1.3.2.2.- Revue empirique dans le cas d'Haïti
Plusieurs études réalisées en Haïti
tentent de comprendre ou d'expliquer le phénomène de la
pauvreté à travers les mouvements de population. Dans une
étude réalisée en 2001, F.-G. Chéry (2001),
présente les migrations internes et externes comme des dispositifs
d'accès aux richesses dans l'économie
haïtienne21. Il justifie sa position par le fait que « la
migration et l'enfant sont des moyens d'accéder à la monnaie ou
aux richesses dans une économie où les transactions
réalisées à partir de la monnaie sont limitées.
» D'un autre coté, il cite Girault (idem, p. 90), abordant le
problème dans un sens malthusien, et pour qui l'émigration est un
moyen pour échapper à la pauvreté. Gérald
Chéry, rejetant partiellement la thèse de Girault, soutient
plutôt que l'émigration constitue une sorte de mobilisation de la
main-d'oeuvre dans une société qui n'accumule pas ses
richesses.
En effet, la société haïtienne est
dominée dans une large mesure par une conception pro-nataliste. Ce qui
est le cas aussi pour beaucoup d'autres pays sous-développés. Du
fait que les membres de la société ne peuvent pas trop compter
sur un emploi salarié ou sur une capitalisation marchande de la force de
travail ou encore sur une protection sociale de l'État, ils visent une
capitalisation économique des enfants et de la famille élargie
à partir d'une projection nataliste (Gérald Chéry, 2001,
p.92). Cela aboutit généralement à un taux de
fécondité par femme élevé. Mais, on a
constaté que ce taux a baissé durant les vingt dernières,
passant de 6,3 enfants par femme en 1987 (EMMUS I) à 4,8 enfants par
femme en 1994 (EMMUS II), pour arriver à 4,7 enfants par femme en 2000
(EMMUS III). Qu'est-ce
21 Frédéric Gérald Chéry,
Ajustement économique, monnaie et institutions dans
l'économie haïtienne, Thèse de doctorat,
Université Paris III, 2001, p.89.
24
qui a favorisé ce changement ? F-G Chéry
suggère comme réponse à cette baisse au niveau du taux de
fécondité, la plus grande considération accordée
à l'éducation dans les familles haïtiennes22. En
effet, l'éducation est présentée effectivement de plus en
plus comme un facteur pouvant accroître les chances de réussite
sociale. Dans le concret, une augmentation en termes d'utilisation de la
contraception a été constatée. Alors que le taux
d'utilisation de la contraception a été seulement de 6,5 % en
1987 (EMMUS I), il est passé à 18 % en 1994 (EMMUS II), pour se
situer à 28 % en 2000. Les enquêtes EMMUS confirment que plus le
niveau d'éducation des femmes est élevé, plus important
est le taux d'utilisation de la contraception.
Dans une étude visant à identifier les causes de
l'augmentation de la pauvreté en Haïti, Rémy
Montas23 insiste lui aussi sur l'importance du facteur
démographique. « La croissance négative du PIB par habitant
et l'augmentation de la population dans un contexte d'inflation persistante ont
poussé des milliers de ménages additionnels dans la
pauvreté absolue entre 1980 et 2003 en dépit d'une
légère hausse de la consommation moyenne due essentiellement
à l'accroissement des transferts sans contrepartie» (Montas, 2003,
p. 3). Parmi les causes spécifiques de la persistance d'un taux de
pauvreté élevé entre 1981 et 2000 ainsi que de
l'augmentation du taux de pauvreté entre 2000 et 2003, Rémy
Montas souligne la fuite de cerveaux par l'émigration de professionnels
et de techniciens qualifiés, laquelle affecte la productivité de
l'économie haïtienne, sa compétitivité et sa
capacité à absorber l'épargne externe, notamment
l'assistance externe.
Pour Mats LUNDAHL, ce sont surtout les forces politiques
combinées à des facteurs structurels, comme la croissance
démographique et l'érosion, qui sont responsables de
l'appauvrissement rural et non les imperfections du marché24.
Pour lui, ceux qui dénoncent les imperfections du marché
exagèrent, car les marchés tendent à être
compétitifs dans la plupart des cas, à moins que les forces
politiques n'interviennent. La passivité et la
22 Idem, p.
23 Rémy Montas, Haïti : Les causes de
l'augmentation de la pauvreté entre 1981 et 2003, Novembre 2003
24 LUNDAHL Mats, « Forces économiques et politiques
du sous-développement haïtien » Laennec HURBON, Les
transitions démocratiques. Actes du Colloques international de
Port-au-Prince, Paris, Syros, 1996, pp. 243263. Voir aussi LUNDAHL Mats,
Peasants and Poverty : Astudy of Haiti, Londres, 1979 ; The
Haitian Economy, man, land and Markets, Londres, Canberra, 1983.
corruption des détenteurs des pouvoirs politiques,
le manque de progrès technologique, la prévalence de maladies
infectieuses et les carences nutritionnelles, tout ce ci dans un contexte de
croissance démographique relativement importante, sont les principaux
déterminants de cet appauvrissement.
De l'analyse de la banque mondiale, les causes
fondamentales de la pauvreté du pays résident essentiellement
dans sa longue histoire d'instabilité politique et son manque de
gouvernance25. Entre autres facteurs, elle souligne la corruption,
une croissance insuffisante résultant des distorsions
enregistrées au niveau macroéconomique et du faible niveau des
investissements privés, et des investissements insuffisants dans le
capital humain et de leur concentration dans le milieu urbain. Ces facteurs,
couplés au rythme de croissance de la population, interagissent entre
eux pour déboucher sur une spirale descendante. Pour la Banque,
Haïti est ainsi prise dans le piège de la pauvreté -
`'Poverty Trap"- pour lequel les issues semblent incertaines.
25
25 WORLD BANK, Haïti: The challenges of poverty
reduction, August, 1998.
26
|