La détention preventive et la protection des droits de l'homme au Togo( Télécharger le fichier original )par Lar KOMBATE Université de Nantes - Master 2 Droit international et européen des droits fondamentaux 2015 |
A. CONTEXTE DE L'ETUDELes conditions de détention déplorables et dégradables observées ces dernières années au Togo sont consécutives à plusieurs facteurs tels que les détentions préventives massives et prolongées, cause de la surpopulation carcérale, à s'en tenir aux statistiques de l'Administration pénitentiaire du Togo6(*). Les conditions de détention actuelles laissent croire que l'inculpé ou le prévenu subit anticipativement la peine encourue avant même sa condamnation. Cette situation aussi bien choquante que révoltante heurte les principes de la présomption d'innocence, de délais raisonnables, de procès équitables pourtant prescrits par les instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés par le Togo. Montesquieu le relevait déjà : « les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers mêmes de la justice sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté »7(*). Comme le dit souvent « la procédure c'est la prudence, la trêve, la réflexion. » Conscient de l'ampleur des mauvaises conditions de détention, du non-respect des garanties procédurales et de la lenteur judiciaire ainsi que de leurs impacts, les autorités togolaises ont initié depuis 2003 des réformes importantes en vue d'assainir le secteur judiciaire8(*) et pénitentiaire. Ces dysfonctionnements se justifient par certains facteurs socio-politiques (1) et économiques (2) qui sont autant d'obstacles au respect des droits fondamentaux des détenus préventifs au Togo9(*). 1. Contexte socio-politiqueLongtemps condamné pour son déficit démocratique, pour les violations des droits de l'Homme et des libertés fondamentales par la Communauté internationale suite aux troubles socio- politiques des années 1990 et 2005, le Togo a souscrit depuis 2006 à plusieurs engagements internationaux et régionaux afin de refaire son image et de regagner la confiance des opérateurs économiques.10(*) Cette situation a eu un impact majeur sur plusieurs aspects du développement économique et social. Après une longue période d'isolement, marquée par l'interruption de l'aide au développement et l'absence d'investissements, l'Etat togolais s'est engagé en 2006 dans une politique d'ouverture qui a permis la reprise de la coopération politique et économique avec les partenaires internationaux, notamment avec l'Union Européenne (UE). C'est dans cette optique que le pays a signé en 2006 un accord de siège avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme (HCDH)11(*). La mission du HCDH était de veiller à la promotion et au respect des droits de l'homme, à l'instauration de la démocratie et de l'Etat de droit en apportant à l'Etat togolais son expertise. Ainsi, le premier rapport présenté en 2011 par le Togo dans le cadre de l'Examen Périodique Universel (EPU) fait état d'un faible respect des droits de l'homme dans l'administration de la justice, notamment aux textes laconiques, aux conditions de détention et la lenteur des procédures judiciaires, source de la surpopulation carcérale avec comme corollaire la détérioration des conditions de détention. En dépit de l'adhésion du Togo aux conventions internationales, régionales en matière de la protection et promotion des droits de l'homme et malgré la mise en oeuvre des programmes de réformes des administrations de la justice et pénitentiaire, le régime de la détention préventive prévu par le Code de Procédure Pénale (CPP) n'a pas connu de réformes visant à le réajuster ou à le conformer aux standards internationaux relatifs aux droits de l'homme dans l'administration de la justice pénale. L'usage systématique des mandats de dépôt et mandats d'arrêt justifient les détentions provisoires de longues durées et arbitraires. Les détenus préventifs et les condamnés définitifs partagent les mêmes cellules dans les prisons civiles. Les conditions de détention ne respectent pas les règles minima en la matière : ineffectivité de mesures alternatives à la détention, manque de soins médicaux entrainant parfois des pertes en vies humaines, surpopulation carcérale, insuffisance des moyens de subsistance. Cette situation n'est pas spécifiquement propre au Togo. Les conditions de détention demeurent, presque partout en Afrique, déplorables. Tel est, en effet, le constat fait à Kampala les 19, 20 et 21 septembre 1996 par cent trente-trois (133) délégués venant de quarante-sept (47) pays dont quarante (40) Etats africains impliqués dans les questions pénales et pénitentiaires12(*). Après avoir relevé que dans de nombreux pays d'Afrique, le taux de surpopulation dans les prisons avait atteint des limites inhumaines, que l'alimentation était insuffisante en qualité et en quantité, que l'accès aux soins était difficile, les délégués ont recommandé, « que soient assurées aux détenus, des conditions de détention compatibles avec la dignité inhérente à la personne humaine». Dans un souci de mise en oeuvre des recommandations de mécanismes internationaux et institutions en matière de respect des droits de l'homme dans l'administration de la justice, le Togo a entrepris entre 2005 et 2010 un vaste Programme National de Modernisation de la Justice (PNMJ). Cela a été possible grâce à l'appui du PNUD et de l'UE. Dix ans après la mise en oeuvre du PAUSEP et PNMJ, on constate toujours un nombre pléthorique des détenus préventifs qui sont en attente de jugement depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Selon un rapport établi en 2012 par l'Inspection générale des services juridictionnels et pénitentiaires, plus de 70% des détenus dans les prisons sont des détenus préventifs. En matière criminelle, les procédures durent au minimum 36 mois et peuvent aller jusqu'à sept (7) ans13(*). Ce constat dans la mise en oeuvre de la détention a très souvent des répercussions néfastes sur le bien-être physique, mental et social du détenu. Cette situation a longtemps alimenté des critiques des autorités togolaises et des acteurs de la justice par la communauté internationale. Les reproches formulés contre le régime de la détention préventive en vigueur au Togo ont pour essentiels caractéristiques : le défaut d'obligation de motiver les décisions de placement en détention, l'usage abusif des titres de détention, l'absence d'indemnisation des victimes de détention abusive, la vétusté et à l'exiguïté des prisons civiles qui ne permettent pas toujours le respect des droits des prisonniers14(*). Cette situation déplorable n'a pas laissé le pouvoir législatif togolais indifférent, a visité plusieurs centres de détention15(*) du 11 au 14 novembre 2015 afin de s'imprégner des réalités. * 6Statistiques des détenus : Au 04 décembre 2015, sur un effectif total de 4518 détenus, on dénombre 3013 détenus préventifs et 1505 détenus condamnés soit un taux de 66,69 % et 33,31 % ; au 1er décembre 2014, sur un effectif total de 4231 détenus, on retrouve 2596 détenus préventifs et 1635 détenus condamnés soit un taux de 61,36 % et 38,64 %. * 7Montesquieu, « de l'esprit des lois », nouvelle édition, Paris, Garnier, 1871, p. 72. * 8Projet d'appui d'urgence au secteur pénitentiaire (PAUSEP) et Programme national de modernisation de la justice (PNMJ) financés par l'Union Européenne et PNUD. * 9République du Togo, Rapport national de mi-parcours dans le cadre de l'EPU, 2011, p.20. * 10 Accords politiques global avec les 22 engagements, signés le 14 avril 2004 auprès de la Commission de l'Union européenne, la Déclaration de Kampala sur la détention en Afrique des 19-21 septembre 1996, la Déclaration d' Ouagadougou sur l'accélération de la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique des 18 et 20 septembre 2002. * 11 Accord entre le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme et le Gouvernement de la République togolaise relatif à l'établissement d'un bureau du HCDH au Togo, signé le 10 juillet 2006. * 12Déclaration de Kampala sur la santé en prison en Afrique tenu à Kampala les 12 et 13 décembre 1999. * 13 Haut- Commissariat des Droits de l'Homme, Rapport sur le respect et la mise en oeuvre des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans l'administration de la justice au Togo, Décembre 2013, p. 26. * 14 Le taux d'occupation totale des prisons civiles au Togo est de 166 % au 04 décembre 2015 et de 156 % au 1er décembre 2014. Dans les prisons civiles de Lomé, Aného, Tsévié, Notsè, Atakpamé et Dapaong, ce taux varie entre 191 % à 326 %. (Source : Statistiques de la Direction de l'Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion du Togo). * 15 Les douze centres de détention du Togo sont : Dapaong, Mango, Kanté, Kara, Bassar, Sokodé, Atakpamé, Notsè, Tsévié, Lomé, Vogan et Aného. |
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