SECTION 2 : MISSIONS OU FONCTIONS DE LA PRISON
D'une manière générale, « La
peine-prison ne présente aucune originalité quant aux fonctions
qui lui sont assignées. Elle est en effet censée remplir les
mêmes finalités que toutes les autres peines
48». La sanction de manière générale
remplit plusieurs fonctions ; Nous pouvons citer : La Fonction vindicative ou
vengeance, la fonction morale ou rétributive, la fonction de
prévention individuelle ou spéciale, la fonction de
prévention générale, la fonction éliminatrice, la
fonction réparatrice et la fonction symbolique49.
Toutes ces fonctions nécessitent une analyse
très pausée pour chacune d'elle. Car, de cette analyse nous
comprendrons les différences existantes entre elles. Analysons avant
tout la fonction rétributive.
47 Christian Carlier, la prison vue par les
historiens, cité par Valérie LANCIER Op.cit., p.8.
48 Valérie LANCIER, Op.cit., p.14.
49 NYABIRUNGU mwene SONGA, Op.cit., p.343.
19
Paragraphe 1 : Les fonctions tournées vers les
passé ou la fonction « rétributive »
Lorsqu'un délinquant commet une infraction, il
contracte une dette envers la société. Il doit la
payer50.
Le crime est une faute que l'agent doit « expier, c'est
souffrir soi-même par la punition de sa propre faute. C'est expulser par
la douleur physique ou morale les impuretés de son âme :
magnis flatibus et laboribus, à force de l'armes et de
durs travaux »51. Cela répond à une exigence
morale partagée par toutes les sociétés, à toutes
les époques. Les bons actes doivent être
récompensés, et les mauvais doivent être punis. Et le
sentiment comme l'expression populaire est que « justice est faite »
lorsque l'auteur d'un crime crapuleux monte à l'échafaud.
La fonction morale de la peine relève ainsi du
rétributisme ou du moralisme, en ce sens que la commission de
l'infraction est une condition nécessaire et suffisante de la peine,
sans devoir se poser des questions sur son utilité ou son
efficacité, sur ses effets ou ses conséquences sur l'individu ou
sur la société52. Telle est aussi la conception de
KANT sur la peine53.
Le concept de rétribution a en effet traversé
les âges : « Platon, auquel Saint Thomas fait écho,
professait que le crime opérant une rupture intolérable dans
l'ordre du monde, l'ordre doit être restauré, reconstitué
par l'application de la peine. Aristote considérait la peine
(«zemia», c'est-à-dire le dommage infligé au
délinquant en guise de réparation) comme l'équivalent
égalisateur qui permet de rétablir l'équilibre rompu par
le crime ; la peine rétablit donc le droit perturbé. Durkheim
estimait aussi que la répression, en dissolvant les émotions
collectives provoquées par le crime, maintient la cohésion
sociale »54.
50 NYABIRUNGU mwene SONGA, Op.cit., p.344.
51 Georges KELLENS, cité par NYABIRUNGU mwene
SONGA, Op.cit., p.344.
52 Idem
53 Idem
54 Roger MERLE, André VITU, cités par
Valérie LANCIER, Op.cit., p.17.
20
La rétribution a également
imprégné les deux derniers siècles de l'Ancien droit :
« le rachat par la souffrance est un axiome de la théorie morale
classique, et l'on enseignera dans les collèges jusqu'à la fin de
l'Ancien Régime, selon Saint Thomas, que la rétribution du
démérite est dans l'essence de la Justice.» Roger Merle et
André Vitu écrivent encore : «Les légistes de
l'ancien droit français étaient fortement imbus de la doctrine
rétributive : tout crime appelle châtiment que le Roi fait
appliquer par délégation divine.» «La peine canonique
a», elle aussi, «un fondement rétributif. (...) Le
délinquant est puni dans la mesure qu'il a mérité, et
parce qu'il a pêché : punitur quia peccatum est
»55.
En contraste avec la pensée dominante de son
époque, Emmanuel Kant, le plus notable représentant de
l'École de la justice absolue, s'inscrit dans cette logique
rétributive de la peine. Il fait partie des rares philosophes qui
réduisent la peine à cette seule fonction, qui lui niet toute
autre finalité. Kant et ses disciples «considèrent qu'il
faut sévir parce qu'une faute a été commise» et
«défendent une vision absolue à l'image de la
célèbre parabole de Kant : une communauté vivant en
autarcie sur une île et devant la quitter devrait juger les assassins
encore enfermés dans ses geôles, avant de déguerpir, par
simple nécessité de justice56.
Kant s'inscrit dans la doctrine de la rétribution
morale. Selon cette dernière, « il est une exigence profonde et
irrésistible de la nature humaine que le mal soit rétribué
par le mal, comme le bien doit être récompensé d'un
bienfait.» Hegel, quant à lui, défend la doctrine
de la rétribution juridique qui «considère le délit
comme rébellion de l'individu à la volonté de la loi, et
de ce fait, exige une réponse qui sera une réaffirmation de
l'autorité étatique »57.
Après une éclipse de près de deux
siècles, la doctrine de la rétribution a ressurgi dans les
années 1970, avec la naissance de deux mouvements58 : un
mouvement néo-kantien, d'une part, influencé par John Rawls,
développant la théorie du «juste dû», selon
laquelle «la peine doit être fondée sur le mérite
(désert), tournée vers le passé et proportionnée
à
55 Valérie LANCIER, Op.cit., p.17.
56 Frédéric-Jérôme pansier,
la peine et le droit, cité par Valérie Lancier, op.cit.,
p.17.
57 Ibidem, P.18.
58 Idem
21
la gravité de l'infraction»59; et
d'autre part, un mouvement néo-durkheimien, «insistant sur le
caractère religieux ou sacré de la peine, laquelle doit effacer
l'infraction commise, rétablir la cohésion
sociale.»60
Selon la doctrine de la rétribution, le crime doit donc
être rétribué, c'est-à-dire qu'il doit être
compensé par une souffrance infligée à son auteur soit
dans sa personne, soit dans ses biens, soit dans son honneur61. La
rétribution passe obligatoirement par la souffrance du délinquant
et a plusieurs significations «qui peuvent être formulées en
termes moraux : dénonciation du degré d'immoralité de
l'infraction, rétablissement du droit violé, attestation de la
responsabilité morale de l'agent et de son «droit» à
être traité comme tel, triomphe d'une certaine idée de la
justice, approbation des actes conformes, etc.» et «en termes plus
sociologiques : maintien de la cohésion sociale, guérison des
blessures» faites aux sentiments collectifs, attestation de la subsistance
des sentiments collectifs, etc.»62
La peine, sous l'angle de la rétribution, a plusieurs
fonctions : elle est la réaffirmation de la Justice63et du
Droit.
Elle est la réprobation morale de l'infraction. Elle
est « indispensable pour rétablir l'équilibre rompu par le
crime »64.
Elle «a pour fonction de régulariser les rapports
réciproques entre deux parties»65 et c'est pour cette
raison qu'il doit y avoir une équivalence entre le crime et la peine,
entre l'action et la réaction. Si la peine était
disproportionnée par rapport à l'infraction, il y aurait toujours
un déséquilibre dans cette relation. La peine doit compenser la
dette créée par le crime. La peine efface le crime66.
Et, selon Durkheim, «sa vraie
59 Pierrette PONCELA, éclipses et
réapparition de la rétribution en droit pénal,
cité par Valérie LANCIER. Op.cit., p.18.
60 Ibidem. 61Idem.
62 Michel Van de Kerchove, symbolique et
instrumentalité. Stratégies de pénalisation et de
dépénalisation dans une société pluraliste,
cité par Valérie LANCIER. Op.cit., p.18.
63 Raymond Polin, la notion de la peine dans la
philosophie du droit de Hegel, cité par Valérie LANCIER,
op.cit., p.19.
64 Idem.
65 Idem.
66 Idem.
22
fonction est de maintenir intacte la cohésion sociale
en maintenant toute sa vitalité à la conscience commune
»67.
Malgré ces critiques et même si «la
finalité de rétribution de la peine a été peu
à peu délaissée par la pratique judiciaire, depuis la fin
du XIXème siècle, au profit d'autres fonctions de la peine, dont
celle de la réadaptation», la rétribution étant
l'essence même de la peine, cette dernière aura toujours une
fonction rétributive, plus ou moins mise en avant selon les
époques68.
Si cette première fonction, faisant payer le mal pour
le mal, est tournée vers le passé, ne s`intéresse qu'au
crime, la seconde, celle de réinsertion, va mettre l'accent sur la
personne du délinquant et s'intéresser essentiellement à
l'avenir.
|