Ce qu'il est très important de souligner c'est le
niveau de risque des engagements sur titres pris par les banques centrales
ainsi que les atteintes en terme de crédibilité de la politique
monétaire qui s'est de loin éloignée de ses missions
restrictives d'avant crise. La taille du bilan des banques centrales a
énormément augmenté, en même temps que le niveau du
risque de défaut et de marché associé à ses actifs
et enfin les risques liés à la stabilité de la monnaie. La
gestion de crise par la BCE et par la Fed est cependant différenciable,
la BCE s'est plus longtemps accrochée à son principe de
neutralité que la Fed qui pour sa part à réagi de
façon extrêmement forte dès de début de la crise en
se portant acquéreuse de façon directe de titres du trésor
et de titre privés, souvent de façon ferme, dans le but de
stabiliser les marchés financiers et de contribuer de façon
directe à la relance de l'économie.
Ce comportement peut aussi se justifier par le fait que
l'économie américaine est une économie majoritairement
financée par le marché financier contrairement à
l'économie européenne qui est tournée vers le
système bancaire. Cependant, la BCE, après une période de
frilosité passe le cap, par obligation au vue de l'impact de la crise de
la dette en plus de celle des subprimes, et s'engage dans des rachat fermes et
massifs de titres de dettes souveraines à long terme mais aussi du
secteur privé à la différence que la BCE contrairement
à la Fed refuse catégoriquement d'intervenir directement sur le
marché primaire de la dette. Les objectifs étant toujours de
saturer l'économie en liquidité afin de relancer
l'économie réelle via l'investissement et la consommation ainsi
que de stabiliser le système financier. Opération de
stérilisation.
Les politiques menées durant la crise ont eu nombre
d'effets positifs puisqu'elles ont empêché cette crise de devenir
catastrophique. Il serait difficile de faire un bilan précis de
l'efficacité des politiques monétaires récentes puisque
nous n'avons non seulement pas le recul nécessaire à ce travail,
l'activité de crise étant toujours au goût du jour, mais en
plus les effets de ces décisions peuvent être si divers et les
interactions si complexes qu'il serait difficile d'en faire un
résumé en quelques lignes.
Nous pouvons tirer quelques conclusions majeures.
La baisse des taux de rémunération de
dépôts semble avoir contribué à la baisse des taux
de court terme associés aux dettes souveraines : dans la mesure
où les banques ont été incitées à utiliser
cette liquidité dans le placement sur titre.
· Les politiques menées ont atténué la
crise de liquidité mais n'ont cependant pas permis une reprise franche
de l'activité économique.
· Elles ont permis la reprise de confiance sur les
marchés boursiers en soutenant notamment les valeurs des actions.
· Les effets des politiques monétaires sur la courbe
des taux ont été notables puisqu'elles ont permis une baisse des
taux de long terme ainsi que des taux d'intérêt réels
ex-ante.
· L'envolée des taux d'intérêt sur les
dettes souveraines a été en partie limitée.
· Les taux des prêts hypothécaires ont
beaucoup baissé aux USA depuis le début de la crise
35
? Les anticipations d'inflation sont restées
très stables malgré la crise et le caractère
inflationniste des politiques monétaires utilisées : en
effet, les banques centrales et surtout la BCE, ont réussi haut la main
le pari de la crédibilité. L'ancrage des anticipations
d'inflation a été solide et cela même face à la
crise, les bons des taux d'inflation à la hausse comme à la
baisse et à la tendance déflationniste observée. Cela a
permis aux politiques monétaires de pouvoir avoir des effets
réels sur l'économie en permettant notamment la baisse des taux
d'intérêts réels ex-ante parallèlement à
baisse des taux d'intérêt nominaux. Ces premiers ont même
atteint des niveaux négatifs, excellente chose pour la relance de
l'investissement. On se rend compte encore une fois de l'importance qu'a le
maintien de la crédibilité des politiques monétaires car
si celle-ci avait été fragile, les agents auraient
anticipé de la déflation ce qui aurait pu précipiter les
économies dans une spirale déflationniste.
Voici un graphique qui illustre ce constat.
? Les primes de terme sur les marchés obligataires aux
États-Unis sont devenues négatives depuis mi-2011, ce qui est
positif en un sens mais implique cependant des risques de formation de bulle
spéculative, les placements étant abusivement perçus sans
risque. Il semble d'ailleurs que cela soit déjà le cas lorsqu'on
observe l'évolution des prix immobiliers et des titres cotés en
bourse qui semble excessive au regard du rythme de l'activité.
36
? L'orientation des politiques a cependant placé en
situation très difficile les OPCVM monétaire
? La crédibilité des banques centrales semble
être de plus en plus remise en question ce qui constitue un risque
important pour la stabilité de l'économie et de la monnaie. Leur
bilan s'est en effet augmenté d'actifs de plus en plus risqués et
leurs positions concernent des volumes de liquidité bien plus grands
qu'avant la crise et pour des échéances en moyenne beaucoup plus
longues.
? L'utilisation à grande échelle des politiques
non conventionnelles inquiète en ce qui est des risques d'hyperinflation
soudaine une fois le retour du bon fonctionnement des canaux de
transmission.
IV. Le défi de l'EXIT pour les politiques
monétaires : quelle stratégie adopter ?
Une question qui inquiète au plus haut point est celle
de savoir comment les banques centrales comptent rétablir une masse
monétaire soutenable pour la stabilité des prix une fois que
l'activité économique aura redémarré. En effet, un
défi de taille les attend car une fois que les canaux de transmission
auront recouvré leur vigueur d'avant crise, il est fort probable que les
énormes volumes de liquidité injectés par les banques
centrales dans le système bancaire et les marchés
monétaires se retrouvent effectivement dans l'économie
réelle et conduisent à une explosion de l'inflation et à
une forte dévaluation. L'occurrence d'une telle situation est
très probable c'est pourquoi les banques centrales vont devoir finement
adapter leur action afin de retirer progressivement de l'économie les
liquidités excédentaires. Elles disposent pour cela de
différentes options que sont entre autres :
- la remontée de ses taux d'intérêt,
- la cession des titres qu'elle a acquis à son actif
pendant la crise,
- l'émission de certificats de dettes non
négociables
- l'augmentation de la rémunération des
dépôts
- ou dans une moindre mesure l'échange de devises.
Cependant, la plus grande question n'est pas
réellement de savoir quels outils elles utiliseront mais de savoir
quelles stratégies de sortie de crise vont-elles adopter. En effet, si
les autorités monétaires adoptent un comportement trop basique et
grégaire, il y a de fortes chances qu'à peine sortie de la
récession, elles précipitent à nouveau les
économies dans une nouvelle crise semblable à la
précédente, ou dans sa continuité.
37
En effet, en tentant de retirer trop brutalement les surplus
de liquidité en circulation, elles vont engendrer une nouvelle crise de
panique et de confiance dans les systèmes bancaires et sur les
marchés financiers. Pire encore, si cela se produit, alors il est
probable que même des recours à l'utilisation massive de
politiques monétaires non conventionnelles ne puissent plus
rétablir cette confiance au moins à moyen terme, puisqu'elles
auront perdu de leur crédibilité.
Comment un tel scénario pourrait se produire ?
? La remontée trop rapide des taux directeurs
:
- Risque d'engendrer une remontée des taux de
marché plus que proportionnelle, ces taux restant très sensibles
aux variations des taux de « refi » en période de
fragilité économique. Cela aura pour conséquence
d'augmenter brutalement les taux d'intérêt réels qui sont
restés très bas ces derniers temps.
- Les bénéfices des opérations de «
quantitative easing » sur la baisse du taux d'intérêt sur les
dettes souveraines risquent d'être en partie annulés.
- Mais encore, cela aura aussi pour effet d'augmenter la
charge des remboursements des opérations ayant été
conclues avec des conditions indexées sur la variabilité des taux
du marché interbancaire, financiers, directeurs ou sur les obligations
d'état.
En conclusion, il est fort probable que dans une telle
situation, le canal du crédit se retrouve à nouveau bloqué
engendrant à nouveau des risques de récession et de
déflation. Notons que, notamment dans le cas de la BCE, les banques
centrales qui ont utilisé à grande échelle des politiques
de « quantitative easing » consistant en une augmentation des
échéances de remboursement se trouveront bien
embêtées puisqu'elles ne pourront récupérer les
liquidités correspondantes qu'à moyen terme voire à long
terme.
? Les cessions trop volumineuses de titres
détenus par les banques centrales :
- Les cessions de ces titres, qui sont pour la plupart assez
sensible (ex : MBS, obligations publiques) risque non seulement d'envoyer de
très mauvais signaux au marché quant à la valeur à
venir de ces titres mais aussi ;
- De telles opérations auront pour effet la baisse de
la valeur de marché des titres concernés, mais aussi, par effet
de contagion celle des autres actifs financiers
- Ainsi que l'envolée des taux d'intérêt
exigés sur les titres obligataires, voire des primes de risque
- Cette situation aura alors un effet très
négatif sur la situation patrimoniale des agents économiques avec
ce que cela implique en termes d'accès au financement, de baisse de leur
valeur actionnariale, de baisse de la demande à la consommation etc.
(Cf. canaux de transmission de la politique monétaire, section III.)
- L'augmentation des taux d'intérêt sur les
dettes souveraines
- Des ventes d'actifs en urgence et le risque de retour
à la situation ayant déclenchée la crise de 2008.
Il va donc falloir que les banques soient extrêmement
prudentes quant aux instruments qu'elles utiliseront et la fréquence
avec laquelle elles les utiliseront. Il faut que la sortie de crise se fasse
d'une manière planifiée, très progressive et très
ingénieuse de telle façon à
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combattre les pressions inflationnistes avec la même
mesure que les risques de rechute mis en avant plus haut. Il faudra aussi que
les banques centrales soient très transparentes et pédagogiques
dans la communication de leur stratégie globale de sortie de crise et au
jour le jour afin de rassurer les agents économiques et les
marchés. L'arbitrage se fait alors entre hyperinflation et
déflation.
Cette question de l' « EXIT » continue d'être
discutée et fait déjà l'objet de bien des travaux au sein
des banques centrales. Les sujets associés concernent entre autres :
- Les volumes des opérations
- Le choix du moment des opérations
- La nature des opérations
- L'établissement de nouveaux objectifs
intermédiaires de sortie de crise : par exemple
une bande de variabilité dans laquelle doit être
compris les taux du marché
- Les conditions de cessions des titres : prix/taux
déterminés