B- Repenser les effets de l'hypothèque de
jouissance des terres à partir de quelques principes
Relativement aux effets des garanties de manière
générale, les principes suivants peuvent être
observés :
- Le recouvrement de la créance doit être
opéré sur les biens donnés en garantie. En cas de
non-paiement de la dette garantie, le titulaire du droit garanti doit
être à mesure de réaliser les biens donnés en
garantie et d'affecter le produit de la vente au recouvrement de sa
créance en priorité par rapport aux autres créanciers. Il
y a lieu de relever, relativement à ce point que concernant les droits
réels de jouissance des terres, la réalisation peut être
quelque peu hypothétique. Mais l'assurance qu'il y a à recourir
auxdits droits est que leur résiliation abusive peut mener à
l'indemnisation de leur titulaire et par ricochet du bénéficiaire
de la garantie.
- L'exécution de la mesure à laquelle
mène la garantie doit porter sur son assiette. Les
procédures d'exécution de la garantie doivent permettre une
réalisation rapide des biens grevés à la valeur du
marché. Sur ce point, il y a lieu d'évoquer trois idées
intéressantes à ne pas négliger pour une éventuelle
organisation d'un régime spécifique de l'hypothèque de
jouissance.
La première idée est en rapport avec la
saisie immobilière281 qui est une procédure
longue imaginée pour adjuger l'immeuble. Cette voie d'exécution
est couteuse et difficile à
281 Article 200 et suivants de l'AUPSRVE.
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Jouissance des terres et garantie
l'utilisation pour l'hypothèque de la jouissance des
terres282. Pour la rendre utilisable comme voie de
réalisation de cette dernière, elle doit être
réorganisée en empruntant quelques règles de la saisie
vente283. Certes, la saisie vente concerne les meubles mais
l'application des règles concernant les meubles aux immeubles n'est pas
nouveau puisque c'est le cas en matière de saisie des récoltes
sur pieds.
La deuxième idée est en rapport avec la
saisie des récoltes sur pieds284 qui est une mesure
d'exécution forcée qui n'est véritablement pas
précédée de possibilité de conclusion de garantie.
En effet, il pourrait être donné aux parties et
nécessairement au titulaire du droit de jouissance d'avoir un
crédit de court terme ou même de long terme285 et de
proposer comme garantie ses droits et fruits générés sur
les terres objet de sa jouissance. A la réalisation de telle garantie,
le créancier hypothécaire recourra à la procédure
de saisie des récoltes sur pied, ou mieux, il exercera simplement son
droit de préférence si la procédure est engagée par
un autre créancier. Son droit de suite pourra également
être mis à contribution en cas de vente frauduleuse desdites
récoltes, la publicité instituée devra beaucoup servira
à la sécurisation des droits du bénéficiaire de la
garantie.
La troisième idée est relative à la
mesure évoquée à l'article 265 de l'AUPSRVE qui
prévoit clairement, lorsqu'il y a saisie immobilière, la
possibilité pour le débiteur d'offrir les fruits de son immeuble
pendant deux années à son créancier pour
éviter la vente dudit immeuble. A travers cette mesure, il peut
être imaginé un mode spécifique de réalisation de
l'hypothèque de la jouissance des terres. Il consistera pour le
créancier à se faire attribuer conventionnellement ou
judiciairement le droit aux fruits de l'immeuble pendant une durée
pouvant couvrir sa créance. Mieux il pourra réorganiser le
système de génération des fruits, en investissant, pour
accélérer son remboursement.
282 CCJA, 2e Ch. Arrêt n°052/2013 du 12
juin 2013.
283 J.P TCHOU BAYO, « Saisie-Vente », in
Encyclopédie du droit OHADA, Porto - Novo, Lamy, 2011,
p.1770-1804.
284 Articles 147 et suivants de l'AUPSRVE.
J.P TCHOU BAYO, « Saisie-Vente », op. cit.,
n°188-197. L'auteur donne l'explication suivante sur le bien-fondé
de l'institution de telle saisie : « En principe ces récoltes
devraient être saisies par voie de la saisie immobilière car aux
termes de l'article 520 du code civil (en vigueur au Cameroun), elles sont les
immeubles par nature en raison de leur adhésion à la terre. Mais
le législateur d'aujourd'hui comme celui d'hier (qui avait
institué la saisie-brandon que la saisie des récoltes sur pied
remplace) a voulu les soustraire de cette procédure couteuse et lente de
la saisie immobilière en faisant d'elles des meubles par anticipation
» n°188.
285 Cas des plantations dont les récoltes sont cycliques :
bananeraies, palmeraies,...
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Jouissance des terres et garantie
- L'efficacité de la garantie en cas
d'insolvabilité dépend généralement des
dispositions sur les procédures collectives. La garantie doit
rester efficace et susceptible d'exécution en cas de faillite ou
d'insolvabilité du débiteur sur les biens duquel la
sûreté a été constituée. Le décret du
11 août 2015 prévoit la substitution, après proposition du
créancier, du débiteur occupant ou exploitant du domaine public
artificiel déclassé. Cette préconisation vise visiblement
à assurer l'efficacité de la garantie en cas
d'insolvabilité du débiteur. Mais pour l'hypothèque
portant sur d'autres droits de jouissance, les créanciers connaissent
les restrictions et blocages prévus par les procédures
collectives.
De manière fonctionnelle, il peut également
être envisagé le passage de l'hypothèque de jouissance des
terres à l'hypothèque de l'immeuble ou même à une
autre hypothèque de jouissance. Ceci est envisageable pour une
hypothèque portant sur une concession provisoire. Lorsque la concession
provisoire devient une concession définitive, l'hypothèque de
jouissance s'éteint alors qu'il peut être envisagé que
l'hypothèque de jouissance se transforme automatiquement en
hypothèque de l'immeuble. Certes le créancier
intéressé pourra bénéficier de l'hypothèque
légale du fournisseur de denier mais la constitution de cette
dernière oblige à une procédure judiciaire qui peut
être évitée. Par ailleurs, le titulaire d'un droit de
superficie ou des baux peut devenir propriétaire des terres et donc il y
a confusion du droit de propriété et du droit de jouissance,
pareille confusion éteint les droits réels de jouissance et leurs
garanties avec. Pourtant, ces évènements doivent être pris
en compte dans l'organisation du régime de l'hypothèque de
jouissance des terres.
L'utilisation de la jouissance des terres comme garantie passe
par une organisation cohérente et adéquate de l'ensemble des
droits qui confèrent ladite jouissance et aussi de ladite garantie. La
possibilité de réelle mise en oeuvre de cette garantie doit
être analysée ; c'est la question de sa fonctionnalité tant
dans la formation que dans les effets. Ceci nécessite au
préalable une révision des règles relatives à
l'assiette concernée. Il s'agit d'une révision qui
considère la jouissance des terres telle quelle et qui lui
conçoit une garantie adaptée à ses conditions d'obtention
et d'exercice. Ces nécessités considérées, elles
s'uniront à celles déjà prévues par le droit
positif et qui s'avèrent fort utiles à l'effectivité et
l'efficacité de l'hypothèque de jouissance comme
déjà développé ci-haut. Bref, il peut être
organisé un régime juridique spécifique à
l'hypothèque de jouissance et ce régime peut, avec beaucoup
d'intérêts et de manière mesurée, s'inspirer de
quelques-unes de celles de l'hypothèque de l'immeuble et au besoin de
certaines règles éparses qui organisent les mesures
d'exécution forcée.
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Jouissance des terres et garantie
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