Chapitre I: REVUE CRITIQUE DE LA LITTERATURE
Plusieurs auteurs se sont prononcés sur les questions
de croissance urbaine et des enjeux fonciers, il y en a parmi eux qui ont
travaillé dans la zone des Niaye et particulièrement les communes
ciblées. Ces auteurs se sont appuyés dans leurs réflexions
sur le transport, la démographie, les coûts fonciers, et
même l'action des pouvoirs publics pour expliquer les facteurs
d'étalements désordonnés des villes et leur croissance
dans leurs périphéries. Ainsi, le développement du
transport et des infrastructures routiers sont à prendre en compte pour
expliquer l'étalement de la ville sur sa périphérie, ce
qui cadre bien avec les nouvelles lignes de transports qui relient notre zone
d'étude et les axes routiers qui facilitent son accessibilité.
Pour Wackermann (2000) l'extension des transports dans les zones les plus
reculées et la motorisation individuelle constitue aussi un facteur
d'étalement urbain dans les périphéries, ces deux points
facilitent l'accessibilité au centre et encouragent les populations
à s'installer dans les périphéries.
12
Au-delà d'être un facteur de l'étalement
urbain, le transport peut aussi être un facteur de développement
économique dans les zones rurales. Diabang Ndeye Fatou (2014) dans son
mémoire sur « l'impact du système de transport dans le
développement socioéconomique de Bambilor » a rappelé
l'importance des infrastructures routières dans une zone à forte
urbanisation. Ces infrastructures jouent un rôle important dans le
développement de la filière agricole avec le transport des
produits agricoles vers les villes alentours, cela renforce la vocation
agricole de la zone.
Le déplacement de la population rurale vers les villes
est aussi un facteur explicatif de l'étalement des villes. Les jeunes et
les femmes sont plus concernés, ils sont majoritaires à migrer
vers d'autres horizons, en ville notamment. Ces jeunes et femmes sont victimes
d'une discrimination due au « caractère patriarcal de
l'exploitation familiale dominée par le chef de concession qui ne leur
permettent pas l'accès à la propriété
foncière et la liberté d'user de la terre à leur guise
» (M. Bara 2012, p 197). Dans le cadre des villes africaines, P.
VANNETIER (1991), auteur de plusieurs ouvrages sur l'Afrique, souligne un
aspect fort important propre aux villes africaines et sur le rôle de la
ville comme réceptacle des espoirs des ruraux. Selon lui, les
néo-citadins sont pour la plupart accueillis par des parents proches
dans les quartiers populaires péricentraux, un phénomène
bien connu en Afrique. Les citadins, quant à eux, sont animés par
le souci d'être propriétaire d'une parcelle, du coup de nouveaux
quartiers apparaissent, alimentant ainsi l'extension périphérique
des villes. Ngom Cheikh Abdou Lahat (2013) dans son mémoire sur «
l'urbanisation et problématique de l'aménagement urbain dans la
périphérie de Dakar : le cas de la localité de
Tivaouane-Peulh-Niague » est revenu sur l'impact de la croissance
dakaroise sur la commune de Tivaouane-Peulh-Niague. Les causes de la
périurbanisation dans cette zone sont dues selon lui à deux
facteurs, la poussée démographique locale et la croissance de
l'agglomération dakaroise. Mais les raisons qui ont poussé
l'arrivé massif des citadins dans la zone de Tivaouane-Peulh-Niague sont
dues au coût abordable du foncier, à la volonté des
populations de disposer d'une propriété individuelle, mais
surtout de la décision des pouvoirs politiques de reloger certaines
personnes déplacées ou sinistrées.
En outre ces facteurs explicatifs l'étalement urbain
dans ses périphéries ne se fait pas sans impacts .Les impacts
touchent le secteur agricole. Dans la périphérie nord les espaces
résidentiels se substituent aux terroirs agricoles. De nouveaux morceaux
de villes émergent dans les terroirs de Kounoune, de Niacoulrap et de
Tivaouane Peulh M. Diongue (2010).
13
Y .Diallo(2014) dans sa thèse sur « Dakar,
métropole en mouvement. Recomposition territoriale et enjeux de la
gouvernance urbaine à Rufisque » est revenu sur l'impact des
dynamiques urbaines dans le département de Rufisque surtout sa partie
nord, qui risque de perdre sa vocation agricole et « bientôt
qualifiée d'ex-grenier des villes ». Cette situation
s'explique par l'extension géographique des agglomérations qui se
fait avec l'absorption de zones rurales, cette absorption dérègle
toute une chaîne. Ainsi, l'incidence de la croissance
démographique sur le foncier périurbain se traduit par la
progression du front d'urbanisation et le recul de l'espace agricole.
Les espaces agricoles serviront de socle pour le bâti P.
DUBBY (1991). Ainsi cette transformation du terroir agricole en terrain de
construction impact sur l'activité des producteurs locaux et fait
émerger d'autres activités qui démontrent les
capacités d'adaptation des populations. Certains jeunes ont aujourd'hui
davantage recours aux activités non-agricoles telles que la
maçonnerie et la fabrication des briques cuites, afin de
conquérir le marché de construction créé par cette
nouvelle donne.
Également, la périurbanisation et
l'étalement urbain ont des effets négatifs sur l'environnement et
le milieu naturel. Les atteintes de l'urbanisation sur l'environnement sont
incontestables. A.T.Diagana (2013) dans son mémoire : « Analyse des
effets de la périurbanisation dans les zones humides : cas de la
communauté rurale de Bambilor » explique comment l'étalement
urbain impacte négativement sur l'équilibre écologique de
la zone. Les dunes de sable sont exploitées et utilisées dans les
constructions d'infrastructures. Ainsi le sable fin des dunes intérieurs
et des côtières sont prélevés jusqu'à leur
épuisement. Ces prélèvements abusifs transforment
certaines carrières en bassin de rétention d'eau. Alors que les
prélèvements le long de la cote détruisent la bande de
filao et favorise l'érosion côtière. Cette
artificialisation des sols conduit également à des inondations.
Mbow Dame (2014) l'évoque dans son mémoire « la croissance
urbaine et des enjeux fonciers dans la commune de Bambilor, avec comme cas le
conflit sur le TF R.1975 ». En effet, dans cette commune de Bambilor,
l'installation sur d'anciens marigots et l'occupation par les constructions des
voies de passage des eaux sont l'une des causes des inondations. Plusieurs
cités construites sur d'anciens marigots, sont inondées en
période d'hivernage.
Cependant « la présence du sol Dior favorable
à l'urbanisation explique le dynamisme démographique de la
périphérie nord ». Le sol Dior réputé
moins inondable, encourage même cette quête effrénée
du logement par les populations d'où la forte spéculation
foncière dans la zone. Ainsi le foncier en plus d'être une
nécessité devient de facto un instrument de
14
convoitise. De l'avis de M. PAGES (1980) qui apporte un autre
aspect particulier résultant de la privatisation des sols : «
c'est la spéculation qui défavorise le logement social et
repousse la population hors des limites de la ville ». Ainsi
poursuit-il, « cela conduit à une opposition très
prononcée entre villes légale conforme aux textes et ville
réelle plus large qui fait fi aux logiques urbanistiques. Les
autorités refusent encore d'y investir du fait des risques (cuvettes,
zones inondables...) et du coût élevé, mais contraints tout
de même de la régulariser par l'octroi de titre foncier, si elles
veulent disposer davantage de fiscalités ».
Y .Diallo(2014) relève cette impuissance de l'Etat dans
la partie Nord du département de Rufisque, disant que « la
tentative de l'Etat de faire une main mise sur ses terres de cet ensemble
territorial en les affectant aux paysans regroupés en section rurale a
très vite montré ces limites dans la mesure où le
mouvement de colonisation amorcé par les citadins s'est étendu
sur une large part des terres ».Seulement En essayant de s'approprier
de la gestion foncière des espaces ruraux périurbains, l'Etat
soustrait aux instances locales leur légitimité dans la
maîtrise foncière. Mais cette lutte d'autorités, cache
également un système de dépossession des terres au
détriment des populations locales.
En effet les pratiques des monarchies anciennes, surtout
celles de Cayor en vue de satisfaire sa clientèle politique s'est
substituée à cette lutte dans la gestion des terres. Cette
pratique n'est pas rompue elle est aujourd'hui perpétuée par
l'Etat moderne pour un même objectif, satisfaire aussi « la
clientèle politique en vue de la reproduction du pouvoir » (M.
Bara ,2012).
Mbow Dame (2014) confirme cette thèse d'accaparement
des terres à Bambilor à travers l'étude qu'il a fait sur
le conflit du domaine général Chevance Berthin .En effet, selon
lui le domaine qui englobait les 7 villages dans la commune Bambilor a
été exproprié par l'Etat et revendu à des hommes
d'affaires, des promoteurs immobiliers, et même des députés
et en méprisant des exploitants agricoles locaux natifs de la zone
menacés d'expulsion sur des terres hérités de leurs
ancêtres. Y. Diallo (2013) abonde dans le même sens tout en
relevant les pratiques rentières des citadins sur les terres qui se
situent dans les périphéries « le paradoxe est que
l'écrasante majorité des citadins ont pour seul objectif de se
procurer de vaste espaces afin de les parcelliser et de les revendre dès
qu'une opportunité d'une hausse de la valeur du foncier s'offre à
eux. Ainsi de grands commerçants et de cadre supérieur de la
fonction publique, privée et de professions libérales ont
réussi à s'accaparer une plus grande part des terres sans se fier
aux exigences des autorités ».
Même si leurs réflexions ont été
fécondes et pertinentes, les auteurs n'ont pas abordé la
problématique des limites entre les collectivités territoriales
surtout que le découpage administratif de 2011 qui a bouleversé
l'équilibre de la zone, du point de la cohérence
15
territoriale. La reconfiguration du département n'a
été que très peu effleurée même si Y. Diallo
(2013) a abordé dans un angle totalement centré sur la ville de
Rufisque et ses influences sur ses périphéries. Il aurait
été plus pertinent de l'actualiser avec une vue globale
axée sur l'équilibre du département avec les projets
actuels de l'Etat prônant de nouveaux centres autres que la ville de
Rufisque qui décline, ce que M .Diongue (2010) a évoqué
dans son ouvrage : Périurbanisation différentielle : mutations et
réorganisation de l'espace à l'est de la région dakaroise
(Diamniadio, Sangalkam, Yène) même si là aussi l'avenir des
vieilles villes Bargny et Rufisque qui font face à l'avancée de
la mer n'a été que peu abordé. En outre, c'est une partie
de ces difficultés qui touchent le foncier que la commission nationale
de la réforme foncière (2016) a voulu corriger dans son document
de politique foncière adressée au président de la
République. La CNRF a émis une batterie de recommandation en
fonction des zones rurales et urbaines.
Mais au-delà des imprécisions notées sur
beaucoup de points dans le Document de Politique Foncières, les
recommandations de la CNRF n'ont porté que très peu
d'intérêt sur la question du littoral. La commission n'a pas
jugé peut-être pertinente de faire un parallélisme entre
les communautés ces pécheurs vivant sur les terres du littoral,
comme elle l'a si bien fait avec les communautés paysannes et leur terre
de leur terroir. Cette omission s'expliquerait par la rédaction de la
loi sur le littoral qui devait être adopté en même temps que
celle sur le foncier après les travaux de la commission. Mais cette
volonté n'est restée que dans un cadre d'annonce. Dans ses
recommandations, la CNRF ne prend pas aussi en compte la capacité des
communes à se départir des ressources tirées du foncier,
surtout, celles qui n'ont que ces revenues pour rester viables.
En effet, l'obligation de ces communes à exploiter ces
sources de revenues tirées du foncier fait face à la
nécessité de pérenniser les activités agricoles
surtout dans les communes à caractères rurales situées
dans les périphéries des grandes villes qui ont une croissance
urbaine rapide et une forte consommation foncière. Ce paradoxe posera la
question de l'efficacité de la protection des activités agricoles
telle que préconisée dans les recommandations de la CNRF. Les
recommandations avaient omis aussi l'importance de rendre l'activité
agricole bénéfique aux communes à telles sortes qu'elle
puisse être une source de revenue pour elles. Ce qui pouvait permettre
à ces communes de tirer des revenues alternatives et trouver ainsi un
intérêt financier à protéger les activités
agricoles et protéger les espaces agricoles.
16
|