SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE : UN CADRE DE MISE EN OEUVRE
IMPRECIS ..12
CHAPITRE I: DES MODALITES DE MISE EN OEUVRE VARIABLES
..14
Section 1 : Le traitement des crises au cas par cas
|
14
|
Section 2 : L'appréciation ambiguë des
critères de l'intervention militaire
|
23
|
CHAPITRE II : DES MOYENS DE MISE EN OEUVRE CONFUS
|
.32
|
Section 1 : Le mélange de l'humanitaire et du militaire :
l'humanitaire armé
|
32
|
Section 2 : La conséquence : une situation intenable
40
|
|
DEUXIEME PARTIE : UNE MISE EN OEUVRE EQUIVOQUE
.
|
50
|
CHAPITRE I : UNE FERME VOLONTE DE PREVENIR
|
. 52
|
Section 1 : Les mécanismes pertinents de prévention
|
. 52
|
Section 2 : Les faiblesses des mécanismes de
prévention .
|
63
|
CHAPITRE II : DES INTERVENTIONS CONTROVERSEES
|
72
|
Section 1 : Des réactions lentes et peu efficaces
|
72
|
Section 2 : Des processus de reconstruction inachevés
|
. 84
|
CONCLUSION GENERALE
|
96
|
BIBLIOGRAPHIE
... 99
|
|
La mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
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protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
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Les événements tragiques tels que l'Holocauste,
les champs de la mort du Cambodge, le génocide au Rwanda et les
massacres de Srebrenica1 ont profondément assombri le
XXe siècle, conduisant ainsi Kofi Annan alors
Secrétaire général des Nations Unies et d'autres
dirigeants dans le monde à se demander si l'Organisation des Nations
Unies et les autres institutions internationales devaient s'attacher
exclusivement à la sécurité des États sans tenir
compte de celle des populations vivant sur leur territoire. Reconnaissant la
justesse de cette inquiétude ainsi que les carences du système
international en ce qui concerne la protection des civils dans les conflits
armés, son successeur, le Secrétaire général Ban
Ki-Moon2, relèvera dans son rapport intitulé "La
mise en oeuvre de la responsabilité de protéger", que ces
diverses tragédies témoignent de « l'incapacité
foncière de chaque État de s'acquitter de ses
responsabilités les plus élémentaires et
impérieuses, ainsi que de l'échec collectif des institutions
internationales »3.
En effet, la Communauté internationale, souvent
partagée entre le respect de la souveraineté nationale et
l'impératif d'intervenir à des fins humanitaires, n'a pas
toujours su comment réagir face aux atrocités de masse. Le
débat relatif à l'action onusienne en situation de crise a connu
de nombreuses évolutions ; mais une étape fondamentale a
été franchie en 2000 avec l'avènement du concept de
responsabilité de protéger. Adopté par les
États membres des Nations unies en 2005, lors du 60ème
Sommet mondial des Nations Unies4, le principe de la
responsabilité de protéger a été appliqué
pour la première fois en Afrique notamment en Libye5 et en
Côte d'Ivoire6 en 2011.
1 Les deux derniers sous la surveillance du Conseil de
sécurité et des forces de maintien de la paix de l'ONU.
2 Prédécesseur de l'actuel
Secrétaire général Antonio Guterres.
3 Assemblée générale de l'ONU,
Rapport du Secrétaire général, La Mise en oeuvre de la
responsabilité de protéger, Doc. ONU, A/63/677, 12 janv.
2009, paragraphe 5, p. 4.
4 Réunion plénière de Haut
niveau de la soixantième session de l'Assemblée
Générale des Nations Unies, tenue du 14 au 16 septembre 2005 au
siège de l'ONU à New York.
5 La Libye a connu un conflit armé issu d'un
mouvement de contestation populaire, assorti de revendications sociales et
politiques, qui s'est déroulé entre le 15 février 2011 et
le 23 octobre 2011. Cette crise est à l'origine de l'intervention
militaire internationale de 2011. Celle-ci est une opération militaire
multinationale sous l'égide de l'ONU, qui s'est déroulé
entre le 19 mars 2011 et le 31 octobre 2011, dont l'objectif est la mise en
oeuvre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des
Nations unies. Cette résolution instaure une zone d'exclusion
aérienne au dessus du territoire de la Jamahiriya arabe libyenne et
permet de « prendre toutes les mesures jugées nécessaires
pour protéger les populations civiles »
Les noms de codes des interventions mandatées par l'ONU
sont : l'opération Harmattan menée par la France,
l'opération Ellamy menée par le Royaume-Uni,
l'opération Odyssey Dawn menée par les Etats-Unis,
l'opération Mobile menée par le Canada et l'opération
Unified Protector menée par l'OTAN.
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Ainsi, les récentes crises en Afrique, notamment en
Libye et en Côte d'ivoire ont relancé la polémique sur la
notion de « responsabilité de protéger », ou
sur ce que certains7 appellent encore le « droit »
ou le « devoir d'ingérence humanitaire »8.
Ces expressions qui, depuis bientôt trente ans, sont
présentes dans les médias, suscitent inlassablement de vifs
débats, aussi bien politiques, juridiques que philosophiques. Si, en ce
XXIème siècle, tout le monde s'accorde à dire
que l'on ne peut plus tolérer des violations flagrantes et massives des
droits de l'homme, l'intervention onusienne pour motifs humanitaires a toujours
suscité des controverses, voire des critiques, que ce soit par sa
présence ou par son absence9. On se trouve en effet
tiraillé entre la nonintervention éthiquement
problématique et l'intervention toujours risquée et jamais
incontestée10. La responsabilité de protéger
alimente aujourd'hui des débats alléchants dans le monde des
internationalistes. Pour ne pas se laisser emporter par l'engouement
médiatique qui utilise souvent les expressions sans en donner la
véritable portée, il est nécessaire d'éclaircir la
notion de responsabilité de protéger, en retraçant ses
origines et en précisant son contenu.
Impuissante face à la situation au Rwanda,
paralysée face à la situation au Kosovo, l'ONU avait
laissé d'un côté se perpétrer un génocide et
de l'autre se dérouler une intervention armée sans l'accord du
Conseil de sécurité. Aussi, consciente de la gravité de
ces manquements et des contradictions qu'ils révélaient une fois
de plus, la Communauté internationale a commencé à
débattre sérieusement de la manière de réagir avec
efficacité quand les droits des citoyens sont violés de
manière flagrante et systématique. La question fondamentale qui
se posait alors était celle de savoir si les
6 La Côte d'Ivoire a connu une crise qui
s'est déroulée du 28 novembre 2010 au 4 mars 2011, après
le second tour de l'élection présidentielle ivoirienne de 2010
dont le résultat a conduit à un différend
électoral. Ce deuxième tour des élections a opposé
le président sortant Laurent Gbagbo à l'ex Premier ministre
Alassane Ouattara. Ce dernier sera déclaré vainqueur par la
Commission Electorale Indépendante tandis que le premier après un
recours devant le Conseil constitutionnel sera proclamé vainqueur par
cet organe. La Côte d'Ivoire s'est alors trouvée dotée de
deux présidents, de deux premiers ministres et de deux gouvernements.
L'échec des négociations afin d'amener Laurent Gbagbo a
reconnaître sa défaite face à son adversaire largement
soutenu par la Communauté internationale, et le déclenchement
dès janvier 2011 des heurts entre partisans des deux camps motiveront le
Conseil de sécurité de l'ONU a adopter la résolution 1967
du 19 janvier 2011 autorisant l'envoi de 2000 casques bleus
supplémentaires dans le cadre de l'ONUCI (opération des nations
unies en Côte d'Ivoire).
7 Peters A., « Le droit d'ingérence et
le devoir d'ingérence ÀVers une responsabilité de
protéger », Revue de droit international et de droit
comparé, 2002, pp. 290-308, ici p. 296.
8 Massrouri M., « La responsabilité de
protéger », MOREILLON L., Droit pénal humanitaire,
2ième édition, Bruxelles, Bruylant, 2009, p.197.
9Ibid.
10 Abdelhamid H., Bélanger M., Crouzatier
J.-M., Douailler S., Maila J., Mbonda E.-M, Mihali C., Tassin E., (dir),
Sécurité humaine et responsabilité de protéger,
l'ordre humanitaire international en question, Archives contemporaines,
AUF, 2009, p. 112.
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Etats jouissent d'une souveraineté inconditionnelle sur
leurs propres affaires ou si la Communauté internationale a le droit
d'intervenir dans un Etat à des fins humanitaires. C'est dans ce
contexte que l'ancien Secrétaire général Kofi Annan, a
lancé à l'Assemblée générale des Nations
Unies en 1999 puis en 2000, des appels éloquents invitant la
Communauté internationale à parvenir une fois pour toutes
à un consensus sur ces problèmes et à forger une nouvelle
unité sur les questions fondamentales de principe et de
procédure. Le Secrétaire général a posé
directement la question incontournable en ces termes : si l'intervention
humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la
souveraineté, comment devons-nous réagir face à des
situations comme celles dont nous avons été témoins au
Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et
systématiques des droits de l'homme, qui vont à l'encontre de
tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d'êtres
humains?11 . En réponse à cet appel, le
Gouvernement du Canada et un groupe de grandes fondations, annonçaient
à l'Assemblée générale en septembre 2000 la
création d'une Commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté des États (ci-après CIISE ou Commission).
D'abord avancé par Francis M. Deng12 dans
ses travaux sur le sort réservé aux personnes
déplacées et aux réfugiés13, ensuite
évoqué dans un rapport produit par le Danish Institute of
International Affairs en 199914, puis développé
dans un rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté des États (CIISE) publié en décembre
200115, le concept de responsabilité de protéger a
subséquemment été interprété comme une
nouvelle « norme prescrivant une obligation collective internationale de
protection » par le Groupe de personnalités de haut niveau sur les
menaces, les défis et le changement16 ; et certains le
considèrent désormais comme l'innovation « la plus
importante en lien avec les menaces d'atrocités de
11 Tiré du Rapport du Millénaire du
Secrétaire Général intitulé « Nous les
peuples : le rôle des Nations Unies au XXIè
siècle », Doc. A/54/2000, 27 mars 2000, p. 36.
12 Homme politique et diplomate originaire du
Soudan du sud. Il débuta sa carrière aux Nations Unies en tant
que spécialiste des droits de l'homme.
13 Deng F. M., Kimaro S., Lyons T., Rothchild D.
& Zartman I.W., Sovereignty as Responsibility ; Jentleson
B.W., Coercive Prevention, pp. 18-23 ; Deng F.M., « From
'Sovereignty as Responsibility' to the 'Responsibility to Protect' », pp.
353-370.
14Danish Institute of international Affairs,
Humanitarian Intervention.
15 Commission internationale de l'intervention et
de la souveraineté des États (CIISE), La
responsabilité de protéger, Ottawa, décembre 2001.
16 Nations Unies, Groupe de personnalité de
haut niveau, Un monde plus sûr, §§ 202-203.
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masse depuis l'adoption de la Convention sur le
génocide en 1948 »17. Le concept de
responsabilité de protéger», sera enfin
érigé en principe et adopté par les États membres
des Nations unies en 200518, à l'issue du
60ème Sommet mondial des Nations Unies.
Connu sous le vocable « R2P »19, dans le
jargon des Nations unies, la « responsabilité de protéger
», désigne l'obligation qui incombe à chaque Etat de
protéger ses populations contre les génocides, les crimes de
guerre, les crimes contre l'humanité et les nettoyages
ethniques20. C'est également l'obligation qui incombe
à la Communauté internationale, d'assister l'Etat (en proie
à un conflit), dans la mise en oeuvre de sa responsabilité de
protéger sa population, ou de le suppléer lorsqu'il est
défaillant21.
L'origine du mot « responsabilité » peut
être retracée à deux étymologies
complémentaires : au verbe latin « spondere »
signifiant, promettre, s'engager à se porter garant de quelqu'un ou de
quelque chose, et « respondere » c'est-à-dire,
répondre ou répondre de. Le mot «
répondre » implique dès lors l'idée de se tenir
garant du cours d'évènements à venir22. Plus
spécialement on répond à une exigence ; celle de faire
face à un devoir, à une charge qui nous incombe23.
Dans le domaine du droit, et en particulier du droit civil et du droit
pénal, la notion de responsabilité semble être
définie avec plus de précision. Elle renvoie essentiellement
à une « obligation » : celle de réparer un dommage
causé à autrui24 (droit civil) ou de subir la
17Albright M.K. & Cohen W.S., Preventing
Genocide, American Academy of Diplomacy, 2008, p. 98.
18 Voir les paragraphes 138 et 139 du Document
final du Sommet mondial des Chefs d'Etat et de Gouvernement de septembre 2005
à New-York, doc. ONU A/60/L.1 (2005).
19 L'acronyme R2P À prononcez RtoP, «
à l'anglaise » Àfait partie du langage de l'Organisation des
Nations Unies (ONU).
20 Document final du Sommet mondial de 2005, 16
septembre 2005, Doc. off. NU A/60/L.1, par. 138. 21Ibid.
par. 139.
22 Eberhard C., « La responsabilité
en France: Une approche juridique face à la complexité du monde
», in Sizoo E. (dir), Responsabilité et cultures
du monde. Dialogue autour d?un défi collectif, Éditions
Charles Léopold Mayer, Paris, 2008, pp 155-182. (Version Provisoire).
23 En effet, le terme « responsabilité
» n'est pas dénué de toute ambiguïté. En 1970,
la Cour internationale de Justice dans l'arrêt Barcelona Traction
débute son raisonnement en l'utilisant comme un synonyme du mot
« obligation ». Cela suggère donc, à première
vue, que la responsabilité de protéger est un devoir des
États et de la communauté internationale À « a
duty to protect ». Néanmoins, le mot «
responsabilité » peut aussi revêtir une connotation plus
morale, un engagement solennel ou une promesse.
24 Le droit civil rattache la notion de
responsabilité à la réparation des
préjudices individuels. L'article 1382 du Code Civil français de
1804 dispose à cet effet « Tout fait quelconque de l'homme qui
cause dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est
arrivé à le réparer ».
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punition prévue comme conséquence de ce
dommage25 (droit pénal). Il faut remarquer que la notion
d'obligation est centrale dans le concept même de responsabilité.
Qu'il s'agisse de réparer un dommage ou de subir un châtiment, la
situation se présente toujours sous le signe d'une « obligation
». Mais dans la thématique de la « responsabilité de
protéger », si la notion d'obligation conserve toute sa place, il
n'en est pas de même des autres éléments comme la
réparation et le châtiment qui perdent tous leur sens. Ici,
l'objet de cette responsabilité (protéger), affecte le concept et
oblige à rechercher son sens dans d'autres domaines tels la morale et la
politique.
Le registre de la morale vient enrichir le concept de
responsabilité en lui donnant une extension qui déborde le cadre
de la réparation et de la punition pour englober l'engagement que l'on
peut avoir à l'égard des autres et surtout des personnes qui sont
à notre charge. C'est cette responsabilité qui est définie
par Emmanuel Levinas26 en termes de « responsabilité
pour autrui », en tant qu'obligation qu'impose à chaque personne le
visage ou le regard de l'autre. La modalité de cette
responsabilité est la prospection et non la rétrospection, comme
le souligne Hans Jonas27. On envisage non pas ce qui est
arrivé, mais ce qui peut arriver, en particulier aux autres.On retrouve
ici l'enjeu de la responsabilité de protéger. Si la protection
consiste à mettre des personnes à l'abri d'un danger potentiel,
soit en empêchant que ce danger se produise, soit en limitant ses
conséquences une fois qu'il se manifeste ; la responsabilité de
protéger renvoie vers ce qu'il convient de faire en pareille situation
d'imminence du danger.
Dans un autre registre, la responsabilité devient
politique quand elle se définit comme obligation incombant à un
Etat ou à une institution publique d'assurer la protection ou la
sécurité des personnes qui sont à sa charge. La
responsabilité du point de vue politique, en rapport avec la
thématique de la sécurité humaine, met en évidence
l'une des fonctions principales d'un Etat. Le rapport de la CIISE fait de
l'Etat le principal titulaire de la responsabilité de protéger et
relie la légitimité de l'Etat au respect de cette obligation. Tel
est le sens de la souveraineté mise en oeuvre par ledit
25 Voir Cornu G. (dir.) et Association Henri
Capitant, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. « Quadrige »,
2005, 7e éd., 970 p., « Responsabilité pénale
».
26 Levinas E., Ethique et infini, Paris,
Fayard, 1982, p. 92.
27 Jonas H., Le Principe
responsabilité, Paris, Flammarion, 1995, p. 179.
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rapport28. Non plus une souveraineté dans un
sens défensif, mais une souveraineté prise comme devoir d'un Etat
envers ses citoyens. Dès lors, un Etat qui n'assume pas la
responsabilité politique de protection de ses citoyens est un Etat
défaillant. Par cette défaillance, il oblige, d'autres instances
(organisations internationales, gouvernementales ou non gouvernementales)
à intervenir afin que les citoyens appartenant à cet Etat
bénéficient de la protection qui leur est due. C'est une
responsabilité subsidiaire, au second degré (la
responsabilité première incombant toujours à l'Etat
territorial), mais elle révèle toute son importance quand l'Etat
territorial n'assume pas sa propre responsabilité et, pire, quand il est
lui-même, à l'origine des menaces qui pèsent sur ses
citoyens29.
Inscrite aux paragraphes 138 et 139 du Document final du
Sommet mondial des Chefs d'Etat et de Gouvernement de septembre 2005 à
New-York, la responsabilité de protéger est
désignée comme le devoir général tant des Etats que
de la communauté internationale de « protéger les
populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et
des crimes contre l'humanité »30.Selon ce Document
« cette responsabilité consiste notamment dans la
prévention de ces crimes, y compris l'incitation à les commettre,
par les moyens nécessaires et appropriés
»31.Ainsi, à travers ces définitions, on
peut déduire que la responsabilité de protéger comprend
trois (03) obligations particulières : la responsabilité de
prévenir, la responsabilité de réagir et
la responsabilité de reconstruire.
La première obligation consiste à
éliminer à la fois les causes profondes et les causes directes
des conflits internes et des autres crises produites par l'homme qui mettent en
danger les populations.
Quant à la seconde, elle consiste à
réagir devant des situations où la protection des êtres
humains est une impérieuse nécessité, en utilisant des
mesures appropriées
28 Rapport de la CIISE, La
Responsabilité de protéger, Publication du Centre de
recherches pour le développement international(CRDI), déc. 2001,
p. 14, § 2. 15.
29 Cette perspective pose l'épineux
problème de l'ingérence politique ou, selon la terminologie
apparemment moins choquante, de l'ingérence humanitaire. Mais en
même temps, si la responsabilité est de nature politique, dans le
sens où elle est ci- dessus définie, elle se soumet aux
aléas de ce que l'on appelle, dans les théories réalistes
des relations internationales, la realpolitik. Et du coup, la
dimension politique de la responsabilité, qui était censée
donner à la responsabilité morale la force pragmatique qui lui
manquait, risque d'être ce par quoi cette responsabilité est
susceptible de ne point s'exercer selon les conditions dictées,
précisément, par la rationalité instrumentale de ladite
realpolitik.
30 Document final du Sommet mondial des Nations Unies,
doc. ONU A/60/L.1 (2005), §138. 31Ibid.
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pouvant prendre la forme de mesures coercitives telles que des
sanctions et des poursuites internationales et, dans les cas extrêmes, en
ayant recours à l'intervention militaire. Enfin, en ce qui concerne la
troisième obligation, elle consiste à fournir, surtout
après une intervention militaire, une assistance à tous les
niveaux afin de faciliter la reprise des activités, la reconstruction et
la réconciliation, en agissant sur les causes des exactions auxquelles
l'intervention devait mettre un terme ou avait pour objet d'éviter.
Evoqué dans plusieurs situations de crises à
travers le monde, le principe de la responsabilité de protéger a
trouvé en Afrique le premier terrain de sa mise en oeuvre. Ce qui
justifie à plus d'un titre le thème de nos travaux, « La
mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique
».
En effet, après les horribles massacres des guerres
sierra-léonaises et libériennes, le génocide rwandais et
la guerre sans fin du Congo Kinshasa, le début des années 2000
avait semblé marquer pour l'Afrique, un certain nouveau départ.
Mais dès 2010, la guerre civile ivoirienne, larvée depuis une
dizaine d'années, s'est achevée sur une épreuve de force
où plus de 3000 personnes ont connu la mort. La partition du Soudan,
censée ramenée la paix dans cette région, tourne à
l'affrontement armé. Pire, les coups d'Etats militaires, que l'on
croyait définitivement dépassés, ont de nouveau refait
surface. Nous en voulons pour preuve la récente expérience
burkinabé32. Ainsi, l'Afrique, devons-nous l'admettre, est
depuis plusieurs décennies le théâtre de nombreuses crises
sociopolitiques, d'une complexité sans cesse croissante33,
faisant de la protection des populations, une obligation difficile à
remplir34. Par conséquent, nous présenterons notre
thème en tenant compte particulièrement des récentes
crises intervenues en Afrique et plus précisément en Libye, en
Côte d'Ivoire, en République
32 Gilbert Diendéré, ex bras-droit de
l'ancien Président Blaise Compaoré, nommé le 17 septembre
2015 dans la matinée, à la tête du Conseil national de la
démocratie (CND) prit au soir, par un coup d'état militaire, les
rênes du Burkina Faso en prenant en otage une partie du gouvernement de
transition (établi après le départ de Blaise
Compaoré) dont le Président de la transition, Michel Kafando, et
son Premier ministre Isaac Zida, déclarés
démissionnaires.
33 La fin de la Guerre froide a transformé
la nature et la typologie des conflits armés auxquels est
confronté le monde du XXIe siècle. Le contexte
d'après la chute du mur de Berlin est caractérisé par la
multiplication des conflits internes plus meurtriers et la multiplication des
conflits interétatiques.
34« Les victimes civiles sont en effet de loin les
plus importantes. On sait que c'est une tendance qui se
généralise à travers le monde, et les deux
premières guerres mondiales sont révélatrices de ce
changement. Au début de ce siècle, environ 90% des victimes de
guerre étaient des soldats ; aujourd'hui, environ 90% sont des civils
».GENDREAU F., « La dimension démographique des conflits
armés africains », in L'Afrique face aux conflits,
Revue Afrique contemporaine, numéro spécial,
4e trimestre 1996, p. 135.
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La mise en oeuvre de la responsabilité de
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Centrafricaine et au Mali. En outre, la mise en oeuvre de la
responsabilité de protéger faisant intervenir le triptyque
prévention--réaction--reconstruction, nous nous
intéresserons aux modalités d'application de chacun de ces trois
(03) éléments.
La fréquence et l'intensité des conflits
armés en Afrique rendent hélas d'une permanente actualité
le principe de la responsabilité de protéger et la question de
son applicabilité. L'enjeu étant de préserver les droits
et la vie de personnes qui sont victimes innocentes d'un conflit, le principe
de la responsabilité de protéger a une grande
légitimité. Mais on s'aperçoit que, dès lors qu'il
s'agit de sa mise en oeuvre concrète, énormément de
questions se posent. On a beau avoir établi des critères
précis pour délimiter le pouvoir d'intervention de la
communauté internationale ou de l'un ou l'autre de ses membres au nom de
la responsabilité de protéger, la définition de la
frontière en-deçà de laquelle on doit rester devient
très vite une question d'interprétation, voire
d'intérêt. C'est dans ce cadre qu'on se demande si le principe de
la responsabilité de protéger est assez efficace quand il s'agit
de la question de sa mise en oeuvre dans le contexte régional africain ?
Autrement dit, quelle est la portée des moyens de mise en oeuvre de la
responsabilité de protéger dans les conflits armés en
Afrique ?
Si nous admettons que la responsabilité de
protéger a sans doute influencé un nombre croissant de
discussions et de processus décisionnels35, les principales
questions opérationnelles restent en suspens : Qui décide ? Qui
agit ? Quelle action ? A cet égard ; il n'y a guère eu
d'évolutions depuis le rapport de la CIISE qui préconisait le
développement de lignes directrices claires sur ces différentes
questions. Au cours de la décennie écoulée, nombreuses ont
été les occasions manquées de prouver l'efficacité
concrète de la responsabilité de protéger. L'ONU et les
35 Si, en 2008, la R2P n'est que brièvement
mentionnée parmi les principaux thèmes abordés par le
Secrétaire général de l'ONU dans son rapport à
l'Organisation (Où la R2P figure dans la rubrique relative aux droits de
l'homme, à l'Etat de droit, à la prévention du
génocide à laquelle elle est associée, ainsi qu'à
la démocratie et à la bonne gouvernance. Cf. Rapport du
Secrétaire général sur l'activité de
l'Organisation, AGONU, Doc. off. 63e session, sup. n° 1
(A/63/1), p. 17), en janvier 2009, ce dernier consacrait un rapport
développé à la mise en oeuvre du principe. Et,
après qu'en juillet 2009, elle lui eut consacré plusieurs jours
de débats à l'initiative de son président (Documents
officiels de l'Assemblée générale, soixante
troisième session, Séances plénières,
96e à 101e séance, et rectificatif,
A/63/PV.96 à 101), l'Assemblée générale des Nations
Unies adoptait par consensus, le 14 septembre 2009, sa première
résolution en la matière (Assemblée générale
de l'ONU, A/RES/63/308). Cette résolution était
présentée par le Guatémala et coparrainée par 67
Etats, dont la France avec toute l'Union européenne. L'année 2009
a donc été, comme l'a souligné le Secrétaire
général, « une année décisive pour la mise
en oeuvre de la responsabilité de protéger »
(Assemblée générale de l'ONU, Rapport du
Secrétaire général, Alerte rapide, évaluation
et responsabilité de protéger, A/64/864, 14 juil. 2010,
§14.
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La mise en oeuvre de la responsabilité de
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organisations régionales africaines ont à
maintes reprises fait recours à la responsabilité de
protéger en Afrique. Cependant, la question qui se pose est celle de
savoir si l'application qui est faite de ce principe rend possible la
protection efficace et satisfaisante des populations vulnérables ?
La responsabilité de protéger a, depuis son
origine, souffert de son amalgame avec l'intervention militaire. De ce fait,
les débats ont souvent été monopolisés par la
question du recours à la force. Même si, aujourd'hui, les
partisans de la responsabilité de protéger mettent l'emphase sur
la prévention ainsi que sur les autres moyens d'intervention et de
coercition (médiation, sanctions mais aussi mesures judiciaires), nombre
de discussions portent, de fait, sur l'utilisation de la force
armée.Selon le Rapport de la CIISE, la responsabilité de
protéger contient non seulement la responsabilité de
réagir et de reconstruire, mais surtout la responsabilité de
prévenir. Cependant, il est aisé de constater que les poursuites
internationales de même que l'intervention militaire ont ravi la vedette
à la prévention ainsi qu'à la reconstruction. De fait,
cela suscite des interrogations quant à la place réservée
à la prévention et à la reconstruction dans la mise en
oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique.
Le premier intérêt de ces questions est qu'elles
nous aident à penser ou à repenser, dans une perspective
analytique, le principe de la responsabilité de protéger. Le
second intérêt est qu'elles nous aident à étudier ce
principe dans une perspective plus pratique, à l'épreuve de sa
mise en application en Afrique notamment. C'est dans ce sens que le cas de la
Lybie, au-delà de son caractère tragique, peut constituer un
exemple intéressant. En fait, ce cas permet d'évaluer la
portée éthique et politique de la responsabilité de
protéger, présentée comme réponse au dilemme de
l'intervention humanitaire, et appliquée pour la première fois en
Libye en 2011.
La responsabilité de protéger constitue une
avancée importante dans l'éthique des relations
internationales36, si l'on considère en particulier ce qui en
constitue l'objet central : faire de la protection des droits de l'homme une
responsabilité globale, en accordant à ce principe de
responsabilité globale une supériorité éthique et
même une priorité politique par rapport au principe juridique de
non-ingérence. Cette
36 MBONDA (E.-M.),« Responsabilité de
protéger et éthique de l'intervention humanitaire armée :
réflexions éthiques a partir du cas libyen », Institut
Afrique Monde, Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé,
p. 2.
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La mise en oeuvre de la responsabilité de
protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
Centrafrique, Libye)
importance de la responsabilité de protéger
n'est pas fondamentalement remise en cause par son instrumentalisation et ses
dévoiements par les acteurs internationaux. En réalité,
aucun grand principe normatif, aucune grande doctrine n'est à l'abri de
pareilles dérives (on a pratiqué l'inquisition au nom de
Jésus, et on tue au nom d'Allah). Celles-ci doivent être
considérées comme une interpellation, une invitation à
retravailler le principe pour en éliminer autant que possible les
ambiguïtés. Et c'est toujours le principe lui-même qui
fournit des arguments pour dénoncer son instrumentalisation.
Il est indéniable que plusieurs
études37 ont été consacrées à la
protection des populations civiles en temps de guerre. On peut donc se demander
à juste titre pourquoi une étude de plus sur ce thème ? La
réponse à cette interrogation réside dans le fait qu'un
sujet aussi complexe nécessite plusieurs approches, dans le sens
où aucune analyse ne peut prétendre instruire à elle seule
l'étude d'une réalité sociale. Notre démarche
méthodologique sera basée sur l'analyse fonctionnaliste, à
travers laquelle nous montrerons l'utilisation réelle qui est faite du
principe de la responsabilité de protéger en Afrique et
particulièrement en Libye, en Centrafrique et au Mali.
En vue d'analyser l'efficacité de la
responsabilité de protéger en Afrique, il convient d'aborder dans
un premier temps le cadre de sa mise en oeuvre (Première partie)
afin de rendre compte de ses différentes facettes. Ensuite,dans
un second temps, il convientd'examiner l'effectivité de son application
en Afrique (Deuxième partie).
37 SASSE (A.), L'ONU et la
responsabilité de protéger en Afrique, Mémoire de
DEA, Université d'Abomey-Calavi, 2012, 91 pages. KELLY (A.),
Populations civiles et conflits armés dans la CEDEAO,
Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi, 2004. BALGUY-GALLOIS
(A.), Droit international et protection de l'individu dans les situations
de troubles intérieurs et de tensions internes, Thèse,
Université de Paris I, 2008. CODJO (J.), La régionalisation
de la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger : cas de la
CEDEAO, Mémoire de DEA, Université d'Abomey-Calavi,
décembre 2012.
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protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali,
Centrafrique, Libye)
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