Droits des patients en fin de vie et euthanasie passive en RDCpar Jules-Alphonse VARONDI Université Catholique de Bukavu - Licence 2021 |
Section II. LA PRATIQUE DE L'EUTHANASIE PASSIVELa pratique étant source de droit, il a été nécessaire de se rendre dans certains établissements de santé en vue d'avoir une idée sur la pratique médicale en rapport avec les droits des patients en fin de vie. Les entretiens ont été menés avec le Docteur PATIENT KAJIBWAMI, médecin directeur de l'hôpital SKYBORN, ACHILLES BAPOLISI, psychiatre& neuro pharmacologuede l'HPGRB, le docteur GUY-QUESNEY MATESO MBALE, urgentiste intensiviste de l'HPGRB, le docteur MADO BAMBILE, médecin traitant à l'Hôpital provincial du Nord Kivu, le docteur ANNIE MAUNGA, pédiatre à l'Hôpital Général de Référence Charité maternelle de Goma, Monsieur FRANCOIS MBUNDU, cadre administratif à la Division Provinciale de la Santé. L'approche étant qualitative, elle a nécessité une technique échantillonnage théorique. Le choix de cet échantillon se justifie par l'expérience individuelle, par les connaissances et le savoir de chacun des sujets. Au regard des informations collectées, et des derniers entretiens réalisées, il est possible d'affirmer qu'une saturation suffisante des données a été atteinte131(*). La présente section est subdivisée en deux paragraphes. Dans le premier, la pratique médicale est présentée au regard des droits des patients en fin de vie. La deuxième, présente la pratique médicale au regard des obligations des médecins vis-à-vis des patients en fin de vie et les limites des obligations des médecins face au refus de soins et au renoncement aux soins. A. Les pratiques médicales de fin de vie par rapport aux droits des malades Rappelons que les patients en fin de vie ont droit aux soins, au réconfort et au soulagement. La plupart des atteintes graves et des maladies potentiellement mortelles allient l'action curative à l'action palliative. La première employée dans le but de guérir le patient de sa maladie, la seconde dans le but d'améliorer son confort et sa qualité de vie, d'atténuer ses symptômes, d'atténuer les effets indésirables du traitement curatif132(*). Dans la pratique des établissements de santé, le droit aux soins est garanti pour tous ceux qui ont les moyens de se les payer fautes de couverture sanitaire suffisante. Il arrive que le traitement curatif soit trop onéreux, ou impossible à réaliser sur place, faute de moyens matériels adéquats ou faute de ressources humaines suffisantes. En pareilles hypothèse, le transfert du patient en fin de vie s'impose, vers les pays limitrophes ou vers des pays dotés d'établissement de santé mieux fournis. Les patients sont généralement transférés au BURUNDI, au KENYA et en INDE. Pour ceux qui en ont les moyens, le droit aux soins est garanti. En vue de garantir au mieux le réconfort du patient, les professionnels de santé essaient de lui donner un sens à sa fin de vie. L'accompagnement psychologique et moral du patient est surtout assuré par sa famille et son ministre de culte en fonction de ses croyances et de ses principes. Le but est de lui permettre de ne pas entrevoir la mort comme une fatalité, mais plutôt comme un processus normal auquel il doit se préparer. Malheureusement, le réconfort n'est pas privilégié au titre de soins palliatifs dans les établissements de santé, qui sont déjà globalement difficile à administrer pour plusieurs raisons (Les statistiques relevées en 2015 démontre qu'il y avait à peine 2000 médecins pour plus de 70 millions d'habitants, en plus de la carence en terme de ressources financières, humaines et matériels133(*)). En dehors du soutien affectif de sa famille, il a le droit d'être écouté par le professionnel de santé, ce qui est considéré comme accompagnement psychologique suffisant de la part d'un professionnel de santé134(*). Le droit au soulagement implique en principe le soulagement de la douleurs et l'amélioration de la qualité de vie du patient. Il se fait cependant que dans la pratique médicale congolaise, le droit au soulagement n'implique que l'atténuation de la douleur du patient et l'amélioration de son confort, sans plus. Ceci apparait comme une conception restrictive du droit au soulagement qui devrait en principe être envisagé dans une approche globale. Le soulagement des souffrances du patient se limite malheureusement à la prise des antidouleurs, la prescription des morphiniques et des antidouleurs n'étant pas interdites en RDC.135(*) Il est possible comme dans la législation française d'accorder des nouveaux droits aux patients en fin de vie, de mieux les circonscrire, sans pour autant déguisée une forme d'euthanasie active136(*). Il est possible de se doter d'une loi qui accordera des nouveaux droits aux patients en fin de vie sans dépénaliser l'euthanasie dans sa forme active. En plus du droit aux soins, au réconfort et au soulagement, le législateur français reconnait spécifiquement au patient en fin de vie les droits suivants : Le droit à l'information sur les actes médicaux, les risques des traitements et les alternatives possibles ; le droit de participer à la prise de décision, le droit au soulagement de la douleur en toutes circonstances même si cela peut avoir comme effet d'abréger la vie ; le droit au refus de traitement ; le droit aux soins palliatifs ; Le droit à la sédation ; le droit de rédiger des directives anticipées en prévision d'une incapacité à s'exprimer ultérieurement, pour indiquer ses souhaits pour sa fin de vie ; le droit de désigner une personne de confiance qui sera consultée par l'équipe médicale et dont l'avis l'emporte sur celui des autres proches137(*). B. Les pratiques médicales de fin de vie par rapport aux obligations du médecin et leurs limites GILBERT LAROCHELLE estime que les deux idées directrices prises en compte vis-à-vis des patients en fin de vie sont le principe de « savoir s'arrêter » et le principe de « pouvoir décider »138(*). Dans le même ordre d'idée, le docteur ACHILLES BAPOLISI rappelle ce principe en ces termes : « Le médecin doit guérir parfois, soulager souvent et écouter toujours ». Rappelons que les obligations du médecin à l'égard du patient en fin de vie sont l'obligation d'informer et l'obligation d'administrer des soins appropriés. En pratique, plutôt que s'adresser directement au patient, il est de coutume que le professionnel de santé s'adresse d'abord à la famille de ce dernier. L'interlocuteur direct du professionnel de santé est la famille,139(*) même si la loi semble la reléguer à un rôle secondaire. L'information étant donnée dans le but de permettre au patient en fin de vie de choisir le traitement approprié, pour déterminer s'il est à même de prendre ce choix - pour déterminer s'il est capable de discernement - l'on emploie la méthode de l'échelle de Glasgow.140(*) Dans le cas où il ne serait pas capable de discernement, le choix appartient à sa famille, primauté accordée aux parents et au conjoint dans la prise de décision. Si le choix implique de « débrancher » le patient des appareils le maintenant en vie de façon artificielles, le professionnel de santé ne s'exécute pas et maintient l'alimentation artificielle141(*), Car tant que la mort n'a pas tranché la vie prévaut.142(*) Le patient en fin de vie est considéré décédé quand son cerveau cesse de fonctionner143(*). Si par contre il est capable de discernement, et qu'en accord avec la famille ils se décident de le « débrancher », le professionnel de santé prodigue des conseils à la famille pour assurer la continuité des soins à domicile. Il rédige une note qui sera annexé à son dossier médical comme pour le cas de refus de soins. Faute d'unité spécialisée en soins palliatifs, la prise en charge n'est malheureusement pas suffisante. En RDC, comme dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, on a souvent tendance à « forcer » la guérison du patient, car dans les croyances et les habitudes, la maladie n'est pas un phénomène normal, elle est perçue comme un mauvais sort qui s'abat sur le patient.144(*) Lorsque la famille insiste, les professionnels de santé ont tendance à poursuivre l'action curative jusqu'au bout, même si elle est vaine145(*). Ce qui en soi est un acharnement thérapeutique. Le législateur congolais ne l'interdit pas clairement. La loi française par contre, plus explicite, interdit l'acharnement thérapeutique en interdisant ce qui est considéré comme une obstination déraisonnable. A titre d'exemple, le Conseil d'Etat français rappelle dans la célèbre affaire Lambert que lorsque le traitement apparait inutile et disproportionné ou lorsqu'il n'a d'autre effet que de maintenir artificiellement la vie, si le patient n'est pas en mesure d'exprimer sa volonté, il appartient au médecin en charge d'un tel patient d'arrêter, de ne pas mettre en oeuvre, au titre de refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie146(*). Il arrive aussi malheureusement, lorsque le patient en fin de vie est dans un état critique, que les professionnels de santé ne s'occupent pas de sa prise en charge, lorsqu'il apparait qu'il n'y a plus d'autres alternatives pour lui. Cela apparait généralement lorsqu'il s'agit d'un patient en fin de vie pour des raisons liées à l'âge (vieillesse)ou pour une maladie dans sa phase terminale. « Parce qu'il est vieux et près de la mort de toute façon, ou parce qu'il est gravement atteint et qu'on ne peut plus rien pour lui »147(*). Cependant, bien que regrettables et répréhensibles, ce sont des cas isolés, qui ne peuvent pas être assimilés à la pratique générale. Lorsqu'un patient refuse délibérément de se faire soigner, il dresse une note constatant ce refus qui est annexée à son dossier médical. Lorsque le renoncement aux soins est dû à des raisons financières, un traitement palliatif est préconisé, en fonction des moyens du patient, dans le but de soulager ses souffrances, d'améliorer sa qualité de vie et de prolonger son espérance de vie. Il arrive parfois que ce traitement ait des effets curatifs. Dans d'autres circonstances, l'action palliative n'est administrée que lorsque l'action curative n'est soit plus possible, soit plus nécessaire. Il est pourtant recommandé de débuter les traitements palliatifs dès que le patient en a besoin au regard de son état de santé et de ses symptômes et non pas quand le traitement curatif est épuisé. Ils peuvent être proposés par le professionnel de santé, ou à la demande du patient ou encore à celle de ses proches148(*). La Couverture sanitaire universelle est une situation dans laquelle toutes les personnes et toutes les communautés bénéficient des services de santé dont elles ont besoin sans se heurter à des difficultés financières. L'OMS fait remarquer que quand les gens doivent payer de leur poche la plus grande part des couts des services de santé, les pauvres se retrouvent souvent dans l'incapacité d'obtenir de nombreux services dont ils ont besoins. Ce qui cause tel que précédemment démontré, un taux élevé de renoncement aux soins. La RDC s'est dotée en 2016 d'un Plan National de Développement Sanitaire en 2016, lequel poursuit la Couverture sanitaire universelle conformément aux Objectifs de Développement Durables à l'Horizon 2030. Il vise entre autres l'amélioration des prestations de services de santé et de continuité des soins et le Renforcement de la Gouvernance et du système de santé. Ce plan a pour but de contribuer au bien-être de la population congolaise d'ici 2022 dans le cadre de la Couverture Santé Universelle dans l'objectif est d'accroitre d'ici 2022 la couverture et l'utilisation des services et soins de santé de qualité pour la population avec équité et protection financière149(*). Malheureusement, ce plan ne reprend pas l'administration des soins palliatifs. * 131 La saturation des données est le phénomène par lequel le chercheur se rend compte que les derniers documents, entretiens ou observations n'apportent plus d'information suffisamment nouvelles pour justifier qu'il continue d'augmenter l'échantillon. Théorie développée par DANIEL BERTAUX, in P. NDA, Recherche et méthodologie en sciences sociales et humaines - Réussir sa thèse, son mémoire de master ou professionnel, et son article, Paris, L'Harmattan, 2015, p. 100. * 132 Entretien avec le Docteur GUY-QUESNEY MATESO MBALE, spécialiste des urgences à l'HPGRB en date du 27 septembre 2021. * 133 J.M LOFANDJA et alii, « Fardeau des maladies chroniques en Afrique subsaharienne : plaidoyer pour une mise en oeuvre des soins palliatifs et d'accompagnement den fin de vie en République Démocratique du Congo », in Ethics, Medecine and Public Health, N°3, pp. 374 à 380, Paris, Elsevier Masson SAS, 2017, p. 378. * 134 Entretien avec le Docteur ACHILLES BAPOLISI, psychiatre et neuro pharmacologue de l'HGPRGB, en date du 18 octobre 2021. * 135 Entretien avec le Docteur MADO BAMBILE, médecin traitant à l'Hôpital Provincial du Nord Kivu, en date du 24 septembre 2021. * 136 R. SCHAERER & F. POIRIER, « Compte rendu d'actualités », in Jusqu'à la mort accompagner la vie, N°122, pp. 119 à 124, Fontaine, Presses Universitaires de Grenoble, 2015, p. 120. * 137 M.T. BITSCH, « Les 10ans de la loi leonetti : Doit-on encore légiférer sur la fin de vie ? », in Jusqu'à la mort accompagner la vie, N° 122, pp. 109 à 116, Fontaine, Presses Universitaires de Grenoble, 2015, p. 113. * 138 E. FOURNERET, « Le malade, le médecin et le juge, qui décide de la fin de vie ? », in Les Cahiers de la Justice,?, n°3, pp. 457 à 469,La fin de vie, qui en décide ?, Paris, Dalloz, 2017, p. 461. * 139 Entretien avec le docteur ANNIE MAUNGA, pédiatre à l'Hôpital Général de référence la Charité maternelle de Goma en date du 25 septembre 2021. * 140 Entretien avec le Docteur GUY-QUESNEY MATESO MBALE, spécialiste des urgences à l'HPGRB en date du 27 septembre 2021. * 141 Entretien avec le docteur PATIENT KAJIBWAMI, Médecin directeur de l'hôpital de SKYBORN, en date du 28 septembre 2021. * 142 A. CHEYNET, « Entre la vie et la mort : juger la fin de vie », in Les Cahiers de la Justice, N°3 pp. 413 à 425 La fin de vie, qui décide ?, Paris, Dalloz, 2017, p. 413. * 143 Entretien avec le Docteur GUY-QUESNEY MATESO MBALE, spécialiste des urgences à l'HPGRB en date du 27 septembre 2021. * 144 J.M LOFANDJA et alii,op.cit., p. 376. * 145 Entretien avec le docteur PATIENT KAJIBWAMI, Médecin directeur de l'hôpital de SKYBORN, en date du 28 septembre 2021. * 146 CE, 24 avril 2019, N° 428117, interruption des traitements de V. LAMBERT, §§ 7 et 8 in https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernières-decisions-importantes/conseil-d-etat-ordonnance-du-24-avril-2019-interruption-des-traitements-de-v.-lambert consulté le 20 septembre 2021. * 147 Y. MUSHONGO, « La question des soins palliatifs en milieux hospitaliers congolais : contribution à la prise en charge des malade en fin de vie », Congo virtuel, 2015, in https://www.congovirtuel.com/page_rapport_travaux/page_article_shongo.php consulté le 15 octobre 2021. * 148 A. CARON-DEGLISE & G. RAOUL-CORMEIL, « La fin de vie de la personne protégée et de l'office du juge des tutelles, réflexions sur la recherche du consentement des personnes vulnérables », in Les Cahiers de la Justice,N°3, pp. 443 à 455,La fin de vie, qui en décide ?, Paris, Dalloz, 2017, p. 445. * 149 Ministère de la Santé, Plan National de Développement Sanitaire recadré pour la période 2019-2022 : Vers la Couverture santé universelle, Kinshasa, Septembre 2018, p. 44. |
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