La renonciation au recours en annulation en arbitrage OHADApar A. Mariane Fabiola OBROU-ASSIRI Université Catholique de l'Afrique de l'ouest- Unité Universitaire à Abidjan (UCAO-UUA) - Master en droit privé 2020 |
Paragraphe 2 : Quant à l'ordre public substantielL'ordre public international ne se limite pas au domaine procédural, il vise aussi à protéger l'intérêt auquel la volonté individuelle ne saurait porter atteinte. Il est important de déterminer la substance des règles d'ordre public international. A ce niveau l'ordre public international est très difficile à conceptualiser (A) mais il n'est pas impossible (B). A- Conceptualisation presqu'impossible de l'ordre public international Pour certains auteurs, l'ordre public international est « une notion très souple »138(*) car il s'adapte à l'évolution des moeurs et de la société. C'est pourquoi il est difficile de le conceptualiser. En effet, dans le silence de la loi c'est au juge qu'il appartient de rattacher la règle à laquelle il confère un caractère d'ordre public international. On pourrait alors parler d'un ordre public implicite étant donné qu'il s'applique en l'absence de textes juridiques et tel que le conçoit le juge. Une telle détermination de l'ordre public international n'est pas chose aisée pour le juge. Aussi convient-il de souligner que c'est l'ordre public interne qui est transposé au niveau international. C'est à cet effet que Philippe Malinvaud écrit ceci : « l'ordre public est la marque de certaines règles légales ou réglementaires qui tirent leur suprématie de leur objet : la défense d'un intérêt général devant lequel doivent s'incliner les intérêts particuliers et les contrats qui les expriment »139(*). La leçon qu'on peut tirer de la pensée de Malinvaud est que l'ordre public qu'il soit interne ou international doit nécessairement protéger l'intérêt général au détriment de l'intérêt particulier. Par ailleurs, la commune volonté des parties à la renonciation au recours en annulation tient lieu de loi dans la mesure où les intérêts des parties ne piétinent point l'intérêt général. Dès lors que l'intérêt général recherché fait défaut, le juge ne peut que prononcer l'annulation de la sentence arbitrale. La prise en compte de l'intérêt général dans la conceptualisation de l'ordre public international n'est pas à négliger. Certes, il est difficile de le conceptualiser ainsi mais cela n'est pas impossible. Le législateur garde le silence sur la question de la systématisation de l'ordre public international c'est pourquoi le regard ne peut être porté que sur le juge. La conceptualisation de l'ordre public international est possible à travers le respect des intérêts de la société et de l'Etat. B- Conceptualisation possible à travers le respect des intérêts de la société et de l'Etat Il est question de l'ordre public politique et de l'ordre public économique. L'ordre public politique concerne les intérêts relatifs à l'Etat, à la famille et à la morale140(*). L'étude s'articulera sur deux points, étant donné qu'il s'agit de l'arbitrage OHADA. Il faut envisager d'une part la défense de la morale et d'autre part la défense de l'Etat. La défense de la morale se traduit le plus généralement par l'exigence de conformité des conventions arbitrales aux bonnes moeurs. Les bonnes moeurs sont définies comme une coutume morale, plus précisément comme « la morale, les goûts, et les modes de vie de l'élite culturelle dominants qui servent d'étalon aux bonnes moeurs »141(*). Elles sont parfois considérées comme une composante. Ainsi une sentence arbitrale qui n'est pas conforme aux bonnes moeurs peut être remise en cause pour non-conformité à l'ordre public international. C'est le cas par exemple d'une sentence arbitrale contraire au respect dû à la personne humaine ou d'une sentence arbitrale qui portent sur la réalisation d'un bien immoral. D'ailleurs si les parties ont prévu de renoncer au recours en annulation de cette sentence, la renonciation sera déclarée irrecevable puisque la sentence est contraire à l'ordre public international. Par défense de la morale il faut entendre aussi la sauvegarde de la liberté individuelle. Elle consiste à protéger la liberté de chacun dès l'instant que cette liberté porte sur un principe fondamental. Sachant bien évidemment que nous sommes en matière d'arbitrage, la sauvegarde de la liberté individuelle doit consister à protéger la liberté qu'ont les parties de renoncer à l'exercice du recours en annulation. La défense de l'Etat vise à protéger les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Etat142(*). Ces règles sont d'ordre impératif c'est-à-dire qu'elles ne peuvent être dérogées. A cet effet, une clause de renonciation sera rejetée si la sentence rendue par le juge arbitral est contraire à une règle de fonctionnement de l'Etat, à une règle d'ordre public politique. Assurer le bon fonctionnement de l'Etat permet de limiter la liberté individuelle, d'instaurer une sécurité et tranquillité publiques. Toute convention dérogeant aux lois d'ordre public (lois constitutionnelles, lois administratives, lois fiscales...) est frappée de nullité pour non-conformité à l'ordre public143(*). C'est le cas par exemple d'une convention d'arbitrage (contenant la clause de renonciation) qui porte atteinte à un droit fondamental de l'espace communautaire. Celle-ci sera frappée de nullité, parce que non conforme aux intérêts essentiels de l'OHADA. Pour mieux comprendre cette idée, on peut remplacer «la défense de l'Etat » par « la défense de l'espace communautaire ou de l'espace OHADA ». Ainsi lorsque la sentence rendue par l'arbitre est contraire à une règle de fonctionnement de l'administration communautaire par exemple, elle sera rejetée et si jamais les parties avaient renoncé au recours en annulation la renonciation aussi serait rejetée. Contrairement à l'ordre public politique, l'ordre public économique permet de limiter la liberté économique. L'arbitrage a vocation de résoudre les litiges d'ordre économique. L'ordre public économique est défini approximativement comme l'ensemble des normes qui prévalent sur la volonté des parties144(*). Pour l'éminent professeur Coulibaly Climanlo Jérôme : « l'ordre public économique consiste à supprimer la liberté contractuelle en imposant une réglementation impérative des contrats »145(*). C'est dans ce sens que l'étude de l'ordre public économique présente tout son intérêt. Elle comprend l'ordre public économique de direction et l'ordre public économique de protection. L'ordre public économique de direction contient un ensemble limité de principes et règles intangibles146(*). Il s'agit de règles visant à protéger l'économie de marché et aussi à servir le développement des échanges de biens et de services. Ici, l'intervention de l'Etat dans les rapports contractuels des parties est favorable à l'utilité sociale car elle permet par exemple à l'Etat de bloquer ou de taxer les prix, d'exproprier, ...etc. L'ordre public économique de direction restreint la liberté du commerce et d'industrie. Au nom de cet ordre public, l'Etat sanctionne les pratiques concurrentielles comme la désorganisation, le dénigrement, l'atteinte à une marque protégée ou à un brevet déposé. En plus de restreindre la liberté du commerce et d'industrie, l'ordre public économique de direction restreint la liberté de concurrence et d'entreprendre. Dans ce domaine, les mesures prises par l'Etat visent à protéger l'intérêt général147(*). Elles sont impératives c'est pourquoi dès l'instant où la sentence arbitrale faisant l'objet d'une renonciation au recours en annulation heurte une restriction de l'ordre public de direction, la sentence est annulée et la renonciation est déclarée irrecevable. L'ordre public économique ne vise pas uniquement à protéger l'intérêt général. Il vise aussi à préserver l'intérêt de certaines catégories de personne en situation de faiblesse148(*). L'ordre public économique de protection tend à protéger les droits de la partie jugée faible dans la convention149(*). Plus concrètement, c'est l'ensemble des mesures impératives visant à protéger les individus150(*). Il revêt un enjeu majeur pour la vérification de la prise en compte des intérêts de la partie faible151(*). Il est beaucoup fréquent dans le droit de la consommation152(*). En effet dans le domaine de l'arbitrage le législateur OHADA impose que les parties soient traitées impartialement. Mais en pratique, on note un inégal traitement des parties en raison de l'impécuniosité d'une d'entre elles. Puisqu'à ce niveau le législateur ne peut pas se prononcer, c'est donc l'arbitre qui est amené à restaurer cette égalité en application de l'ordre public économique de protection. Ainsi dès l'instant où la clause de renonciation n'est pas conforme à l'ordre public économique de protection, la sentence arbitrale peut connaître d'un recours en annulation. Le juge doit faire prévaloir les règles d'ordre public économique sur la volonté des parties, peu importe les circonstances. L'ordre public international a ainsi une valeur centrale dans la vie économique, sociale et culturelle dans l'espace OHADA153(*). L'imprécision du contenu de l'ordre public international n'est pas la seule entrave à l'effectivité de la renonciation au recours en annulation. Il existe d'autres limites qui remettent en cause son effectivité. * 138TERRE (F.), SIMLER (Ph.), LEQUETTE (Y.), Droit civil : les obligations, Dalloz, 2007, coll. « précis », n° 375, p381, op. cit. * 139MALINVAUD(Ph.) et FENOILLET (D.), Droit des obligations, LexisNexis, 2012, n°267, p.207-208. * 140 « La notion d'ordre public, définition, sources et contenu », en ligne sur : http://www.doc-du-juriste.com/droit-prive-et-contrat/droit-civil/dissertation/notion-ordre-public-454781.html ?amp=1, [consulté le 26 septembre 2019]. * 141 OST (F.) et Van de Kerchove, « moeurs (bonnes) » Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, LGDJ et Story-Scientia, 1988, p.251. * 142 « L'ordre public, la conformité du contrat à l'ordre public », en ligne sur : http://www.cours-de-droit.net/l-ordre-public-a127575828/amp/, [consulté le 12 novembre 2019]. * 143 « La défense de l'Etat », disponible sur : http://www.cours-de-droit.net, [consulté le 8 octobre 2019]. * 144 « L'ordre public économique », en ligne sur : http://www.maxicours.com/se/cours/l-ordre-public-economique/, [consulté le 12 novembre 2019]. * 145COULIBALY (C.J.) ; Droit civil, Les obligations, éd. 2015, Collection Cours, p.126. * 146 GARANT (P.), Quelques réflexions sur l'ordre public dans le droit processuel québécois, Les cahiers de droit, 40 (2), 367-380, en ligne sur : https://doi.org/10.7202/043546ar. * 147« Ordre public de direction », le Portail du droit, en ligne sur : http://www.droit.fr/definition/2351-ordre-public-de-direction/amp/, [consulté le 8 octobre 2019]. * 148 PEZ (Th.), L'ordre public économique, Nouveaux cahiers du Conseil Constitutionnel, n°49 (Dossier : L'Entreprise), octobre 2015, p.44 à 57, disponible sur : http://www.conseil-constitutionnel.fr, [consulté le 12 novembre 2019]. * 149 BAMDE (A.) et BOURDOISEAU (J.), La notion d'ordre public, en ligne sur : http://www.aurelienbamde.com/2017/02/24/la-notion-d-ordre-public/amp/, [consulté le 8 octobre 2019]. * 150« Ordre public de direction », le Portail du droit, en ligne sur : http://www.droit.fr/definition/2351-ordre-public-de-direction/amp/, [consulté le 8 octobre 2019]. * 151FONTMICHEL (M.), Le faible et l'arbitrage, préface CLAY (Th.), Economica, 2013, n°751 cité par AKAKPO (M.), La protection de la partie faible dans l'arbitrage OHADA, p.371. * 152FRISON-ROCHE (M-A), « Les différentes natures de l'ordre public économique », 25 octobre 2015, disponible sur : https://www.mafr.fr,[consulté le 19 septembre 2019]. * 153KOUASSI Constant (F.), L'annulation de la sentence arbitrale, au Québec et dans l'espace OHADA : une approche comparée, op. cit. |
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