I.3.3.1- Les mécanismes d'ajustement par les
marchés
Partant de la théorie traditionnelle des avantages
comparatifs mise en évidence par Ricardo (1803), Mundell va remettre en
cause l'une des hypothèses fortes de cette théorie, à
savoir l'immobilité internationale des facteurs de production.
L'extension de cette mobilité au plan international va être pour
Mundell l'occasion de démontrer que la mobilité constitue un
critère susceptible de définir une zone monétaire
optimale. À travers le marché, généralement
trois
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mécanismes facilitent l'ajustement : la
flexibilité des salaires et des prix, la mobilité de la
main-d'oeuvre et la mobilité des capitaux.
? La flexibilité des salaires et des
prix
En zone monétaire, les régions soumises à
un choc asymétrique peuvent retrouver leur compétitivité
en diminuant les revenus et les prix nominaux. Ce qui leur permet d'obtenir des
effets équivalents à la dévaluation d'une monnaie locale.
Le principal obstacle qui semble s'opposer à cette solution de
flexibilité des prix est la rigidité du niveau
général des prix et notamment la « viscosité »
des salaires nominaux. Comparée à celle des États-Unis et
du Japon, par exemple, la flexibilité des salaires à court terme
de l'Union européenne, en réaction au changement des conditions
de l'emploi, est faible (Patterson et Amati, 2001). Par exemple la Commission
Européenne (1990) montre qu'une hausse des prix de 1 %, entrainerait une
augmentation du chômage pour l'union européenne. Alors qu'elle
serait dix fois moins importante aux États-Unis et au Japon. Même
lorsque les prix et les salaires atteignent un certain niveau de
flexibilité au niveau régional, ils s'ajustent
généralement plus lentement que les taux de change (Ochel 1997) ;
ce qui prouve que la possibilité d'une dévaluation est le
mécanisme le plus efficace. Les travaux de recherche (Vaubel 1976 et
1978 ; Eichengreen 1991 ; De Grauwe et Vanhavebeke 1993 ; Von Hagen et Neumann
1994) indiquent que la fluctuation des niveaux des salaires et des prix
réels a tendance à être moins importante entre les
régions d'une même zone monétaire qu'entre des
régions monétaires distinctes.
? La mobilité du facteur
travail
Les travailleurs incapables ou refusant le prix du
marché domestique ont comme solution palliative d'aller chercher un
emploi là où il se trouve. La théorie des Zones
Monétaires Optimales (ZMO) donne une importance particulière
à la mobilité de la main-d'oeuvre. La mobilité du travail
permet de limiter l'effet négatif du chômage dans un des pays de
la zone par la migration d'une partie de ces
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chômeurs dans un autre pays en meilleure santé
économique, (Savall, 2013). Cette position a été
réconfortée par les critiques de l'union européenne sur le
manque d'enthousiasme apparent des européens à l'égard de
la mobilité, par rapport aux Américains8.
Malgré la liberté de circulation accordée aux citoyens
européens, la mobilité du travail reste très faible entre
les pays de la zone euro, très éloignée de celle entre les
Etats des Etats-Unis. Dans ce dernier un choc récessif d'un Etat a pour
conséquence une hausse de la migration et donc une baisse de l'emploi
tandis qu'en Europe ce choc se traduit par une hausse du chômage et un
maintien de l'emploi. Cette faiblesse de la mobilité du travail peut
s'expliquer par plusieurs facteurs : la barrière de la langue, de la
culture, des coûts de migration... Auxquels s'ajoute un dernier facteur
et non des moindres : la faible mobilité du travail même à
l'intérieur des Etats européens. La mobilité des capitaux
est, quant à elle, parfaite en zone euro, et ce, depuis l'Acte unique
européen (1986). Les économies de la zone euro sont peu
spécialisées (à l'exception notable de la Grèce),
ce qui les protège relativement des chocs asymétriques, d'autant
plus que le commerce intra-industriel constitue une part importante des
échanges entre pays de la zone euro.
De la même logique, Eichengreen (1993) constate que
l'élasticité des flux migratoires entre les régions par
rapport aux différentiels internes de salaires et d'emplois est plus
faible en Grande-Bretagne et en Italie qu'aux États-Unis. Les calculs
effectués par Pelagidis (1996) à partir des chiffres d'Eurostat
montrent que depuis 1992, la migration nette à l'intérieur de
l'union européenne est en phase descendante. Cette migration
rapportée à la population totale, était en
8 Diverses études ont montré en effet
que la mobilité inter-régionale était un facteur
important
aux États-Unis, contribuant davantage à
l'ajustement interne que les fluctuations des niveaux de salaire relatifs ou
des taux de participation de la main-d'oeuvre (Blanchard et Katz, 1992). Au
contraire, les chiffres de l'OCDE pour 1987 révèlent qu'un tiers
seulement des travailleurs français et allemands sont disposés
à changer de département et de Land comme le
font les citoyens américains d'un État à l'autre ; ils
montrent d'autant moins d'enthousiasme à changer de pays.
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moyenne inférieure à 1% en 1995. En comparaison,
environ 3 % de la population américaine changent d'État de
résidence chaque année.
Ce contraste entre les économies américaines et
européennes à plusieurs explications. Obstfeld et Peri (1998) se
sont penchés sur une énigme méthodologique : les
différences de migration entre les États et entre les
régions ne reflètent-elles pas l'incidence comparative des chocs
asymétriques eux-mêmes plutôt que les rigidités
comparatives des marchés du travail ? Dans ce cas, la plus grande
mobilité interne des américains ne serait-elle pas une obligation
? À l'issue de l'examen des faits qui s'offraient à eux, Obstfeld
et Peri ont rejeté l'hypothèse selon laquelle, le faible niveau
constaté de la migration européenne reflète la
rareté des chocs asymétriques au niveau de la région. Ils
remarquent toutefois que l'harmonisation quantitative des chocs est encore
insuffisante pour pouvoir établir une comparaison internationale des
effets des chocs asymétriques.
? La mobilité des capitaux
La mobilité des capitaux joue un rôle à la
fois à court terme et à long terme. À court terme, les
flux de capitaux peuvent équilibrer les ajustements de paiement entre
les régions qu'il s'agisse d'une zone à monnaie unique ou
à monnaies distinctes. Ces flux peuvent également soulager le
poids de l'ajustement aux chocs en permettant d'étaler les changements
structurels dans le temps. La mobilité des capitaux d'investissement
à long terme pour financer ces changements structurels est
également considérée comme essentielle pour
réaliser une zone monétaire optimale. Si les travailleurs sont
incapables de se déplacer vers les emplois, alors les emplois doivent
être capables d'aller vers les travailleurs. Il est évident que
toute segmentation des marchés financiers constitue une entrave à
la mobilité des capitaux (Patterson et Amati, 2001).
Certains prétendent que la mobilité des capitaux
engendre un coût, et risque même d'exacerber les
déséquilibres régionaux au lieu de les réduire. Le
retour
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aux échelles de production peut engendrer une
concentration des investissements dans les régions de grande
activité, au lieu de les répartir dans les régions pauvres
qui souffrent d'un taux élevé de chômage. C'est pourquoi
Krugman (1993) et autres estiment que l'union économique et
monétaire risque d'aggraver les crises régionales. Cette
conclusion renvoie à la prévision de Kenen (1969) selon laquelle
la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux à
l'intérieur d'une zone monétaire unique amplifient la
spécialisation des régions en les rendant plus vulnérables
aux chocs asymétriques.
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