Structure administrative et gestion de la population dans le département du Mbéré de 1983 à 2018par Léandre TASSONA Université de Ngaoundéré - Master 2 Histoire 2019 |
2. Cadre théoriqueLe débat autour de l'administration a fait objet de plusieurs théorisations. Il est question dans cette partie de faire ressortir les différentes approches qui ont servi de base aux études antérieures pour pouvoir sortir une approche dans laquelle s'inscrit cette étude. La théorie de la frontière administrative, qui dans un contexte africain, s'impose aux populations qui n'ont pas le droit de remettre ces frontières en cause. En effet, les politiciens définissent ces limites sans prendre en compte le consentement de la population, mais plutôt en fonction des intérêts de l'administration.Ainsi, le territoire est défini en se concentrant sur les rapports de pouvoir et leurs transcriptions dans l'espace23(*). Une partie de la définition de Marie-Christine Jaillet peut servir à illustrer l'acception de la notion en géographie politique : « [...] le territoire désigne à la fois une circonscription politique et l'espace de vie d'un groupe [... qui] cherche à en maîtriser l'usage à son seul avantage [...] ». Il s'agit d'une sorte de territorialité humaine qui constitue une stratégie de contrôle des individus à travers la constructiond'une organisation spatiale afin conforter le pouvoir de l'administration.Ceci implique que cettedernière doit mettre en place un espace borné et reconnu, autant par la population résidente que par les autres circonscriptions administratives.Pour se faire, le marquage se fait sans se focaliser sur sa dimension culturelle et sa dimension identitaire dans son rapport à l'espace. Autrement dit, le territoire n'est pas lié à l'identité culturelle des populations l'habitant et ayant une emprise sur sa gestion ou encore aux représentations que l'on s'en fait. Par rebond, la population se trouve dans ce que John Agnew appelle le piège territorial « territorial trap »24(*)Mal citée. Revoir. EST6CE UN CHAPITRE D'OUVRAGE ?pour désigner le fait que l'État via l'administration est vu, de manière éternelle, comme garant du pouvoir dans le monde moderne. Trois suppositions invariables créent ce piège territorial. La première est que la souveraineté étatique moderne a besoin d'espaces territoriaux clairement limités. La deuxième supposition est que les États modernes sont constamment en opposition les uns aux autres parce que leur bien-être augmente forcément aux dépens des autres. Il n'y aurait donc de civilisation qu'au sein de son territoire bien délimité. Troisièmement, les États territoriaux sont vus comme le contenant géographique de la société moderne.25(*) Dans ce sens apparait également la théorie de la contrainte administrative26(*). En effet, un acte administratif est une norme juridique, source de droits et/ou d'obligations pour l'administré. C'est la dimension « obligation » qui est essentiel puisque celle-ci implique une contrainte particulière pour le débiteur de ladite obligation. La norme se fait donc prescriptive sur un mode impératif et impose donc une obligation de faire ou de ne pas faire à son destinataire. C'est en ce sens que l'on doit entendre le terme « exécutoire » classiquement accolé à celui de « décision » et qui signifie que l'acte administratif est porteur d'une norme qui, en tant que telle, (parce qu'elle est émise par voie d'autorité par l'administration), possède une force contraignante la conduisant à s'exécuter en dehors de toute intervention extérieure27(*). Elle nous intéresse dans la mesure où cet acte administratif de quadrillage de ce territoire fut imposé à la population en place.Ainsi, le fait que la norme ait été édictée oblige son destinataire à s'y soumettre. La particularité des voies d'exécution réside dans une banalisation voire une privatisation des rapports administré/administration. L'acte administratif impose une obligation, certes de nature administrative, mais qui, par l'effet d'une action judiciaire par laquelle l'autorité administrative est demanderesse à l'instance, se trouve commuée en obligation quasi civile. La puissance publique se transformant créancière de cette obligation et l'administré en devenant le débiteur. Cette théorie n'exclut pas également la théorie de la remise en question de la décision administrative à travers laquelle la population peut par voix de pétition, ou encore saisir la justice pour contester la décision de l'administration. Cela peut se manifester par voix verbale, écrite ou sous forme de négociation, mémorandum, de marche pour mettre en relief un malaise, se faire comprendre par l'administration, afin d'en trouver un compromis. La théorie de l'administration d'Henri Fayol28(*) est également une pensée explicative à cette thématique. Qu'est-ce qu'administrer selon Fayol ? C'est prévoir, « organiser », au sens fort du terme, « constituer » l'organisme ; c'est commander, permettre au personnel de remplir ses fonctions en lui donnant des ordres ; c'est aussi coordonner, harmoniser les efforts et les travaux de chacun dans un ensemble ; c'est enfin contrôler, veiller au respect des ordres et des règles établis. Telles sont les cinq fonctions administratives, étant entendu qu'il ne faut pas confondre « gouverner », qui est assurer le meilleur fonctionnement de l'organisation dans les opérations essentielles précédemment mentionner, et « administrer » qui correspond plus spécifiquement à la dernière de celles-ci. Il revient à Fayol d'avoir insisté sur la nécessité dans laquelle se trouvent les responsables d'organisation d'acquérir une formation administrative29(*). Cette théorie traite de l'organisation humaine, qui a plus pour seule fin le meilleur fonctionnement global de la société, et qui par conséquent, concerne davantage les dirigeants que les exécutants30(*). Il s'agit d'effectuer la rationalisation d'un tel ensemble. À cette fin, il est essentiel de dresser des « tableaux d'organisation » qui permettent de saisir d'un coup d'oeil l'ensemble de l'organisme, les services, les structures et la filière hiérarchique. C'est par l'étude minutieuse de ces tableaux, ancêtres de ce qu'on appelle l'organigramme, qu'on découvrira tous les défauts d'organisation, ou qu'on décèlera d'unité dans le commandement, qui constitue la faute la plus grave aux yeux de Fayol. Ce dernier a dégagé quatorze principes de l'administration31(*). Parmi les plus significatifs, le principe d'autorité est posé comme « le droit de commander et le pouvoir de se faire obéir ». Cette théorie se rapporte à notre sujet en ce sens qu'elle met à nu la part de l'administration, qui nous permettra de mieux saisir le rapport qu'il entretient avec les administrés. * 23J. Lévy et M. Lussault, 1982, Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, p. 912. * 24J. Agnew, 2003, Territorial trap, Geopolitics: re-visioning world politics, London, Routledge, p 54. * 25 Ibid. * 26C. Milhat, 2009 « Entre contraintes et interdits : l'administration et l'exécution de ses actes », Droit et cultures, n°08, p.118. * 27Milhat, 2009, p.118. * 28 S. Damart, 2018, « Principe d'administration selon Fayol »,https://www.observatoire-management.org/single-post/2017/04/26/Principes-dadministration-selon-Henri-Fayol-1841-1925 Consulté le 10 juin 2018. * 29 Ibid. * 30 Damart, 2018. * 31 Ibid. |
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