4.3.- L'investissement en capital humain
L'investissement en capital humain est fondamental pour la
réduction de la pauvreté. Des investissements en
éducation, en santé, dans l'alimentation de la population, entre
autres, contribuent à une force de travail productive, à
l'amélioration des conditions de vie et favorisent des revenus per
capita plus élevés.
Durant ces dernières années, le flux
d'investissement en capital s'est révélé insuffisant pour
satisfaire les besoins du pays en professionnels qualifiés et en bonne
santé. Haïti comptait à la fin de 2003, selon les
données officielles fournies par le MSPP85 , 2,37
médecins pour 10 000 habitants, 1,52 infirmières pour 10 000
habitants et 3,05 auxiliaires pour 10 000 habitants.
Dans le domaine de l'éducation, le coût
représente des charges énormes pour les ménages. Le
coût de l'école privée dont les frais d'inscription et
d'écolage représentent près de 40 % du budget des familles
pauvres86. L'éducation étant considéré
de plus en plus comme un facteur qui accroit les chances de réussite par
une certaine mobilité sociale, les parents sont
84 Idem
85 Idem
86 UNICEF/MENJS, Étude des coûts de
l'éducation en Haïti, Juin 2006, p.6
91
parfois obligés de sacrifier leurs ressources pour
permettre à leurs enfants d'aller à l'école. Cependant,
dans le pire des cas, les ressources disponibles sont plutôt
allouées à garantir la survie de la famille. L'accès
à l'éducation de base a diminué de 7 % de 1998 à
200287. Cela est dû fondamentalement à la faiblesse de
l'offre publique d'éducation et au renchérissement du coût
de l'éducation.. Pour contourner le problème de manque de
ressources financières, les familles se dirigent certaines fois vers des
écoles « borlettes » où la qualité de la
formation dispensée hypothèque l'avenir des enfants. Sur
l'ensemble des écoles privées, seulement 8 % sont reconnues
officiellement et sont habilitées à faire participer leurs
élèves aux examens officiels88, selon les
dernières données disponibles.
L'effort financier des parents en éducation est
estimé à 124 dollars américains par an89.
L'EBCM 1999-2000 estimait à 2415,1 gourdes par an le montant de la
consommation des biens et services relatifs à
l'éducation90.
Pour mieux cerner l'importance accordée à
l'investissement en capital humain par l'État haïtien durant la
période qui concerne cette étude, nous avons été
amenés à explorer les budgets de la République sur cette
période. Notre constat est que les budgets de fonctionnement des
Ministères de l'Éducation Nationale et de la Santé
Publique sont dans beaucoup de cas supérieurs au budget
d'investissement. En général, les ressources publiques sont
plutôt consacrées à faire fonctionner le système qui
existait déjà avec peu de souci de satisfaire les nouvelles
demandes.
En 1996, en particulier, 9,32 % du budget de la
République (13,4 milliards de gourdes) a été
consacrée à l'éducation, contre 10,52 % pour le secteur de
la santé. Ce même budget a été reconduit sur 5 ans,
c'est-à-dire jusqu'en 2001. Non seulement, les ressources n'ont pas
été suffisantes, compte tenu de l'importance de ces secteurs,
mais aussi la reconduction du budget a immobilisé la capacité de
l'État en matière de santé et d'éducation, dans le
contexte d'accroissement de la population.
87 Ibidem
88 Ibidem
89 Ibidem
90 Ibidem
92
Tableau # : Évolution des crédits
alloués à l'éducation et à la santé par
rapport au budget total de l'État (en millions de gourdes)
Année
|
MENJS
|
MSPP
|
Budget total
|
Fonct.
|
Inv.
|
Total
|
Fonct.
|
Inv.
|
Total
|
1980-1981
|
81,51
|
...
|
...
|
61,87
|
...
|
...
|
...
|
1981-1982
|
88,74
|
...
|
...
|
91,51
|
...
|
...
|
...
|
1982-1983
|
87,16
|
...
|
...
|
80,4
|
...
|
...
|
...
|
1983-1984
|
94,79
|
8
|
...
|
88
|
30
|
...
|
...
|
1984-1985
|
...
|
9,84
|
96,3
|
...
|
32,3
|
89,5
|
1240
|
1985-1986
|
...
|
...
|
98
|
...
|
...
|
89,5
|
1110
|
1986-1987
|
...
|
...
|
161,6
|
...
|
...
|
144
|
...
|
1987-1988
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
1988-1989
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
1989-1990
|
184
|
...
|
...
|
145
|
...
|
...
|
...
|
1990-1991
|
180
|
...
|
...
|
149
|
...
|
...
|
...
|
1991-1992
|
...
|
...
|
197
|
...
|
...
|
176
|
...
|
1992-1993
|
...
|
...
|
241
|
...
|
...
|
...
|
1830
|
1993-1994
|
...
|
...
|
241
|
...
|
...
|
...
|
1830
|
1994-1995
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
...
|
1995-1996
|
...
|
591
|
...
|
...
|
665
|
...
|
...
|
1996-1997
|
784
|
470
|
1250
|
440
|
975
|
1410
|
13400
|
1997-1998
|
784
|
470
|
1250
|
440
|
975
|
1410
|
13400
|
93
1998-1999
|
784
|
470
|
1250
|
440
|
975
|
1410
|
13400
|
1999-2000
|
784
|
470
|
1250
|
440
|
975
|
1410
|
13400
|
2000-2001
|
784
|
470
|
1250
|
440
|
975
|
1410
|
13400
|
2001-2002
|
1310
|
720
|
2030
|
685
|
492
|
1170
|
13270
|
2002-2003
|
1370
|
367,93
|
1,74
|
587,69
|
121,65
|
709
|
15330
|
2003-2004
|
1370
|
367,93
|
1740
|
587,69
|
121,65
|
709
|
15330
|
2004-2005
|
...
|
...
|
3030
|
...
|
871
|
|
21490
|
2005-2006
|
3030
|
773,85
|
3810
|
955,99
|
327,11
|
1280
|
37810
|
2006-2007
|
3800
|
1880
|
5690
|
1150
|
4280
|
5430
|
64560
|
Source : Ministère de l'Économie et des Finances
4.4.- Gestion du capital humain
Haïti vit depuis quelques années une
accélération du phénomène de la fuite des cerveaux.
Beaucoup de professionnels formés en Haïti sont partis
s'établir définitivement en terre étrangère. Une
bonne proportion d'entre eux se dirige vers le Canada. L'expatriation des
ressources humaines qualifiées du pays, pour des raisons diverses,
soumet Haïti à une véritable décapitalisation
humaine. Alors que l'investissement en capital humain n'est même pas
suffisant, le pays n'est pas non plus en mesure d'endiguer le flot de cette
masse de gens qui laisse Haïti.
Un autre aspect de la question est la faiblesse de la
capacité d'absorption des individus bien formés dont dispose le
pays. Le chômage chronique n'épargne même les gens qui ont
pu boucler un cycle d'études supérieures. Fort souvent, le
départ pour l'étranger se présente comme une planche de
salut pour de nombreux jeunes inquiets par rapport à leur avenir.
Un pays où les jeunes ne voient pas l'avenir avec
optimisme met en péril automatiquement son futur. L'insertion des jeunes
sur le marché du travail haïtien demeure un défi majeur pour
cette société. Quand les jeunes n'ont pas l'impression que le
système qui les a façonnés place confiance en eux, ce sera
difficile pour eux d'exprimer une marque élevée de confiance
envers cette société.
Un aspect courant dans les offres d'emploi publiées
retient notre attention : l'expérience. Le nombre d'années
d'expérience est généralement un paramètre
déterminant
94
pour l'attribution d'un poste sur le marché du travail.
Personne ne veut des inexpérimentés. Tout le monde veut avoir des
gens déjà bien pétris dans la maîtrise de l'art. Le
système éducatif haïtien, tel que nous le connaissons, aura
évidemment du mal à alimenter ce marché. Dans les
écoles et universités haïtiennes, les études de cas
pratiques arrivent très loin dans l'ordre des priorités.
De là naît une sorte d'inadéquation entre
l'offre et la demande de travail.
Selon l'Institut haïtien de statistique et d'informatique
(IHSI), Haïti dispose de moins de 2 % d'individus ayant un niveau
d'études supérieures. Comment comprendre que l'économie
haïtienne ne soit pas en mesure d'absorber ces ressources humaines ? Une
première considération que nous pouvons faire par rapport
à la nature des besoins en travail. Comme dans toute économie,
l'économie haïtienne a des secteurs en pleine expansion, alors que
dans beaucoup d'autres, il y a très peu de dynamisme. Dans ce contexte,
même des individus bien formés ne sont pas épargnés
par le chômage, pour la seule raison de s'offrir à un
marché qui n'a pas la structure nécessaire pour les accueillir.
Mais là encore, il convient de formuler des réserves. Un
spécialiste haïtien des sciences de l'environnement, par exemple,
n'a pas tout à fait la garantie de pouvoir servir efficacement son pays,
en dépit du niveau accéléré de la
dégradation de notre milieu ambiant.
Une expérience récente réalisée
dans le domaine de la formation technique en Haïti met en lumière
l'incapacité du marché haïtien à utiliser
rationnellement les ressources humaines dont il dispose. Il s'agit bien de la
Haïti Tec, une école créée au début pour
alimenter l'industrie locale en professionnels qualifiés. Les
disciplines enseignées à cette école technique
étaient choisies en fonction des besoins du marché haïtien,
avait-on dit. Contrairement aux espérances, beaucoup de
diplômés issus de cette école « modèle »
n'arrivent pas à intégrer le marché du travail.
Sans des ressources humaines en qualité et
quantité suffisantes, il est difficile pour un pays de briser le cercle
vicieux de la pauvreté. Haïti n'en fait pas exception. Mais, tout
dépend de l'utilisation qui va être faite de ces ressources.
|