II. Barcelonnette, ville enclavée au rôle
fédérateur sur son territoire
alentours, entre contraintes et potentialités
d'une petite ville structurante 16
1. Une méthodologie analytique et empirique pour
comprendre un sujet
majeur, transversal à tous les domaines politiques 16
A. Des données qualitatives et quantitatives pour
éclairer notre propos 16
B. Des entretiens semi-directifs pour comprendre les
problématiques en jeu 17
C. Des limites méthodologiques inhérentes à
la recherche dont il faut avoir
conscience 18
2. Un territoire organisé le long de l'Ubaye,
articulé entre une communauté
des communes et une association de territoires, qui joue un
rôle prépondérant
dans le développement local et les projets d'avenir 19
A. Un territoire centralisé autour de l'Ubaye, qui va de
sa source au lac de
Serre-Ponçon 19
B. Un environnement riche et fragile sur lequel repose une
économie locale
importante, qui doit être protégé pour
perdurer dans le temps 20
C. Une consommation énergétique majoritairement
saisonnière et largement
tournée vers le secteur résidentiel et les
transports routiers 24
3. Un territoire pertinent pour aborder la problématique
de la transition
durable dans les territoires ruraux isolés 25
A. Un secteur économique saisonnier
éloigné de l'influence d'une métropole 25
B. Le Pays S.U.D., entre développement rural et
volonté d'être précurseur
dans la résilience 27
C. Un TEPOS pertinent compte tenu des potentialités
énergétiques 28
III. Un territoire divisé en plusieurs
entités politiques qui peine à porter les
projets de transition durable 34
1. Des décideurs locaux pour aborder la
problématique à différentes échelles 34
2. Des projets pléthoriques, qui répondent
à des logiques de priorité et de
budget 35
3. Des freins liés à des problématiques
locales propres aux petites villes 42
4. Différents outils peuvent être mis en oeuvre
à l'échelle des petites villes
pour exploiter les potentialités locales 46
Conclusion 53
1
INTRODUCTION
Les considérations écologiques ne sont pas
nouvelles. Dès le début des années 1960, de nombreuses
voix s'élèvent pour alerter contre les dérives
liées à nos modes de vie. En 1962, Rachel Carson publie «
Silent Spring » et enclenche une vague de prise de conscience dans le
monde occidental. Cette vague écologiste, d'abord cantonnée aux
individus eux-mêmes, ne tarde pas à se répandre dans les
sphères politiques. Cela a eu pour conséquence de politiser le
développement durable comme un objectif transversal à toutes les
disciplines, un fil conducteur pour lequel chacun doit prendre ses
responsabilités. Les années 1970 marquent l'entrée dans
une nouvelle ère en termes d'écologisme. Les premières
considérations à propos de l'ozone en Antarctique ainsi que
divers effets néfastes entraînent l'émergence successive de
Greenpeace (1971), du premier sommet de la Terre (Stockholm, 1972), du Rapport
Meadows (1972) et du Mouvement Écologique en France (1974). La fin de la
décennie est marquée par les catastrophes de Seveso (Italie,
1976), de l'Amoco Cadiz (France, 1978) et de Three Mile Island
(États-Unis, 1979).
Il est vite mis en exergue que le développement durable
passera par une adaptation des comportements à toutes les
échelles et pas seulement à l'échelle des puissances
étatiques. Cela a mené à la création des
Conférences des Parties (COP), dont la première édition
à Berlin en 1995 a rassemblé des acteurs non gouvernementaux
divers et variés (ONG, associations, villes, entreprises et
citoyens).
Cette prise de conscience générale de toutes les
strates a développé la marge d'actions des villes pour en faire
des acteurs à part entière dans la lutte contre le changement
climatique. La décentralisation du pouvoir décisionnel leur a
permis d'envisager un développement à l'échelle
territorial, plus à même de répondre aux
spécificités locales. Depuis, les théories et projets se
multiplient dans le monde et de nombreuses villes s'inscrivent en
pionnières de nouvelles formes d'urbanisme et de développement.
Les villes font de cette « course à la durabilité » un
argument marketing, mais pas seulement. Elles aspirent à intégrer
leurs citoyens dans un processus général dans lequel tous les
aspects sont abordés sous l'angle du développement durable et de
ses trois piliers : l'environnement, l'économie et le social.
Cet élan renforce les villes et les rend plus
indépendantes. Cependant, ces actions nécessitent des ressources
humaines et financières importantes, d'autant plus que le recul sur le
développement durable étant encore faible, elles sont en phase
d'expérimentation de la ville durable. A ce titre, il convient de
dissocier les grandes villes et/ou métropoles, détentrices de
moyens conséquents, des petites villes isolées, dont la marge de
manoeuvre est, par définition, réduite.
Comment les petites villes participent-elles à la
transition écologique à leur échelle ? Peuvent-elles
être pionnières au même titre que les grandes villes ou
sont-elles condamnées à suivre voire se fondre dans ces
dernières ?
I. Les petites villes
,
2
des entités
limitées en termes de
compétences
et de moyens, qui doivent se
réinventer pour perdurer dans le
temps
1. Les petites villes, entre influence limitée et
pouvoir structurant
A. La petite ville, une entité floue pouvant être
abordée de différentes manières
Avant toute chose, il convient de définir ce qu'est une
petite ville. Le seuil statistique de l'urbain se situe aujourd'hui à 2
000 habitants, une petite ville ne peut donc en compter moins. Cependant, la
définition d'une petite ville varie fortement d'une étude
à l'autre et selon qui l'étudie. Par exemple, l'INSEE retient
régulièrement le seuil de 3 000 habitants pour comptabiliser les
petites villes, laissant ainsi un vide sémantique pour les villes entre
2000 et 3000 habitants. Les géographes, eux, adoptent
généralement un seuil de 5 000 habitants (MAINET, 2008).
Concernant la limite supérieure, il y a là aussi des fluctuations
avec une limite hausse généralement admise à 20 000/25 000
habitants (LABORIE 1997) (EDOUARD 2007).
Cependant, il est aujourd'hui difficile de définir une
petite ville en termes de seuil François TAULELLE souligne qu'»il y
a presque autant de seuils que de chercheurs» (2010). Ces seuils sont
amenés à varier selon les spécificités
géographiques mais aussi d'un pays à l'autre. Afin de
définir si une ville est petite ou moyenne, il ne faut pas seulement
prendre en compte le seuil de population. Il est nécessaire aussi de
mesurer sa taille de manière proportionnelle avec les villes alentours
(DEMAZIERE, 2017). Il est possible de considérer les petites villes et
les villes moyennes comme des entités plus ou moins similaires en ce
sens qu'elles constituent des pôles urbains de l'espace non
métropolisé (KAYSER, 1969).
Selon J-P Frey, «si l'on peut toujours donner un chiffre
approximatif au titre d'ordre de grandeur pour qualifier de petite ville une
agglomération par rapport à d'autres, seules ses
caractéristiques intrinsèques permettent de sortir le chercheur
de l'embarras » (FREY, 2002). De fait, il est réducteur de
n'utiliser que les seuils pour définir la taille d'une ville même
si cela apporte une première indication sur la forme urbaine. Il faut
donc ajouter une nouvelle variable pour rendre la définition plus
précise. Cette couche supplémentaire, c'est la fonction urbaine.
Cette variable est liée à la taille et plus une ville est grande,
plus elle accumulera de fonctions. La fonction urbaine permet de
pondérer le poids des villes dans leur environnement proche. Ainsi, une
petite ville pourra bénéficier d'une zone d'influence
étendue, tandis qu'une ville moyenne pourra être phagocytée
par la proximité d'une métropole ou d'une autre ville avec
laquelle elle partagera les fonctions (TAULELLE, 2010).
3
Les études sur les petites villes se sont longtemps
cantonnées aux monographies, les chercheurs ayant porté leurs
efforts sur les «monstres» (GEORGES, 1968). Cependant, elles sont
aujourd'hui considérées par certains auteurs comme «un outil
de connaissance des changements qui affectent tout le pays» (Laborie,
1997). A partir des années 1990/2000, les problématiques
liées aux petites villes se multiplient et elles apparaissent comme des
territoires riches d'enseignements. Les résultats obtenus peuvent ainsi
être transposés à un niveau plus global (EDOUARD, 2012).
Cependant, les études récentes sur les territoires ruraux
montrent que les «second towns» sont impliquées dans
des changements sociaux et économiques plus larges que leur territoire
(DEMAZIERE, 2015).
B. Le développement des petites villes : de la
décentralisation des politiques à la gouvernance locale
Le contexte du développement a progressivement
changé et ce pour trois raisons. Dans un premier temps, la hausse des
mobilités a transformé les espaces ruraux en espaces de flux
entre les villes et les campagnes. De fait, il n'est plus possible aujourd'hui
de faire l'impasse sur les territoires ruraux lorsqu'on raisonne en termes de
structuration spatiale (HERVIEU, VIARD 2001) (LACOUR, 2005).
Deuxièmement, l'échelle de mise en place des politiques -
progressivement réduite - a poussé à la mise en place de
systèmes de gouvernance territoriale. Enfin, l'augmentation de la
contractualisation et des documents régissant les orientations à
venir (SRU, Loi Urbanisme et Habitat) modifie la nature des décisions
prises pour l'avenir du territoire.
A partir des années 1970, des politiques
spécifiques succèdent aux politiques des métropoles
d'équilibre de la décennie précédente. Ces
politiques visent à accompagner la croissance démographique des
petites et moyennes villes en réhabilitant les centres-villes pour
améliorer leur rayonnement (TAULELLE, 2010). Ces politiques s'amplifient
à partir des années 1990 pour harmoniser la répartition
des hommes et des activités sur le territoire français.
D'un point de vue de la gouvernance des territoires ruraux,
sont associés d'une part la proximité géographique des
acteurs et d'autre part la proximité organisée. Il y a donc une
logique de voisinage entre les acteurs mais aussi une logique de similitude qui
les lie. De plus, la gouvernance régit et organise les rapports locaux
mais aussi les rapports avec les acteurs extérieurs au territoire mais
qui peuvent potentiellement y jouer un rôle (ANGEON, BERTRAND, 2009).
Comme le précise B. Pecqueur et J-B. Zimmermann (2004) : « la
proximité géographique est subordonnée à la
proximité organisée », la proximité
géographique jouant davantage un rôle de mise en contexte de la
problématique (BERTRAND, MOQUAY, 2004). Plus le territoire est petit,
plus la cohérence entre les projets est amplifiée. Cela est
dû au fait que la proximité organisée est plus facile
à mettre en oeuvre sur des territoires limités (ANGEON, BERTRAND,
2009).
4
C. Un contexte fluctuant, entre exode rural et
externalité négatives : la petite ville face à ses
problématiques actuelles
Les territoires ruraux ont longtemps fait office d'espaces de
production agricole et la politique agricole de la France a entretenu cette
représentation. Cependant, nous observons aujourd'hui une baisse de la
production et donc des revenus qui oblige à envisager une reconversion
de ces territoires afin d'en assurer la pérennité future (CORNET,
AZNAR, JANNEAUX, 2010).
C'est un fait, les métropoles prennent une place de
plus en plus importante dans leur territoire et, de ce fait ont une influence
sur les petites villes environnantes. Pour François GRETHER, «
L'attraction des grandes villes se fait au détriment des petites
» (site Batiactu, 2013). En observant les effets de la
métropolisation, il est possible de souligner que les villes se
spécialisent. Ainsi, les villes petites et moyennes qui intègrent
ces super agglomérations peuvent se voir cantonnées à des
fonctions de villes dortoirs ou d'autres fonctions telles que la ville
commerce, la ville travail ou la ville administrative (LEGUE, 2006). L'effet de
polarisation des richesses et des hommes est un autre effet de la
métropolisation qui peut toucher les villes se situant même en
dehors de l'aire d'influence directe (TAULELLE, 2010). Cependant, les petites
villes conservent un pouvoir structurant de leur territoire alentour, c'est
pourquoi il semble judicieux de ne pas trop concentrer les services et la
population dans les métropoles mais plutôt tendre vers un
équilibre ville/campagne qui saurait permettre aux deux configurations
de perdurer de manière complémentaire (FEREROL, 2016).
Les territoires ruraux peuvent aujourd'hui être
envisagés selon la typologie proposée par la DATAR en 2011
(PISTRE, 2015) :
? Les campagnes des villes, du littoral et des vallées
organisées ; ? Les campagnes agricoles et industrielles ;
? Les campagnes vieillies à très faible
densité.
L'espace rural se caractériserait par un vieillissement
de la population ainsi qu'une pauvreté croissante (LE RAMEAU, 2016).
Cependant, nous observons une inversion de la tendance à l'exode rural.
En effet, depuis 2012, 1,5 millions de personnes ont déserté les
villes pour s'installer dans les espaces ruraux (RIVAT, 2017). Ces personnes
sont à la recherche d'un mode de vie plus sain et un retour à une
consommation locale plus écologique et économique (PISTRE, 2015).
On observe dans l'espace rural une plus grande résistance au
chômage et il bénéficie d'un attrait marqué de la
part de la classe moyenne qui recherche sa qualité de vie et un
accès à la propriété simplifié. Pour autant,
force est de constater que les espaces ruraux sont très
dépendants de l'économie des pôles urbains environnants, ce
qui les rend statistiquement plus précaires que les espaces urbains
(CORNET, AZNAR, JANNEAUX, 2010).
5
2. La transition écologique, un concept jeune qui
oblige la ville à se réorganiser
A. La ville, un modèle qui s'essouffle, en quête de
renouveau
Le modèle des villes tel que nous le connaissons est en
train de s'épuiser. En témoignent les dysfonctionnements qui
commencent à apparaître tels que la hausse du chômage, la
précarité énergétique ou encore la hausse des
inégalités économiques. Afin d'améliorer l'impact
que l'écologie a sur les actions concrètes, il faut la sortir de
son discours alarmiste et aller vers un raisonnement pragmatique. Si cela a
été utile pour alerter les populations des dangers liés
à notre mode de vie, il faut aujourd'hui en sortir pour mener des
politiques cohérentes et réalistes. Jusqu'à
présent, la volonté d'aller vers une société
efficace et efficiente a fait que la science et la technique ont
privilégié les processus économiques (STATIUS, 2017). La
faible prise en compte des voix citoyennes ne fait que renforcer le clivage
Nature/Société. Cela a pour effet de considérer
l'environnement comme une variable technique et pas comme un objet transversal
à toutes les politiques. Le sentiment d'impuissance s'en trouve ainsi
renforcé (LAIGLE, 2013).
Or la transition écologique peut se définir,
selon Lydie LAIGLE (2013), d'une part par les associations et citoyens qui
désirent agir sur leur territoire et se réapproprient leur
environnement ; d'autre part par l'action publique dont le rôle est
basé sur la justice environnementale et de redistribution pour limiter
les inégalités des territoires.
Pour aller vers un processus de transition, il est
nécessaire que les pouvoirs publics portent ces projets. Les objectifs
et principes directeurs sont ainsi édictés à
l'échelle nationale mais les modalités d'actions peuvent
être adaptées en fonction de la spécificité de
chaque territoire, tant que cela va dans le sens des objectifs (RIVAT, 2017).
Cela est notamment important car le retour sur investissement de ces projets
écologiques est trop lointain pour attirer des investisseurs
privés. De plus, il est important, en parallèle de ces
transitions, de former la population à l'écologie afin de fournir
la filière en travailleurs qualifiés. Enfin et pour pallier
à l'urgence, les pouvoirs publics peuvent encourager la réduction
de la dépendance des habitants aux énergies non renouvelables.
Une des solutions possibles en termes financiers se situe du côté
de la Banque Centrale. Cette dernière pourrait accorder des prêts
avantageux aux projets écologiques afin de lever le verrou financier qui
bloque parfois ces initiatives (GRANDJEAN, 2012).
Les petites villes ont vu leur statut changer avec le retrait
progressif des services publics. La tendance à la métropolisation
a, en effet, eu un effet polarisant sur les services publics qui ont
progressivement déserté les territoires ruraux (TAULELLE, 2010).
Suite au retrait progressif de l'État des territoires ruraux, les villes
ont du effectuer un travail de diagnostic afin d'identifier les forces et les
faiblesses de leur territoire afin de les exploiter au mieux (DEMAZIERE, 2007).
Ce diagnostic a permis d'intégrer la transition durable dans les visions
d'avenir des petites villes qui peuvent ainsi prendre un nouveau départ
et se libérer des modes de pensées nationaux.
6
Différents auteurs se sont penchés sur la
question pour essayer d'extraire les grands axes d'une transition. Compte tenu
que la transition est un phénomène récent, il est
aujourd'hui difficile d'avoir suffisamment de recul pour juger du
bien-fondé de ces axes. Alain GRANDJEAN dénombre 3 axes pouvant
être développés pour organiser la transition
énergétique :
· Réduire la consommation des ressources en
augmentant l'efficacité énergétique, en réduisant
les déchets à la source ou en pensant le bâti dans un
diptyque incluant le transport ;
· Substituer progressivement les technologies propres
aux technologies existantes pour un passage en douceur vers un mode de
fonctionnement plus durable ;
· Prendre en compte la valeur intrinsèque des
écosystèmes et investir dans leur restauration et/ou
préservation.
Selon Rob Hopkins, il y a 3 composantes essentielles pour
amorcer une transition durable :
· Relocaliser les activités sur le territoire en
question ;
· Encourager les actions locales pour redonner vie au
territoire ;
· Resserrer les liens de proximité afin de
créer une réelle autonomie du territoire.
Quelles sont les capacités des municipalités
pour influer sur la transition écologique ? Cette question mérite
d'être posée. Car si la transition écologique est l'affaire
de tous pour aller vers des modes de fonctionnements plus résilients, il
n'en demeure pas moins que les spécificités locales obligent
à ajuster les variables en fonction du territoire. A ce titre, les
métropoles en font un argument de marketing territorial qui peut
être déconnecté des véritables actions
(HOULLIER-GUIBERT, 2009). Les villes petites et moyennes ne peuvent pas
être comparées à des métropoles. Elles se situent
dans un vaste entre-deux entre le bourg et la métropole (TAULELLE,
2010). A ce titre, les moyens mobilisés et les freins à la
transition ne sont pas les mêmes. La proximité de l'échelon
municipal avec les habitants renforce l'accessibilité et la
possibilité d'influer sur les politiques, comme le dit Mathieu RIVAT
(2017) : « La mairie devient un espace d'où peut se penser et se
construire une autre manière d'habiter un territoire ». Il est
possible de voir la petite ville comme un lieu de construction des pouvoirs,
avec des relations très marquées entre l'administration et les
élus et des relations sociales très fortes. Les élus ont
des potentialités importantes en matière de négociations
de politiques d'aménagement du territoire (TAULELLE, 2010). Mathieu
RIVAT va plus loin en affirmant que la taille d'une ville est importante dans
le processus de prise de décision. En effet, une petite ville n'a pas de
structures lourdes, divisées en d'innombrables services et permet donc
de faire bouger les choses plus rapidement et de conclure : « En
matière de démocratie, la question de l'échelle est
essentielle ». De fait, il importe aujourd'hui de reléguer les
politiques du type « top-down » pour passer à des politiques
dites « bottom-up » dans lesquelles les décisions sont prises
du bas vers le haut. Ainsi, les habitants ne se font plus imposer la ville mais
peuvent agir sur cette dernière (LEVY, 2009). Les
réintégrer dans le processus décisionnel, c'est leur
donner la possibilité de mesurer pleinement la force des enjeux qui
façonnent cet organisme vivant qu'est la ville (JOUVE, 2007). Cela
constitue une expérience à l'échelle locale qui ne peut
être que
7
bénéfique et entraîner des réponses
plus adaptées, il est souvent reproché à la ville
d'engager des experts qui apportent des réponses
stéréotypées, venues d'ailleurs (CHEMETOV, 1994).
B. La transition, un concept jeune, qui passe par
l'implication des citoyens dans les processus de décision
Les petites villes ont ceci de particulier qu'elles peuvent
mobiliser plus facilement les citoyens. Comme nous l'avons vu
précédemment, l'absence de structures lourdes et la
proximité avec les élus permettent d'envisager la consultation
des habitants comme une procédure efficace et relativement simple
à mettre en place. Afin de permettre la transition, il faut permettre
aux citoyens de se saisir des questions et problématiques liées
à la transition écologique. Ainsi, il est primordial de les
consulter et d'être attentif à ce qu'il se passe au niveau
associatif. C'est par ces relais que les habitants se sentiront
impliqués et en mesure d'apporter leur pierre à l'édifice
(LAIGLE, 2013). Il y a des sujets qui requièrent une technicité
importante évinçant de fait les habitants de la participation et
de la co-construction. Cependant, les habitants peuvent être
impliqués à leur échelle et en fonction de leurs
compétences, en collaboration avec les experts des cabinets d'urbanisme
(RIVAT, 2017). Impliquer les citoyens dans les décisions en
matière de transition écologique permet de les rendre plus
responsables et plus critiques. Leur implication est donc aussi une
manière d'influer sur leurs comportements. Cela peut être
amplifié par des initiatives telles que la mise en place d'un
système d'actions qui permet aux citoyens d'investir et donc de rentrer
au capital d'un projet écologique pour être encore plus
impliqués dans le développement des alternatives durables (RIVAT,
2017). Bien que la gouvernance nécessite de revoir l'organisation des
acteurs sur le territoire, il est possible d'observer que les acteurs locaux
ayant comme objectif la transition durable se sont déjà
organisés à leur échelle. Par exemple, les producteurs
désireux de valoriser les circuits-courts ont mis en place des
systèmes tels que les AMAP ou la vente directe afin de prendre les
devants sur l'organisation générale du territoire (EYCHENNE,
2014). Ce sont des expériences que les élus locaux doivent
prendre en compte afin d'intégrer ces actions à un niveau
municipal. Il est, aujourd'hui, difficile d'interpréter la
démarche en faisant un retour d'expériences. En effet, la
démarche étant encore jeune, les données
récoltées ne permettent pas de faire un retour probant sur ces
initiatives. C'est pourquoi il peut être intéressant de se tourner
vers les acteurs qui se sont déjà organisés en ce sens.
Bien qu'ayant un recul encore limité, ils ont parfois des années
d'avance et des premiers feedbacks qui encouragent les démarches
à perdurer (EYCHENNE, 2014).
Pour permettre la participation des citoyens, il faut
organiser des débats dans lesquels tous les échelons se
confrontent afin d'aboutir à des pistes et des solutions pour amorcer la
transition écologique. Les initiatives citoyennes apportent un regard
citoyen qui permet de compléter la vision d'ensemble des initiatives
publiques. Cela permet aussi de savoir quels sont les secteurs pour lesquels
les habitants sont prêts à consacrer du temps et de
l'énergie (LAIGLE, 2013). Afin de produire un débat de
qualité dans lequel toutes les parties sont impliquées, Philippe
BARRET dénote 3 conditions essentielles (2014) :
8
? Toutes les parties doivent être impliquées et,
surtout, chacune doit connaître à l'avance son niveau
d'implication ;
? Définir dès le départ le preneur de
décision ;
? Organiser un suivi et une continuité du débat
car tout ne peut être résolu en une seule réunion.
Malgré ces conditions, le débat peut être
freiné pour diverses raisons. Premièrement, le cadre du
débat. En effet, si les enjeux sont flous, les solutions trouvées
le seront tout autant et peuvent finalement s'éloigner du
problème concret. Deuxièmement, il convient de savoir qui finance
le dialogue ? Ce dernier a un coût qui est souvent supporté par
les décideurs qui doivent ainsi optimiser le débat. L'erreur
à ne pas faire serait de comparer le coût du débat avec le
coût du «non-débat». Enfin, et cela est un
problème qui se posera de plus en plus à l'avenir, le
débat avec toutes les parties oblige à revoir le rôle de
l'élu. Son pouvoir se trouvera diminué par la concertation,
cependant, le rôle de l'élu est peut-être amené
à passer de décisionnaire à organisateur du débat
(BARRET, 2014).
Pour aller vers la transition durable, les petites villes
possèdent un autre levier que beaucoup d'auteurs admettent comme
primordial. Il s'agit de la relocalisation des activités au sein du
territoire rural. La relocalisation des activités permet d'être
moins dépendant des énergies fossiles et plus résilient
face aux changements climatiques. Cela favorise de plus l'engagement citoyen et
la prise d'initiative par les habitants du territoire, pour le territoire.
Renforcer l'action locale permet d'envisager un développement durable
plus ancré avec son territoire. Les actions écologiques
trouveraient donc une utilité sociale en rapprochant consommateurs et
producteurs locaux, tout en valorisant les initiatives prises à
l'échelle du territoire (LAIGLE, 2013). Cependant, se concentrer sur
l'activité locale en favorisant les circuits courts ne veut pas dire
qu'il faille se couper de l'extérieur. Rester ouvert sur le territoire
environnant est primordial, ne serait-ce que pour ne pas fonctionner en circuit
clos et prendre le risque que les décisions soient
déconnectées des problématiques réelles (RIVAT,
2017).
Les territoires ruraux peuvent se retrouver dépendants
d'un employeur local ou d'un secteur d'activité. Un des principes de la
durabilité serait alors de tendre vers la diversification des
activités (RIVAT, 2017). Pour cela, les petites villes peuvent se
regrouper sous forme de «Pays» afin d'avoir un poids politique plus
important et une diversité accrue. Les lois sur
l'intercommunalité et sur l'aménagement (loi sur les pays de 1995
et loi Voynet puis Chevènement de1999) témoignent de ces (en)jeux
de pouvoirs avec les élus des villes petites et moyennes. Selon
François TAULELLE (2010), elles ont permis :
? De conforter les communes dans leur rôle de
centralité des intercommunalités ;
? A ces regroupements d'être porteurs de projets de
développement, notamment en raisonnant en termes de «Pays».
Les intercommunalités ont donné un rôle
de coordination des politiques locales aux villes petites et moyennes,
renforçant ainsi leur centralité au sein des Pays (LABORIE,
DELPEYROU, 2004).
9
3. Le développement territorial, un aspect
majeur dans la transition des petites villes vers un mode de vie durable
confronté à des défis de taille
Afin d'organiser la transition vers une société
plus résiliente, la petite ville doit adapter son développement
territorial en intégrant des notions de développement durable en
filigrane de toutes ses politiques. L'enjeu est plus compliqué qu'il n'y
paraît et même si les connaissances sur le sujet sont chaque jour
un peu plus poussées, il reste un long chemin à parcourir pour
tendre vers la durabilité.
A. La ville durable, comment créer le concept dans
l'imaginaire et la manière d'aborder la ville ?
Élaborer une ville durable, c'est avant tout impliquer
ses habitants dans les processus. Et pour cela, il faut que ceux-ci se sentent
appartenir à un tout qu'ils maîtrisent, façonnent et font
évoluer en fonction des principes du développement durable, mais
aussi de leurs besoins. La communication et l'information jouent des
rôles essentiels dans la prise de conscience des enjeux et une
communication ciblée sur la ville est de nature à créer et
renforcer l'attachement des habitants à leur lieu de vie (SAUVAGEOT,
1997). De nombreux auteurs se sont penchés sur cet aspect de la ville
durable et sur la communication à adopter pour aller dans ce sens. Cela
a conduit deux auteurs à qualifier la ville durable de « mythe
de la qualité totale » (THEYS, EMELIANOFF, 2001).
La communication de la ville répond à 3
objectifs qui agissent comme des lignes directrices (GAGNEBIEN, BAILLEUL, 2011)
:
? Connaître les comportements des habitants pour
éventuellement les pallier ou les encourager ;
? Mettre en avant le modèle prôné de la
ville ;
? Informer et éduquer les citoyens à d'autres
habitudes afin de tendre vers la durabilité.
Une fois ces principes mis en place, les débats
peuvent être plus constructifs et ont de nature à imposer le
développement durable de manière douce et transversale dans les
considérations d'avenir et cela grâce à de nouvelles normes
communicationnelles (GAGNEBIEN, BAILLEUL, 2011).
Créer un imaginaire autour de la ville durable, c'est
aussi envisager des formes de travail peu ou pas utilisées pour le
moment. Par exemple, de nombreux métiers peuvent aujourd'hui
bénéficier d'un aménagement en télétravail
afin de limiter les déplacements. Cela est d'autant plus vrai dans les
territoires ruraux où les habitants sont amenés à
parcourir des distances plus grandes qu'en milieu urbain et ce avec moins de
possibilités de se reporter sur les transports en commun ou les
mobilités douces (GANCE, 2013).
10
L'homogénéisation des modes de vie
entraîne une tendance à la métropolisation et à une
augmentation de l'influence urbaine. Le territoire rural a cette
particularité de présenter des avantages en matière de
flexibilité et de lutte contre l'inertie, et en ce sens il est
nécessaire de lutter contre cette uniformisation au profit d'une culture
du rural plus marquée et plus à même d'aller dans le sens
de la transition écologique (RHONALPENERGIE, 2012).
Nous observons ainsi des notions nouvelles telles que le
« city branding » qui peut permettre aux territoires ruraux
de tirer leur épingle du jeu. Cela consiste à mettre en avant les
atouts de la ville dans une stratégie de marketing territorial afin de
la rendre attractive auprès des populations et des entreprises (INSTITUT
JULES DESTRÉE, 2012). Pour renforcer ce poids, les villes peuvent se
rassembler en communauté des communes afin de mutualiser les forces et
les coûts et améliorer la qualité de leurs services.
Cependant, ce n'est pas la seule forme de rassemblement puisqu'au rassemblement
par proximité géographique s'oppose celui par thématique.
En effet, des regroupements tels que Cittaslow ou Réseau
international des villes du bien vivre ou le réseau SEKOM
(éco-municipalités) crée en Suède. Ce dernier a
été fondé à Övertorneå en Suède
en 1983 avant de s'étendre à 107 communes et consiste surtout en
un échange d'expériences entre les communes participantes afin de
mutualiser les connaissances et permettre un développement rapide de la
ville durable.
B. Les documents d'urbanisme et les agendas 21
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des outils efficaces pour amorcer la transition ?
Pour parvenir à leurs fins, les territoires
bénéficient de plusieurs outils leur permettant d'aller vers le
développement durable et la transition écologique.
En premier lieu, il y a tous les documents d'urbanisme qui
permettent de tracer les lignes directrices des projets urbains, avec en
tête de ceux-ci le Plan Local d'Urbanisme. Le PLU venu remplacer via
la loi SRU (2000) le Plan d'Occupation des Sols, permet essentiellement
d'effectuer un zonage dans les zones constructibles et non constructibles dans
les années à venir. Cependant, le PLU va plus loin que le POS en
intégrant un nouveau document, le Plan d'Aménagement et de
Développement Durable (PADD). Le PADD peut et doit refléter une
vision globale et politique de l'avenir de la commune, sous l'égide du
développement durable, en intégrant l'urbanisme, mais aussi le
logement, l'emploi, les déplacements (SCHMIT, 2006). Certains
critères sont imposés au niveau national par la loi Grenelle II,
à savoir un « urbanisme économe en ressources
foncières et énergétiques », cela présuppose
une lutte contre l'étalement urbain couplée à des actions
de densification des centres (GRENELLE II, 2010).
Afin de permettre la transition écologique, les
communes doivent agir sur plusieurs axes. Premièrement, le
développement durable doit être une notion transversale à
toutes les politiques locales qui doivent ainsi intégrer cette variable
dans toutes les planifications. Cela étant, il est nécessaire de
faire monter en compétences le personnel de la commune qui aura ainsi
des notions plus poussées en matière de développement
durable. Enfin, il ne faut pas hésiter à intégrer des
propositions du milieu associatif qui a souvent une expérience plus
poussée en matière d'initiatives
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durables (TORREALBA, 2014). Pour cela, la mise en place d'un
Agenda 21 est une manière d'intégrer les considérations
écologiques aux politiques de développement territorial. Comme
l'analyse Cyria EMELIANOFF (2005) : « Les agendas 21 locaux constituent la
traduction la plus immédiate ou la plus visible, puisqu'elle est
labellisée, de la problématique du développement urbain
durable ». Selon la définition de l'ICLEI (Conseil
international pour les initiatives écologiques locales) : «
l'agenda 21 local est un processus multisectoriel et participatif
destiné à atteindre les buts de l'agenda 21 au niveau local et au
moyen de la préparation et de la mise en oeuvre d'un plan
stratégique d'action sur le long terme, plan qui traite des enjeux
locaux et prioritaires du développement durable. » (1997).
Cependant, on déplore que cet outil fasse souvent la promotion de
politiques sectorielles, ne prenant pas en compte l'interrelation des
différents secteurs (ICLEI/DIFU, 1999). Comme le dit Christian GARNIER :
« Le contexte français reste fortement marqué par des
politiques initiées à l'échelon central, qui
découragent les initiatives décentralisées et
l'expérimentation locale » (1994). Cela étant, nous
observons que la France accuse un retard comparé à ses voisins
européens en matière d'agendas 21, les agendas 21 locaux n'ayant
pas réussi à s'imposer comme un outil efficace en matière
de transition durable (EMELIANOFF, 2005).
C. La transition durable, une vision ambitieuse de l'avenir,
qui peine encore à s'imposer comme la norme
Dans un premier temps, nous observons que de nombreuses
villes érigent des éco-quartiers comme autant de vitrines de
leurs actions écologiques, mais aussi comme des laboratoires de
solutions potentiellement transposables à la ville dans son
intégralité. Cependant, leur caractère exceptionnel leur
confère un surinvestissement financier et une marge de manoeuvre
déconnectée des véritables enjeux. De fait, les solutions
mises en place dans ces quartiers ne sauraient constituer des outils
transposables à toute une ville (SOUAMI, 2007). De plus, nous observons
un isolement marqué de ces quartiers par rapport au reste de la ville
qui les place comme des îlots déconnectés de la
réalité (TARDIEU, 2015).
D'un point de vue politique, nous pouvons constater que la
mise en place d'un agenda 21 local encourage la mise en place de politiques
sectorielles alors que le développement durable est censé
être transversal tant il concerne tous les secteurs de l'action publique
(MAINET, 2016). En théorie, le développement durable conserve sa
notion de transversalité mais les faits témoignent d'une gestion
sectorielle. De plus, et cela est primordial pour les territoires, il est
intéressant de se demander si l'échelle communale est aujourd'hui
la bonne échelle pour répondre aux enjeux à venir.
L'imbrication des communes sur de nombreux secteurs (transports,
assainissement, développement économique) nécessite
d'envisager la mise en place de politiques durables en collaboration avec les
communes voisines exerçant une influence sur la commune en question.
Dans une aire urbaine dense, la métropolisation est de mise pour
répondre à ces enjeux au sein d'un territoire élargi,
cependant, les territoires ruraux n'ont pas toujours la possibilité de
se regrouper en pôles pour mutualiser les forces et les risques (MAINET,
2016). L'incompatibilité des échelles globales et locales freine
le développement des collaborations et la mise en place des innovations
car les solutions ne sont pas transposables en l'état sur
12
d'autres territoires. Les spécificités de chacun
les encouragent ainsi à entreprendre des actions chacun de leur
côté (GUYONNET, 2007).
D'autres problèmes d'un point de vue politique sont
les échelles de temps des actions liées à la transition
écologique. En effet, les délais pour entrevoir le début
de résultats positifs dépassent largement ceux d'un mandat
politique. Ainsi, les élus ne sont pas enclins à prendre des
mesures qui pourraient leur porter préjudice pour ne donner des
résultats que bien après son mandat (GUYONNET, 2007). Cela
fragilise démocratiquement l'élu qui doit faire face à un
dilemme, à savoir prendre les risques de ne pas être
réélu mais d'entreprendre des actions durables, ou adopter une
stratégie managériale et raisonner à l'échelle de
son mandat (ADEME, 2013).
Enfin, nous observons que, bien que les connaissances
puissent être disponibles sur le territoire, leur fragmentation sur le
territoire et la sectorisation des compétences sont de nature à
favoriser l'inertie. D'où l'importance de d'intégrer en premier
lieu le développement durable dans tous les secteurs afin que l'objectif
soit commun et les actions concertées et combinées. Dans les
territoires ruraux, cela passe par les initiatives et les convictions d'un ou
d'une poignée d'élus. En effet, un élu réfractaire
au développement durable peut, dans les petites communes, freiner le
développement de ces projets (ADEME, 2013).
Nous observons qu'en matière de ville durable, le
volet environnemental est largement mis en avant, ce qui impacte les deux
autres volets du développement durable, à savoir l'aspect
économique et social (LEVY, 2009). De plus, la conception de la ville du
futur telle qu'elle est mise en avant pourrait, à termes,
générer de nouveaux problèmes et questionnement, notamment
au niveau de l'égalité hommes/femmes. En effet, la participation
citoyenne est avant tout une affaire d'hommes, tandis qu'en supprimant des
moyens de transport comme la voiture, nous supprimons un moyen de protection
aux femmes qui encourent statistiquement plus de risques en milieu urbain que
les hommes (RAIBAUD, 2015). Ainsi, tendre vers la ville durable n'est pas
tendre vers une ville sans défaut mais plus vers une perfection de
façade, il ne faut pas forcément verser dans l'utopie qui
voudrait que « changer la ville, c'est changer la vie », et
opposer trop fermement une ville telle que nous la connaissons aujourd'hui avec
son pendant utopiste, durable et libérée de toutes contraintes
(LEVY, 2009).
Enfin, pour illustrer les dilemmes auxquels la ville durable
est confrontée, nous pouvons prendre le tristement célèbre
exemple de Dongtan en Chine. Afin de contrebalancer les images négatives
renvoyées par les villes chinoises, de congestion et de pollution, la
Chine a annoncé le projet d'une ville durable à la pointe de la
technologie et bénéficiant des dernières innovations en
matière d'écologie. Ville autonome en énergie, transports
en communs réguliers et sans émissions de gaz à effet de
serre, recyclage des eaux usées, des déchets, etc. Tels ont
été les maîtres mots de la construction de ce projet
faramineux qui n'a finalement pas vu le jour. Pour expliquer l'échec, il
est possible d'invoquer de nombreuses raisons, parmi lesquelles la
création ex-nihilo. En effet, le territoire sur lequel s'est construite
la ville était une réserve ornithologique, ce qui a
contribué à ternir l'image du projet. De plus, sans réelle
culture de la ville de la part des potentiels habitants, du fait de sa
nouveauté, aucun investisseur ni employeur n'a eu la capacité de
contenir une population qui devait s'élever à 500 000 habitants.
De fait, un pont à 8 voies a été
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construit spécialement pour mener les habitants
à Shanghai afin de travailler, contribuant ainsi à un
excès de pollution liée aux véhicules. Enfin, et ce sont
des critères que nous avons pu retrouver tout au long de cet
énoncé, le coût de ces constructions était tel que
l'accès à la propriété devenait prohibitif pour une
majorité de chinois, excluant de facto le volet social du
développement durable en empêchant toute mixité sociale
(MEQUIGNON, MIGNOT, 2015).
L'erreur que peuvent commettre les villes, dans leur
désir de durabilité, est de composer sans les habitants qui se
retrouvent ainsi laissés de côté. Or ce sont eux qui font
et façonnent la ville, comme l'écrivent MEQUIGNON et MIGNOT dans
un article paru en 2005 [s1] : « Elle est le lieu de l'habitat, ce qui
pose alors [...] les questions de l'habiter ». Se pose alors la
question de l'accès à la propriété. C'est un
phénomène qui a déjà été
observé : une politique trop ambitieuse, voire hors sol (îlots ou
éco-quartiers) en matière de développement durable, a de
fortes chances de conduire à une gentrification des centres urbains et
à une baisse de la mixité. Or une ville ne peut pas être
durable si elle est élitiste, cela va à l'encontre des principes
directeurs. Le problème peut d'autant plus être important qu'une
réhabilitation des centres couplée à des restrictions sur
l'utilisation de la voiture personnelle va, d'une part, éloigner les
classes les plus pauvres du centre-ville, mais aussi les marginaliser par
rapport à leur utilisation de la voiture pour revenir vers ces centres.
Cela peut générer des « captifs du périurbain »
(ROUGE, 2005) voire conduire à la création de ghettos (GUYONNET,
2007). C'est tous ces paradoxes que la ville durable doit intégrer dans
son désir d'aller vers l'harmonie environnementale, économique et
sociale, et cela nécessite d'être en mesure de pondérer les
décisions prises et d'identifier leurs éventuels effets
néfastes.
La participation citoyenne, nous l'avons
évoquée plus haut, est un critère primordial dans
l'élaboration de la ville durable. Cependant, tous les quartiers ne
participent pas avec la même intensité aux processus
décisionnels. Les quartiers où la mixité sociale est la
plus forte enregistrent aussi le plus fort taux de participation. Des habitants
aux profils pléthoriques, allant du jeune adulte peu
diplômé au cadre exerçant une profession intellectuelle en
passant par la personne retraitée, favorisent le débat et la
confrontation. A l'opposé, les quartiers plus homogènes,
composés soit de personnes aisées soit d'une population aux
revenus faibles ne sont pas aussi dynamiques (LES GRANDS DOSSIERS DES SCIENCES
HUMAINES, 2015). Il faut aussi envisager les quartiers comme des vases
communicants. Par exemple, un quartier qui va limiter la circulation de
véhicules motorisés entrainera deux conséquences.
Premièrement, une gentrification du quartier par le gain en
tranquillité lié à la mesure. Deuxièmement, un
report des flux de circulation sur les quartiers voisins, et donc une
dévalorisation foncière (HUMAIN-LAMOURE, 2015).
Anne-Lise HUMAIN-LAMOURE va plus loin dans les limites de la
participation citoyenne, notamment en termes de concurrence entre les citoyens
et le milieu associatif qui oeuvre dans le secteur parfois depuis longtemps. A
cela s'ajoute aussi une différence de poids de parole et les citoyens
les plus éduqués vont briguer plus facilement le débat car
ils ont des chances d'être plus familiers du processus. Le risque
étant que la ville se façonne finalement à leur image,
sans tenir compte de la mixité sociale et des situations sociales
différentes. Enfin, un dilemme se pose concernant la forme de la
démocratie participative. Sans modérateur, la réunion peut
vite devenir une litanie de doléances et renforce l'idée de
réunions
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institutionnalisées. Cependant, elle souligne trois
limites : la mise en scène trop formelle, un accès au conseil
plus difficile et des débats qui peuvent s'avérer biaisés
par les municipalités si le projet discuté est déjà
mis en route.
La ville est à un tournant de son histoire. Les
nouveaux enjeux environnementaux, couplés à une
possibilité d'actions accrue des villes, leur confèrent une
responsabilité à l'échelle locale et internationale. De
fait, nous observons que sa forme change, ainsi que son organisation et sa
planification.
Si la ville a longtemps été un organisme froid,
déconnecté de ses habitants, elle aspire aujourd'hui à
plus de participation de ses citoyens dans les décisions à
prendre. L'enjeu est primordial, il faut, aujourd'hui, composer la ville qui
vivra des décennies, en diminuant son impact sur l'environnement, ses
habitants et sa dynamique. Ainsi, le volet environnemental est important, mais
il est loin d'être le seul aspect à prendre en compte. La
mixité sociale et la croissance économique sont autant de
variables nécessaires à la pérennité de la
ville.
Nous l'avons vu, les réponses à apporter pour
aller vers la transition écologique ne sont pas clairement
définies. Cela est dû à la jeunesse des
considérations et à un retour d'expériences faible voire
inexistant. En effet, les échelles de temps afin de valider
l'efficacité d'une démarche sont bien plus longues que les
mandats politiques. Cela pose le problème de la continuité des
actions au-delà des mandats. Enfin, chaque territoire ayant des
spécificités en matière géographique,
organisationnelle, démographique et en termes d'impacts sur son
environnement, les solutions ne peuvent être dupliquées de
manière stéréotypée et chaque ville doit effectuer
un travail de recherche spécifique avant d'entamer un processus de
changement.
C'est en ce sens que les petites et les grandes villes
diffèrent. Les grandes villes et métropoles disposent de moyens
humains et financiers conséquents pour établir un diagnostic
précis de leurs territoires. Elles bénéficient aussi d'un
fort attrait économique qui rend l'émergence d'initiatives plus
viable. Les petites villes, quant à elles, sont souvent isolées
et peu dynamiques comparées aux métropoles. De fait, elles
doivent composer avec les moyens présents pour établir un
système efficient qui ne soit pas trop consommateur de budget public
tout en impactant l'économie de manière positive. Ce dilemme
renforce l'inertie des territoires, mais peut être pallié par une
implication plus forte des habitants. Cela est possible partout, mais est
efficace dans les petites villes qui bénéficient d'un territoire
réduit, ayant une taille plus humaine et sur lequel les retombées
des actions se verraient plus rapidement.
Bien que différentes dans leur structure, les villes
sont aujourd'hui l'échelle du développement durable. A ce titre,
elles concourent toutes vers l'objectif commun de réduire leurs impacts,
locaux dans un premier temps, mais globaux quand ils sont mis bout à
bout. Des coopérations locales et internationales voient le jour afin de
mutualiser les connaissances encore jeunes sur le sujet. Cette
coopération est vitale pour les petites villes qui, bien qu'elles ne
puissent les calquer telles quelles, peuvent s'inspirer de ce qui se fait
ailleurs afin de s'orienter dans la bonne direction.
Les décennies à venir marqueront
l'avènement d'une ville nouvelle, une ville réconciliée
avec ses habitants et son territoire. Et pour ce faire, il faudra en passer par
des choix audacieux, parfois impopulaires, mais toujours concertés. De
fait, les
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petites villes ont un rôle prépondérant,
de par leur nombre conséquent et la population qu'elles abritent.
Comment les petites villes participent-elles à la transition
écologique à leur échelle ? Nous faisons les
hypothèses - au regard de ce qui a été
rédigé précédemment - que les petites villes ont un
rôle prépondérant à jouer dans le
développement durable et sont en mesure de prendre en charge leur propre
développement à l'échelle locale. Pour cela, nous partons
du postulat qu'une petite ville aura certes des manques de compétences
et de moyens pour certains aspects, mais une plus grande marge de manoeuvre sur
d'autre. De fait, nous partons de l'idée qu'une petite ville, à
partir du moment où elle joue un rôle structurant sur son
territoire, a un rôle prépondérant à jouer dans
l'élaboration de projets de développement durable.
Nous nous concentrerons sur le cas de Barcelonnette, ville de
montagne de 2 000 habitants et qui a la particularité d'être une
petite ville qui fait office de bourg-centre et a donc un rôle
structurant sur son territoire alentours au même titre que ville de plus
grande envergure.
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