I. L'inefficacité des outils
réglementaires.
L'efficacité des outils de réglementations
fonciers rencontre des contraintes qui sont de divers ordres.
A. Les contraintes politiques et financières 1.
Dans la gouvernance foncière
Plusieurs contraintes expliquent l'ineffectivité des
outils de réglementation foncière. Ces contraintes
empêchent de prendre en compte les droits des populations locales en
matière foncière, ce qui favorise des opérations
d'accaparements à grandes échelles avec souvent la
complicité des pouvoirs publics. Au niveau national, les projets de
l'Etat pour booster le secteur de l'agriculture ont profité à une
certaine catégorie sociale composée de responsables de
l'administration, de dignitaires religieux et à la clientèle du
parti au pouvoir IPAR (2011).
C'est le cas aussi dans notre zone d'étude où
les des populations locales n'ont pas accès aux terres agricoles. Durant
notre enquête, 82.58 % des personnes déclarent que les jardins du
dimanche bénéficient plus des retombées économiques
tirées des activités agricoles que les populations locales. Ce
paradoxe s'explique par un faible taux de détenteur de vergers environ
14.39 % auprès des populations enquêtées. Ce constat peut
aussi s'expliquer par un climat d'insécurité foncière qui
pousse les propriétés terriennes non immatriculées
à vendre leur terre
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au risque de se faire déposséder et ne pas
être indemnisé , ce que confirme Ousmane Samb un jeune promoteur
habitant dans le village Keur Ndiaye Lo « les vergers appartenant
à certaines personnes qui n'ont pas d'acte de propriété,
sont confisqués sans être indemnisés par les promoteurs
avec la complicité de la commune » . L'autre raison se situe
sur l'accès aux informations quant aux procédures
d'immatriculations auprès des populations locales. Ces procédures
sont pour les populations difficiles et lentes et elles constitueraient
même une contrainte à l'immatriculation des terres. C'est cette
ignorance dans les procédures et surtout les difficultés
d'accès à la bonne information qu'une certaine catégorie
de la population, plus placée et informée sur la situation
foncière profitent de cette avance pour s'accaparer de centaines
d'hectares de terres dans la zone. En effet, la plupart de ces jardiniers du
dimanche sont des fonctionnaires de l'Etat ou d'anciens dignitaires des
différents régimes. Mais aussi, les contraintes politiques
à l'effectivité des outils de réglementations fonciers
sont à trouver dans les rapports qu'entretiennent l'Etat et les
collectivités locales, conditionnées selon les appartenances
politiques. Il en est ainsi des incohérences notées sur le
découpage administratif, maintenus toujours pour des raisons
jusqu'à là, inconnues. De même que la gouvernance
foncière des communes qui fait de la terre, un moyen d'entretien de la
clientèle politique. Les plus grands litiges dans notre zone
d'étude trouvent leurs sources dans les actes pris par l'Etat
(l'instauration de la délégation spéciale en 2011, de
même que l'accaparement des domaines du titre foncier Berthin) avec des
soubassements politiques, devenus à la longue, une contrainte dans la
gouvernance foncière. Les équipes municipales rencontrent des
difficultés pour contrôler la régularité des
constructions. Pour ce qui est de la délégation spéciale,
nombreuses parcelles qui font objet de litiges ont été
attribués du temps de la délégation spéciale, c'est
le cas de certains litiges comme Namorra et celui qui oppose aussi les
populations de Darou Salam 2 à la SENICO .En effet, s'agissant du
découpage administratif suivi de l'installation de la
délégation, nous avons remarqué que certains villages de
la commune de Bambilor comme Keur Ndiaye Lo, Kounoune rencontrent des
difficultés liées à un manque d'une administration de
proximité.
« Les populations ne se sentent pas impliquées
dans leur commune et ne se reconnaissent pas dans ce découpage
» dit El Hadji Mbaye Samb, chef du village de Kounoune. C'est
pourquoi selon lui, ces villages (Kounoune, Keur Ndiaye Lo, Keur Daouda Sarr et
Ngalap) ont déjà commencé à entamer une
procédure afin qu'ils soient regroupés en une nouvelle commune.
Mais actuellement dit-il « Kounoune et Keur Ndiaye Lo font l'objet
d'une forte bataille politique entre le maire de Bambilor et son adversaire
politique le maire de Sangalkam et
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ministre des collectivités territoriales qui
souhaite un nouveau découpage avec comme conséquence le
rattachement de ces villages à sa commune ».
2. Des contraintes qui mettent en échec toutes
velléités de reformes foncières
La commission nationale de la réforme foncière a
été créée par décret en décembre
2012, pour apporter des solutions aux limites de la loi sur le domaine
national. Ainsi, il s'agissait de « faire face aux défis d'un
accès équitable à la terre pour tous, de la
dégradation et raréfaction des ressources, des besoins croissants
de l'urbanisation et de la demande alimentaire, il est nécessaire de
créer les conditions d'une bonne gouvernance du foncier ».
Mais au-delà de ces objectifs, l'idée
était surtout de s'accorder sur une politique foncière
matérialisée par une loi foncière élaborée
de manière inclusive pour permettre à tous les citoyens
sénégalais d'avoir accès à la terre. Selon les
déclarations du président de la commission : « 95 % des
terres de ce pays ne sont ni dans le commerce juridique, ni dans le commerce
des Sénégalais, les Sénégalais ne sont pas
propriétaires au sens juridique du terme de leur propre terroir du
Sénégal. Sur 14 millions d'habitants, nous n'avons que 150.000
titres fonciers ».
Durant les travaux, la commission a regroupé tous les
acteurs afin de trouver une politique foncière consensuelle avec plus
118 réunions qui ont été organisées avec les
acteurs sur le territoire national. La commission a produit un rapport de
Document de Politique Foncière qui a été remis
officiellement au président de la République le 07 avril 2017. Ce
rapport devait être la première étape vers
l'élaboration du projet de la loi foncière. Mais quelques mois
plus tard, la commission fut dissoute par le président de la
République. Cette dissolution fut contestée par les acteurs de la
société civile qui voyait dans la création de cette
commission et des recommandations proposées, une bonne occasion de
résoudre les problèmes fonciers qui englobent des enjeux d'ordre
politique, économique, socioculturel et environnemental. Il faut dire
que même les membres de cette commission ne comprennent toujours pas les
raisons qui ont motivé le président à rejeter les
propositions de la commission, alors qu'il avait déjà
magnifié leur travail. Le président avait fustigé l'une
des recommandations de cette commission qui était de transférer
le droit de bail aux collectivités en ces termes : « Si, je le
fais, dans le mois qui suit, il n'y aura plus une seule terre au
Sénégal ». Mais certains membres de la commission disent ne
pas faire une telle proposition au Président.
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Cependant, ce rejet pouvait s'expliquer dans un contexte
d'approche des élections présidentielles. Toute reformes
pouvaient avoir un impact sur l'issue de ces élections, car la terre n'a
cessé d'être, un instrument d'entretien de la clientèle
politique. Cette même conclusion pourrait aussi s'appliquer à la
loi sur le littoral qui tarde encore à être adopté à
l'Assemblée nationale. Cette loi sur le littoral souffre plus d'une
question de rétroactivité qui pourrait menacer de destruction
toutes les constructions sur le littoral appartenant à des politiciens
et hommes d'affaires.
Mais les contraintes politiques seules ne suffisent pas
à mettre en échec ces projets de réformes. Les contraintes
d'ordre financier sont très souvent liées aux contraintes
politiques. La terre est une source de financement d'activité politique
et des acteurs comme les promoteurs et ceux qui étaient censés
contrôler son utilité, en font une réserve
financière pour les activités politiques de leurs camps. Il
existe aujourd'hui de nombreux promoteurs politiciens dans les communes de
Bambilor et de Tivaouane-Peulh-Niague qui soutiennent et font partie des
équipes municipales actuelles, ce que fustige certains promoteurs dont
Madiara Siby, jeune promoteur, «les promoteurs qui sont dans le
même bord politique que le maire bénéficient le plus de
marché et de projets de terrassement ». Ce qui constitue un
obstacle à une bonne gouvernance foncière durable. Les
contraintes politiques et financières ont accentué l'important
déséquilibre qui existe sur l'accès, et même
l'occupation des terres entre la majorité des populations et quelques
minorités privilégiées. Ce déséquilibre
entretenu par la spéculation foncière, place la terre dans une
position inaccessible pour les classes pauvres, et même moyennes.
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