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Analyse critique de la crise de l'éducation scolaire chez Ivan Illich.


par Emmanuel De Marie MUSA MBWISHA
Institut Supérieur de Philosophie/KANSEBULA - Graduat en philosophie 2020
  

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2.2. Le monopole de l'école sur l'humanité

Ce deuxième point développe deux aspects importants qui montrent, selon Illich, le monopole de l'éducation que l'école s'attribue dans le monde, elle est devenue la religion du monde moderne et même elle aliène le monde. Cette aliénation est présentée en double face dans ce travail, d'abord l'aliénation du monde, puis l'aliénation d'Afrique, car comme l'affirme Illich l'aliénation scolaire est de plus en plus aigüe dans les nations pauvres, raison vive pour laquelle nous parlons de l'aliénation de l'Afrique sub-saharienne, en nous inspirant plus des effets aliénataires de notre pays, la RDC.

2.2.1. L'école comme religion du monde moderne

Le monopole de l'école est devenu aujourd'hui plus que jamais une domination en se passant pour la nouvelle religion à laquelle quiconque veut le salut i.e. le bien-être social, doit croire et adhérer aux cérémonies d'initiation qu'elle présente comme nécessaires pour tout le monde. Illich s'attaque justement à ce monopole de l'éducation scolaire, tout en sachant que le but qu'il faut poursuivre, qui est réalisable, est d'assurer à tous des possibilités éducatives égales, Illich pense qu'il y a une confusion grave à ce sujet, pour lui confondre cet objectif et la scolarité obligatoire, c'est confondre le salut et l'Église : « L'école est devenue la religion mondiale d'un prolétariat modernisé et elle offre ses vaines promesses de salut aux pauvres de l'ère technologique. L'État-nation a adopté cette religion, enrôlant tous les citoyens et les forçant à participer à ses programmes gradués d'enseignement sanctionnés par des diplômes »91(*).

L'avènement de la religion scolaire a consisté dans la corruption d'un concept né à l'aube de la civilisation : la skholè,l'apprendre. Il y a une aspiration universelle pour l'apprendre dans un but de transindividuation, de compréhension et de soin car cela nourrit les processus ordonnateurs de vie. Les États ont détourné le fleuve de cette aspiration en s'en proclamant gestionnaires exclusifs. L'école gouvernementale est devenue totalitaire, au sens où elle a recouvert la totalité de l'apprendre. L'école et la skholè sont devenues étrangement opposées. La population est domestiquée de façon croissante de génération en génération. L'école fait intérioriser très profondément aux masses l'hétéronomie en commençantpar le savoir lui-même. Une fois tombé pour l'école, l'individu accepte la dépendance à toutes les autres institutions. Ainsi éduqués, les individus développent un certain type de rapport au monde : hétéronomes, mais aussi privatisés et prolétarisés, avec une vision gagnant/perdant, apathiques politiquement, des individus non individués, déconnectés de la temporalité du cosmos et du souci de soi, nocifs pour eux-mêmes, pour les autres et pour l'environnement. L'école et le travail constituent la même religion. Les petits sont gardés pour que leurs parents produisent, et pendant ce temps l'école leur fait intégrer toutes les idéologies qui les conduiront, eux-aussi, à la servitude volontaire et à la dépendance à l'argent.92(*)

Dans notre siècle, le mythe de la consommation sans fin remplace désormais la croyance en la vie éternelle. L'école semble appelée à tenir le rôle de l'apparition d'une nouvelle Église universelle offrant l'espoir de vivre dans notre culture en décomposition. Aucune institution ne saurait mieux dissimuler à ses fidèles la contradiction profonde entre les principes et la réalité sociale dans le monde d'aujourd'hui.93(*) La rivalité rituelle vous porte à participer à une compétition sans frontière où les concurrents sont conduits à rejeter la responsabilité de tous les maux de la planète sur ceux qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, jouer :

« L'école est un rite initiatique qui fait entrer le néophyte dans la course sacrée à la consommation, c'est aussi un rite propitiatoire où les prêtres de l'almamater sont les médiateurs entre les fidèles et les divinités de la puissance et du privilège. C'est enfin un rituel d'expiation qui ordonne de sacrifier les laissés-pour-compte, de les marquer au fer, de faire d'eux les boucs émissaires du sous-développement ».94(*)

Partout, les enfants savent qu'ils ont des chances de gagner à la loterie nationale obligatoire de l'enseignement. Certes, elles ne sont pas égales, mais l'égalité supposée du critère international fait que, désormais, à leur pauvreté originelle s'ajoute le blâme que le laissé-pour-compte se décerne à lui-même. Instruits de la foi dans la montée des espérances, ils sont à même d'accepter leur frustration grandissante à l'extérieur de l'école : la grâce leur a été refusée parce qu'ils ne sont pas dignes. Ils n'entreront pas au ciel, parce qu'une fois baptisés ils ne sont pas allés à l'église.95(*)

L'école allie l'expérience d'une dépendance humiliante face au maître et ce sentiment trompeur d'omnipotence si caractéristique de l'élève qui veut s'en aller enseigner à toutes les nations à faire leur salut. Mais l'attente du royaume qu'entretient l'école est impersonnelle plutôt que prophétique, et universelle plutôt que limitée à une seule région. L'homme, devenu ingénieur, fabrique son propre messie et promet les récompenses sans limites de la science à tous ceux qui se soumettront à la construction mécanique de son règne.96(*)

L'homme a été redéfini comme un être qui, après être né de sa mère, doit renaître par l'action de l'alma mater, une nouvelle mère sainte : l'école. Ensuite, la nouvelle voie du salut est devenue d'abord une route pour les privilégiés, puis une inévitable super grand-route pavée de bonnes intentions : « L'institution éducative suppose que chacun naisse en tant qu'individu dans une société contractuelle qui doit être analysée avant d'y vivre. Selon cette construction, nul ne saurait faire partie de cette société à moins qu'un catéchisme ne lui dispense certaines vérités. Cette catéchèse, qu'on appelle éducation, ne vaut que si l'individu passe par le truchement d'un agent, à savoir l'école ».97(*)

L'école est à l'Homo educandus ce que l'Église est au chrétien. Suivant cette vision réformée de la nature humaine, le salut passe encore par un livre, mais le livre en question n'est plus une simple Bible, le nouveau livre doit être lu d'une nouvelle façon livresque, et ce genre de lecture nécessite de longues cérémonies qui se déroulent dans des salles de classe. Pour faire marcher cette nouvelle Église, a vu le jour un nouveau clergé : les maîtres d'école, nourris des besoins définis par cette nouvelle vision de la nature humaine. Le pouvoir d'un pareil clergé nécessitait une justification. Celle-ci allait être fondée sur un dogme proclamant la culture livresque comme chose nécessaire au salut. Au cours du XXe siècle, a été découverte une nouvelle raison de l'éducation universelle et obligatoire : « L'école a été définie comme nécessaire pour le travail. La socialisation démocratique, la culture livresque et la formation de la main-d'oeuvre vinrent s'ajouter pour justifier l'existence de ce qui était devenu une Église transnationale ».98(*)

* 91 I. ILLICH, Une société sans école, 27.

* 92 Cf. www.descolarisation.org, consulté le 15 mars 2020, à 17h12.

* 93 Cf. I. ILLICH, Op. Cit., 79.

* 94Ibid., 80.

* 95 Cf., Ibid.

* 96 Cf. Ibid., 81-82.

* 97 Cf. ID., La perte des sens, 65.

* 98 Cf. Ibid., 66.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon