CHAPITRE I : DE LA COUTUME
Dans le présent chapitre, nous allons tout d'abord
présenter la théorie générale relative à la
coutume (section 1), avant de faire une étude sur la coutume kongo
(section2).
Section 1 : Théorie générale sur la
coutume
Cette section sera consacrée unique sur la
définition et la place de la coutume en droit congolais
§1. Définition et place de la coutume en droit
congolais
Ce paragraphe est consacré à la
définition (A), à la place de la coutume dans l'espace kongo (B),
ses éléments constitutifs (C), sa naissance (D), ensuite sa force
(E), et enfin ses limites (F).
A. Définition
Le dictionnaire Petit Robert 2002 définit la coutume
comme une attitude collective d'agir transmise de génération en
génération. Autrement dit, c'est une manière d'agir,
pratique consacrée par l'usage qui se transmet de
génération en génération.11
J. CARBONNIER, quant à lui, définit la coutume
comme une règle de droit qui s'est établi, non par une
volonté étatique émise en un trait de temps, mais par une
pratique répétée des intéressés
eux-mêmes, c'est-à-dire c'est un droit qui s'est constitué
par l'habitude.12
Dans le même sens, le professeur Matthieu TELOMONO
définit la coutume comme un ensemble de pratiques qui sont constantes ou
permanentes d'une certaine conduite dans un cas donné et dans une
société donnée, elle est dynamique pouvant donc changer et
évoluer dans un temps et dans l'espace.13
Quant au lexique de termes juridiques, la coutume est
définie comme étant une pratique, usage, habitude qui, avec le
temps, et grâce au consentement et à l'adhésion populaire,
devient une règle de droit bien qu'elle ne soit pas
édictée en
11 LE PETIT ROBERT, Dictionnaire de la langue française,
Paris, Paul Robert, 2002, p.288
12 Jean CARBONNIER, Droit civil : Introduction, Paris,
P.U.F, 1991, p.28
13 M.TELOMONO, Cours de Droit coutumier,
Université Kongo, Faculté de droit, Deuxième graduat,
2016-2017, Inédit, p.4
5
forme de commandement par les pouvoirs publics. Elle est issue
d'un usage général et prolongé et de la croyance en
l'existence d'une sanction à l'observation de cet usage.14
A la lumière des définitions citées
ci-haut, il convient de relever que la législation congolaise ne s'est
pas préoccupé aux premières heures de donner une
définition claire de la coutume bien qu'elle lui accorde une place
importante, celle d'une source du droit. En effet, il importe de rappeler que
l'article 1er de l'ordonnance du 14 mai 1886 disposait : «
Quand la matière n'est pas prévue par un décret,
arrêté ou par une ordonnance déjà promulguée,
les contestations qui relèvent de la compétence des tribunaux du
Congo seraient jugées d'après les coutumes locales, les principes
généraux du droit et l'équité
».15
Cette ordonnance fut bien plus tard abrogée par le code
de procédure civile à son article 199 qui dispose : «
L'ordonnance de l'administrateur général au Congo du 14 mai 1886
approuvée par le décret du 12 novembre 1886 et les décrets
qui l'ont modifiée et complétée sont abrogés
».16
Mais alors que la République démocratique du
Congo était une colonie belge, le législateur de la loi du 18
octobre 1908 sur le gouvernement du Congo belge dénommée
habituellement « Charte coloniale » a reconnu l'existence de la
coutume et son caractère d'être une source du droit congolais.
En effet, l'article 4 alinéa 2 de la Charte coloniale
disposait ce qui suit : « Les indigènes non immatriculés du
Congo belge jouissent des droits civils qui leur sont reconnus par la
législation de la colonie et par leurs coutumes en tant que celles-ci ne
sont contraires ni à la législation, ni à l'ordre public.
Les indigènes non immatriculés des contrées voisines leur
sont assimilés ».17
Cette disposition encore que se référant
expressément à la matière des droits civils a
été interprétée comme exprimant le principe suivant
lequel le droit coutumier continue à régir la vie des
indigènes non immatriculés.
De son côté, la législation sur les
juridictions indigènes18 édictait, parmi les
règles de fond applicables par les juridictions, en disposant que :
« Les tribunaux indigènes appliquent les coutumes pour
autant qu'elles ne soient pas contraires à
14 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Le lexique des termes
juridiques, Paris, Dalloz, 2019-2020, p.636
15 Article 1er de l'ordonnance de l'Administrateur
général au Congo du 14 mai 1886 sur les principes à suivre
dans les décisions judiciaires. (B.O., 1886, pp.188 et 189)
16 Article 199 du code de procédure civile
17 Article 4 de la Charte coloniale
18 Décret du 17 mars 1938 portant sur les juridictions
indigènes
6
l'ordre public universel. Dans le cas où les coutumes
sont contraires à l'ordre public universel, comme en cas d'absence de
coutumes, les tribunaux jugent en équité. Toutefois, lorsque les
dispositions légales ou règlementaires ont eu pour but de
substituer d'autres règles à la coutume indigène les
tribunaux indigènes appliquent ces dispositions légales
».19
Quant à la loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux
structures du Congo, elle n'édicte aucune règle en ce qui
concerne les rapports du droit coutumier vis-à-vis du droit écrit
et de l'ordre public.
La seule référence au régime coutumier
qu'on y découvre gît dans l'article 191 alinéa
1er reconnaissant l'existence des tribunaux coutumiers : il y a eu
au Congo des cours d'appel, des tribunaux de première instance, des
tribunaux de district, des tribunaux de police et des tribunaux
coutumiers.20
L'article 2 de la même loi fondamentale disposait :
« Les lois, les décrets et ordonnances législatives, leurs
mesures d'exécution ainsi que toutes dispositions règlementaires
existant au 30 juin 1960, restent en vigueur tant qu'ils n'auront pas
été expressément abrogés, il s'ensuit que la
législation sur les juridictions indigènes émanant du
législateur ordinaire de la colonie par la voie de décret,
était restée en vigueur, et qui l'était ainsi
confirmée l'existence du droit coutumier applicable par lesdites
juridictions ».
Aussi bien que l'article 18 de cette législation
continuait à produire tous ses effets, à savoir que les tribunaux
indigènes appliquaient les coutumes pour autant qu'elles ne fussent pas
contraires à l'ordre public universel et devaient appliquer les
dispositions légales ou réglementaires ayant pour but de
substituer d'autres règles à la coutume indigène.
Nous devons savoir que le droit coutumier était reconnu
et maintenu par le législateur, il découle aussi de la loi
fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques dont
l'article 11 alinéa 1er disposait : « A partir de
l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder
une famille dans les
19 Article 18 du décret du 17 mars 1938 ; André
DURIEUX, Droit écrit et droit coutumier en Afrique central,
Bruxelles, Académie royale des Sciences d'outre-mer, Classe des
sciences morales et politiques, N.S français, XXXVI - 2, 1970, p. 7
20 André DURIEUX, op.cit., p. 18
7
conditions déterminées par la loi ou les
édits, ainsi que par la coutume si celle-ci n'est pas contraire à
l'ordre public ».21
La Constitution du 1er août 1964 qui, dans
son article 203, abroge la loi fondamentale du 19 mai 1960 sur les structures
du Congo et la loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés
publiques, proclame l'existence du droit coutumier. L'article 43,
alinéas 1er de cette Constitution disposait : « Les
droits de propriété, qu'ils aient été acquis en
vertu du droit coutumier ou du droit écrit, sont garantis
conformément aux lois nationales ».22
La Constitution du 24 juin 1967 reconnaissait également
l'existence de la coutume, l'article 14 de cette loi disposait ce qui suit :
« Les droits de propriété individuelle et collective, qu'ils
aient été acquis en vertu du droit coutumier ou droit
écrit sont garantis. Il ne peut être porté atteinte
à ces droits que pour des motifs d'intérêt
général en vertu d'une loi, sous réserve d'une
indemnité équitable à verser au titulaire
lésé de ces droits ». La même loi disposait ce qui
suit dans son article 57 alinéa 1er : « Les cours et
tribunaux appliquent la loi et la coutume pour autant que celle-ci soit
conforme aux lois et à l'ordre public de l'Etat ».23
Quant à la Constitution de la transition d'avril 1994,
elle disposait ce qui suit dans son article 149 . « Les cours et
tribunaux civils et militaires appliquent la loi et les actes
règlementaires ainsi que la coutume pour autant que celle-ci soit
conforme à l'ordre public et aux bonnes moeurs ».
Dans le même d'ordre idée, l'article 149 de la
Constitution de la transition de 2003 disposait que . « Les cours
et tribunaux civils et militaires appliquent la loi et les actes
réglementaires ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit
conforme à l'ordre public et aux bonnes moeurs ». La loi
foncière qui consacre tout un chapitre au droit coutumier, dispose
à son article 388 : « Les terres occupées par les
communautés locales sont celles que ces communautés habitent,
cultivent ou exploitent d'une manière quelconque- individuelle ou
collective-conformément aux coutumes et usages locaux
».24
Ce n'est que le 25 août 2015, par la loi n° 15/ 015
du 25 août 2015 fixant le statut des chefs coutumiers qu'apparaît
une définition de la coutume en ces
21 André DURIEUX, op.cit., p. 19
22 André DURIEUX, op.cit., p. 20
23 Articles 14 et 53 de la Constitution du 24 juin 1967
24 Article 388 de la loi foncière
8
termes : « c'est l'ensemble des usages, des pratiques et
des valeurs qui, par l'effet de la répétition et revêtus
d'une publicité, s'imposent, à un moment donné, dans une
communauté, comme règles obligatoires ».25
Quant à l'actuelle Constitution du 18 février
2006, il accorde également une place de choix à la coutume en
disposant à son article 153 alinéa 4 que : « Les cours et
tribunaux civils et militaires appliquent les traités internationaux
dument ratifiés les lois, les actes réglementaires pourtant
qu'ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour autant que celle-ci
ne soit pas contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs ».
L'analyse de toutes ces dispositions permet d'en titrer les
principes suivants : tout d'abord, la Constitution reconnaît l'existence
de la coutume comme étant une source de droit, ensuite, elle
établit la primauté de la loi sur la coutume, c'est-à-dire
en cas de conflit entre la loi et la coutume, c'est la loi qui l`importe mais,
la coutume s'applique en l'absence de la loi pour autant qu'elle soit conforme
à l'ordre public ou aux bonnes moeurs.
Par ailleurs, il convient de relever qu'en droit congolais, il
est fait une distinction entre la coutume juridique et la coutume. Ainsi
certains auteurs définissent la coutume juridique comme un usage
régulièrement et universellement suivi dans un milieu social
donné et tenu pour juridiquement obligatoire ou usage, pratique qui
consacre l'inviolabilité faute de quoi on est buté à des
sanctions.26Cela va, sans dire, que toute coutume n'est pas
juridique de même tout droit n'est pas coutumier.
De manière générale, la règle
coutumière est une règle issue des pratiques traditionnelles et
d'usages consacrés par le temps et qui constitue une source de
droit.27
Dans la société congolaise ancienne tout comme
dans celle moderne, la coutume constitue une source importante du droit, elle
est sensée exprimer la volonté
25 Article 2 point 2 de loi n° 15/015 du 25 août 2015
fixant statut des chefs coutumiers
26 BOMPAKA NKEYI MAKANYI, Cours d'introduction
générale à l'étude du droit, Faculté de
Droit, Université Kongo, Premier graduat, 2015-2016, p. 50,
inédit
27 http//:www.google/Qu'est-ce que la coutume, page
consultée le 11 février 2020, à 11h ; Article 362 du code
de la famille dispose : « La coutume applicable au mariage
détermine les débiteurs et les créanciers de la dot, sa
consistance et son montant, pour autant qu'ele soit conforme
à l'ordre public et à la loi, plus particulièrement aux
dispositions qui suivent ». Cette coutume détermine
également les régimes matrimoniaux de la dot et l'article 340 du
code de la famille : « La forme des fiançailles est
réglée par la coutume des fiancées ».
9
implicite de la majorité de membre de la
communauté. Elle est la source la plus ancienne du
droit.28
|