CHAPITRE 2 : L'INSTITUTION D'UN REGIME SPECIFIQUE A
L'HYPOTHEQUE DE LA JOUISSANCE DES TERRES COMME SOLUTION ENVISAGEABLE
En science juridique, il est important de concevoir ou
d'aborder chaque chose selon ses caractéristiques et
spécificités, et donc suivant sa révélation comme
phénomène juridique238. C'est ce que tente de faire le
législateur OHADA en évoquant quelques faisceaux de principes et
règles relatifs à l'hypothèque lorsqu'elle porte sur des
droits réels de jouissance des terres. Le décret du Premier
Ministre du 11 août 2015 relatif aux garanties et suretés sur les
baux et concessions domaniaux fait de même puisqu'il évoque
quelques dispositions relatives à la nature particulière des
terres domaniales et des droits susceptibles d'être reconnus sur lesdites
terres. Les dispositions dudit décret augurent en ses débuts une
volonté d'évocation de manière exhaustive des
règles s'appliquant à l'hypothèque de jouissance. Elles
finissent curieusement par faire un renvoi aux dispositions
générales de l'hypothèque.
Le renvoi à l'hypothèque portant sur l'immeuble
se révèle parfois inapproprié relativement à la
constitution de l'hypothèque de jouissance des terres et souvent
excessif quant aux effets que la dernière est susceptible de produire.
Lesdits renvois traduisent une assimilation, parfois excessive, entre
l'immeuble et les droits réels de jouissance susceptibles d'être
constitués sur ledit immeuble. Pratiquement, cette assimilation ne peut
être vraie, tant il provoque l'inutilisation de la jouissance des terres
comme objet de garantie. Cette inutilisation découle de l'organisation
du régime de ladite garantie, ce qui pourrait traduire son
inutilité.
A la vérité, les droits de jouissance des terres
sont en pleine expansion. Les terres se font rares, sinon les
propriétaires sont moins disposer à concéder
complètement leur propriété. Davantage, des droits
réels de jouissance seront constitués et l'acquisition de la
propriété sera de moins en moins envisagée. Tout ceci
pourra provoquer, de plus en plus, le besoin de recourir aux garanties au moyen
desdits droits réels de jouissance. Déjà, la
nécessité de constituer garantie au moyen de ces droits s'est
fait sentir et l'institution de la possibilité de reconnaissance des
droits réels de jouissance sur les terres domaniales a constitué
une réponse.
238 C. EISENMANN, « Quelques problèmes de
méthodologie des définitions et des classifications en science
juridique », Arch. Phil. Drt, 1966, pp. 11-26.
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Jouissance des terres et garantie
Relativement à la garantie, lorsqu'elle porte sur la
jouissance des terres, il y a lieu de se demander si ses
spécificités sont réellement prises en compte. A l'analyse
des textes qui l'abordent, il en découle que les règles qui
régissent l'hypothèque portant sur les droits de jouissance des
terres ont quelque peu pris en compte la nécessité de
déterminer les spécificités propres aux droits
réels de jouissance des terres (Section 1). Cependant, une analyse
rigoureuse de l'appréhension par lesdits textes, aussi bien du concept
de jouissance des terres que de l'organisation du régime «
adapté » à l'hypothèque de jouissance des terres,
révèle que la prise en compte est insuffisante voire
inadaptée en certains cas (Section 2).
SECTION 1 : UNE NECESSITE PARTIELLEMENT PRISE EN COMPTE
PAR
LES TEXTES
La prise en compte de la nature particulière des droits
réels de jouissance des terres et de la garantie susceptible
d'être constituée est perceptible, dans le droit positif, à
travers quelques règles de constitution (Paragraphe 1) et aussi à
travers les effets et modes de transmission et d'extinction de ladite garantie
(Paragraphe 2) qu'il évoque.
Paragraphe 1 : les règles spécifiques de
constitution à l'hypothèque de la jouissance des terres
Un droit réel de jouissance des terres est un droit
particulier pour au moins deux raisons. La première raison est que ledit
droit est soit un démembrement du droit de propriété et
donc ne recouvre pas l'ensemble des prérogatives du propriétaire,
soit c'est une simple prérogative de jouissance reconnue par
l'Administration dans les domaines. Comme vu ci-haut, il y a
dédoublement de la nature des droits de jouissance des terres. Ce
dédoublement est susceptible d'amener à envisager leur
hypothèque en fonction de la nature réelle de la jouissance
considérée. Le résultat pourrait être, à la
suite de la distinction de l'hypothèque de l'immeuble de
l'hypothèque de jouissance comme développé dans le cadre
de ce travail, la distinction aussi de l'hypothèque de jouissance des
terres conférée en vertu d'un droit démembré de
l'hypothèque de jouissance des terres conférée en vertu
d'un droit réel reconnu sur les terres domaniales par une loi ou un
règlement. La dernière distinction, bien que pertinente et
fondamentale pour une parfaite appréhension de la jouissance des terres
comme garantie, ne serait pas vue dans ses détails.
La seconde raison est qu'un droit de jouissance est un droit
limité dans le temps comme il a été
développé plus haut. Cette nature particulière est prise
en compte par le législateur OHADA et l'autorité
règlementaire du 11 août 2015. C'est ainsi qu'ils ont prévu
des règles
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Jouissance des terres et garantie
spécifiques à la formation de
l'hypothèque portant sur les droits réels de jouissance des
terres (A) et aussi des règles spécifiques à la
publicité de ladite hypothèque (B).
A. Les règles spécifiques relatives
à la formation
Les conditions de formation des hypothèques sont de forme
et de fond.
Sur le plan de la forme, le recours au Notaire pour
l'instrumentation de l'hypothèque conventionnelle demeure, il ne s'agit
donc pas d'une condition spécifique à l'hypothèque de la
jouissance des terres. En matière de forme, sa spécificité
tient au fait que dans sa formation, lorsqu'il s'agit d'une concession
provisoire sur le domaine national, en plus du recours au Notaire, le Ministre
des Domaines et la commission de crédit sont mises à contribution
pour l'établissement du titre foncier au profit du concessionnaire et
l'inscription de l'hypothèque par la suite239. Ainsi donc, il
ne sera pas constitué d'hypothèque sur la concession provisoire
lorsque le Ministre n'est pas saisi par le créancier qui doit avoir eu
l'avis favorable de la commission de crédit.
Sur le plan du fond, la qualité de
constituant, la nature de l'assiette de la garantie ainsi que la nature de la
créance garantie comportent quelques distinctions par rapport à
l'hypothèque des terres. Le constituant doit être le
titulaire du droit réel de jouissance des terres donné en
garantie. Lorsqu'il s'agit d'un droit réel démembrement de la
propriété, le titulaire dudit droit240 doit l'avoir
inscrit au Livre foncier. C'est dire que lorsque le droit réel de
démembrement n'est pas inscrit, il n'est pas susceptible de garantie
puisque le droit du titulaire n'est pas public. Ainsi, à la
propriété reconnue au Livre foncier et visée par
l'hypothèque de l'immeuble, la titularité du droit de jouissance
démembré inscrit au Livre foncier est exigée de celui qui
donne ce droit en garantie et non le propriétaire. S'agissant des droits
réels constitués sur les terres domaniales, c'est le
concessionnaire du domaine national241, le permissionnaire ou
l'occupant du domaine public artificiel déclassé242 et
le preneur à bail243 qui ne peuvent que mettre leurs
droits244 en garantie et jamais l'administration qui leur ont
concédé lesdits droits de jouissance. Les mêmes
dispositions qui évoquent la qualité de ceux pouvant mettre leurs
droits de jouissance en garantie
239 Article 21 du décret du 11 août 2015.
240 Article 195 de l'AUS.
241 Article 21 du décret du 11 août 2015.
242 Article 17 du décret du 11 août 2015.
243 Article 22 du décret du 11 août 2015.
244 O. DE DAVID BEAUREGARD-BERTHIER, « Domaine public et
droits réels », JCP G, 1995.I.3812
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Jouissance des terres et garantie
évoquent notamment les droits susceptibles de telle
garantie. Il s'agit de ceux déterminés dans la première
partie.
Par rapport à la créance, il a
été développé ci-haut que deux règles sont
applicables. Pour l'hypothèque portant sur les droits réels de
jouissance résultats du démembrement du droit de
propriété, ils peuvent garantir toute créance. L'AUS ne
prévoit pas de conditions restrictives245. En revanche,
l'autorité règlementaire du 11 août 2015246
exige l'exclusivité de certaines créances pour être
garanties par les droits réels de jouissance des terres domaniales. Ces
restrictions peuvent même aller à déterminer la
qualité des créanciers247 ou nécessiter
l'agrément de l'Administration pour la partie au profit de laquelle la
garantie est consentie248. Exception faite des droits du preneur
à bail des terres du domaine national249 qui peut mettre son
droit en garantie de toute créance.
Au regard de ce qui précède, des
spécificités sont reconnues pour modifier le régime de
l'hypothèque de l'immeuble lorsqu'il s'agit de former une
hypothèque portant sur la jouissance des terres. Pour
l'hypothèque portant sur certains droits réels de jouissance des
terres domaniales, en raison de l'exclusivité des créances
à garantir, il s'agit plus exactement d'une hypothèque «
légale » qui peut être conclue par les parties pour
éviter le recours au juge et parfois à l'Administration. C'est
donc une hypothèque légale dont le rôle de l'Administration
sur certains points se substitue, curieusement250, à celui
joué habituellement par le juge. Il y a aussi des
spécificités tenant au régime de publicité
lorsqu'il s'agit de l'hypothèque de jouissance des terres.
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