuraux, le dendrogramme analyse les processus de
transformation spatiale en considérant deux dates distinctes.
En effet, les résultats de cette analyse attestent que
la reforestation enregistrée entre 1986 et 1995 dans la classe des
forêts primaires serait entre autre liée à la
création des taches. Alors que la forte déforestation
enregistrée dans la classe des forêts secondaires serait
liée à la suppression des taches. Considérant
l'instabilité politique du pays entre 1986-1995, limitant une
activité agricole intensive, le processus de suppression des
forêts secondaires ne serait pas probablement lié à
l'action humaine. Il serait probablement lié à la succession (le
passage des forêts secondaires aux forêts primaires).
On peut de même constater que la déforestation
des forêts primaires dans la deuxième et la troisième
décennie serait entre autre attachée au processus de suppression,
et de dissection que connaitra la classe respectivement à la
deuxième et troisième décennie. Des processus qui,
considérant le contexte du pays en ces intervalles de temps,
marqué par le début d'une stabilité politique, seraient
liés aux activités anthropiques.
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Au regard de la dynamique prospective du paysage, en
dépit des quantités proches de la réalité, le
modèle Land Change Modeler (LCM) présente dans l'ensemble,
quelques difficultés à prédire les changements entre 2009
et 2018 comme on peut observer les écarts dans certaines classes.
Toutefois il confirme les tendances d'évolution observées entre
2009 et 2018 : les terres bâties et nues (avec 5,2% dans la
prédiction de 2018) sont largement plus étendues qu'en 2009 ; la
classe agricole (avec 7,6% dans la prédiction) demeure moins
étendue qu'en 2009 ; les forêts primaires (avec 76,7%) demeurent
également moins étendues qu'en 2009 ; les forêts
secondaires (avec 5,2%) conservent la même tendance de réduction
que celle observée entre 2009 et 2018 dans le réel. L'analyse des
changements, aussi bien à l'échelle des classes anthropiques
qu'au niveau des classes forestières met donc, en exergue des
résultats intéressants qu'il convient de nuancer. Ceci est
imputable à la part importante de la constance observée et
simulée (80 %).
Ainsi, considérant l'allure de la perte
forestière telle que démontrée dans la dynamique
historique, associée à la croissance démographique,
à la forte activité agricole, la perte continuelle des
forêts (figure 25) et l'extension continuelle des classes anthropiques
(figure 23) telles que prédites pour le court, moyen et long terme
demeurent logiques et acceptables.
Les limites du modèle peuvent ici se résumer
principalement dans la disponibilité des données
mobilisées. Certains auteurs ont montré que l'ajout de
données supplémentaires pouvait être limité par leur
nature non quantifiable et leur indisponibilité en format digital
(Schneider, Pontius, 2001) cités par Mas et al., (2011).
La complexité du système forestier dans la zone
forestière de Yangambi ne peut effectivement se résumer à
un nombre restreint de facteurs. Nos entretiens ont permis d'identifier des
facteurs politiques et institutionnels (pauvreté, chômage,
conflits, coût de la terre, etc.), des facteurs démographiques
(migration, distribution de la population), des facteurs culturels
(consommation des ménages) ... La question qui se poserait pour les
recherches futures est alors celle de savoir, la prise en compte de la
totalité hypothétique des variables explicatives permettrait-elle
une précision optimale de la prédiction ?
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