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Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au nord Bénin. Acteurs, mécanismes et incidences agricoles.par Brice BIO BONE Université de Parakou - Master professionnel Economie et Sociologie Rurales 2020 |
3-3-2. Mode d'accès et formes d'utilisation des substances psychotropes3-3-2-1. Mode d'accès Trois modes d'accès des substances psychotropes sont développés par les agriculteurs au Nord Bénin. Il s'agit de l'achat, du troc et des dons développés pour acquérir les différentes substances psychotropes auprès des distributeurs. Les résultats de notre étude indiquent que les modes d'accès sont développés en fonction de la nature et du type de la substance, de la relation distributeur-consommateurs et consommateurs-consommateurs puis de l'échelle d'addiction ou de dépendance du consommateur vis-à-vis du produit. L'achat est de loin le mode d'accès le plus développé devant respectivement le don et le troc et s'applique à toutes les substances psychotropes en fonction de la disponibilité pécuniaire de l'usager (Voir Tableau 12). Tableau 12 : Mode d'accès des substances psychotropes par les agriculteurs
Source : Données de terrain, 2019 On ne peut indéfiniment consommer les psychotropes à travers les dons et le troc. Les observations directes effectuées sur le terrain montrent que le « don » est fréquemment utilisé pour les substances psychotropes de nature locale à savoir le tabac et l'alcool. Il est ainsi très facile et coutumier de voir les producteurs s'offrir des pincées de tabac, traduisant l'une des formes de solidarités encore maintenues en milieu rural par les producteurs. Les psychotropes de nature importée comme le café, le tramol, l'alcool importé, la cigarette etc. sont relativement peu offerts. Lorsque pour le compte de ces produits, des formes de « dons » apparaissent, cela met en exergue la nature des liens sociaux existants entre « distributeur-consommateur » ou « consommateur-consommateur » inter-échangeant les substances. Elle traduit un climat d'amitié et de confiance, né et entretenue entre acteurs « consommateurs-consommateurs » et une fidélisation de la clientèle dans le cas « distributeur-consommateurs ». p. 64 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles Ainsi, l'usage des substances psychotropes fait entièrement partie de la grande majorité du quotidien des producteurs. Le troc est essentiellement développé entre « distributeur-consommateurs ». Ce mode peut permettre de déterminer le niveau de dépendance d'un consommateur vis-à-vis des psychotropes. Au nord Bénin, les producteurs ne disposant d'argent pour acquérir l'une ou l'autre des substances psychotropes, troquent leurs produits de récoltes (maïs, soja, manioc, mil, sorgho, etc.). Cette méthode permet par suite aux distributeurs notamment les vendeurs de boutiques des villages, développant pour la plupart le commerce des produits tropicaux ; de garantir leurs fonds de roulement. 3-3-2-2. Formes d'utilisation (formes, fréquences, doses)
Les résultats de nos travaux indiquent que la fréquence journalière minimale de consommation est de 1 et celle maximale est de 20 avec une de moyenne d'environ 4 fois par jour pour l'ensemble des psychotropes étudiés par les agriculteurs au Nord Bénin (Voir tableau 13). p. 65 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles L'écart-type relativement faible indique que pour la grande majorité des producteurs dans les trois communes étudiées, la fréquence journalière de consommation est d'environ 3 fois. Quant aux dépenses de consommation, les producteurs dépensent en moyenne 33.475 XOF pour l'achat des psychotropes durant toute la campagne agricole soit environ 182 jours sur 365. Tableau 13 : Fréquence de consommation des psychotropes par les agriculteurs
Source : Données de terrain, 2019 c) Dose En ce qui concerne les doses de psychotropes consommées, les quantités moyennes par type de substance psychotrope se résument ainsi ci-dessous (Voir tableau 14). La valeur relativement supérieure de l'écart-type par rapport à la moyenne indique une forte hétérogénéité au sein de l'échantillon, des quantités consommées par les producteurs : il existe donc beaucoup de producteurs ingérant des quantités de psychotropes assez faibles par rapport à la moyenne et beaucoup de producteurs ingérant des doses très fortes par rapport à la moyenne. Tableau 14 : Doses de psychotropes consommés par les producteurs
Source : Données de terrain, 2019 De fait, les données sur les fréquences et les doses de substances psychotropes consommées nous permettent de déterminer le niveau de dépendance pour le tabac et la cigarette, et le type d'usage selon qu'elle soit à risque ou non pour l'alcool. Pour ainsi mesurer la dépendance à la nicotine, le test de Fagerström décrit pour la première fois en 1978 par Karl Olov Fagerström sous l'appellation de questionnaire de tolérance (Wikipédia «Test de Fagerström,» 2017) a été appliqué à tous les producteurs consommateurs de tabac. p. 66 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles Pour ce qui concerne l'alcool, l'OMS distingue 5 types d'usage en fonction du seuil défini à savoir 3 verres au plus par jour pour les hommes et 2 au plus pour les femmes à long terme ou 4 vers au plus pour les hommes et 3 au plus pour les femmes par jour à court terme. Ces valeurs sont confirmées par l'Oservatoire Français Des Toxicomanies (OFDT, 2015). À l'instar des autres psychotropes, les normes pour l'usage du café y sont également définies par le DSM-5. Le tableau 15, ci-dessous nous présente la synthèse des seuils recommandés pour l'usage de l'alcool, le tabac, la cigarette, le café, le tramol et les autres substances psychotropes. Tableau 15 : Seuils de consommation recommandée par les institutions spécialisées.
Source : Données de terrain, 2019 L'analyse de ces données pour le tabac indique que 47,56% des producteurs ne sont pas dépendants bien que consommateur, et seulement 14,63% ont une forte dépendance p. 67 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles au tabac, pour l'ensemble des communes étudiées. Il existe cependant des spécificités par communes (figure 20). La dépendance au tabac et ses dérivés est plus forte dans la commune de Banikoara que dans la commune de Bembérékè et de Malanville. La commune de Malanville représente la commune avec des producteurs ayant une faible dépendance au tabac. La consommation modérée de tabac (nombre de pincée comprise entre 11 et 30 pincées) est plus forte dans la commune de Bembérékè.
Communes dépendance forte(n+f = 30) dépendance modérée (11 = n+f < 30) pas de dépendance (n+f = 10) Nombres de producteurs Figure 20 : Dépendance au
tabac La cigarette est aussi consommée par les producteurs avec une faible dépendance faible voire nulle (nombre de baguettes inférieures à 6 par jour) dans toutes les communes étudiées. On observe tout de même une dépendance forte (nombre de baguettes supérieures à 14 par jour), respectivement par ordre décroissant, dans les communes de Banikoara et Bembérékè que dans la commune de Malanville. Pour ce qui concerne le café, 54,70% des producteurs en consomment dont 76,19% parmi les consommateurs de substances psychotropes en général.
Communes Dose élevée (5 à 10 g) Dose moyenne (1 à 4,99 g) Producteurs Figure 21 : Doses de café ingérée Source : BONE, 20 p. 68 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles L'analyse des données relative à la consommation du café indique clairement que la grande majorité des producteurs font quotidiennement recours à une dose moyenne allant 1 à 4,99g de café. Certains utilisent de fortes doses allant jusqu'à 7 grammes de café. On observe une plus grande consommation de forte dose de café dans la commune de Banikoara que dans la commune de Bembérékè. Ce type de consommation est nul dans la commune de Malanville pour les producteurs enquêtés (figure 21). L'alcool est consommé par environ 25% des producteurs enquêtés dont 27,38% de l'ensemble des consommateurs de psychotropes. Deux principaux modes de consommation de l'alcool par les producteurs ont été observés : il s'agit d'une consommation ou usage modérée défini par la prise de l'alcool mais en dessous ou égal du seuil défini par l'OMS et qui répond à une norme sociale ; et le non-usage qui prend en compte le non-usage primaire (abstinence : supposé qu'il ne prend pas à cause de ses convictions religieuses) puis secondaire (abstinence par contrôle de soi). Il faut noter qu'il existe d'autres formes d'usage de l'alcool : il s'agit de la consommation à risque se traduisant par une consommation supérieure au seuil défini par l'OMS et non encore associé à un quelconque dommage d'ordre médical, psychique ou social, mais susceptible d'en induire à court, moyen et/ou long terme. Et l'usage nocif, caractérisé par une consommation ayant induit un dommage au niveau somatique, psychoaffectif ou social quelques soit la fréquence et le niveau de consommation
Banikoara Bembérékè Malanville Total Communes non usage usage modéré 60 50 40 25 30 17 20 14 10 0 Nombres de producteurs 35 3 Figure 22: Type d'usage de
l'alcool p. 69 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles L'analyse des données relative à la consommation de l'alcool (figure 22), indique que pour l'ensemble des communes étudiées le non-usage (primaire et/ou secondaire) est majoritairement observé. De façon spécifique, la commune de Bembérékè présente la plus forte consommation d'alcool par rapport aux autres communes. Dans la commune de Banikoara il existe autant de consommateurs d'alcool que de non-consommateur. Le tramol est un médicament psychotrope analgésique de type narcotique, utilisé pour traiter la douleur modérée à sévère. 11,11% des producteurs enquêtés consomment le tramol. 26,25% des producteurs consomment les autres médicaments psychotropes. En fonction des doses de tramol et autres médicaments psychotropes ingérés, on observe trois types de dépendance chez les agriculteurs consommateurs : une dépendance nulle (nombre de comprimés = 0), une dépendance physique (nombre de comprimés = 1 ou = 1 à 2 comprimés/jour respectivement, pour le tramol et les autres médicaments psychotropes) et une dépendance psychique ou addiction (nombre de comprimés supérieurs à 1 ou 2 comprimés/jour, respectivement pour le tramol et les autres médicaments psychotropes). En effet, l'addiction physique se caractérise par une incapacité de l'individu à vaquer à ses occupations lorsqu'il ne prend pas ses médicaments. L'addiction ou la dépendance psychique se manifeste par un phénomène de manque lorsqu'on est privé d'un besoin non vital (exemples de besoins vitaux : nourriture, sommeil). Elle se manifeste aussi par une forte envie de toujours consommer les produits dopants afin de se sentir bien. Ainsi, le consommateur trouve la nécessité de consommer le produit dopant à des doses encore plus importantes dans le but de se satisfaire (Mohamed, 2016). Ainsi donc, malgré la prédominance de la dépendance nulle au tramol, on observe une forte dépendance psychique par rapport à la dépendance physique au tramol pour l'ensemble des producteurs enquêtés. De façon spécifique, la commune de Malanville est plus touchée par la consommation du tramol avec une dépendance psychique au tramol plus important chez les agriculteurs. La dépendance physique au tramol dans la commune de Bembérékè est plus élevée par rapport à la commune de Banikoara (figure 23). p. 70 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles
Communes Dépendnace nulle Dépendance physique Dépendance psychique Nombes de producteurs Figure 23 : Dose de tramol
ingérée Pour ce qui concerne les autres médicaments psychotropes, on observe une dépendance majoritairement nulle chez les agriculteurs pour l'ensemble des communes ciblées (figure 24). Il faut noter qu'à ce niveau, nous distinguons des médicaments psychotropes par nature et les médicaments psychotropes par usage (consommation suivant une dose élevée de médicament non psychotrope entrainant des effets similaires aux substances psychotropes : cas de 8 comprimés de paracétamol ingéré en une seule fois). De façon spécifique, la commune de Malanville est plus touchée par la consommation de ces médicaments avec une forte dépendance médicamenteuse à la fois physique et psychique. Très peu de producteurs (17,2%) n'ingèrent pas les médicaments psychotropes (dépendance nulle) dans cette commune. Après Malanville, la commune de Bembérékè présente un taux plus élevé de producteurs ayant une dépendance psychique et physique aux médicaments psychotropes, par rapport à la commune de Banikoara. Il existe néanmoins plus de producteurs qui n'ingèrent pas de médicaments psychotropes (dépendance nulle) dans chacune ces deux communes (95,8% à Banikoara et 83,9% à Bembérékè). En somme, pour l'ensemble des substances psychotropes étudiées, seule l'usage de l'alcool impliquant des doses relativement modérées ou nulles ; présente peu de risques pour la santé des producteurs au Nord Bénin. Les autres substances psychotropes à savoir le tabac, la cigarette, le café, le tramol et les autres médicaments psychotropes sont consommés à des doses relativement moyennes ou très souvent élevées présentant ainsi de fait, des risques importants pour la santé des producteurs au Nord Bénin. p. 71 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles Banikoara Bembérékè Malanville Total Communes Dépendnace nulle Dépendnace physique Dépendance psychique Nombres de producteurs 40 70 60 50 30 20 10 0 64 23 1 0 26 4 1 5 12 12 20 15 Figure 24 : Doses ingérées pour autres médicaments psychotropes Source : BONE, 2019 3-3-2-3. Classement des psychotropes utilisés suivant les doses les plus élevée Suivant les doses consommées, les substances psychotropes les plus consommées par les producteurs pour l'ensemble des communes ciblées se présentent comme suit (figure 25) : Alcool 0% Tramol 8% Autres méd psy. 19% Café 41% Tabac 27% Cigarette 5% Figure 25 : Psychotropes les plus consommés à des doses prejudiciables à la santé des producteurs Source : BONE, 2019 - Le café en premier lieu, est consommé à des doses moyennes et élevées, par 41% des producteurs, p. 72 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles - Le tabac ensuite, est consommé à des doses modérées et fortes, par 27% des producteurs ; - Les médicaments psychotropes en dehors du tramol, sont utilisés à des doses traduisant une dépendance physique et psychique. Ces médicaments sont consommés par 19% des producteurs. - Le tramol comme les autres médicaments psychotropes est également consommés à des doses traduisant une forte dépendance psychique et physique avec des dommages plus directs et plus concrets. Le tramol est utilisé suivant ces doses par 8% des producteurs au Nord Bénin. - La cigarette est quand elle consommée à des doses moyennes et fortes. 5% des producteurs enquêtés pratiquent ce mésusage de la cigarette. - L'usage de l'alcool chez les producteurs, respecte les normes prescrites par l'OMS. De fait, la consommation de l'alcool présente peu de risques en matière de santé chez les producteurs au Nord Bénin. Les spécificités par commune se présentent ainsi qu'il suit (figure 26). Ainsi donc pour une intervention généralisée (sensibilisation, dépistage et prise en charge, etc.) au niveau des agriculteurs sur les substances psychotropes au Nord Bénin, la priorité par ordre d'importance doit être accordée au café, au tabac, aux médicaments psychotropes, au tramol, et à la cigarette. 120 100 80 60 40 Quantités 20 0 Tabac Cigarette Café Tramol Autre méd psy. Psychotrops Banikoara Bembérékè Malanville Alcool Figure 26 : Classification des psychotropes utilisés selon des doses élevée Source : BONE, 2020 p. 73 Utilisation des substances psychotropes dans l'agriculture au Nord Bénin: acteurs, mécanisme et incidences agricoles |
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