Immunité diplomatique et justice pénale internationale.par Mohamed OUASSAS Faculté des sciences juridiques , économiques et sociales de Marrakech - Master en Géopolitique et Relations Internationales 2020 |
2ème sous-section : La remise en cause de la CUDans le cadre de l'exercice de la compétence universelle à l'encontre des crimes de jus cogens, l'existence de l'immunité constitue un obstacle pour la poursuite pénale à l'encontre de l'étranger suspecté d'avoir commis les crimes de jus cogens. Le principe des immunités est garanti par la souveraineté et l'indépendance des Etats qui, en vertu du principe par in parem non habet imperium, ne peuvent être soumis à la juridiction d'autres Etats. En d'autres termes, tous les Etats sont égaux et que la violation de ce principe constitue un affront à cette égalité et l'Etat lui-même. Les immunités de juridiction sont donc destinées à garantir le respect de sa souveraineté lorsque ses agents et ses représentants (le chef d'Etat, le chef du gouvernement et le ministre des affaires étrangères) sont en rapport direct avec un autre Etat. De ce fait, engager une poursuite pénale contre eux, au motif de la compétence universelle, est un mépris de la souveraineté étatique. C'est en ce sens que Lord BINGHAM, Président de la Haute Cour de Justice britannique, en reconnaissant le bénéfice de l'immunité de juridiction pénale à Pinochet en tant qu'ancien chef de l'État chilien, a fait observer que rien, « même la charte qui établit le Tribunal de Nuremberg en 1945 ne peut invalider le principe selon lequel un État souverain ne peut récuser l'action souveraine d'un autre », y compris un crime. En affirmant cela, le magistrat laissait entendre que seule la création de la Cour pénale internationale permettrait de juger Pinochet pour de tels actes. Elle invalide le mandat d'arrêt contre Pinochet, estimant que l'ancien dictateur « bénéficiait de l'immunité en tant qu'ancien chef d'État » et ne pouvait par conséquent être poursuivi devant les juridictions britanniques et donc être extradé vers l'Espagne qui le réclamait.54(*). La lecture de certaines affaires internationales relatives à l'exercice de la CU démontre que les auteurs des crimes internationaux visés par les conventions sont loin d'être arrêtés et condamnés par les juridictions nationales. Cette situation peut être justifiée par plusieurs raisons : · Les crimes relevant de la CU sont généralement commis par les chefs d'Etats et des hauts responsables du gouvernement qui agissent d'une manière insidieuse et sournoise par des mains invisibles, ce qui les rend rarement atteints par l'action publique. Les décisions rendues en la matière ne portent que sur des simples citoyens. · Les nombreuses plaintes des crimes graves faites par des victimes encadrées par les ONG, réussissent rarement à des mises en accusation devant l'ordre du ministère public.55(*) · Les affaires qui aboutissent à la condamnation des auteurs présumés sont encore plus rares. Ainsi, sur un grand nombre des procédures récentes examinées dans nos lectures, une petite liste de condamnations a été enregistrée. Citons par exemple l'affaire d'Eichmann en Israël, RefikSaric au Danemark56(*), des deux serbes de la Bosnie57(*). Le cas très connu illustrant la remise en cause de la CU est celui de l'Affaire Mandat d'arrêt58(*) du 11 Avril 2000 opposant la Belgique et la République démocratique du Congo. L'affaire Mandat d'arrêt : 1. Résumé des faits : En novembre 1998, plusieurs plaintes avaient été déposées auprès de Mr. Damien Vandermeersch, juge d'instruction près du tribunal de première instance de Bruxelles, au titre de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire. Cette loi donnait alors compétence aux juridictions belges pour connaitre de la répression de ces violations nonobstant tout lieu de rattachement territorial avec la Belgique. L'article 7 de la loi stipulait en effet que « Les juridictions belges sont compétentes pour connaitre des infractions prévues à la présente loi, indépendamment du lieu où celles - ci auront été commises ». Le 11 avril 2000, Mr. Vandermeersch délivre un mandat d'arrêt international à l'encontre de Mr. Yerodia Abdoulaye Ndombasi « en tant qu'auteur ou Co - auteur de crimes constituant des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et aux protocoles additionnels à ses Conventions, et de crimes contre l'humanité ». Ce mandat d'arrêt est transmis le 7 juin 2000 au Congo et à Interpol, afin d'assurer sa diffusion internationale. Ce faisant, il empêche Mr Yerodia Abdoulaye Ndombasi de quitter le territoire de la République Démocratique du Congo, sous peine d'une arrestation immédiate sur le territoire de l'Etat où il se déplacerait. Or Mr Yerodia a été nommé entre temps ministre des affaires étrangères de la RDC, fonction impliquant de nombreux déplacements internationaux. L'exercice de ces fonctions est par conséquent compromis. Le 17 octobre 2000, la RDC saisit la CIJ de l'affaire l'opposant à la Belgique. Dans sa requête, il demande à la Cour « de dire que le Royaume de Belgique devra annuler le mandat d'arrêt international décerné le 11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères en exercice de la République Démocratique du Congo ». Le même jour, la République Démocratique du Congo présente à la Cour, en application de l'article 41 du statut de celle - ci, une demande en indication de mesures conservatoires, afin de retirer le mandat d'arrêt. 2. Le problème juridique posé : La question se pose de savoir dans cette affaire si un organe des relations extérieures et spécialement un ministre des affaires étrangères, bénéficiaire sur le plan international des privilèges et immunités, pourrait être arrêté ou poursuivi parce qu'il a violé les normes impératives du droit international (jus cogen). Il s'agit de savoir si un Etat donné pouvait, en vertu de son droit positif interne, étendre sa compétence juridictionnelle sur un sujet étranger, protégé par le droit international dans le but d'assurer la sanction de la violation d'une norme de droit international. 3. La position des deux parties : Les deux parties en litige convergent sur un point capital. Le ministre des affaires étrangères en exercice jouit, en principe, en vertu du droit international coutumier, de l'immunité de juridiction pénale devant les tribunaux étrangers. L'affirmation est nette dans l'écriture du Congo. Elle ne l'est pas moins dans le texte de la Belgique. L'affirmation est bien résolue dans le texte de la RDC : « l'inviolabilité et immunité sont en effet fonctionnelles, en ce sens qu'elles sont accordées automatiquement par le droit international général à la personne qui en bénéficie en conséquence des fonctions officielles que celle-ci exerce et afin de permettre leur bon accomplissement par leur protection contre toute ingérence étrangère non autorisée par l'Etat que cette personne représente59(*). » L'inviolabilité et immunité pénale absolue que le droit international coutumier reconnait aux Chefs d'Etat, Premiers ministres, ministres des affaires étrangères et autres représentants éminents d'Etats découle automatiquement de leur entrée et de leur maintien en fonction, qu'elles ont pour finalité de protéger. L'existence de ces privilèges ne dépend nullement du consentement qui serait donné par une autorité étrangère à leur déplacement dans cet Etat, à l'inverse de ce qui est le cas lors de l'accord donné par l'Etat accréditaire à l'envoi de diplomates par l'Etat accréditant. Cette obligation de respecter les immunités ne nait pas avec l'invitation qui leur est adressée elle n'est pas créée par celle - ci, elle existe en droit international général60(*). Quant à la Belgique, elle rappelle ses déclarations antérieures selon lesquelles : « Ce mandat tenait compte de l'immunité du gouvernant étranger car il ne pouvait pas être exécuté au cas où Mr. Yerodia Abdoulaye Ndombasi serait invité officiellement à venir en Belgique par le gouvernement belge ou par une organisation internationale dont la Belgique serait membre61(*). » Elle répond par une série de trois arguments62(*). Elle repousse le point de vue de la République Démocratique de Congo qui serait fondé sur le présupposé d'une immunité absolue exempte d'aucune exception. L'Etat défendeur invoque le large pouvoir d'appréciation dévolu au juge d'instruction qui autoriserait ce dernier à tenir compte de l'invitation officielle adressé éventuellement au ministre des affaires étrangères Yerodia Abdoulaye Ndombasi. En définitive, il soutient que l'immunité d'un gouvernant étranger ne constitue pas un droit objectif valable erga omnes63(*). 4. La résolution de l'affaire par la CIJ : Le problème juridique ayant été porté devant la justice internationale par la République Démocratique du Congo, il s'est déroulé, à la résolution de l'affaire par la Cour Internationale de Justice à travers l'arrêt du 14 février 2002. Une bataille procédurale préliminaire faite des exceptions soulevées par la Belgique tendant à ce que l'affaire soit rayée du rôle. La Belgique souhaitait que la Cour constate que, Mr. Yerodia n'exerçant plus aucune fonction au sein du gouvernement de la R.D Congo, il n'y avait plus de différend juridique entre les deux parties, et que la Cour n'était, en conséquence, pas compétente en l'instance. La Belgique ne niait pas qu'un différend ait pu exister entre les parties au moment de l'introduction de l'instance. Elle soutenait toutefois que la Cour devait constater si le différend existait toujours au moment où elle se prononçait sur l'affaire. La fonction de ministre des affaires étrangères exercées par Mr. Yerodia était, pour la Belgique, au centre de la requête introductive de la R.D Congo. L'absence de fonction ministérielle dans son chef depuis avril 2001 avait supprimé la réalité du litige, la R.D Congo cherchant simplement à obtenir un avis consultatif de la Cour. Celle-ci était dès lors incompétente pour connaître de l'affaire. Pour la R.D Congo, le mandat d'arrêt était illégal ab initio, et le préjudice subi par le Congo n'avait pas été affecté par le changement de statut de Mr. Yerodia. A première vue, les conclusions tirées de cette affaire semblent limitées. Un ministre des affaires étrangères bénéficie d'une immunité pénale pendant la durée de ses fonctions. Cette immunité est absolue puisqu'elle couvre les crimes graves de droit international humanitaire. La Cour a réglé de manière définitive le litige qui opposait le Congo à la Belgique à la suite de l'émission et de la diffusion internationale d'un mandat d'arrêt le 11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères de la République Démocratique du Congo en exercice pour les allégations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité au nom d'une compétence universelle. La Cour a conclu que l'émission et la diffusion, par les autorités belges, du mandat d'arrêt avaient méconnu l'immunité du Ministre des affaires étrangères en exercice du Congo et, plus particulièrement, violé l'immunité de juridiction pénale et l'inviolabilité dont jouissait Mr Yerodia en vertu du droit international. Ces actes ont engagé la responsabilité internationale de la Belgique. La Cour estime que les conclusions auxquelles elle est ainsi parvenue constituent une forme de satisfaction permettant de réparer le dommage moral dont se plaint le Congo. L'injonction donnée par la cour à la Belgique de réduire à néant le mandat alors que Mr Yerodia n'était plus ministre des affaires étrangères, a aussi un autre avantage juridique implicite. Elle interpelle nécessairement l'Etat défendeur à mettre un terme à sa politique d'ingérence y compris d'ingérence judiciaire dans son ancienne colonie, décolonisée formellement depuis 1960. Bien que cette demande instante du Congo, omniprésente dans les conclusions écrites et orales tout au long de la procédure, de la phase conservatoire à la phase du fond, n'ait pas été expressément rencontrée par la Cour. * 54 Voir La décision de la Haute Cour de justice britannique rendue le 28 octobre 1998. * 55 C'est le cas de la Belgique, l'Espagne et la France qui ont enregistré un certain nombre de plaintes enregistrées contre des chefs d'Etats et membres du gouvernement comme Georges W. Bush, Fidel Castro, Teodoro Obiang. * 56Rejik Saric, huit ans de prison ferme, décision annoncée en ligne sur le site du CICR. * 57Deux citoyens serbes de la Bosnie, dont l'un a été condamné à 9 ans, el l'autre à vie pour des crimes de génocide. * 58CIJ, Mandat d'arrêt du 11 avril 2000, supra, note 25. * 59 Cour internationale de justice, Mémoire du Congo, 15 mai 2001, p 30, par 47. * 60Ibid, p 34-35. * 61 Cour internationale de justice, Mémoire de la Belgique, 28 septembre 2001, p177, par 154. * 62Ibid, p 178 - 180. * 63Erga omnes est un terme d'origine latin qui signifie à l'égard de tous. |
|