Master 2 - MSG - Executive - FTLV
Management et Sciences de Gestion
COMPORTEMENT DE L'ENTREPRENEUR,
DE L'INTENTION A LA REALISATION DU PROJET
Intérêt du développement du sentiment
d'auto-efficacité chez l'entrepreneur de
nécessité
3
Présenté par Majid Chebrek Sous la direction
de Monsieur Garcia, Maître de Conférences, IAE Lille Sous la
responsabilité de Monsieur Weppe, Maître de Conférences,
IAE Lille Juin 2019
4
Remerciements
Avant d'ouvrir ces quelques pages, il me paraît
important d'exprimer ma gratitude aux intervenants professionnels et à
l'équipe pédagogique participant au programme de formation
universitaire du Master MSG -FTLV de l'IAE de Lille.
Je tiens également à remercier :
- Mon tuteur de mémoire, Monsieur Garcia pour ses
conseils et recommandations qui ont contribué à la qualité
de cette étude.
- Les responsables de ce Master, Madame Masse et Monsieur
Weppe qui oeuvrent pour nous offrir une diversité de matières de
qualité, contribuant à la renommée de
l'établissement et du Master MSG.
- Enfin, ma famille pour sa patience et sa
compréhension, et plus précisément mon épouse qui
m'a soutenu durant ces deux années intenses en énergie mais
également en connaissances nouvelles.
5
INTRODUCTION 7
PARTIE I : REVUE DE LITTERATURE
10
A. L'ENTREPRENEURIAT 10
1. Théorisation du processus entrepreneurial
10
a) Approche processuelle 11
b) Approche comportementale 12
2. Modélisation de la phase intentionnelle 15
3. Auto-efficacité etfaisabilité perçue
19
B. L'ENTREPRENEUR DE NECESSITE 23
1. Définition de l'entrepreneuriat par
nécessité 23
2. Les facteurs conduisant à la création «
forcée » d'une entreprise 24
a) Le contexte socio-économique et politique 24
b) Une perception négative de la
désirabilité 26
3. Enjeux pour l'entrepreneur de nécessité
27
a) Spécificités de son comportement 27
b) Nécessité de maîtriser des
compétences clés 28
c) Nécessité de s'autoévaluer 28
d) Nécessité de développer son leadership
31
C. CONCLUSIONS DE LA REVUE DE LITTERATURE 33
PARTIE 2 : ENQUETE DE TERRAIN
34
A. METHODE 35
1. Choix de la méthode 35
2. Méthodologie pour le recueil des données
36
a) Modalités pratiques 36
b) Procédure de recrutement 36
c) Elaboration d'un outil de recueil de données : le
guide d'entretien 37
3. Méthode d'analyse de contenu 39
B. RESULTATS ET ANALYSE 41
1. Description de l'échantillon 41
a) Les entrepreneurs 41
b) Les accompagnateurs 43
2. Naissance de l'intention entrepreneuriale 44
3. Evaluation de l'auto-efficacité 49
4. Bilan de l'expérience entrepreneuriale 54
a) Compétences acquises et outils mobilisés 55
b) Trajectoire de l'entreprise et satisfaction 58
5. Point de vue des accompagnateurs 61
a) La naissance de l'intention entrepreneuriale 61
b) L'auto-efficacité : 62
c) Les freins 63
d) Recommandations 64
C. CONCLUSIONS DE L'ENQUETE 65
DISCUSSION ET RECOMMANDATIONS 67
A. DISCUSSION 67
B. RECOMMANDATIONS 68
1. Développer les expériences actives de
maîtrise 68
a) Évaluer et développer les compétences
managériales 68
b) Outils pour développer la compétence
managériale 70
2. Le mentorat pour renforcer le sentiment d'auto
efficacité 72
CONCLUSION 74
BIBLIOGRAPHIE 75
ANNEXE N°1 : GUIDE D'ENTRETIEN DES ENTREPRENEURS 79
ANNEXE N°2 : GUIDE D'ENTRETIENS DES ACCOMPAGNATEURS 81
ANNEXE N°3 : EXEMPLE D'ENTRETIEN D'UN ENTREPRENEUR 82
6
LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX
· Figure 1 : La Configuration Stratégique
Instantanée Perçue
· Figure 2 : Les différentes phases du
processus entrepreneurial selon Tounès 2003
· Figure 3 : Le modèle de Shapero,
1975
· Figure 4 : Formation de
l'évènement entrepreneurial (Shapero et Sokol, 1982)
· Figure 5 : Modèle de
l'évènement entrepreneurial repris par Krueger
· Figure 6 : Théorie du comportement
planifié (Ajzen, 1991)
· Figure 7 : Modélisation
théorique de l'intention entrepreneurial (Tounès, 2006)
· Figure 8 : Les principales raisons ayant
motivé la création d'une autoentreprise
· Figure 9 : Autoévaluation de son
leadership
· Figure 10 : La grille managériale de
Blake et Mouton
· Figure 11 : LJI=2, Indicateur de jugement en
situation de leadership
· Figure 12 : Système de cotation pour
cibler et évaluer ses compétences managériales
· Figure 13 : L'assertivité
· Figure 14 : Qu'est ce que manager ?
· Figure 15 : Outils d'aide à la
décision
· Tableau 1 : Configurations de Bandura
· Tableau 2 : Caractéristiques des
entrepreneurs interrogés
· Tableau 3 : Caractéristiques des
accompagnateurs interrogés
· Tableau 4 : Facteurs influençant
l'intention d'entreprendre chez les entrepreneurs de
nécessité
· Tableau 5 : Facteurs influençant
l'intention d'entreprendre chez les entrepreneurs d'opportunité
· Tableau n°6 : Perception de la
faisabilité et obstacles envisagé chez les entrepreneurs
interrogés
· Tableau n°7 : Evaluation du sentiment
d'auto-efficacité chez les entrepreneurs de
nécessité
· Tableau n°8 : Evaluation du sentiment
d'auto-efficacité chez les entrepreneurs d'opportunité
· Tableau n°9 : Evolution des
compétences et outils mobilisés
· Tableau n°10 : Attente de
résultats des entrepreneurs.
· Tableau n°11 : Trajectoire de
l'entreprise confrontée à l'attente initiale de
résultats
· Tableau n°12 : Auto-efficacité,
trajectoire de l'entreprise et satisfaction
7
INTRODUCTION
En 2018, 30% de la population résidant en France, soit
15 millions de personnes1, se sont engagés d'une façon
ou d'une autre dans un processus entrepreneurial. Cette statistique correspond
à « l'indice entrepreneurial », un outil original
mesuré tous les deux ans par la Banque Publique d'investissement. Il
permet d'apprécier l'affinité des français à
l'ensemble du processus entrepreneurial. Il inclut aussi bien les «
intentionnistes » que les créateurs d'entreprise, et prend en
compte la perception des français vis-à-vis de l'entrepreneuriat.
Cette façon d'appréhender l'entrepreneuriat illustre
déjà la complexité que ce terme sous-entend. Il s'agit en
effet d'un concept qui a fait l'objet de nombreuses recherches, dans des
disciplines aussi variées que la psychologie, la sociologie et plus
récemment les sciences de gestion. Il a ainsi fait l'objet de nombreuses
théories qui tentent toutes d'en expliquer les tenants et les
aboutissants. Malgré les efforts de nombreux auteurs pour prendre en
considération la multitude d'éclairages différents, aucune
d'entre elles, à ce jour, ne fait consensus et les théories
continuent de foisonner. Il est au moins une raison à cela :
l'entrepreneuriat évolue avec son environnement, est influencé
par le contexte socio-économique et constitue alors un concept en
perpétuel mouvement. Pour sûr, les différentes crises
économiques et financières, l'augmentation du chômage ou
encore la flexibilité de l'emploi responsable de précarité
sont autant de facteurs qui participent au fait qu'aujourd'hui près d'un
français sur deux considère que l'entrepreneuriat comme le choix
de carrière le plus intéressant2.
Cette évolution de la vision de l'emploi illustre une
véritable révolution sociétale, dont il nous a paru
intéressant de se saisir à travers ce travail. Pourquoi et
comment entreprend-on ? Si l'opportunité d'une affaire est à
l'origine de bon nombre de projets, la décision d'entreprendre peut
également, dans le contexte socio-économique actuel, être
motivé par la nécessité. Alors peut-on mettre en
différence des spécificités dans la démarche de
1 Site de la BPI (Banque Publique d'Investissement)
https://bpifrance-creation.fr/observatoire-de-Bpifrance-creation
2 idem
8
l'individu quand celui-ci est motivé davantage par la
contrainte que par l'opportunité ? En d'autres termes peut-on
considérer qu'il existe un comportement entrepreneurial propre à
l'entrepreneur de nécessité ? Et peut on l'associer à une
trajectoire prévisible de son entreprise ? Nos recherches nous ont ainsi
permis de mettre en lumière plusieurs approches du processus
entrepreneurial. Parmi elles, l'approche comportementale, inspirée des
théories de psychologie, nous a semblé être la plus
adapté pour décrire la situation particulière de
l'entrepreneur de nécessité. Au sein du processus entrepreneurial
décrit par cette approche, une étape a retenu notre attention :
l'intention. Pour de nombreux auteurs cette phase qui précède la
décision d'entreprendre est fondamentale. Nous avons donc choisi
d'orienter nos recherches vers ce concept. Ainsi la notion d'auto
efficacité a émergé. Peu utilisée dans le champ de
l'entrepreneuriat, elle semble pourtant présenter un
intérêt majeur pour décrire l'état d'esprit de
l'individu qui a l'intention d'entreprendre. Ce sentiment bien que subjectif,
peut être basé sur des éléments tangibles et surtout
modifiables. Quels sont les déterminants du sentiment de l'auto
efficacité ? Le degré d'auto efficacité est-il
différent chez les entrepreneurs de nécessité et
d'opportunité ? Comment se développe-t-il au cours du processus
entrepreneurial ? A-t-il une influence sur la trajectoire de l'entreprise ?
L'ensemble de ce questionnement a fait naître la problématique
suivante :
Comment l'entrepreneur de nécessité
réalise-t-il son projet ?
Pour répondre à cette question nous avons dans
un d'abord réalisé une revue de la littérature. Nous vous
exposerons ainsi dans une première partie l'analyse de nos lectures.
Celle-ci fait état d'une part des différentes théories du
processus entrepreneurial, et particulièrement de la théorie
comportementale qui inclut les concepts d'intention entrepreneuriale et d'auto
efficacité ; d'autre part nous aborderons la question de
l'entrepreneuriat de nécessité. Après en avoir
établi une définition nous nous interrogerons sur les facteurs
qui conduisent à ce type de création. Nous tenterons de mettre en
exergue les spécificités du comportement entrepreneurial dans le
cas de la contrainte, et les différentes recommandations émises
par la littérature pour ce type d'entrepreneur.
À la lumière de ces éléments
théoriques, nous avons réalisé une enquête
qualitative, menée auprès d'entrepreneurs d'horizons
différents. Il s'agissait dans cette deuxième partie de
9
confronter les données théoriques à la
réalité pratique. Nous avons ainsi voulu vérifier si les
différentes grilles de lecture apportées par les concepts
exposés permettaient de distinguer les entrepreneurs de
nécessité de ceux d'opportunité, de mesurer le sentiment
d'auto efficacité chez les entrepreneurs naissants, et de relier ce
sentiment d'auto efficacité à une trajectoire prévisible
du projet. Après avoir présenté notre méthodologie
et nos outils d'analyse, nous rendrons compte des résultats de notre
enquête et de notre interprétation.
Enfin dans une troisième et dernière partie,
nous dresserons le bilan de notre travail en en exposant notamment les limites.
Fort de notre analyse, nous proposerons des recommandations managériales
pour accompagner l'entrepreneur de nécessité dans sa
démarche et augmenter ses chances de réussite.
10
PARTIE I : REVUE DE LITTERATURE
A. L'ENTREPRENEURIAT
L'entrepreneuriat est un sujet complexe, largement
étudié dans la littérature. Qui entreprend ? Pourquoi et
comment ? Quelles sont les étapes qui font progresser l'idée
d'entreprendre ? Quels sont les facteurs qui influencent ce parcours ? Autant
de question auxquelles de nombreuses théories ont tenté de
répondre, sans qu'aucune ne fasse consensus. L'entrepreneuriat a ainsi
fait l'objet de plusieurs études à travers différentes
dimensions : l'approche par les traits (tentative de profilage de
l'entrepreneur) en psychologie, l'approche par les faits ou approche
comportementale en psycho-sociologie et plus tard l'approche processuelle en
science de gestion. En effet, ce sont d'abord des disciplines de sciences
humaines qui ont abordé le sujet, ce n'est qu'à la fin du
XXème siècle que les sciences d'économie et de gestion
tentent de théoriser ce processus. Aujourd'hui, il existe donc
de nombreuses théories qui analysent et expliquent le processus
entrepreneurial, elles sont synthétisées dans une
première sous-partie. Nous verrons ainsi que créer une entreprise
résulte d'un comportement lui même influencé par
une intention. Cela fait l'objet de théories comportementales
qui seront abordées dans une deuxième sous-partie. Enfin, nous
approfondirons dans une troisième sous-partie l'étude de
l'intention entrepreneuriale à travers un de ses déterminants
majeurs : le sentiment d'auto efficacité.
1. Théorisation du processus entrepreneurial
L'approche par les traits qui tente de répondre
à la question « qui est l'entrepreneur ? » n'a pas
pour vocation d'inscrire l'entrepreneuriat dans un processus, mais plutôt
de dresser un « portrait type » de l'entrepreneur. De nombreux
chercheurs tels que Stevenson et Jarillo (1990) considèrent ainsi «
qu'il est réducteur d'expliquer un comportement complexe
(l'entrepreneuriat) en se référant à quelques traits
psychologiques ou sociologiques »3.
3 Stevenson, H. H., Jarillo, J. C.
(1990). A paradigm of entrepreneurship: Entrepreneurial management. Strategic
management journal, 11(5), 17-27
11
Les approches processuelles et comportementales quant à
elles inscrivent la création d'entreprise dans un cadre spatio-temporel
mouvant. Le projet d'entreprise est ainsi tributaire d'un contexte qu'il
convient de considérer : « La création d'entreprises cesse
d'être analysée comme la photographie instantanée d'un
évènement où le créateur est d'abord seul (...)
puis n'est plus seul, mais joue toujours le rôle principal (...). Elle
devient un film dont le créateur est un des acteurs ; c'est l'approche
axée sur le processus entrepreneurial »4.
a) Approche processuelle
Cette approche décrite en sciences de gestion depuis
la fin des années 90 impose une vision dynamique. Le processus tel que
le définit Jacquet-Lagreze et al. (1978,P.21)5 est "un
déroulement de configurations ou d'intéractions concomitantes
et/ou successives sous l'effet de régulations compensatrices et
amplificatrices propres au système concerné."
L'entrepreneuriat est considéré comme un ensemble de
configurations et d'interactions en évolution. Il est indissociable de
son environnement, en proie à l'effet des régulations du
système et donc en perpétuel mouvement. Pour modéliser
cette théorie Bruyat6 s'appuie sur une « Configuration
Stratégique Instantanée Perçue (CSIP) ». Initialement
utilisée en stratégie d'entreprise, cette configuration
adaptée à l'entrepreneuriat permet de définir le moteur
principal de l'évolution du processus entrepreneurial. Bruyat
considère que le comportement de l'entrepreneur naissant est
influencée par trois dimensions : son aspiration, ses compétences
et ressources perçues et les possibilités de l'environnement
perçues. C'est à travers cette matrice que l'entrepreneur va
orienter ses choix et sa trajectoire : il utilisera ses compétences et
ressources pour être en phase avec ses aspirations, tout en s'adaptant
aux possibilités offertes par son environnement. Ce concept
révèle l'intentionnalité de l'entrepreneur comme moteur de
son comportement : les buts et
4 Hernandez, É. M. (1995). L'entrepreneuriat comme
processus. Revue internationale PME: Économie et gestion de la petite et
moyenne entreprise, 8(1), 107-119.
5 Cité par Fayolle, Entrepreneuriat p.61
6 La notion de CSIP de Bruyat, 1993 cité par A.Fayolle
dans Entrepreneuriat p.62
objectifs étant au coeur de la matrice, il doit
être capable de les formuler et de s'adapter aux dimensions qui les
conditionnent (environnement, aspiration, compétences et ressources).
Cette vision systémique oblige donc l'entrepreneur à être
en perpétuel mouvement entre ces trois dimensions pour atteindre ses
objectifs successifs : la création puis la pérennisation de son
entreprise.
Figure 1 : la Configuration Stratégique
Instantanée perçue
Cette approche processuelle a été
étayée par de nombreux autres auteurs7 et met à
l'honneur une vision stratégique de l'entrepreneuriat. Dans ce contexte,
c'est le plus souvent l'opportunité qui est à l'origine du projet
et donc de l'intention d'entreprendre. Le comportement de l'entrepreneur doit
ensuite s'adapter aux réalités.
b) Approche comportementale
L'approche comportementale met au centre de la
réflexion l'individu. Elle interroge les agissements de l'entrepreneur
pour déterminer la trajectoire de son projet. Elle sous-entend que
chacune des décisions que l'individu prend au cours du processus
entrepreneurial est déterminé par des facteurs
extrinsèques et intrinsèques qui modifient son comportement. En
effet, le milieu dans lequel évolue l'individu, social et
économique, la situation politique, ou encore ses croyances et sa
culture sont autant de déterminants de son comportement qui influencent
l'acte entrepreneurial. « L'approche comportementale est donc
intéressante
12
7 Gartner (1990), Shane et Venkateraman (2000), Reynolds(2000),
Bygrave et Hofer (1991)
13
en ce qu'elle se préoccupe des comportements de
l'entrepreneur dans l'exercice de son activitéì,
lesquels s'inscrivent dans un environnement culturel, social, économique
et politique8 ». Pour modéliser cette approche,
Tounès (2003)9 propose de scinder le processus
entrepreneurial en différentes phases, schématisées
ci-après.
Figure 2 : Les différentes phases du processus
entrepreneurial selon Tounès (2003)
Cette description du processus entrepreneurial place en
première intention la propension entrepreneuriale.
D'après Fayolle, il s'agit d'«une inclination, un penchant à
s'engager dans une démarche entrepreneuriale ». Cette propension
à entreprendre réunit les caractéristiques psychologiques
de l'individu (traits de personnalité), le réseau sur lequel il
peut s'appuyer ou encore ses expériences antérieures. Elle
définit la sensibilité de l'individu à s'engager dans un
projet entrepreneurial.
L'intention entrepreneuriale constitue la
deuxième phase du processus : elle existe dès lors qu'une
idée émerge, qu'elle soit formalisée ou non. Pour qu'il y
ait intention d'entreprendre, il faut qu'il y ait de la part de l'individu un
engagement personnel, une motivation. L'intention
8 Gartner, W.B. (1988). Who is an entrepreneur? Is the wrong
question. American Journal of Small Business, spring, p. 11-32.
9 Tounès, A. (2003). L'intention entrepreneuriale. Une
étude comparative entre des étudiants d'écoles de
management et gestion suivant des programmes ou des formations en
entrepreneuriat et des étudiants en DESS CAAE. Unpublished doctoral
dissertation, Université de Rouen.
résulte d'une envie de concrétiser ses
objectifs. En ce sens elle fait appel à des caractéristiques
propres à l'individu : ses croyances, ses normes sociales, son
environnement, l'influence de ses pairs...
La décision d'entreprendre ne peut alors
survenir que lorsque l'idée du projet est finalisée et que
l'entrepreneur est parvenu à mobiliser des compétences et
ressources financières suffisantes. L'acte d'entreprendre
correspond enfin au démarrage de l'activité et donc à
l'édition des premières offres de services et/ou produits.
Comme le précise Tounès, ce processus n'est pas
linéaire et l'évolution du projet entrepreneurial est propre
à chacun. En effet, les aptitudes entrepreneuriales diffèrent
selon chaque individu et se modifient. Par exemple, la propension à
entreprendre peut être moindre au début du projet et croître
durant le processus. Le comportement de l'entrepreneur évolue donc aussi
en fonction de ses aptitudes, qui peuvent se renforcer ou s'affaiblir au cours
du processus. Ainsi est conditionnée la poursuite ou l'abandon du projet
entrepreneurial.
Cette modélisation met au coeur du projet le
comportement de l'entrepreneur. Elle met en évidence l'influence des
caractéristiques propres à chacun sur la trajectoire du projet.
Elle révèle également que c'est durant la phase
intentionnelle que l'individu est le plus influencé par son
environnement.
Explorant les raisons qui poussent l'individu
à entreprendre, et la façon dont il s'y prend, les
théories processuelles et comportementales analysent avant tout le
comportement de l'entrepreneur. Elles cherchent en effet à comprendre
pourquoi et comment l'individu passe à l'acte d'entreprendre. Si la
théorie processuelle privilégie une vision large et
stratégique de ce processus, la théorie comportementale est elle
plus individuelle, plus centrée sur l'entrepreneur naissant. À
cet égard elle s'intéresse à trois grandes étapes
qui précèdent l'acte entrepreneurial : la propension, l'intention
et la décision. Selon de nombreux auteurs10, la phase
intentionnelle est le meilleur indicateur prédictif du comportement
entrepreneurial et occupe donc une place déterminante dans la
réalisation du projet.
14
10 (Linan et Chen, 2009) (Fishbein et Ajzen, 1975 ; Fayolle,
Gailly et Lassas-Clerc, 2006).
15
2. Modélisation de la phase intentionnelle
Si le concept d'intention a grandement été
étudié sous l'angle des sciences sociales et de la psychologie,
il a aussi intéressé les disciplines de science de gestion telles
que la gestion des ressources humaines, le marketing ou encore
l'entrepreneuriat. On dénombre alors plusieurs modélisations
selon les approches.
En 1975, Shapero a été le premier à
proposer une modélisation du concept adapté à
l'entrepreneuriat. Il considère l'intention entrepreneuriale comme
étant sous le joug deux éléments clés: la
faisabilité et la désirabilité du projet telles qu'elles
sont perçues par l'entrepreneur. S'agissant d'une perception, ces
notions sont subjectives et s'appuient donc sur les caractéristiques
psychologiques du créateur, influencées par le contexte
sociologique et économique. À noter que l'existence concomitante
des deux notions n'est pas nécessaire à la naissance de
l'intention. En effet si un projet semble faisable pour l'individu, l'intention
peut exister sans qu'il y ait de désir pour ce projet. On se trouve
alors dans une situation d'entrepreneuriat contraint.
Figure 3 : Le modèle de Shapero, 1975.
En 1982, Shapero et Sokol complètent ce modèle
en y ajoutant la notion de déplacement. Ils considèrent
en effet que l'engagement d'un individu dans un processus qui le mènera
à la création de sa propre activité, est en premier lieu
déterminé par le contexte social et culturel. Ils mettent ainsi
au point le modèle de la formation de l'événement
entrepreneurial ci-dessous. Ils inscrivent la formation d'une entreprise sur
une trajectoire, impulsée par des évènements de vie
majeurs. Selon eux, il en est de trois sortes : les déplacements
négatifs, les situations intermédiaires et les
déplacements positifs. Par « déplacements négatifs
» ils
renvoient à des évènements bousculant la
trajectoire de vie d'un individu et l'orientant alors vers la démarche
entrepreneuriale. Il s'agit là de raisons pour lesquelles l'entrepreneur
sera contraint de créer son activité : émigration
forcée, perte d'emploi, ennui, atteinte de l'âge moyen, divorce ou
veuvage. Les « situations intermédiaires » perturbent
également la trajectoire de vie de l'entrepreneur naissant, mais
à la différence des déplacements négatifs, ces
situations sont prévisibles. Elles sont représentées par
l'achèvement d'une étape de vie telle que la fin du service
militaire ou d'une scolarité. Elles orientent l'individu davantage par
la contrainte que par l'opportunité. Enfin, par déplacements
positifs ils entendent l'ensemble des facteurs sociaux et environnementaux qui
vont offrir à l'individu l'opportunité d'entreprendre.
Il peut s'agir de l'influence d'un mentor, de l'existence de clients d'affaire
potentiels ou encore de l'obtention d'une opportunité financière
telle qu'un héritage.
Figure 4 : Modèle de la formation de
l'événement entrepreneurial (Shapero et Sokol,
1982)11
11 DIAMANE, Mounia, SALAH, Koubaa,
« Les approches dominantes de la recherche en
entrepreneuriat », 2016 : [En ligne :
https://www.researchgate.net/publication/311738962_Les_approches_dominantes_de_la_recherche_en_en
trepreneuriat].
16
17
En 1993, Krueger fait évoluer ces modèles en y
ajoutant une notion clé : celle de l'intention et de la propension
à l'action.
Figure 5 : Modèle de l'événement
entrepreneurial repris par Krueger, 1993.
La théorie du comportement planifié d'Icek
Ajzen voit le jour entre 1985 et 1991 et constitue une théorie de
référence dans l'étude des comportements intentionnels.
Elle permet, entre autre, de mettre en exergue les façons de modifier le
comportement des individus. En cela, elle a beaucoup été
utilisée en psychologie et notamment en thérapie comportementale.
Appliquée à l'entrepreneuriat, la théorie d'Azjen s'appuie
sur l'idée que tout comportement humain qui se veut effectif doit
être planifié. Il résulte alors d'une succession de
croyances qui sont à la base de l'intention. Celles-ci se
découpent en trois volets : les croyances comportementales qui
influencent l'attitude de l'entrepreneur, les croyances normatives qui
influencent les normes subjectives, et enfin les croyance de contrôle qui
influencent le contrôle comportemental. L'attitude envers le comportement
ainsi que les normes subjectives peuvent ensemble s'apparenter à la
désirabilité perçue tandis que le contrôle
comportemental correspond davantage à la faisabilité. Ce
modèle reprend finalement les deux notions clés de
désirabilité perçue et faisabilité perçue en
les rattachant à des croyances, sur lesquelles on peut agir pour
modifier l'intention.
18
Figure 6 : Théorie du comportement planifié (Ajzen,
1991)
En 2006, Tounès fait une synthèse de l'ensemble de
ces théories qu'il réunit dans le schéma ci après.
Il identifie ainsi onze facteurs pouvant modifier l'intention
d'entreprendre.
Figure 7 : Modélisation théorique de l'intention
entrepreneuriale12
12 A. Tounes, L'intention
entrepreneuriale des étudiants : le cas français, Revue des
Sciences de gestion, Direction et Gestion, Mai/Juin, n°41 (2006), p.
219.
19
Définir ce qui influence ou conditionne
l'intention présente un intérêt majeur en ce qu'il permet
de prédire le comportement de l'individu. Les théories
élaborées à ce sujet se sont affinées au cours du
temps et ont permis de mettre en évidences deux concepts majeurs, celui
de la désirabilité perçue et celui de la
faisabilité perçue. En ce qui concerne la
désirabilité, on retiendra qu'elle est conditionnée par
les croyances comportementales et les croyances normatives. Par exemple, un
projet peut être désirable quand émerge une idée
d'entreprise (croyance comportementale) ou encore quand il existe dans
l'entourage de l'individu des exemples de réussite entrepreneuriale
(croyances normatives). A contrario, la désirabilité sera
ébranlée dès lors qu'il existera une contrainte, telle que
la perte d'emploi (déplacement négatif), et davantage encore si
les croyances comportementales ou normatives ne sont pas en faveur du projet :
absence d'information, absence de modèle ou encore peur du risque. En ce
qui concerne la faisabilité perçue, elle correspond à la
perception du contrôle comportemental, autrement dit au degré de
facilité avec lequel l'individu s'imagine parvenir à la
réalisation du projet. Cette perception du contrôle de la
situation s'apparente au concept d'auto-efficacité de Bandura que nous
approfondissons dans la partie suivante.
3. Auto-efficacité et faisabilité
perçue
Selon le psychologue Albert Bandura 13 ,
l'auto-efficacité, ou le sentiment d'efficacité personnelle, se
définit par la croyance d'un individu en ses capacités et la
conviction de leur réussite. « Son postulat repose sur les attentes
d'un individu en matière d'efficacité de ses propres
actions14 ». Comme le modèle de Shapero et Sokol le
mettait en évidence précédemment dans notre étude,
différents facteurs influencent l'intention d'entreprendre. Selon
Krueger et Carsrud (1993), l'intention est précédée de
trois facteurs : l'attractivité perçue du comportement
entrepreneurial, la perception sociale des normes concernant l'entrepreneuriat
ainsi que la perception de du contrôle comportemental et donc de
l'auto-efficacité, ce dernier facteur déterminant la
faisabilité du projet. La faisabilité perçue se
définit donc par les possibilités d'entreprendre perçues
par l'entrepreneur et liées à
13 BANDURA, Albert,
Auto-efficacité : le sentiment d'efficacité personnelle,
Liège : De Boeck, 2002.
14 Définition de la
théorie de l'auto-efficacité, e-marketing : [En ligne :
https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Auto-efficacite-theorie-240613.htm].
20
l'environnement et aux potentialités concrètes.
La perception de la faisabilité évolue en fonction du sentiment
d'auto-efficacité et de la capacité à dépasser les
difficultés liées au terrain. Ce sentiment conditionne
l'état d'esprit et les actes de la personne, modelant son intention et
ses ambitions. En effet, plus le sentiment d'auto-efficacité sera
élevé, plus l'individu sera volontaire dans la poursuite de ses
efforts afin d'atteindre son objectif. En 2003, Bandura mettait au jour les
quatre sources déterminant le niveau
d'auto-efficacité15:
- Une expérience active de maîtrise. Il
s'agit là d'une source fondamentale de l'auto-efficacité. Elle
est basée sur la maîtrise qu'a l'individu concernant les
tâches à effectuer. En d'autres termes, plus l'entrepreneur
naissant aura des expériences réussies dans les
différentes tâches qui incombent à la réalisation de
son projet, plus ses croyances en ses capacités personnelles seront
renforcées. En revanche des expériences échouées
dans ce domaine mettront à mal son sentiment
d'auto-efficacité.
- Une expérience indirecte ou vicariante. Elle
repose sur les comparaisons sociales. L'observation d'une expérience
réussie chez ses pairs augmentera l'auto-efficacité de
l'individu.
- Une persuasion verbale venant d'autrui. Des conseils
ou encouragements peuvent renforcer la croyance de l'individu en son potentiel
et créer un climat de confiance. Cette source est à nuancer : le
discours peut être perçu différemment selon la personne
ressource. Interviennent en effet des facteurs tels que la
crédibilité, l'expertise ou encore les liens affectifs qui
existent entre les individus.
- Un état physiologique et émotionnel stable
et positif. Certains états émotionnels, tels que
l'anxiété, peuvent écorner la performance et donc
réduire l'auto-efficacité. Au contraire, quand l'individu
parvient à surmonter ces états émotionnels
néfastes, son auto-efficacité s'en retrouve renforcée.
Ces quatre sources sont complémentaires, et sont
mobilisables au cours du processus entrepreneurial pour contribuer à
renforcer le sentiment d'efficacité personnel de l'individu. Quand il
existe une inadéquation entre le degré d'auto-efficacité
et les objectifs attendus cela peut être néfaste au comportement
entrepreneurial. Comme le suggère le tableau ci-
15 RONDIER, Maïlys, « A.
Bandura. Auto-efficacité. Le sentiment d'efficacité personnelle.
Paris : Éditions De Boeck Université, 2003 », L'orientation
scolaire et professionnelle, septembre 2004, p. 475-476.
21
dessous, un sentiment d'efficacité personnel faible
associé à des attentes de résultats élevés
entraînera nécessairement une auto dévalorisation, un
découragement. En revanche un sentiment d'efficacité personnel
élevé associé à des attentes de résultats
élevés sera moteur et favorisera les aspirations, l'engagement
productif de l'individu et le sentiment de réussite personnel. Ainsi,
conscient de ses atouts ou carences l'individu peut ajuster son comportement,
ré envisager ses attentes et redéfinir ses objectifs.
Tableau 1 : Configurations de Bandura16
La théorie de Bandura montre par conséquent
qu'une pédagogie de la réussite couplée à un
environnement positif et apaisé augmente les chances d'un individu
à croire en ses capacités, et, parallèlement, son
intention d'entreprendre.
À présent que l'auto-efficacité est
définie, nous nous interrogeons sur la possibilité d'en
apprécier la place qu'elle occupe dans le processus entrepreneurial d'un
individu. D'une part, nous imaginons qu'il est possible de déterminer
son degré lors d'entretiens verbaux. En effet, si l'entrepreneur est
enjoué et démontre sa motivation, il va sans dire que son
sentiment d'efficacité personnelle sera au beau fixe. Mais puisque
l'auto-efficacité est « la croyance des individus en leur
capacité de mobiliser les ressources nécessaires pour
maîtriser les événements qui affectent leur existence
(Bruchon-Schweitzer, 2014)17 », il est
16 COLLECTIF, 2004, De l'apprentissage
social au sentiment d'efficacité personnelle. Autour de l'oeuvre
d'Albert BANDURA, l'HARMATTAN, 175 : [En ligne :
https://ent2d.ac-bordeaux.fr/disciplines/hotellerie/wp-content/uploads/sites/46/2018/05/BANDURA_Theorie.pdf].
17 Nagels, M. (2016).
L'auto-efficacité, une ressource personnelle pour s'autoformer.
Apprendre par soi-même aujourd'hui. Les nouvelles modalités de
l'autoformation dans la société digitale (p. 65-79). Paris :
Editions des archives contemporaines, p.3. : [En ligne :
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01297031/document].
22
également possible de la mesurer en observant la
trajectoire de l'entreprise et sa réussite. Toutefois, nos recherches
font état de l'existence d'un outil plus concret : l'échelle des
sentiments d'auto-efficacité aux décisions de carrière
(Career Decision Self-Efficacy Scale - CDSES18). En 1983 Taylor et
Betz19, se basant sur les théories de Bandura,
réalisent que l'auto-efficacité est déterminante dans
l'élaboration des choix de carrière et des décisions
d'orientation. Ils partent du postulat que parvenant à mesurer ce
sentiment ils pourront davantage appréhender les choix d'orientation et
traiter l'indécision. Pour cela, ils proposent de sonder cinq domaines
de compétences qu'ils considèrent comme des facteurs clés
des comportements individuels conduisant l'orientation professionnelle :
l'auto-connaissance, la recherche d'informations sur le secteur visé,
les objectifs, la planification et la prise en compte des problématiques
pouvant survenir tout au long du parcours. À chaque domaine ils
associent une dizaine d'items pour lesquels le répondant doit
évaluer son degré de confiance de 0 (= pas de confiance) à
9 (= confiance parfaite). Très vite, cette échelle est devenue
dans le domaine du conseil d'orientation des choix un outil de
référence. Au fil du temps, pour simplifier son utilisation, le
nombre d'items est passé de 50 à 25 et les modalités de
réponses restreintes de 10 à 5. Un score est ainsi
élaboré et permet de conclure à un certain degré
d'auto-efficacité. Cependant cette échelle, bien qu'elle soit la
seule, à notre connaissance, qui permette d'apprécier
l'auto-efficacité d'un individu, voit son champ d'application restreint
aux choix des orientations professionnelles. Puisque la notion
d'auto-efficacité gagne progressivement du terrain dans la
réflexion des facteurs influençant le comportement
entrepreneurial, il serait judicieux d'en adapter les items pour mesurer ce
sentiment chez l'entrepreneur naissant.
Le sentiment d'auto-efficacité est donc
primordial lors de la phase de démarrage d'une entreprise. Il impulse
une dynamique positive à l'initiative entrepreneuriale nécessaire
à sa pérennité. Il renforce la faisabilité
perçue de l'entrepreneur et donc son intention. Cela est d'autant plus
vrai dans un contexte d'entrepreneuriat contraint où la
désirabilité perçue (second déterminant majeur de
l'intention entrepreneuriale) est souvent nulle.
18 Jean-Philippe Gaudron, «
L'échelle des sentiments d'auto-efficacité aux décisions
de carrière - forme courte : une adaptation française pour
lycéens », L'orientation scolaire et professionnelle [En ligne],
42/2 | 2013, mis en ligne le 07 juin 2016, consulté le 06
décembre 2018. URL :
http://journals.openedition.org/osp/4108
19 Taylor, K. M., & Betz, N. E.
(1983). Applications of self-efficacy theory to the understanding and treatment
of career indecision. Journal of Vocational Behavior, 22, 63-81.
23
B. L'ENTREPRENEUR DE NECESSITE
1. Définition de l'entrepreneuriat par
nécessité
Comme l'indique le rapport du « Global Entrepreurship
Monitor : Executive Report » réalisé par Reynolds, Bygrave,
Autio, Cox et Hay en 2002, deux types d'entrepreneuriat sont à
distinguer : l'entrepreneuriat d'opportunité et l'entrepreneuriat de
nécessité. Si l'entrepreneur d'opportunité fait
référence à une volonté d'amélioration de
vie et d'une opportunité choisie, le second est le résultat d'une
obligation. Selon Cowling et Bygrave, les personnes qui entreprennent par
nécessité sont les « individus poussés à la
création d'entreprise car ils ne perçoivent pas de meilleure
alternative d'emploi20 ».On peut considérer que la
motivation première des entrepreneurs de nécessité est
donc de sortir de la pauvreté, contrairement aux idées
reçues sur l'entrepreneuriat classique assimilé à des
figures de réussite et d'innovation. Lorsque l'entrepreneuriat est
considéré comme une solution permettant de sortir d'une situation
de chômage et donc de précarité, l'entrepreneur de
nécessité est poussé par des facteurs dits « push
». En effet, selon André Fayolle et Walid Nakara, l'entrepreneuriat
d'opportunitéì relève de facteurs « pull
» tels que l'autonomie, l'indépendance, la
libertéì, l'argent, le défi, le statut social
ou encore la reconnaissance (Carter et al., 2003 ; Kolvereid, 1996 ; Wilson et
al., 2004) alors que l'entrepreneuriat de
nécessitéì est lié à des facteurs
« push » comme le chômage, le licenciement ou la menace de
perdre son emploi (Thurik et al., 2008)21.
Si un grand nombre d'entrepreneurs choisissent cette
solution, c'est notamment parce que la législation française
facilite l'accès au statut d'autoentrepreneur et que les politiques
publiques en place favorisent ce genre d'initiatives22. Toutefois,
une culture d'entreprise et un capital restent nécessaires pour
démarrer et pérenniser une activité, et tous n'y ont
pas
20 Cowling M., Bygrave W. (2003),
Entrepreneurship and Unemployment: Relationship Between Unemployment and
Entrepreneurship in 37 Nations Participating in the Global Entrepreneurship
Monitor , Babson College, p.544.
21 A. Fayolle, W. Nakara. «
Création par nécessité et précarité: la face
cachée de l'entrepreneuriat ». Cahier de recherche n° 2010-08
E4. 2010.
22 Bayad, Mohamed, Akram El Fenne, et
Aurélien Ferry, « Porteurs de projet en recherche d'un nouvel
emploi et entrepreneuriat : sortir de la dichotomie
opportunité/nécessité », Revue de l'Entrepreneuriat,
vol. vol. 15, no. 3, 2016, pp. 205-229 : [En ligne :
https://www.cairn.info/revue-de-l-entrepreneuriat-2016-3-page-205.html].
24
accès. En effet, la motivation est cruciale à la
réussite d'une entreprise, et la création sous la contrainte ne
facilite pas la naissance de cet état d'esprit.
2. Les facteurs conduisant à la création
« forcée » d'une entreprise
a) Le contexte socio-économique et
politique
L'entrepreneuriat de nécessité est globalement
lié à des facteurs « push ». Ces facteurs sont
généralement soit le bassin d'emploi, l'âge, le sexe ou
encore la menace de perdre son emploi23. Ces facteurs externes ne
relèvent pas de la liberté des individus. Ils ne viennent pas de
l'intérieur (volonté, désir, choix, etc.). La
création d'entreprise se fait sous la pression de multiples causes
extérieures qui bien souvent s'accumulent et peuvent autant expliquer
les motivations par défaut que le manque d'enthousiasme.
Si aujourd'hui certains individus choisissent
l'entrepreneuriat par nécessité, c'est aussi parce que la
législation française facilite de plus en plus la création
d'entreprise. En effet, les politiques publiques actuelles favorisent ce type
d'initiative par des avantages fiscaux et des simplifications bureaucratiques
(facteurs push positifs). Elles permettent de lutter contre le
chômage24. Le graphique ci-après illustre les
résultats d'une enquête menée par l'Insee en 2010. Il
montre clairement les différentes motivations poussant à la
création d'une entreprise : 60% des demandeurs d'emplois se
lançaient dans cette activité afin d'assurer leur propre emploi
(cf. Figure 8).
La question est à présent de savoir si le
statut simplifié mis en place par les politiques publiques facilite ou
non le développement de ce type de profil. La création du statut
d'auto-entrepreneur en France date de 2008. Face à une
précarité de l'emploi grandissante, le
23 A. Fayolle, W. Nakara. «
Création par nécessité et précarité: la face
cachée de l'entrepreneuriat ». Cahier de recherche n° 2010-08
E4. 2010.
24 Bayad, Mohamed, Akram El Fenne, et
Aurélien Ferry, « Porteurs de projet en recherche d'un nouvel
emploi et entrepreneuriat : sortir de la dichotomie
opportunité/nécessité », Revue de l'Entrepreneuriat,
vol. vol. 15, no. 3, 2016, pp. 205-229 : [En ligne :
https://www.cairn.info/revue-de-l-entrepreneuriat-2016-3-page-205.html].
régime de l'auto-entrepreneuriat est rapidement devenu
un nouveau moyen d'accéder au travail. L'entrepreneur est
libéré des charges habituelles puisqu'il ne les paie que sur la
base de son chiffre d'affaires, contrairement aux cotisations des travailleurs
indépendants. En outre, le chiffre d'affaire est également le
critère déterminant le plafonnement des cotisations et
contributions des autoentrepreneurs. Ces facilités financières
visent à accroître les initiatives. En 2012, la
Fédération des auto-entrepreneurs proposera de nouvelles
modifications au statut afin de faciliter et renforcer le régime. Par la
suite, le statut sera réformé par deux fois, en 2013 puis en
2018. Pour cette dernière année, la réforme de la
contribution sociale généralisée a engendré une
baisse des taux de cotisation pour les autoentrepreneurs.
Figure 8 : Les principales raisons ayant motivé la
création d'une autoentreprise25
Par ailleurs, la création de son entreprise est
également facilitée dans la forme puisqu'il suffit de se rendre
sur le site officiel et de déclarer son début d'activité
afin de lancer la procédure. Sa simplification est donc entendue de
manière fiscale et juridique.
25
25 Insee : [
http://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/13899/1/fc290.pdf].
26
Toutefois, la création d'autoentreprises reste
majoritairement une activité parallèle à un emploi stable,
excepté pour la catégorie dont cette étude fait l'objet :
les entrepreneurs de nécessité. 30% des autoentrepreneurs
étaient au chômage avant de lancer leur activité, 11%
étaient sans activité et 6% étaient des salariés
précaires26. Pour ces catégories,
l'accès au statut est une véritable porte de sortie afin d'aller
vers une stabilité professionnelle.
Toutefois, bien que l'accès à ce statut soit
facilité, la majorité des entrepreneurs choisissent cette voie
par défaut, celle-ci étant éloignée de leur projet
professionnel initial car non désirée, qu'il s'agisse
d'étudiants débutant sur le marché de l'emploi ou
d'anciens salariés licenciés. Bien que la sortie d'une situation
précaire puisse sembler positive, en 2014 Christel
Tessier-Dargent27 soulignait que l'entrepreneuriat de
nécessité avait un impact économique et social globalement
négatif. L'environnement est impacté par la situation
précaire ayant conduit l'entrepreneur à se lancer, sans compter
qu'il ne connaît généralement pas le milieu et la culture
de l'entreprise. Aussi, le profil personnel de ce genre d'entrepreneurs est
diamétralement opposé à la normale, faisant d'eux des
« anti-entrepreneurs28 » moins sûrs de leurs choix
et fragilisé par leur position de meneur non-salarié.
b) Une perception négative de la
désirabilité
La faisabilité et la désirabilité
perçues sont les deux facteurs aboutissant à l'intention de
créer une nouvelle entreprise. Le modèle de Shapero (1975)
définit la création d'entreprise comme un phénomène
associant les caractéristiques psychologiques du créateur,
influencées par sa situation sociologique et économique tels que
la désirabilité et la faisabilité. Ces
caractéristiques modèlent une intention, et celle-ci aboutit
à la création d'une entreprise. Dans le cas des créations
« forcées », la désirabilité est négative
mais aboutit
26 DEPROST, Pierre, LAFFON, Philippe,
IMBAUD, Dorothée, « Rapport : Evaluation du régime de
l'auto-entrepreneur », Inspection Générale des Finances /
Inspection Générale des Affaires Sociales, Mars 2013, p.17,
publié sur
igf.finances.gouv.fr
: [En ligne :
http://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/201
3/2013-M-085.pdf].
27 TESSIER-DARGENT, Christel, « Les
paradoxes de l'entrepreneuriat de nécessité : Strapontin ou
tremplin ? », Entreprendre & Innover, n° 20, avril 2014, p.
24-38.
28 Yaniv E., Brock D., [2012], «
Reluctant entrepreneurs : why they do it and how they do it', Ivey Business
Journal Online.
27
malgré tout à la réalisation du projet.
Un autre modèle de la formation de l'événement
entrepreneurial, imaginé par Shapero et Sokol en 1982 cité plus
haut, détaille les facteurs déterminant la création d'une
entreprise : ce qu'ils nomment les « déplacements négatifs
» et les « situations intermédiaires » constituent les
raisons forçant les individus à se lancer dans l'entrepreneuriat.
Dans ce modèle les déplacements négatifs correspondent
à des éléments de contrainte : l'émigration
forcée, la perte d'un emploi, l'atteinte d'un âge moyen ou encore
le changement de situation conjugale (divorce, veuvage). L'ensemble de ces
facteurs influencent de manière négative la
désirabilité du projet. Cela impacte directement l'intention
entrepreneuriale et influence le comportement de l'individu.
3. Enjeux pour l'entrepreneur de
nécessité
a) Spécificités de son comportement
En 1988, une étude de J. Kochanski et L. Kombou a
été publié par l'Agence nationale pour la création
d'entreprise. Elle présentait une distinction entre « deux races de
créateurs : les explorateurs et les reproducteurs ». Si pour les
reproducteurs l'entrepreneuriat ne représente pas une «
découverte », ce n'est pas le cas des explorateurs qui nous
intéressent donc ici. En effet, ces derniers s'aventurent dans un projet
d'entreprise sans en maîtriser les connaissances nécessaires.
Cette catégorie comprend les mutants et les individualistes. Les mutants
sont les entrepreneurs poussés par la nécessité, « la
création de leur entreprise est leur dernière chance de vivre
autrement qu'au chômage29 ». Les individualistes sont
quant à eux présentés comme des « parasites du
système ». Ils sont davantage motivé par les dispositifs
financiers aidant à la réalisation d'une entreprise que par
l'aboutissement du projet en lui-même. Pour ces entrepreneurs qui
recherchent par la mise en oeuvre de ce projet avant toute chose de sortir
d'une situation de précarité, Letowski décrit une logique
d'action spécifique : la logique d'insertion sociale. Selon lui, les
individus qui s'engagent dans cette voie, a pour premier objectif d'être
indépendant, d'exercer pour son propre compte. Il se satisfait
volontiers de résultats qui lui permettent d'assurer sa survie, et du
statut social
29 Hernandez Émile-Michel, « Les trois dimensions de
la décision d'entreprendre », Revue française de
gestion, 2006/9 (n° 168-169), p. 337-357 : [En ligne :
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2006-9.htm-page-337.htm].
28
que lui procure sa démarche. Il est davantage
gêné par les démarches administratives, problèmes de
gestion et notamment de trésorerie qui peuvent générer
chez lui du stress, notamment parce qu'il ne maîtrise pas ces
compétences.
b) Nécessité de maîtriser des
compétences clés
Les activités créées par les jeunes et
les demandeurs d'emploi s'essoufflent rapidement, en effet beaucoup
d'entrepreneurs ouvrent et ferment leur activité sans même se
soucier des compétences nécessaires30. Une
maturité, notamment dans la gestion du stress et des difficultés,
ainsi qu'une connaissance de la culture d'entreprise sont donc primordiaux.
L'entrepreneur de nécessité, s'il considère que son
activité est réalisable, mais n'a pas la volonté
d'entreprendre, ou plutôt se sent contraint devra nécessairement
développer ses compétences afin de palier à ses
lacunes.
Tout d'abord, la persévérance et le
sérieux de l'entrepreneur de nécessité doivent être
à toute épreuve. Ensuite, il doit également se former dans
la gestion et la prise de risques afin d'optimiser son efficacité. En
outre, il doit être en mesure d'effectuer son étude de
marché avec clairvoyance. Sa capacité à se former
continuellement, à effectuer une veille concurrentielle ou encore
à améliorer ses stratégies marketing définiront sa
trajectoire sur le long terme. Aussi, une gestion comptable et
financière de qualité lui permettra de pérenniser son
activité. La flexibilité et l'adaptation rapide au terrain ainsi
qu'une capacité de planification et de délégation sont
autant d'atouts qui faciliteront également l'organisation de
l'entrepreneur.
c) Nécessité de s'autoévaluer
L'entrepreneur est, de manière générale,
le seul maître à bord. Afin de s'autoévaluer et de
s'améliorer, il se doit de se munir des outils disponibles, ceci est
d'autant plus vrai quand il s'agit d'entrepreneur de nécessité.
Pour faire son bilan personnel, il dispose de différents outils lui
permettant d'évaluer ses motivations, ses contraintes et sa situation
afin d'évaluer
30 Marie BELLAN « 2018, année record pour la
création d'entreprise en France », dans les Echos, [en ligne],
https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/2018-annee-record-pour-la-creation-dentreprises-en-france-471288,
(page consultée le 23/03/2019)
29
les écarts entre ses expectatives et la
réalité. Si des ouvrages spécialisés sont
disponibles31, d'autres outils sont également à la
disposition des entrepreneurs. Dans un premier temps, la grille
managériale de Blake et Mouton permet d'évaluer le type de
leadership auquel nous appartenons. Cet outil d'évaluation se base sur
deux critères, le degré d'intérêt porté aux
relations humaines et celui porté à la production et aux
résultats. En fonction de ces deux degrés, cinq profils : gestion
participative, gestion démocratique, gestion intermédiaire,
gestion laxiste et gestion autoritaire.
Figure 7 : La grille managériale de Blake et
Mouton
Dans un second temps, un autre outil, plus classique et plus
abordable pour les néophytes, consiste en l'utilisation de
questionnaires. Le plus célèbre est le TLQ360 permettant de
s'auto-évaluer en se demandant comment l'on se perçoit et comment
l'on est perçu afin de mettre en place des choix pour modifier ces
comportements, choix qui permettront
31 Citons en guise d'exemple le manuel
de LUSTHAUS, Charles, Améliorer la performance organisationnelle: manuel
d'auto évaluation, IDRC, 1998, 168 p.
30
d'améliorer l'auto-efficacité 32 .
D'autres tests permettent de mesurer le potentiel entrepreneurial d'un individu
33 , ou encore sa personnalité 34 . Effectuer un
bilan de compétences permettra également à l'entrepreneur
de prendre la mesure de ses forces et faiblesses au sein de son entreprise.
Enfin, l'indicateur de jugement en situation de leadership,
le LJI-2, permet de juger la capacité d'adaptation d'un manager dans une
situation donnée. Il évalue la pertinence des décisions
prises par l'individu, et donc son leadership de manière globale :
Figure 8 : LJI-2, Indicateur de jugement en situation de
leadership35
Couplé à cet outil, l'inventaire de
personnalité de Bochum, dit le BIP, permet d'évaluer les sources
de motivation de l'individu mais également ses compétences
sociales, ses ressources psychologiques et ses comportements
professionnels36.
32 Concernant les outils
d'auto-évaluation du leadership, se référer à la
thèse de Mariya Jilinskaya, Approche psychométrique et
différentielle de la mesure du leadership par la méthode à
360°. Artefact et réalité dans
l'hétéro-évaluation, Paris Ouest, Octobre 2012 : [En ligne
:
https://bdr.u-paris10.fr/theses/internet/2012PA100112_diff.pdf].
33
https://www.bdc.ca/fr/articles-outils/boite-outils-entrepreneur/evaluation-entreprise/pages/autoevaluation-mesurez-votre-potentiel-entrepreneurial.aspx?page=1
34
https://www.cci.fr/web/creation-d-entreprise/testez-votre-profil-entrepreneurial
35
https://www.hogrefe.fr/leadership-les-bases-et-les-sources-du-pouvoir/
36 ibid.
31
d) Nécessité de développer son
leadership
Le leadership est une capacité à motiver et
influencer positivement son entourage et son équipe. Il repose sur
quatre compétences que doit posséder le leader : la vision,
l'influence, la collaboration et la communication :
Figure 6 : Auto-évaluation de son
leadership37
En étudiant ses propres capacités et limites,
l'entrepreneur pourra évaluer son leadership. Afin de mener à
bien son projet d'entreprise, le leader se doit de se connaître et de
maîtriser ses méthodes de travail et sa communication, il doit
pouvoir créer un climat de confiance avec ses collaborateurs. Il doit
être en mesure de soutenir les autres et d'être positif dans son
entreprise, mais également avoir une vision positive sur le long terme
en anticipant les problématiques et évolutions à venir.
Cette définition souligne la difficulté que peut rencontrer un
entrepreneur de nécessité dans la mise en place de son
leadership, d'autant
37 MOUMEN, Sylvie, «
Auto-évaluez votre leadership ! », publié le 10 juin 2014
sur
lemotducoach.com :
[En ligne :
http://lemotducoach.com/auto-evaluez-votre-leadership/].
32
plus que le leadership entrepreneurial s'appuie
particulièrement sur la capacité de l'entrepreneur à
innover, à s'engager intensément et à prendre des
risques.
Comme nous l'avons mentionné
précédemment, sa persévérance, sa consistance et sa
motivation sont autant d'atouts à développer. Aussi, en apprenant
ses limites, il saura prendre du recul sur lui-même. Être en
capacité de déléguer et de mettre de la distance est l'une
des manières de renforcer son leadership afin d'optimiser sa
capacité à donner le meilleur de soi-même.
33
C. CONCLUSIONS DE LA REVUE DE LITTERATURE
En guise de conclusion à cette revue de
littérature, nous retiendrons les points suivants :
· Les entrepreneurs d'opportunité et les
entrepreneurs de nécessité ne démarrent pas leur
activité professionnelle sur la même base. Selon les profils, ils
ne disposent pas tous des mêmes goûts pour l'entreprise. Le capital
culturel et le capital économique sont variables d'un individu à
l'autre. Ces différences jouent sur le sentiment d'auto
efficacité personnelle. Elles accentuent fortement les
inégalités face aux capacités objectives et subjectives
pour mener à bien de multiples tâches.
· Les politiques publiques visant à faciliter
l'accès au régime de l'auto entrepreneuriat peuvent être un
leurre si les entrepreneurs ne sont pas au fait des difficultés
liées à ce statut et des compétences à
maîtriser afin de mener à bien leur projet. Créer
aisément un statut juridique est une chose. Aller chercher des clients
et les fidéliser en est une autre, faisant appel à des
compétences en marketing et en gestion des affaires.
· Le sentiment d'auto-efficacité repose sur la
perception de ses propres compétences à mener de front plusieurs
registres disciplinaires déterminant à la fois la
faisabilité et la désirabilité d'un projet.
· Un mauvais entourage (famille, etc.), le manque du
sens de l'observation et le refus d'apprendre en continu sont autant
d'éléments qui affectent la mise en confiance
· Les compétences managériales des
entrepreneurs de nécessité sont à évaluer afin
d'augmenter leurs chances de réussite. Le contrôle de gestion et
le suivi de l'évolution de ses propres compétences permettent de
maîtriser ses interactions avec les parties prenantes du projet.
Il est temps à présent d'exposer nos
hypothèses de recherche avant de passer à la seconde partie de ce
travail, à savoir l'étude empirique menée auprès
des entrepreneurs.
34
PARTIE 2 : ENQUETE DE TERRAIN
Outre la partie littéraire qui nous a permis de
comprendre la construction du sentiment d'auto-efficacité chez les
entrepreneurs de nécessité, nous avons, dans les parties qui
suivent, tenter de vérifier dans quelle mesure ce que nous avons lu est
empiriquement conforme ou pas aux réalités de terrain. L'objectif
principal de cette enquête est donc d'apprécier le rôle de
l'auto-efficacité chez les entrepreneurs de nécessité et
de comprendre l'intérêt de ce concept en pratique. Les
hypothèses suggérées par notre analyse théorique
sont d'une part que le sentiment d'auto-efficacité est moindre chez les
entrepreneurs de nécessité et d'autre part qu'un sentiment
d'auto-efficacité fort améliore les chances de réussite
d'un projet entrepreneurial. Pour vérifier cela, nous avons choisi de
réaliser une enquête qualitative. Nous avons ainsi
interrogé sept responsables d'organisation et deux accompagnateurs
à la création d'entreprise. À l'aide d'un guide
d'entretien, nous avons récolté le témoignage de chacun
d'entre eux (cf. annexes), puis résumé et analysé les
réponses conformément à l'analyse de contenu des discours.
Il nous a fallu d'abord distinguer l'opportunité de la
nécessité qui était à l'origine du projet. Ensuite,
nous avons tenté d'évaluer le sentiment d'auto efficacité
au démarrage du projet. Cela nous a permis de comprendre comment il a
évolué, notamment en considérant son impact sur la
trajectoire de l'entreprise. Notre méthode est qualitative et
interprétative. Notre dispositif de recherche permet de cerner ainsi les
rôles et enjeux du sentiment d'auto-efficacité chez des personnes
qui un jour ont été dans la nécessité de
créer leur entreprise.
Dans un premier temps, nous vous exposerons les raisons du
choix de la méthode et nous en détaillerons les
caractéristiques. Ensuite, nous ferons état de nos
résultats et de notre analyse. Enfin, nous discuterons les limites de
notre étude et nous émettrons des recommandations.
35
A. METHODE
1. Choix de la méthode
Nous avons orienté notre recherche vers une enquête
qualitative, et plus précisément par le recueil de données
en entretiens individuels semi-directifs pour les raisons exposées
ci-dessous :
L'entrepreneuriat de nécessité est une notion
complexe qui peut impliquer plusieurs éléments : le parcours de
vie de l'individu, ses origines sociale et culturelles, son genre, son
âge... D'ailleurs, l'entrepreneur n'a pas toujours conscience qu'il
entreprend par nécessité et les accompagnateurs ne font
habituellement pas la distinction entre ces deux formes d'entrepreneuriat.
Distinguer ces deux types d'entrepreneuriat peut être
interprété comme une forme de discrimination. D'autre part, il
n'existe pas à notre connaissance de questionnaire permettant de
différencier entrepreneuriat d'opportunité et de
nécessité. Déterminer la contrainte relève donc
d'une appréciation contextuelle. Pour toutes ces raisons, l'entretien
individuel nous a semblé être la meilleure forme pour
apprécier le parcours de l'entrepreneur et ainsi de juger de la
nécessité ou de l'opportunité qui l'a conduit à
monter son entreprise.
L'évaluation de l'auto-efficacité
entrepreneuriale est une notion abordée dans la littérature, mais
à notre connaissance aucune étude quantitative n'a vu le jour.
Pour cause, s'il existe une échelle d'évaluation du sentiment
d'auto-efficacité appliquée au choix des orientations
professionnelles pour les lycéens, il n'existe pas d'échelle
d'évaluation de l'auto-efficacité adaptée à
l'entrepreneuriat. De plus, s'agissant d'évaluer un sentiment, il nous a
semblé judicieux de rencontrer les individus pour créer un climat
de confiance qui incite à se confier et permet de considérer la
communication non verbale.
Outre l'appréciation du degré (faible ou fort)
de l'auto-efficacité, le choix d'une enquête qualitative nous
permet de comprendre la place qu'il occupe dans la démarche de
l'entrepreneur. Comment ce sentiment influence-t-il le comportement de
l'entrepreneur et quelles conséquences a-t-il sur la trajectoire de
l'entreprise. Ce type d'information qui
36
permet d'appréhender un concept, d'en comprendre les
tenants et les aboutissants, ne peut être recueilli que dans le cadre
d'une enquête qualitative.
2. Méthodologie pour le recueil des
données
a) Modalités pratiques
Les entretiens individuels ont eu lieu de mars à avril
2019. Le lieu de chaque rencontre était laissé à la
convenance de l'interviewé. En préambule de l'entretien, la
garantie de l'anonymat a été affirmée. L'ensemble des
personnes interrogées a donné son accord pour l'enregistrement
des entretiens et l'utilisation des données à des fins
scientifiques. Un dictaphone a donc permis de recueillir la totalité des
échanges. Les entretiens ont duré entre 25 et 55 minutes. En
effet, malgré les relances, les propos de certains interviewés
restaient succincts.
b) Procédure de recrutement
Nous avons choisi d'interroger des entrepreneurs de tout
horizon afin de minimiser les biais d'interprétation concernant
l'opportunité et la nécessité. Puisque
l'auto-efficacité conditionne l'intention entrepreneuriale et donc la
décision d'entreprendre, il nous a semblé judicieux d'inclure des
entrepreneurs naissants qui nous faisaient part de leur sentiment
d'efficacité personnelle en temps réel. Nous avons
également inclus des entrepreneurs bien établis qui avaient un
regard rétrospectif sur leur auto-efficacité mais qui nous
permettait d'apprécier la trajectoire du projet. Enfin, il nous a
semblé pertinent de recueillir les propos d'accompagnateurs à la
création d'entreprise dans le but d'apporter un éclairage
différent quant à la contrainte. Les accompagnateurs font-ils la
distinction opportunité/nécessité ? Et adaptent-il leur
accompagnement ?
Concernant les entrepreneurs : Le recrutement des
premières personnes interrogées s'est fait par le biais de
l'entourage de l'enquêteur. Au cours de l'étude, d'autres
créateurs d'entreprise sont venus enrichir l'enquête après
avoir été recommandé par les premiers. Concernant les
accompagnateurs : Plusieurs structures ont été
sollicitées. Dans le temps imparti deux ont accepté de
répondre à nos questions.
37
c) Elaboration d'un outil de recueil de données
: le guide d'entretien
Le choix de notre méthode de recueil s'est
orienté vers un entretien individuel semi-directif. Cela nous permettait
de cadrer le discours des interviewés tout en leur laissant une
autonomie de parole. L'organisation du guide en thématiques a permis de
cerner les différents enjeux de notre questionnement : l'approche de la
contrainte dans l'entrepreneuriat, le rôle du sentiment
d'auto-efficacité et les enjeux de son développement.
L'élaboration de question ouverte offrait néanmoins à
l'interviewé la possibilité de s'exprimer librement, le laisser
parler de son vécu, de son histoire et des épreuves
traversées. Bien que nous disposions d'une série de questions
pré rédigées, ce guide ne constituait en aucun cas un
ordre précis ni une formulation type des questions. L'enquêteur se
laissant surprendre par les réponses, pouvait adapter le guide au cours
de la discussion.
Après un cadrage introductif, les questions ont donc
été déroulées selon trois thématiques :
1. L'entrepreneuriat de nécessité
2. L'évaluation du sentiment d'auto-efficacité
3. L'évolution du sentiment d'auto-efficacité au
cours du projet
Pour chacune des thématiques, des objectifs
différents en fonction des interlocuteurs ont été
établis. Pour les entrepreneurs, nous avons formulé nos objectifs
de la sorte :
1. Comprendre les motivations de l'entrepreneur, et
éventuellement identifier une contrainte. Il était alors
nécessaire de s'enquérir du parcours de vie de
l'interviewé, de mettre en évidence les déterminants de
son intention entrepreneuriale et notamment sa perception de la
désirabilité, comme le suggère le modèle de
Shapero. Nous considérons en effet, comme décrit dans la
littérature qu'une faible désirabilité orientait
plutôt vers l'interprétation de la contrainte. La question
principale de cette thématique pouvait être résumée
ainsi : « Pourquoi êtes-vous devenu entrepreneur ? ». Des
questions rebonds permettaient d'orienter la discussion.
2. Évaluer le sentiment
d'auto-efficacité. Cet objectif répond à la question
générale suivante : « Dans quelle mesure
considériez-vous que le projet était faisable ? » Pour cela
nous avons axé nos questions autour des quatre sources
déterminant le niveau d'auto-efficacité selon Bandura. Nous avons
d'abord interrogé les expériences de
38
notre interlocuteur. Cela permettait de savoir s'il
maîtrisait les étapes de création voire de
développement d'une entreprise : Quelle connaissance du monde de
l'entreprise aviez vous avant d'initier votre projet ? Quelles
expériences personnelles aviez-vous dans la réalisation des
tâches à accomplir pour devenir entrepreneur ? Montage de projet ?
Compétences administratives ? Compétences de gestion ? Puis,
nous nous sommes intéressés à ses expériences
indirectes (modèle de réussite d'entrepreneuriat chez un pair).
Dans votre entourage, avez vous des exemples de réussite dans
l'entrepreneuriat ? Ensuite nous l'avons interrogé sur le soutien
dont il bénéficiait et donc l'influence d'une persuasion verbale
venant d'autrui. Enfin, nous avons tenté de capter son état
émotionnel au moment de son intention d'entreprendre. Par ailleurs, il
nous a semblé pertinent de les interroger sur leurs attentes au
lancement du projet, afin d'intégrer leur sentiment d'efficacité
personnelle dans la configuration suggérée par Bandura et
citée précédemment.
3. Déterminer le rôle de
l'auto-efficacité dans le projet entrepreneurial. Il s'agissait ici
de répondre aux questions suivantes : « comment s'est
développé le sentiment d'auto-efficacité ? » et
« le développement ou non du sentiment d'auto-efficacité
est-il en lien avec une trajectoire prévisible du projet d'entreprise ?
». Il était d'abord nécessaire d'interroger l'entrepreneur
sur les éléments qui auraient pu renforcer son sentiment
d'efficacité personnelle, tels que les obstacles surmontés ou les
compétences acquises. Quels obstacles avez-vous surmonté et
comment ? Quelle(s) compétences pensez vous avoir acquises depuis la
création de votre entreprise ? Nous avons ensuite cherché
à comprendre ce qui avait pu aider les entrepreneurs dans le
développement de leur auto-efficacité. Avez vous
bénéficié d'un accompagnement dans la réalisation
de votre projet ? Avez vous bénéficié de formation ou
d'accompagnement quelconque depuis la création de votre entreprise ?
Lesquelles ? Pourquoi ? Nous les avons enfin interrogés sur leur
bilan, leur motivation et la satisfaction qu'ils éprouvaient à
l'égard du projet.
Pour les accompagnateurs, les objectifs et questions ont
été adaptés de cette façon :
1. Comprendre les motivations de l'entrepreneur. Le
questionnement était alors d'emblée orienté vers la
contrainte. Il s'agissait d'avoir un point de vue objectif en interrogeant les
professionnels sur l'existence supposée d'une différence entre
les
deux types d'entrepreneurs (opportunité et
nécessité). Si tel était le cas, de quelle façon
l'accompagnement s'adapte-t-il au profil de l'entrepreneur ?
2. Evaluer la connaissance des déterminants de
l'auto-efficacité. Nous avons interrogé les professionnels
sur leur connaissance de l'auto-efficacité. Ce concept n'étant
pas clairement établi, nous avons orienté nos questions vers la
mise en évidence des déterminants de la faisabilité d'un
projet d'entreprise. Quels sont les facteurs qui influencent l'envie
d'entreprendre ? Quelles sont les qualités nécessaires à
l'entrepreneuriat ? Nous avons également cherché à
comprendre l'influence de ces déterminants chez l'entrepreneur de
nécessité. A quels obstacles les entrepreneurs de
nécessité sont-ils confrontés dans leur démarche
?
3. Déterminer les éléments pouvant
agir sur le sentiment d'auto-efficacité. Nous avons enfin
interrogé les accompagnateurs à la création d'entreprise
sur les éléments qui peuvent agir sur le sentiment
d'auto-efficacité d'un entrepreneur naissant : en quoi leur
accompagnement est-il bénéfique ? quelles recommandations
complémentaires émettent-ils pour faire grandir chez l'individu
la perception de la faisabilité ?
3. Méthode d'analyse de contenu
Selon Laurence Bardin 38 : « l'analyse de contenu est
un ensemble d'instruments méthodologiques en constante
amélioration s'appliquant à des discours extrêmement
diversifiés. Le facteur commun de ces techniques multiples et
multipliées (...) est une herméneutique contrôlée
fondée sur la déduction et l'inférence. En tant qu'effort
d'interprétation, l'analyse de contenu se balance entre les deux
pôles de la rigueur de l'objectivité et de la
fécondité de la subjectivité ».
Parmi les outils permettant d'analyser le contenu des textes
et des discours, il y a la méthode qui consiste à repérer
les divers champs lexicaux composant les textes ou les discours. « Un
champ lexical est l'ensemble des mots qui, dans un texte, se rapportent
à une même notion ». L'analyse du champ lexical peut
reposer sur le comptage des mots (noms,
39
38 Bardin Laure (2013), « L'analyse
de contenu » Paris, PUF,
40
adjectifs, verbes) appartenant au même univers de sens
(sémantique). Autrement dit, à un même thème. C'est
cette raison thématique qui nous a poussés plus haut à
organiser notre questionnaire en catégorie de sens. La technique de la
catégorisation permet de cartographier des lignes de force
récurrentes dans l'ensemble des discours des personnes
interrogées. À la suite de quoi, il est possible de
réaliser un travail d'interprétation et de déduction
(inférence) sur les processus motivationnels de la création
d'entreprise et de l'entreprenariat de nécessité.
D'autre part, l'analyse de contenu s'appuie à la fois
sur le propos réel de l'interviewé, et sur le contexte qui permet
d'apporter un sens à ce propos. Outre la situation personnelle de
l'entrepreneur, le sens du contenu de ses propos dépend aussi des enjeux
extérieurs qui entourent son action (période de vie,
marché du travail, bassin d'emploi, etc.). Par ailleurs, le choix des
mots dit toujours quelque chose sur le théâtre mental des
personnes qui parlent (conflit intérieur, évolution des
préférences, problématique, etc.). L'interprétation
des connotations du langage permet ainsi de mieux cartographier les sentiments,
les doutes et les interrogations vécues par l'interviewé.
Notre analyse repose également sur les connaissances
théoriques que nous avons accumulées au cours de notre examen de
la littérature. Nous avons en effet utilisé les grilles de
lecture proposées par différents auteurs pour apporter un relief
au discours de nos entrepreneurs. Nous avons ainsi choisi de croiser certaines
données recueillies et de les lire au travers du prisme proposé
par différentes théories.
Notre dispositif méthodologique relève
dès lors d'un décodage interprétatif de la parole que l'on
relie à la fois à nos connaissances théoriques ainsi
qu'à celles relevant du contexte du marché du travail dans lequel
sont plongées les personnes que nous avons interrogées. Ce
dispositif explicatif opère des allers retours entre l'analyse lexicale
et le contexte. C'est en croisant toutes ces informations que l'on peut
justifier des interprétations les plus proches du réel.
41
B. RESULTATS ET ANALYSE
1. Description de l'échantillon
a) Les entrepreneurs
Notre échantillon inclut sept entrepreneurs. Six
d'entre eux vivent dans la métropole Lilloise, un dans le bassin minier
du Pas de Calais. Il est composé de cinq hommes et deux femmes,
âgés de 28 ans à 52 ans. Ils exercent leur activité
dans différents secteurs : la restauration, le paramédical,
l'assurance, l'évènementiel, l'électronique et le
conseil.
Prénom39
|
Genre Âge
|
Niveau d'étude
|
Activité
|
Période de vie*
|
Environnement familial
et géographique
|
Djamil
|
H
|
28
|
Niveau Bac pro Commerce
|
Gérant d'un établissement de restauration
rapide
|
2009 à ce jour
|
Célibataire, sans enfant. Roubaix
|
Iris
|
F
|
41
|
Bac + 3 Santé
|
Infirmière libérale. En création d'une
société d'aide à la personne.
|
2019 (en cours de création)
|
Mariée, 4 enfants. Roubaix
|
Karim
|
H
|
33
|
Niveau Bac+ 2 Comptabilité
|
Agent général en assurance sous mandat
|
2017 à ce jour
|
Marié, 1 enfant Bassin Minier Pas de Calais
|
Laure
|
F
|
32
|
Bac+ 3 Marketing
|
Organisatrice de mariages
|
2010-
2014
|
Mariée, 1 enfant. Lille
|
Mehdi
|
H
|
32
|
Bac+ 4 Histoire
|
Vente à distance de produits électroniques en
B to B
|
2014 à ce jour
|
Marié, 2 enfants. Tourcoing
|
Paul
|
H
|
52
|
Bac + 2 Commerce
|
Production de matériel industriel
|
2007-
2011
|
Célibataire, sans enfant. Wasquehal
|
Victor
|
H
|
38
|
Bac pro Electronique
|
Co-Gérant d'une entreprise de vente de
produits pharmaceutiques
|
2015-
2017
|
Divorcé, 2 enfants. Lille
|
* correspond à la période de vie de
l'entreprise
Tableau n°2 : Caractéristiques des entrepreneurs
interrogés
La mixité de genre est assurée au sein de notre
échantillon, mais les femmes y sont représentées à
hauteur de 28,6%. La sous-représentation de la gente féminine
peut être
39 Afin de conserver l'anonymat des
personnes interrogées, les prénoms ont été
modifiés.
42
interprétée de plusieurs façons. D'abord,
il peut exister un biais de recrutement : le choix des interviewé a en
effet concerné dans un premier temps le réseau de
l'enquêteur avant de prendre une direction plus aléatoire. Ensuite
l'échantillon constitué de sept personnes n'est pas suffisamment
représentatif de la population pour pouvoir prendre cette variable en
considération. Néanmoins on note en France une
sous-représentation des femmes dans l'entrepreneuriat : en 2015, 40% des
entrepreneurs étaient des femmes et parmi les français qui ont
déjà été dans une démarche entrepreneuriale,
seules 27% étaient des femmes40.
Au sein de notre échantillon, l'âge moyen des
entrepreneurs est de 36,5 ans, avec 57% de trentenaires. Cela correspond aux
statistiques que l'on retrouve dans la population française : en 2016,
l'âge moyen des créateurs d'entreprise était de 38 ans et
demi, avec une surreprésentation de la tranche 30-39 ans41.
Une nuance : l'âge au moment de l'entretien ne correspond pas toujours
à l'âge de l'entrepreneur au moment de la création de son
entreprise.
Dans notre étude, 5 entrepreneurs sur 7 sont
diplômés au delà du Baccalauréat, soit 71% de
l'échantillon. Nous relevons que, parmi eux, 3 ont fait des
études pouvant présenter un intérêt dans la
création d'entreprise (Marketing, Comptabilité, Commerce), soit
43% de l'échantillon. Ces données statistiques ne correspondent
pas à ce que l'on retrouve à l'échelle nationale : en
2016, 54% des créateurs d'entreprise n'étaient pas
diplômés ou avaient un niveau d'étude CAP, BEP, Bac ; seuls
15% étaient titulaires d'un Bac+542. Les entrepreneurs
interrogés sont donc plus diplômés que la moyenne. Cela
peut présenter un biais d'interprétation, notamment concernant la
maîtrise des tâches à accomplir dans l'entrepreneuriat.
Notre échantillon est hétérogène
en termes d'activité. Cela nous permet d'avoir une vision large des
compétences requises dans la création d'entreprise et de
s'interroger : Existe-t-il des compétences plus abordables pour
entreprendre dans certains secteurs ? Ces secteurs
40 Le portail de l'Economie, des
Finances, de l'Action et des Comptes publics. Site du gouvernement :
https://www.economie.gouv.fr/entreprises/chiffres-cles-femmes-entreprise
consulté le 02 juin 2019
41 idem
42 Site de la Chambre de Commerce et
d'Industrie :
https://www.cci.fr/web/creation-reprise-cession-d-entreprise/panorama/-/article/Profil+des+entrepreneurs/profil-des-entrepreneurs
consulté le 02 juin 2019
43
favorisent-ils la faisabilité du projet entrepreneurial
? Peut-on alors identifier un secteur d'activité plus propice à
l'entrepreneuriat de nécessité ? Cette
hétérogénéité du secteur d'activité
nous permet également d'identifier les compétences clés
pour entreprendre.
Deux entreprises sur sept ne sont plus en activité,
soit 28,7% de l'échantillon. Elles ont eu une durée de vie de,
respectivement, 4 et 5 ans. Selon l'INSEE
b) Les accompagnateurs
L'échantillon inclut également deux «
accompagnateurs ». Un homme de 33 ans et une femme de 37 ans, tous deux
titulaires d'un Bac+3 et exerçant en tant que conseiller en
création d'entreprise à Roubaix. Le premier travaille au sein de
la BGE (Bureau de Gestion des Espaces), une structure associative d'appui aux
entrepreneurs ; la seconde au sein de la maison de l'initiative et de l'emploi
(MIE), structure dépendant de la Métropole Européenne de
Lille.
Prénom
|
Genre
|
Âge
|
Niveau d'étude
|
Structure
|
Céline
|
F
|
37
|
Bac + 3
|
Conseillère en création d'entreprise
à la MIE de Roubaix
|
David
|
H
|
33
|
Bac + 3
|
Conseiller en création d'entreprise à la
BGE de Roubaix
|
Tableau n°3 : Caractéristiques des accompagnateurs
interrogés
Relevons que la BGE est une association qui «
s'appuie sur des valeurs fortes : initiative, solidarité, innovation,
professionnalisme, réalisation des personnes, développement
durable »43. En effet cette précision peut orienter
notre interprétation, dans le sens où nous avons conscience des
valeurs qui animent notre interlocuteur. La MIE est quant à elle une
structure qui dépend directement des pouvoirs publics à
l'échelle locale, et con action est donc fortement influencée par
le contexte politique.
43 Site de la BGE Hauts de France
https://www.bge-hautsdefrance.fr/qui-sommes-nous/
consulté le 02 juin 2019
44
Les deux accompagnateurs exercent à Roubaix, ville
particulièrement touchée par la pauvreté et le
chômage44. Aussi, considérant ce contexte
socio-économique défavorable à l'emploi, nous pouvons
d'ores et déjà supposer que les accompagnateurs interrogés
sont amenés à orienter bon nombre d'entrepreneurs de
nécessité.
2. Naissance de l'intention entrepreneuriale
Dans le premier temps de nos entretiens nous nous sommes
intéressés aux raisons pour lesquelles les individus avaient
choisi de s'engager dans la voie entrepreneuriale. L'entrepreneuriat pour les
personnes interrogées était-il perçu davantage comme une
contrainte que comme une opportunité ? Nous avons conscience qu'une
vision purement manichéenne dans ce contexte n'est pas adaptée.
La réponse à cette question ne peut être
catégorique. C'est pourquoi l'objectif de notre analyse était
davantage de mettre en évidence une tendance que de classifier les
entrepreneurs interrogés. Afin d'en faire un commentaire le plus
objectif possible, et limiter ainsi les biais d'interprétation, nous
avons retenu dans leurs discours les motivations à entreprendre et nous
les avons confrontés à plusieurs grilles d'analyse
retrouvées dans la littérature. En effet, comme nous l'avons
déjà vu dans la définition de l'entrepreneur par
nécessité, il est décrit par différents
auteurs45 des facteurs push et des facteurs pull. Les premiers sont
des éléments qui vont contraindre un individu à
entreprendre, tandis que les seconds vont plutôt lui offrir des
opportunités. Un autre élément de la littérature a
guidé notre interprétation : la notion de
désirabilité perçue. Shapero et Sokol considérait,
dans leur modélisation de la formation de l'événement
entrepreneurial, que la perception de la désirabilité d'un projet
était influencée par le contexte de vie des individus. Ils
identifiaient ainsi des déplacements négatifs ou positifs et des
situations intermédiaires, correspondant à des
évènements de vie et orientant les intentions et décisions
d'un individu. Il était question d'une désirabilité
perçue plus faible chez les entrepreneurs de nécessité.
44 Renoul, B., « Roubaix, ville la
plus pauvre de France, une nouvelle article le confirme », dans La Voix du
Nord. 28/01/14
45 Fayolle, Nakara, Carter et al. 2003 ;
Kove
45
Nous appuyant sur ces deux approches nous avons ainsi pu
identifier chez chaque entrepreneur une tendance dans la motivation à
entreprendre. En effet, dans les discours de Djamil, Mehdi, Laure et Karim, la
présence de contrainte était plus évidente et même,
selon nous, supérieure à l'opportunité. Nous y avons, en
effet, retrouvé de nombreux facteurs push ou éléments
ayant terni la désirabilité de leur projet. Pour deux d'entre eux
il s'agissait de la précarité de leur situation professionnelle.
La difficulté qu'ils éprouvaient à se stabiliser dans
l'emploi et la confrontation au chômage constituaient des
éléments majeurs de leurs discours. Karim dit «
J'étais demandeur d'emploi [...] J'en avais assez des petits emplois en
interim. On ne peut pas se projeter avec une situation pareille. » Mehdi
quant à lui parle d' « échecs » renforçant
l'idée que sa trajectoire professionnelle était assimilée
à des obstacles à surmonter, il dit : « J'ai
décidé de devenir entrepreneur après une succession
d'échecs professionnels ». Il évoque la complexité de
trouver un emploi à la hauteur de ses attentes et compétences :
« aussi parce que les emplois que je pratiquais étaient soit
précaires soit souvent très peu à la hauteur de mes
qualifications professionnelles. » Il justifie cela par le sentiment
d'avoir été discriminé et met bien en parallèle le
facteur push décrit avec l'intention entrepreneuriale : « Je pense
avoir vécu des discriminations à l'emploi, de ce fait j'ai
investi dans mon emploi en créant ma société. ». Pour
Djamil, 18 ans à l'époque de l'ouverture de on entreprise, on
mettait en évidence deux autres facteurs. D'une part, la fin du cursus
scolaire, précipitée par des difficultés : «
J'étais dans un lycée professionnel, j'avais un peu de mal
à suivre les cours. ». Cela pourrait être qualifié,
selon l'analyse de Shapero et Sokol, de déplacement négatif.
D'autre part, une désirabilité diminuée par l'envie de se
conformer aux attentes de son père : « C'est aussi mon père
qui m'a orienté vers cette décision ». Dans le discours de
Laure, on met là encore en évidence deux autres facteurs push. En
premier lieu, des problèmes de santé, qui correspondent à
des déplacements négatifs : « J'étais salariée
et suite à un petit problème de santé, je me suis remise
en question ». En second lieu, un sentiment de peur qui affaiblit sa
désirabilité à se lancer dans le projet : «
J'étais partagée parce que je voulais vraiment créer mon
entreprise mais j'avais peur ! J'avais vraiment très peur ». Par la
répétition elle insiste sur ce sentiment de peur, et nous pouvons
comprendre que cet élément a été déterminant
dans son intention entrepreneuriale.
46
Malgré tout, dans le discours de ces entrepreneurs,
nous avons également retrouvé des facteurs pouvant être
considérés comme « pull » et des éléments
influençant de manière positive la désirabilité du
projet. Nous remarquons que tous les quatre ont cité la recherche d'une
autonomie, et d'une certaine liberté. Djamil dit : « La
possibilité de gérer soit même les heures de travail, je
voyais beaucoup la liberté... Ne plus avoir de consignes, de directeur,
de personne qui te donne des ordres. C'était ça surtout. »
Laure : « Pour être libre de mon emploi du temps. » Mehdi :
« être libre de décider manière autonome ». Ce
facteur, faisant l'unanimité chez ces entrepreneurs, peut être
considéré comme particulièrement attrayant. La
liberté et l'autonomie constituent de fait des éléments
majeurs dans l'intention entrepreneuriale. Un autre élément
était mis en évidence dans trois des quatre discours : l'envie de
gagner de l'argent. « Je voulais gagner de l'argent », dit Djamil,
« laisser un bon patrimoine à mes enfants. » dit Karim, ou
encore « être indépendant financièrement » dit
Mehdi. Il nous semble que ce facteur pull est à nuancer. En effet s'il
représente une motivation pour l'individu, il est aussi un
élément révélant la difficulté qu'ils ont de
« gagner de l'argent » autrement que par l'entrepreneuriat. Il est
donc à contrebalancer avec les problèmes de
précarité et de chômage. Pour Mehdi, un autre facteur avait
influencé sa décision d'entreprendre : le challenge. « Il y
avait quand même une barrière qui était le
côté financier avec le risque de perdre mes économies, mais
je suis plutôt joueur alors j'ai tenté l'aventure. »
L'idée de relever un défi, et d'avoir une approche positive de la
prise de risque influence ici de manière positive la
désirabilité du projet. Enfin chez Djamil, nous avons
relevé un dernier élément encourageant la motivation : le
besoin d'accomplissement. « Ça n'allait pas du tout la
théorie, donc je me suis dit il faut que je me lance dans la pratique,
tout simplement. Je me suis dit il faut que je fasse quelque chose de mes
doigts, parce que de ma tête j'allais pas faire grand-chose. En fait, je
suis plus doué avec mes mains qu'avec ma tête. » Il ne se
sentait pas épanoui sur les bancs de l'école, et avait besoin
d'autre chose pour s'accomplir. Dans sa façon d'en parler, on devine une
certaine fatalité. Pour cela, il est encore une fois légitime de
s'interroger sur la réalité « pull » du facteur.
Accepter ses difficultés scolaires et envisager une autre trajectoire
que celle imposée par l'éducation nationale peut être
interprété comme une preuve de réalisme salvateur ou comme
un désarroi fataliste.
47
Pour les trois autres entrepreneurs interrogés les
facteurs « pull » étaient plus évidents et bien
supérieurs aux facteurs push. En effet, chez Iris et Paul nous n'avons
pas retrouvé d'éléments de contrainte dans leur discours.
Iris pense même qu'« il ne faut pas le faire parce qu'on est au
chômage. Il faut que l'idée soit constructive, que tu aies une
idée de base et que tu te sentes capable d'assurer sur ce dans quoi tu
vas t'engager. » Elle ajoute d'ailleurs que la contrainte peut selon elle
être à l'origine d'une trajectoire défavorable du projet
entrepreneurial : « Parce que si tu fais ça juste pour combler
parce que tu n'as pas de travail hey bah je ne sais pas si ça va
durer... ». Mais, comme nous l'avons déjà vu, le
chômage est loin d'être le seul facteur de contrainte. Du reste,
Victor nous faisait part d'un élément qui n'a pas
été cité par les entrepreneurs que nous avons
identifié dans la tendance à la nécessité :
l'ennui. « En fait dans mon poste, je commençais à avoir
fait le tour, me disais « barre toi, barre toi ! Mais vu comment t'es
naturellement c'est pas pour rien... » L'ennui est cité dans le
modèle de Shapero et Sokol comme un déplacement négatif,
affectant la désirabilité du projet. Il nous semble que dans le
contexte ce facteur peut être nuancé d'une part parce qu'il est le
seul élément pouvant être considéré comme
négatif par Victor, et d'autre part parce qu'il est cité de
manière plutôt détachée, sans manifester
d'émotion néfaste. Au contraire, il semble nous dire que sa
personnalité l'orientait vers un autre projet que le poste qu'il
occupait. L'ennui peut donc, ici, être mis en parallèle avec
l'envie de relever de nouveaux défis, représentant alors un
facteur plutôt « pull ». Pour ce qui est des autres facteurs
ayant influencé positivement l'intention entrepreneuriale, l'idée
d'un projet a été citée par les trois entrepreneurs. Iris
dit : « j'ai senti qu'il y avait un besoin », Paul : « Je le
voulais vraiment, sincèrement pour accéder à un
marché qui n'était pas développé. » et Victor
: « là c'était parce qu'il y avait une opportunité.
J'étais dans mon boulot, je faisais un truc et là je me suis dit
tiens il y a un « biz » à faire. ». Le fait qu'une
idée de projet émerge renforce la désirabilité,
mais surtout représente un facteur évident de l'existence d'une
opportunité. Deux des trois entrepreneurs citent également la
présence de clients intéressés. Iris: « J'ai vu qu'il
y avait des patients qui se confiaient, ils me demandaient pleins d'aides
», Victor : « Tous les clients me le demandaient, tout le monde
cherchait à avoir ce produit donc je me suis lancé ». Ce
facteur est clairement identifié par Shapero et Sokol comme un
déplacement positif, augmentant donc la désirabilité du
projet. Dans l'expérience d'Iris, nous retrouvons un autre
déplacement positif important : la rencontre d'une partenaire. «
j'ai croisé une femme de ménage et j'ai vu qu'elle travaillait
vraiment bien,
Laure
Mehdi
qu'elle s'occupait vraiment bien des gens. Un jour elle m'a
dit "tu sais si je savais mieux parler le français, j'aurais ouvert une
société, j'aurais créé quelque chose pour aider les
personnes". Donc ça m'a mijoté un peu et je lui ai dit ah bah je
veux bien le faire avec toi. » L'existence d'un associé au
démarrage du projet renforce la désirabilité et
l'intention entrepreneuriale. Notons enfin qu'Iris, comme les entrepreneurs que
nous identifions de nécessité, mettait en avant la recherche de
liberté dans l'entrepreneuriat. Cela renforce notre analyse identifiant
cet élément comme un facteur « pull » majeur.
Les deux tendances (opportunité et
nécessité) se sont ainsi révélées dans notre
analyse. Dans les tableaux ci-dessous nous avons donc listé l'ensemble
des éléments pouvant permettre d'identifier une tendance dans la
motivation des entrepreneurs interrogés à s'engager dans leur
projet. Le premier tableau regroupe les entrepreneurs chez qui nous avons
conclu que la nécessité avait davantage influencé leur
intention entrepreneuriale. Dans le deuxième tableau, ne mettant aucun
facteur push ou presque chez les entrepreneurs en question, nous avons conclu
que c'était l'opportunité qui avait guidé leur intention
d'entreprendre.
|
|
Facteurs Push / Désirabilité
négative
|
|
Facteurs Pull / Désirabilité
positive
|
|
|
|
|
|
|
Djamil
|
|
|
- sortie d'école précipitée par des
difficultés scolaires
- besoin de se conformer aux attentes de son père
|
|
- besoin d'accomplissement
- recherche d'autonomie, liberté - gagner de l'argent
|
Karim
|
|
|
|
|
|
|
|
- chômage, précarité de l'emploi
|
|
- recherche de liberté, d'autonomie - gagner de
l'argent
|
- problème de santé - peur du risque
|
- précarité de l'emploi, difficulté à
trouver un emploi à la hauteur de ses qualifications
- sentiment d'échec
- sentiment de discrimination
|
- recherche d'autonomie
- recherche d'autonomie - gagner de l'argent
- relever un défi
|
48
Tableau n°4 : Facteurs influençant l'intention
d'entreprendre chez les entrepreneurs de nécessité
Facteurs Push / désirabilité
négative
Paul
Facteurs Pull / désirabilité
positive
- idée de projet
- clients potentiels
- rencontre d'une partenaire
- recherche de liberté
« Une vie libre. »
- idée de projet
- relever des défis - idée de projet
- clients potentiels
|
49
Tableau n°5 : Facteurs influençant l'intention
d'entreprendre chez les entrepreneurs d'opportunité
3. Evaluation de l'auto-efficacité
Dans le second temps de nos entretiens, nous avons
cherché à évaluer le sentiment d'auto-efficacité
chez l'ensemble des entrepreneurs interrogés. Pour cela nous les avons,
d'une part, interrogé quant à la faisabilité du projet, et
aux obstacles qu'ils avaient envisagés. D'autre part, nous nous sommes
appuyés sur la théorie de Bandura, qui identifiait les quatre
sources de l'auto-efficacité : l'existence d'expériences utiles
dans le projet d'entreprise, la présence de modèle de
réussite dans leur entourage, l'encouragement par des tiers et
l'état émotionnel et physiologique de l'individu au moment de
réaliser le projet. Pour ce dernier point, nous apportons quelques
précisions. Nous n'avons pas interrogé les entrepreneurs sur leur
état de santé au moment d'entreprendre. Seule Laure nous en a
fait part, et ce de façon spontanée. Il nous a semblé que
cette question n'était pas adaptée dans le contexte de nos
entretiens. Concernant l'état émotionnel, nous avons
également interprété les propos pour les mettre en
relation avec ce qui nous semblait correspondre à un état
d'esprit plutôt positif ou négatif.
Pour six entrepreneurs sur sept, il ne faisait aucun doute que
le projet était faisable. Ils l'ont tous affirmé avec plus ou
moins de conviction et d'arguments. Djamil et Mehdi en parlent plutôt
comme une croyance, sans apporter d'éléments tangibles à
leur affirmation : « pour
50
moi c'était largement faisable » dit Djamil,
« Je croyais tellement en mon projet que j'ai mis tous les moyens
nécessaires pour y arriver. » dit Mehdi. D'ailleurs quand on
interroge Djamil, il semble surpris de la question, comme si la
faisabilité était une évidence. Et ce d'autant plus qu'il
n'imaginait aucun obstacle : « Aucun obstacle, je pensais vraiment que ce
serait facile. ». Son jeune âge au moment d'entreprendre est un
élément qui permet de comprendre son état d'esprit. Mehdi
quant à lui semblait mesurer un peu plus l'ampleur de la tâche, il
a d'ailleurs évoqué de nombreux obstacles envisageables : «
Les plus gros freins avant de créer mon entreprise étaient le
côté financier, le fait d'être seul, ne pas savoir par quoi
commencer. Beaucoup de choses à apprendre avec un jargon très
riche qui était une sorte de barrière. Une logique aussi à
assimiler sur le côté administratif ». Si l'on confronte son
analyse des obstacles face à la détermination avec laquelle il
affirme que son projet était faisable, on comprend que sa conviction
à ce moment-là relevait davantage d'une croyance. En revanche,
pour Karim, Iris, Victor et Paul la faisabilité du projet reposait sur
des éléments tangibles. Pour Karim il s'agissait d'un apport
financier, et de l'accompagnement par un associé compétent :
« J'avais les fonds nécessaires pour la structure, et mon
associé de l'époque avait fait les études
nécessaires pour choisir l'endroit de l'implantation. » Pour Iris,
la législation posait le cadre de la faisabilité : « Par
rapport à l'aide à domicile, le conseil général
demandait un bac +4, et comme je leur ai dit que j'étais
infirmière libérale et que j'ai une expérience
libérale, ils m'ont dit que c'était valable. » Pour Paul,
c'était une étude de marché rigoureuse : « J'avais
réalisé une petite étude de marché et j'avais
quantifié en réalisant un tableau de bord prévisionnel.
». Enfin, si le discours de Victor reprenait des éléments
tangibles : « J'avais cherché quand même sur le net, j'avais
muri la chose. J'avais un business plan béton, avec un investissement de
fou », on y relevait également une croyance forte en ses
capacités : « J'avais une logique moderniste d'un manager [...]
c'était un truc costaud quoi. ». Nous relevons que parmi les
entrepreneurs qui avançaient des éléments objectifs pour
appuyer la faisabilité du projet, figurent les trois entrepreneurs
d'opportunité chez qui par ailleurs aucun obstacle n'était
envisagé. Au contraire, chez le seul entrepreneur de
nécessité dans cette configuration, d'importants obstacles
étaient cités : la faillite et l'inadéquation des produits
aux attentes et besoin des clients.
Seule Laure avait une perception faible de la
faisabilité : « Je n'étais pas très sûre que
ça fonctionne. Je voulais que ça fonctionne mais j'étais
pas sûre que ça marcherait finalement. » Le sentiment de
peur, déjà citée pour cette entrepreneure, était
très présent
et entachait sa perception de la faisabilité. Elle le
cite d'ailleurs dans les obstacles : « J'avais un peu peur au niveau de
l'argent. Il faut investir dans la publicité pour se faire
connaître etc. C'était la partie qui me faisait un peu peur parce
que c'est quand même assez dangereux. » On note encore une fois une
répétition de la peur et l'utilisation du terme « dangereux
» qui renforce l'affirmation de sa crainte.
Nous avons dans le tableau ci-dessous synthétisé
les éléments qui traduisent la perception de la
faisabilité selon notre interprétation. Nous retenons donc les
éléments suivants : deux entrepreneurs de nécessité
ont une perception de la faisabilité basée sur des croyances, un
base sa perception sur des éléments tangibles mais nuance son
propos avec l'énumération d'obstacles possibles, et la
quatrième a une perception faible de la faisabilité de son projet
en raison notamment d'un sentiment de peur. Les entrepreneurs
d'opportunité ont quant à eux une perception de la
faisabilité basée sur des éléments tangibles et
n'imaginent aucun obstacle à la réalisation de leur projet.
|
|
Perception de la faisabilité
|
|
Obstacles envisagés
|
|
|
|
|
|
|
Djamil
|
|
|
Faisabilité « évidente »
|
|
Aucun
|
Karim
|
|
|
|
|
|
|
|
Faisabilité basée sur des informations tangibles
(apport financier, compétences)
|
|
« La faillite, des produits et des services qui ne
répondent pas forcément aux attentes et besoins des clients...
»
|
|
|
|
|
|
|
Mehdi
|
|
|
Faisabilité basée sur une conviction forte, voire
une croyance
|
|
- problèmes financiers
- se sentir seul responsable
- être perdu dans les démarches
- être confronté au jargon administratif
|
Laure
Iris
Faisabilité faible
Faisabilité basée sur des informations tangibles
(validé par le Conseil Général)
Peur du risque financier
« Non, je ne voulais pas en imaginer. »
Paul
Victor
Faisabilité basée sur des informations tangibles
(étude de marché rigoureuse)
Faisabilité basée sur des informations tangibles
(recherches, buisness plan) et sur des convictions fortes.
« Aucun »
« Je n'imaginais pas d'obstacle »
51
Tableau n°6 : Perception de la faisabilité et
obstacles envisagé chez les entrepreneurs interrogés
52
L'autre approche pour apprécier le sentiment
d'auto-efficacité de nos entrepreneurs était d'orienter notre
analyse au travers du prisme des quatre sources de l'auto-efficacité
selon Bandura. Là encore nous avons mis en évidence de fortes
disparités entre les entrepreneurs d'opportunité et de
nécessité.
En effet concernant l'existence de compétences pour les
tâches nécessaires à l'entrepreneuriat deux entrepreneurs
de nécessité affirmait n'avoir aucune expérience, un
citait de vagues notions découvertes au fil de ses lectures. La
dernière, quant à elle faisait mention d'une «
Expérience solide dans le service à la personne », secteur
dans lequel elle orientait son activité. Les trois entrepreneurs
d'opportunité affirmaient tous avoir une expérience : expertise
du produit ou service ou compétence de gestion.
Concernant l'expérience indirecte, autrement dit
l'existence d'un modèle de réussite dans l'entrepreneuriat, nous
avons relevé l'absence de modèle de réussite chez trois
entrepreneurs de nécessité sur quatre. A contrario, il existait
des modèles de réussites chez trois entrepreneurs
d'opportunité sur trois. Notons que pour Laure, seule entrepreneure de
nécessité faisant état d'une expérience indirecte
dans l'entrepreneuriat, celle-ci était affaiblie par les propos de ses
parents. En effet, bien que ses parents aient réussi dans cette voie,
ils déconseillaient à leur fille de s'y engager.
Concernant la persuasion verbale ou encouragements, nous avons
relevé qu'ils étaient présents chez l'ensemble des
entrepreneurs, mais étaient de nature différente. En effet, si
pour les entrepreneurs contraints il s'agissait plutôt du cercle
familial, pour les autres il s'agissait d'encouragements d'« experts
». Djamil, Karim, Mehdi et Laure nous ont volontiers évoqué
le soutien sans faille de leur famille : « mon entourage m'a beaucoup
motivé, qui me disait tiens le coup tiens le coup » (Djamil), ou
encore « c'est mon mari qui m'a dit « allez lance toi, fonce, on n'a
qu'une seule vie quoi » » (Laure), En revanche Paul nous a
expliqué être soutenu par la Banque publique d'investissement,
Iris par des professionnels du secteur : « [...] des médecins, des
assistantes sociales. Il y en a même qui m'ont dit tu aurais dû
créer une maison de repos. Ils m'ont encouragée » et Victor
par les banques : « Ils avaient vu mon business plan, ils ont dit oui, on
vous suit. »
Enfin concernant l'état émotionnel, rappelons
qu'elle relève d'une interprétation de l'enquêteur
davantage basée sur un ressenti, influencé par la communication
non verbale notamment. Nous mettons en évidence un état
émotionnel qui semblait être positif chez cinq entrepreneurs sur
sept. Alors que pour deux entrepreneurs les enjeux liés à la fin
des
droits de chômage, à l'arrivée d'un
premier enfant, ou encore la crainte quant au risque financier et l'existence
de problèmes de santé orientait l'interprétation vers un
état émotionnel mitigé voire négatif.
Au décours de cette analyse, nous avons voulu
synthétiser dans deux tableaux l'ensemble des éléments,
pour avoir une vue d'ensemble. Fort de cette observation, nous nous sommes
également appuyés sur l'interprétation de la
faisabilité perçue mise en perspective par la prévision
d'obstacles citée plus haut, pour évaluer le degré
d'auto-efficacité. Nous faisons ainsi figurer en dernière colonne
un degré qualifié d'intermédiaire ou de fort. Il nous
semble que dans les discours analysés, aucun des entrepreneurs ne
manifestait une auto-efficacité faible.
Aucun, personne
Aucun
Djamil
Karim
Niveau d'auto-efficacité
Intermédiaire
Intermédiaire
Expérience active de maîtrise
Aucune
Rien
Etat émotionnel +/physiologique
Positif
Positif
Persuasion verbale
Cercle familial encourageant
Epouse
encourageante
Expérience indirecte
Mehdi
Notions par auto apprentissage (lectures) Expérience
commerciale
« Pas
vraiment »,
« entreprise de survie »
Epouse
encourageante
Mitigé: stress fin de droit, premier enfant = enjeux
Intermédiaire
Laure
Expérience solide dans le service à la personne
Epoux
encourageant
Négatif : problème de santé,
inquiétude financière
Intermédiaire
Parents entrepreneurs, mais opposé à
l'entrepreneuriat pour leur fille
53
Tableau n°7 : Evaluation du sentiment
d'auto-efficacité chez les entrepreneurs de nécessité
Expérience active de maîtrise
Un peu en comptabilité, un peu en administration
Paul
Victor
Solide expérience dans
l'entrepreneuriat
J'avais toutes les connaissances, à part en gestion
pure.
Iris
Expérience
|
Persuasion
|
Etat
|
Niveau
|
indirecte
|
verbale
|
émotionnel
|
d'auto-efficacité
|
Nombreuses expériences réussies
|
Cercles familial, amical et professionnel encourageants
|
Positif
|
Fort
|
Nombreuses expériences de succès et
d'échecs
|
Soutien de la BPI
|
Positif
|
Fort
|
Expérience de
|
Banques :
|
Positif
|
Plutôt
|
succès dans le cercle familial proche
|
Persuasion verbale positive
|
|
fort
|
54
Tableau n°8 : Evaluation du sentiment
d'auto-efficacité chez les entrepreneurs d'opportunité
4. Bilan de l'expérience entrepreneuriale
Il s'agissait dans ce troisième et dernier temps de nos
entretiens de s'interroger sur le développement du sentiment
d'auto-efficacité. Pour cela nous avons demandé aux entrepreneurs
quelles compétences ils avaient acquises et comment. Cela nous
permettait de juger de l'évolution de leur expérience active de
maîtrise. Nous nous sommes également intéressés
à ce qui, avec du recul, pouvait constituer des «
compétences clés » indispensables à l'entrepreneur.
Enfin nous nous sommes enquis de leur satisfaction vis à vis de la
trajectoire de l'entreprise et notamment de l'adéquation ou non de la
réalité avec leurs attentes d'objectifs. Notons le cas
particulier d'Iris : étant en cours de création elle n'avait pas
suffisamment de recul pour juger de l'évolution de son
auto-efficacité ni pour décrire la trajectoire de son entreprise.
Elle ne figure donc pas dans cette partie de notre analyse.
55
a) Compétences acquises et outils
mobilisés
Dans ce paragraphe nous dressons pour chaque entrepreneur le
bilan des compétences acquises et des ressources mobilisées pour
y parvenir. Nous synthétisons plus bas l'ensemble des résultats
dans un tableau.
Pour surmonter les obstacles auxquels il a été
confronté, Djamil a su faire preuve de résilience : « j'ai
fait avec ». Il s'est appuyé sur le soutien de sa famille mais
aussi celui de son médecin. Il dit en riant : « je suis allé
voir le Dr L. il m'a écouté, et prescrit des cachets, et
ça a été ». Il traduit ainsi la lourde charge
émotionnelle à laquelle il a été confronté
et la patience et le courage dont il a su faire preuve pour avancer
malgré tout.
Il estimait avoir acquis des compétences dans sa
relation avec les clients, mais aussi de gestion (négociation avec les
fournisseurs) et de comptabilité (calcul des marges pour
améliorer sa rentabilité « parce qu'au début je
n'étais pas rentable du tout »).
Karim a dû faire face à un accroissement de ses
responsabilités : « Plus la structure devient grande, plus grandes
sont les charges et les responsabilités. » Pour cela, il n'a
bénéficié d'aucune formation ni aucun accompagnement
« c'est le terrain qui m'a formé ». Il a trouvé avec
son associé les ressources nécessaires : « nous avons
dû provisionner et augmenter le capital de notre entreprise pour palier
à ce changement. », il décrit ça comme une «
maturité professionnelle ». Il a acquis des compétences de
gestionnaire « comptables, financières et administratives
».
Mehdi nous affirmait avoir acquis des compétences
organisationnelles : « Je suis mieux organisé E...] quand c'est
bien organisé ça rassure. E...] j'optimise mieux mon temps
», des compétences en comptabilité : « Je sais lire un
bilan, un compte de résultat ce qui n'était pas le cas il y a 5
ans » et des compétences de gestionnaire : « J'arrive à
optimiser mes stocks » « le côté administratif ne me
fait plus peur, même si parfois je suis très en retard mais c'est
déjà mieux. ». Pour parvenir à cet accroissement de
compétences, il a utilisé les conseils d'un comptable, et est
toujours accompagné par celui-ci : « Aujourd'hui ce n'est plus un
problème car j'ai un comptable qui gère le côté
fiscal ». Il s'appuie également sur les relations qu'il a
développées : « au pire je sais que j'ai un réseau
sur lequel je peux
56
compter ». De plus, il a bénéficié
d'un accompagnement par une association (la BGE) mais estimait que le temps que
les conseillers lui accordaient était insuffisant pour l'aider
solidement dans sa démarche. « Je me rappelle que mon premier
rendez-vous avec mon conseiller, il s'était qualifié de guide et
les rendez-vous était limités à quelques quantités
de 30 minutes. Quand tu as zéro connaissance au départ et qu'on
te dit que tu as 30 minutes pour poser des questions, tu as envie d'aller
à l'essentiel sans forcément brûler des étapes.
» Enfin, il a eu recours à des formations pour « avoir un
minimum de connaissance au niveau compta, prévisionnel, faire une
étude de marché, créer un site internet. »
Laure a été accompagnée par la BGE mais
surtout par une coopérative d'entreprise qui lui a offert la
possibilité de faire du « portage salarial » afin qu'elle
puisse tester son idée. Elle a su surmonter sa peur du risque financier
: à la question quelles obstacles avaient vous surmonté, elle
répond : « Pas d'obstacles en particulier... on peut
considérer que le risque financier était un obstacle ». Elle
estime aujourd'hui être plus « sage » et avoir une meilleure
capacité d'analyse : « J'ai appris à m'assagir un peu,
à prendre le temps de réfléchir, regarder les
différents points. »
Paul estime quant à lui avoir surmonté des
obstacles de deux types : « d'ordre matériel, purement financier,
de trésorerie » et de gestion du stress. Pour cela il n'a
bénéficié d'aucun accompagnement. Il a
développé des compétences d'organisation et planification
: « J'essayais d'anticiper au maximum et systématiquement
c'était de pouvoir boucler, de faire des commandes le plus rapidement
possible, le mieux possible pour pouvoir être payé. ». Il a
également acquis des compétences en gestion financière :
« des compétences de contrôle de gestion qui m'ont mieux fait
comprendre les charges sociales, la trésorerie, le fond de roulement
», et des capacités d'analyse : « prendre un peu plus de recul
et de hauteur avant d'entamer une action. »
Enfin, Victor a surmonté des difficultés d'ordre
administrative : « je me disais : je vais commencer à embaucher,
URSSAF aïe aïe . C'était un peu nébuleux. Un peu sur
les sociétés j'avais un peu perçu parce qu'à chaque
fois les modif' avec la CSG-CRDS. ». Il affirme avoir
développé des compétences en relation client : « tu
dois être concis et savoir quand tu peux te laisser aller à des
familiarités. ». Des compétences en organisation,
planification : « quand
57
il y a un problème ou quoi que ce soit, tu dois
être présent quand même. Déjà juste identifier
un besoin, le catégoriser et savoir quel niveau de réponse au
niveau de l'urgence mettre en place », compétences commerciales
« maintenant je peux vendre n'importe quoi à n'importe qui ».
Pour cela il a utilisé ses ressources propres : « Les
compétences en gestion c'est ça, il faut quand même
à un moment se faire violence et puis en faire quoi. » Mais
également le soutien de son épouse pour la gestion et la part
commerciale : « heureusement que j'avais une femme qui m'a aidé
à faire ma gestion [...] qui est allée avec mois dans les salons
».
Une compétence revient donc dans tous les entretiens :
la gestion, aussi bien comptable qu'administrative. Nous pouvons donc
incontestablement l'identifier comme une compétence clé de
l'entrepreneur. Et nous pouvons également affirmer que dans la mesure
où elle a été citée par l'ensemble des
entrepreneurs dans la catégorie « compétences acquises
», elle n'était pas maîtrisée au début du
projet entrepreneurial. Ceci constitue un paradoxe qu'il est important de
mettre en lumière. Les autres compétences manquantes et acquises
au cours du processus sont : l'organisation, la capacité d'analyse, la
relation client et les compétence commerciales (mise en valeur des
produits ou services). Pour développer leurs compétences, trois
entrepreneurs sur les six ont eu recours à un accompagnement, duquel il
n'était pas toujours satisfait ; trois affirment avoir mobiliser leurs
ressources propres (détermination, recherches, auto-apprentissage) ;
deux se sont appuyés sur leur entourage familial ou personnel ; et seuls
deux d'entre eux ont bénéficié de formation. Il s'agit
là encore d'un paradoxe : alors qu'ils avaient conscience de leurs
lacunes dans certains domaines, seuls deux entrepreneurs sur six ont choisi de
se former. Dans la dernière colonne du tableau de synthèse, nous
faisons figurer les qualités que les interviewés pensaient
être nécessaires à la réussite d'un projet
d'entreprise. Elles permettent d'apporter un éclairage différent
sur les comportements qu'ils ont adoptés pour développer leurs
compétences. Notons que dans cette analyse ci, nous ne mettons pas en
évidence de franche disparité dans les discours des
entrepreneurs.
58
|
Outils mobilisés
|
Compétences acquises
|
Qualités nécessaires
|
Djamil
|
- soutien de son entourage : médecin, famille
- +/- mission locale
|
- gestion, comptabilité - relation client
|
- Résilience
- Travail
- Courage
- savoir prendre des
risques, audace
|
Karim
|
- ressources propres « maturité
professionnelle »
|
Gestionnaire : administratif, comptable et financier.
|
- Rigueur
- Etre ambitieux - Persévérance,
résilience
|
Mehdi
|
- réseau solide
|
- organisation, planification
|
- savoir prendre des
|
|
- conseils d'expert
|
- gestion comptable et
|
risques, audace
|
|
- accompagnement
|
administrative
|
- Être organisé
|
|
- formation
|
|
|
Laure
|
- accompagnement
|
- capacité d'analyse
|
- confiance en soi
|
|
- portage salarial
|
|
- patience
|
|
- formation
|
|
- courage
|
|
|
|
- savoir prendre des risques, audace
|
|
|
|
- Rigueur
|
Paul
|
- ressources propres
|
- planification
- gestion financière
|
- savoir prendre des risques, audace
|
|
|
- capacités d'analyse
|
|
Victor
|
- ressources propres
|
- planification, organisation
|
- Concision (qualité
|
|
- entourage familial
|
- relation client
|
commerciale)
|
|
|
- compétences commerciales
|
- Rigueur, méthode
|
|
|
|
- Être humble
|
|
|
|
- Résilience
|
Tableau n°9 : Évolution des compétences et
outils mobilisés
b) Trajectoire de l'entreprise et satisfaction
Nous avons, dans un premier temps, identifié les
attentes de résultats des interviewés, au lancement de leur
projet que nous avons confronté à la trajectoire de l'entreprise.
Selon leurs propos, tous les entrepreneurs avaient des attentes fortes de
réussite, sauf Laure qui restait prudente.
59
|
|
Propos
|
|
Attente de résultats
|
|
|
|
|
|
|
Djamil
|
|
|
« créer une chaîne »
|
|
Forte
|
Karim
|
|
|
|
|
|
|
|
« si je voulais me lancer là dedans c'était
pour réussir, atteindre mes objectifs »
|
|
Forte
|
Mehdi
|
|
« je croyais en mon projet » « pour moi,
ça devait permettre de subvenir aux besoins de ma famille »
|
|
Forte
|
Laure
|
|
|
|
|
|
« J'espérais pouvoir me payer après un an
et je me suis payé la première année. »
|
|
Faible
|
Iris
|
|
« Je voulais qu'elle soit de plus en plus positive et avoir
un maximum de clients en fait. »
|
|
Forte
|
Paul
|
|
« Trouver du chiffre d'affaire. »
|
|
Forte
|
|
|
|
|
|
Victor
|
|
« Réussir à gagner assez bien ma vie pour
arrêter de travailler au plus tôt. »
|
|
Forte
|
Tableau n°10 : Attente de résultats des
entrepreneurs.
Dans un deuxième temps, nous avons confronté ces
attentes de résultats à la réalité. Nous nous
sommes pour cela intéressés au devenir de l'entreprise. Dans
notre étude, un seul projet sur les six aboutis était en
adéquation avec les attentes initiales de l'entrepreneur. On n'observait
pas de disparité entre les deux types d'entrepreneurs.
|
Attente de résultats
|
Etat du projet
|
Adéquation attente /
réalité
|
Djamil
|
Forte
|
Toujours en activité
Meilleur salaire, mais une seule activité (imaginait
créer une chaîne de restauration)
|
Non
|
Karim
|
Forte
|
Toujours en activité
Accroissement du chiffre d'affaire
|
Oui
|
Mehdi
|
Forte
|
Toujours en activité
Emploi salarié en parallèle nécessaire
|
Non
|
Laure
|
Faible
|
Cessation d'activité volontaire sur épuisement
|
Non
|
Iris
|
Forte
|
Poursuit son projet de création
|
/
|
Paul
|
Forte
|
Cessation d'activité sur décision
stratégique Adaptation à son environnement
|
Plus ou moins
|
Victor
|
Forte
|
Cessation d'activité en raison de pertes
financières
|
Non
|
Tableau n°11 : Trajectoire de l'entreprise confrontée
à l'attente initiale de résultats
60
Dans un troisième temps, nous avons confronté
trois données : le sentiment d'auto efficacité au lancement du
projet, l'adéquation des attentes initiales avec la
réalité actuelle du projet, et l'état de la satisfaction
de l'entrepreneur.
|
Auto-efficacité au lancement
|
Adéquation
attentes-réalité
|
Etat de la satisfaction
|
Djamil
|
Intermédiaire
|
Non
|
- sentiment d'avoir « bien évolué »
- motivation à poursuivre et à se
développer
|
Karim
|
Intermédiaire
|
Oui
|
- sentiment d'épanouissement
|
|
|
|
- motivation plus grande qu'au début
|
Mehdi
|
Intermédiaire
|
Non
|
- plutôt positif avec sentiment d'avoir fait des
|
|
|
|
« sacrifices »
|
|
|
|
- motivation moins élevée pour ce projet, besoin de
défis à relever
|
Laure
|
Intermédiaire
|
Non
|
- tire les leçons de son expérience
|
|
|
|
- motivation « au top » car pense pouvoir
s'épanouir dans l'entrepreneuriat
|
Iris
|
Forte
|
/
|
/
|
Paul
|
Forte
|
Plus ou moins
|
- résignation : l'âge et la situation familiale ne
lui permettront plus d'être entrepreneur
|
|
|
|
- expérience néanmoins positive, sentiment de
fierté d'avoir accompli ce projet et d'y avoir mis fin dans de bonnes
conditions
|
Victor
|
Forte
|
Non
|
- amertume de ne pas avoir fait les bons choix
|
|
|
|
- motivation pour entreprendre un autre projet qui lui
permettrait de vivre de sa passion
|
Tableau n°12 : Auto-efficacité, trajectoire de
l'entreprise et satisfaction
Ce tableau amène à deux commentaires. Le premier
étant que ni la nécessité ou la contrainte ni le
degré d'auto efficacité ne sont des facteurs qui orientent la
trajectoire de l'entreprise. En d'autres termes, nous n'avons pas mis en
évidence, comme il pouvait être attendu, de prédisposition
défavorable à la l'évolution du projet. Karim,
entrepreneur identifié de nécessité dirige aujourd'hui une
affaire qui correspond à ses attentes, bien qu'il ait
démarré avec une auto efficacité jugée
intermédiaire. Victor quant à lui, entrepreneur identifié
d'opportunité, a été contraint de cesser son
activité en raison de difficultés financières. Le second
fait état d'une absence de corrélation entre la trajectoire de
61
l'entreprise et le degré de satisfaction des porteurs
de projet. En effet, malgré dans certains cas une inadéquation
à leurs attentes, les entrepreneurs nous ont tous affirmé
être satisfaits de leur expérience. Ils conservent presque tous
une envie d'entreprendre. Seul Paul considère que sa situation familiale
et son âge ne lui offrent plus cette possibilité.
5. Point de vue des accompagnateurs
Dans ce paragraphe, nous proposons une interprétation
des propos des accompagnateurs à la création d'entreprise
à travers les quatre thématiques suivantes : les raisons qui
poussent l'entrepreneur à la création d'entreprise,
l'auto-efficacité, les freins à la création d'entreprises,
ainsi que les recommandations. Notons que notre analyse est limitée par
la faible représentativité de notre échantillon
a) La naissance de l'intention entrepreneuriale
Les accompagnateurs identifient dans leurs pratiques plusieurs
éléments qui contraignent l'individu à s'engager dans un
projet d'entreprise. Notons que le fait qu'ils exercent tous les deux à
Roubaix, ville particulièrement concernée par les
difficultés socio-économiques, peut avoir influencé leur
point de vue. En facteur push ils ont ainsi relevé la pauvreté,
le chômage, l'âge et le handicap. Céline dit : « Il y a
des personnes qui sont pauvres, il faut le dire. Et donc forcément ils
travaillent quand ils le peuvent. Ils sont éloignés de l'emploi
depuis très longtemps. Ces personnes-là décident de monter
leur entreprise. » David : « Ou alors des personnes qui sont
séniors par exemple qui n'ont pas trouvé de travail depuis
plusieurs années du fait de leur âge parce qu'ils ont trop
d'expériences ou pas assez donc ces personnes-là décident
de monter leur entreprise pour créer leur propre emploi. Ils sont
séniors ou pas très loin ou alors ils ont un handicap. »
Céline a également évoqué la
question de l'entrepreneuriat féminin : «
Généralement j'ai plus des femmes quand même. Ce sont des
femmes qui sont « femmes au foyer » qui veulent créer leur
propre emploi mais elles ne s'occupent pas que de leur catégorie socio
professionnelle on va dire, elles vivent des revenus de leurs maris. »
Cette approche mérite d'apporter un éclairage socio-culturel.
Dans notre interprétation, Céline suggère que
l'accès à l'entrepreneuriat offre aux femmes une
possibilité d'émancipation, notamment quand
62
elles les norme subjective de certaines familles accordent aux
femmes une place de choix au sein du foyer. David aborde, comme le faisait
Mehdi plus haut, la question des discriminations : « C'est pas
évident, pour des personnes qui viennent de l'immigration, c'est un peu
par défaut ou par dépit. » Il identifie là
ouvertement la contrainte à entreprendre causée par ce
facteur.
Par ailleurs, il remarque que la désirabilité
influence l'intention et la trajectoire de l'entreprise. « Ils n'ont pas
forcément envie de créer leur entreprise peut-être mais
c'est plus pour avoir une activité... Moi je trouve que c'est toujours
un peu risqué quand on va vers la création d'entreprise sans que
ce soit vraiment un choix à 200%. Ce n'est quand même pas simple,
alors quand on le fait sans avoir trop envie ou alors parce qu'il n'y a pas
d'autres solutions je ne suis pas sûr que ça se passe bien en
fait. »
b) L'auto-efficacité :
Nous relevons que les deux accompagnateurs, Céline et
David, ont une connaissance faible du concept étudié : « Je
ne connaissais pas le terme mais on en avait parlé avec des partenaires
de la création » (Céline) « Pas proprement
parlé, après je peux imaginer ou interpréter. Dites-moi.
» (David)
Ils parviennent néanmoins à nous faire part de
leur analyse vis-à-vis de cette notion : ils accompagnent
essentiellement une population dotée d'un sentiment d'efficacité
personnel faible. Céline dit : « La plupart ils n'ont pas vraiment
confiance en eux mais il y en a certain quand même qui ont une confiance
en eux exagéré, trop élevés par rapport au projet
». David : « C'est vrai que souvent il y a beaucoup de personnes qui
ont ce souci de manque de confiance en elles car c'est quand même un
changement de vie, beaucoup de question qu'ils se posent, c'est pas
évident de franchir le cap ».
Ils affirment utiliser des outils pour tenter de maintenir un
sentiment d'auto-efficacité convenable. Céline utilise le
questionnement, elle s'interroge sur l'état d'esprit du porteur de
projet afin d'essayer de comprendre les éventuels obstacles.
David, lui, utilise comme principal outil, la couveuse
d'entreprise que met à disposition son organisation. Le principe de la
couveuse est de pouvoir créer une entreprise en phase test avec un
statut test proposée par l'organisme afin de vérifier si la
faisabilité perçue de
63
l'individu est compatible avec les besoins du marché.
Ainsi, si l'organisation bénéficie d'un succès lors de
cette phase test, l'entrepreneur naissant pourra augmenter son
auto-efficacité entrepreneuriale grâce à une
expérience active de maîtrise.
c) Les freins
Céline et David sont unanimes quant aux obstacles
rencontrés dans leur quotidien au sein de leur structure
d'accompagnement :
- les individus ne sont pas tous compatibles avec
l'entrepreneuriat. « Je pense que tout le monde ne peut pas être
entrepreneur » dit Céline. « C'est pas un drame mais il y a
des personnes qui se rendent compte de ça et se disent finalement
créer mon entreprise c'est quelque chose qui n'est pas fait pour moi, je
préfère rester ou redevenir salarié » dit David. Une
propension à entreprendre est une condition phare à la
réussite d'un tel projet. La compréhension des compétences
clés pour limiter les obstacles est également indispensable.
- De plus, ils partagent la même opinion quant au
financement : « parfois il y a des personnes qui n'arrivent pas à
se faire financer, ça ça peut évidemment être un
frein » dit David « Le manque de financement, les banques sont
frileuses à financer. » dit Céline. En effet un manque de
moyen financier influencerait la faisabilité du projet.
- Par ailleurs, David insiste sur l'importance du coté
administratif : « le business plan ça les rebutes ou ils trouvent
que c'est compliqué administrativement [...] souvent les personnes ne
sont pas trop motivées aux paperasses, mais ça fait partie aussi
des casquettes de gestion de papiers ». À ce sujet, Céline
évoque ce que l'on pourrait considérer comme un
déplacement négatif : « ce sont des personnes qui ont des
fois était un peu loin de l'école, la compréhension des
textes , des feuilles d'impositions etc, ils ne savent pas forcément ce
que ça veut dire».
- David identifie également des
évènements de vie qui ont précipité chez ces
individus l'intention entrepreneuriale : l'ennui et le licenciement « ces
personnes se disent bah j'y trouve plus mon compte dans l'entreprise donc j'ai
envie de créer ma propre activité ou alors des personnes qui sont
licenciés ».
64
Céline fait tout de même état de facteurs
Pull chez ce type d'entrepreneur: « Il faut pas se leurrer c'est surtout
l'argent qui est là. Après il y a aussi le fait de vouloir
être libre, d'être indépendant »
d) Recommandations
Céline et David mettent en évidence l'importance
d'être bien entouré : développer son réseau. «
Il faut quand même un peu extraverti parce que c'est des fois avec
quelques folies qu'on fait des choses superbes et qu'on rencontre de nouvelles
personnes » dit Céline
« Il faut être ouvert : c'est à dire d'aller
vers les autres, et du coup jouer les cartes du réseau quoi. » dit
David
D'autre part, Céline insiste sur la rigueur : « La
rigueur sur le fait de faire des factures, d'encaisser quand on encaisse en
espèce, à faire des reçus, ils pensent que ce n'est pas
grave alors que si c'est grave, parce que s'il y a un contrôle c'est
grave en fait ». Cette notion revient plusieurs fois dans son discours.
Enfin, David exprime que la motivation est un facteur
déterminant. Il faut, selon lui, « avoir de la confiance pour
être déterminé, motivé ». En effet, comme nous
l'avons explicité à plusieurs reprises, ces sentiments entrent en
considération dans la faisabilité perçue d'un projet et
influencent l'intention entrepreneuriale.
65
C. CONCLUSIONS DE L'ENQUETE
Finalement notre analyse a permis d'aboutir aux conclusions
suivantes :
D'abord, il existe des éléments tangibles
pouvant orienter la motivation de l'entrepreneur vers la
nécessité ou l'opportunité. En effet, nous avons mis en
évidence de nombreux facteurs « push » et « pull »
dans les discours des entrepreneurs. L'appréciation du parcours de
chacun d'entre eux a également permis de mettre en évidence des
évènements de vie ayant pu entacher la désirabilité
d'un tel projet et ainsi contraindre l'individu à s'engager dans la voie
de l'entrepreneuriat, tels que : des difficultés scolaires, la
précarité de l'emploi, le chômage, la discrimination, des
problèmes de santé.
Ensuite, nous avons mis en évidence que le sentiment
d'auto efficacité était plus faible chez les entrepreneurs de
nécessité que chez les entrepreneurs d'opportunité. Cette
faiblesse était basée sur : une faisabilité du projet mal
jaugée (sur des croyances plutôt que sur des données
objectives), des compétences clés faisant défaut (la
gestion, l'organisation, le sens du commerce pour la relation client et la mise
en valeur des produits et services), l'absence de modèle de
réussite dans l'entrepreneuriat, ou encore un état
émotionnel défavorable (peur du risque, difficulté
à gérer son stress). Si les expériences actives de
maîtrise faisaient défaut chez l'ensemble des personnes
interrogées, les deux catégories d'entrepreneurs n'avaient pas la
même stratégie pour y pallier. En effet nous remarquons que les
entrepreneurs d'opportunité ont davantage tendance à avoir
recours à leur ressources propres (autoapprentissage), alors que ceux de
nécessité ont plus recours à des aides extérieures
: accompagnement ou formation. Cela peut s'expliquer par l'absence
d'expérience vicariante pour ces derniers.
Puis, dans notre enquête le sentiment d'auto
efficacité n'était pas relié à une trajectoire
prévisible de l'entreprise. En effet, deux entrepreneurs
d'opportunité sur les trois interrogés, qui avaient donc une auto
efficacité forte, ont mis fin à leur activité, sans que
cela ne corresponde à leurs attentes au démarrage du projet. En
revanche trois entrepreneurs de nécessité sur les quatre
interrogés poursuivent leur activité. Pour un d'entre eux la
trajectoire de l'entreprise correspond aux attentes. Dans les
expériences partagées, l'orientation du projet semblait
correspondre à une capacité de son porteur à s'adapter
à son environnement et à mobiliser les bons outils pour y
parvenir, plus qu'à une croyance plus ou moins forte en la
faisabilité du projet.
66
Enfin, notre analyse révèle que l'ensemble des
entrepreneurs est satisfait de son expérience, malgré les
déboires et amertumes. L'entrepreneuriat constitue plus qu'une simple
expérience professionnelle. Comme le disait un de nos interviewé,
il s'agit d'un « projet de vie » avec toutes les émotions
liées aux enjeux que cela comporte. L'engagement d'un individu dans
cette voie-là, qu'il soit choisi ou contraint, apporte dans notre
analyse un sentiment d'accomplissement précieux.
Concernant les accompagnateurs, notre analyse a pu mettre en
évidence qu'ils savaient identifier les facteurs push et pull qui sont
à l'origine de l'intention entrepreneuriale. S'ils affirmaient
accompagner tout le monde de la même manière, ils étaient
parfois confronté à des aspects administratifs qui
catégorisent les entrepreneurs naissants (existence de financement pour
tel profil). D'autre part, ils ne maîtrisaient pas l'ensemble des
déterminants du concept d'auto efficacité. Ils l'associaient
volontiers à la confiance en soi. Ils affirmaient considérer cet
élément dans leur accompagnement (intérêt pour le
ressenti de l'individu vis-à-vis de ses capacités, utilisation
d'une couveuse d'entreprise pour renforcer la perception de la
faisabilité). Ils ont identifié des freins à l'intention
d'entreprendre similaires à ceux que l'on retrouve dans la
littérature et dans les propos des entrepreneurs (l'ennui, le
licenciement, les difficultés administratives ou financières).
Pour influencer favorablement la trajectoire des projets qu'ils accompagnent,
ils nous disaient encourager l'entrepreneur à développer son
réseau, à être rigoureux et à conserver une
motivation à toute épreuve.
67
DISCUSSION ET RECOMMANDATIONS
A. DISCUSSION
Si notre méthodologie a voulu être la plus
rigoureuse possible, tant dans la création du dispositif de recherche
que dans l'analyse, nous faisons état de quelques biais :
Biais de méthode
Les entretiens avaient une durée relativement courte
(entre 25 minutes et 55 minutes), pour un sujet qui aurait dû amener
à plus données. Il faut considérer que le sujet en
question était complexe (Concept de l'auto efficacité,
entrepreneurs de nécessité) et que nos questions n'étaient
pas idéalement formulées. Les interviewés ont pu mal
comprendre le sens de certaines de nos interrogations, causant un recueil
d'information incomplet.
Biais sociaux et culturels
Plusieurs entrepreneurs étaient issus des relations de
l'enquêteur, ce qui pouvait entraver la neutralité de leurs
réponses. On peut penser que leur volonté de manifester un
comportement « positif » était plus forte que celle de faire
part de leurs difficultés. D'autre part, les interrogés
étaient tous issus de la région Hauts de France. Nous pouvions
difficilement juger de l'influence du bassin de vie sur leur comportement.
Biais de stéréotypes
Les entrepreneurs ne peuvent pas être à 100% de
nécessité ou d'opportunité. En effet, il nous semble
incorrect de généraliser. Dans cette étude, la
littérature nous a permis d'obtenir une grille de lecture
interprétative.
Représentativité de l'échantillon
La réalisation des entretiens s'est
étalée sur deux mois. Il nous semble que ce délai
était insuffisant pour inclure un nombre suffisant de participants. Nous
expliquons ainsi la faiblesse de notre échantillon. De plus, En effet,
les conseillers en création d'entreprise étaient difficilement
accessibles et nous ont octroyé un délai restreint à 30
minutes.
68
Biais d'interprétation
Notre problématique, telle qu'elle était
formulée, imposait la réalisation d'une enquête
qualitative. Le biais d'interprétation est inhérent à
cette méthode. En nous appuyant sur des grilles de lectures, nous avons
réduit ce biais.
Malgré ces biais, nous remarquons que les
résultats de notre analyse sont sensiblement comparables aux
données existantes dans la littérature. Un point cependant est
discordant : l'absence de corrélation entre l'auto efficacité et
la trajectoire de l'entreprise. Si les données de la littérature
affirment que l'intention entrepreneuriale et donc ses déterminants dont
l'auto efficacité sont des éléments majeurs du processus
entrepreneurial, capables de prédire la trajectoire du projet, ce n'est
pas aussi évident dans notre enquête. Il nous semble que les biais
évoqués ci-dessus, et notamment celui de
représentativité, peuvent suffire à expliquer ce
résultat.
B. RECOMMANDATIONS
À la lumière de notre analyse de la
littérature et du terrain, nous sommes en mesure d'établir des
recommandations qui pourraient être utiles pour orienter favorablement la
trajectoire de l'entreprise. Nous suggérons que s'il est toujours
préférable d'apporter un accompagnement à tous les
entrepreneurs, il est indispensable de repérer ceux qui s'engagent dans
cette voie par nécessité. Ceux-là sont en effet plus
fragiles en terme d'auto efficacité. Pour renforcer ce sentiment et agir
favorablement sur le comportement du porteur de projet, il convient d'une part
de développer ses expériences actives de maîtrise, et
d'autre part de l'intégrer dans un programme de mentorat.
1. Développer les expériences actives de
maîtrise
a) Évaluer et développer les
compétences managériales
En premier lieu, il s'agira pour l'entrepreneur de
nécessité de cibler et d'évaluer ses compétences
managériales. Pour ce faire, établir un bilan de
compétences semble
69
indispensable. Notre travail nous apprend néanmoins
qu'il convient de renforcer les compétences clés. Nous dressons
ici une liste non exhaustive des compétences indispensables à qui
veut s'engager dans la voie de l'entrepreneuriat.
· La gestion économique et financière
Cela passe par le fait de pouvoir élaborer un budget
et de le défendre, mais également de le suivre, d'être en
mesure de construire et de suivre un plan de trésorerie.
· La gestion du risque
La capacité de gérer la qualité et les
risques de son activité se mesure, d'une part, par l'évaluation
des méthodes et des procédures de travail mises en place et,
d'autre part, par l'anticipation des risques prévisibles. Plus
l'entrepreneur sera réactif, plus il deviendra expert dans ces gestions
cruciales.
· La planification
En effet, si ce domaine est inconnu pour l'entrepreneur, il
rencontrera rapidement de grandes difficultés. Il devra
impérativement se former afin d'atteindre un niveau de base puis, au fil
du temps, maitriser la mise en oeuvre de plans d'action et de différents
outils de planification.
· La gestion des conflits
L'entrepreneur doit être en capacité de
gérer, au sein de son équipe et avec se partenaires, les conflits
et tensions diverses. En analysant sa capacité à
désamorcer les conflits et en adoptant des attitudes affirmatives,
l'entrepreneur de nécessité s'armera contre des écueils
à venir. Se positionner en tant que médiateur, mais
également en figure d'autorité capable de dire non et de fixer
des limites et des objectifs, permettra à l'entrepreneur de créer
un climat de travail positif et pérenne.
· La communication externe
La prise de parole en externe sera également un savoir
à maîtriser car le chef de projet devra être en mesure de
contacter ses fournisseurs, ses clients ou encore la presse ou de prendre la
parole lors de débats publics. Plus son expertise en la matière
d'animation et de prise de parole sera grande, meilleure sera l'impression
qu'il fera sur ses collaborateurs et pourra leur inspirer confiance.
· 70
Le développement personnel
La capacité à se remettre en question, à
accepter ses faiblesses et à apprendre à les gérer et
à les compenser est la clé du développement personnel d'un
entrepreneur désirant améliorer ses compétences. En
opérant un auto-audit, l'entrepreneur de nécessité pourra
repérer les émotions entravant sa réussite et adapter son
comportement afin de s'améliorer. Il s'agira également de
travailler son intelligence émotionnelle (Salovey - Mayer).
· Les techniques de négociation
La maîtrise des capacités de négociation
de l'entrepreneur impulseront à son entreprise une énergie
nouvelle. En effet, s'il sait défendre ses idées et projets de la
meilleure manière, ses collaborations n'en seront que meilleures. Il
devra par ailleurs savoir négocier avec les institutions et les
particuliers. Voici quelques points clés pour toute bonne
négociation :
- Avoir un haut niveau d'exigence de base afin de
préserver sa marge de manoeuvre ;
- Ne pas avoir peur de se montrer ambitieux ;
- Préparer ses arguments ;
- Penser aux contreparties que l'on souhaite pour chaque
concession faite ;
- Contrôler la discussion, son début et sa fin.
- Savoir valoriser son savoir-faire.
· La préparation de CV
Qui parvient à préparer un curriculum vitae
efficace possède des qualités utiles à la réussite
d'une entreprise : savoir mettre en valeur les points forts d'un parcours,
parvenir à être concis et précis sans perdre en pertinence,
reconnaître ses qualités et la plus-value que l'on peut apporter
à une structure ou à une collaboration. Pour les entrepreneurs de
nécessité, des formations existent pour s'améliorer sur
cette pratique. Citons, entre autres, le Pôle Emploi offrant des sessions
explicatives et pratiques pour apprendre à maîtriser cet outil.
b) Outils pour développer la compétence
managériale
Depuis les années 80, le management tridimensionnel
est de rigueur dans les entreprises. Celui-ci « prend en compte l'Homme
dans sa globalité : deux mains pour travailler, un
coeur
71
pour ressentir, mais aussi une tête pour
penser, anticiper et créer46 ». Afin de
développer ce style de management, l'approche systémique est un
outil efficace. Celui-ci se concentre sur la finalité du système,
la réalisation de l'entreprise dans notre cas, et sur les interactions
au sein de cette dernière. En renforçant sa responsabilité
hiérarchique et en prenant soin des subordonnés, le manager
améliorera les quatre points clés du management, à savoir
l'organisation, la planification, la commande et le contrôle :
Figure 11 : Qu'est-ce que manager ?
Ainsi, en priorisant ses fragilités à renforcer
et en usant des bons outils et d'une organisation claire, l'entrepreneur
désirant améliorer sa compétence managériale pourra
agir rapidement et donner à son entreprise un nouveau souffle.
Les grilles d'évaluation dites à 360° sont
des outils efficaces pour le développement de la compétence
managériale. Elles ont l'avantage d'évaluer les
compétences du manager et de l'ensemble des acteurs présents dans
son environnement : le rôle de la hiérarchie, des pairs, des
subordonnés et des clients sont analysés. Grâce à
ça, le manager saura comment il est perçu par ses collaborateurs
et tous pourront prendre conscience de leur mode de fonctionnement afin de
l'améliorer par la mise en place de stratégies
particulières.
46 CREPIN, Daniel, « L'approche
systémique : pour manager plus efficacement, un nouvel outil de lecture
des organisations », Recherche en soins infirmiers, 2007/4 (N° 91),
p. 97-105 : [En ligne :
https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2007-4.htm-page-97.htm].
72
D'autre part, afin de développer ses capacités
décisionnelles, l'entrepreneur de nécessité a à sa
disposition un ensemble d'outils. Le schéma ci-dessous les rassemble
:
Figure 12 : Outils d'aide à la
décision47
L'arbre décisionnel est l'un des outils pratiques des
plus simples. En effet, en partant d'une question problématique pour
l'entreprise, le manager listera les avantages et les inconvénients de
chacune de ses décisions potentielles. Les arguments objectifs et
subjectifs ainsi dressés lui permettront de prendre du recul sur les
bénéfices et les risques liés à ses actions.
Enfin, le développement du leadership passera
également par l'amélioration de la vision et de la
stratégie managériale, de la motivation du leader et de ses
équipes ainsi que sur le perfectionnement du système en fonction
de son environnement. Des sessions de brainstorming pourront, par exemple,
consolider l'esprit d'équipe et développer la
créativité du groupe et son efficacité collective et,
ainsi, renforcer la place du manager.
2. Le mentorat pour renforcer le sentiment d'auto
efficacité
Des études ont montré que le fait d'avoir un
mentor présente des effets positifs pour l'entrepreneur naissant. Pour
rappel, quatre sources permettent à l'entrepreneur de développer
son auto-efficacité entrepreneuriale : (une expérience active de
maitrise, une expérience indirecte ou vicariante, persuasion verbale
venant d'autrui, un été physiologique
47 HR Scope, « Leadership : 12
outils incontournables », publié le 30 janvier 2015 : [En ligne :
https://fr.slideshare.net/HRSCOPE/leadership-12-outils-incontournables].
73
et émotionnel stable....). Le mentorat va influencer
deux de ces facteurs durant la phase de démarrage de l'activité,
celui de l'expérience indirecte ou vicariante et celui de la persuasion
venant d'autrui. Ensuite lorsque le mentoré aura développé
une certaine expertise il en sera d'avantage stimulé grâce
à sa nouvelle expérience active maitrisée, et ainsi
augmentera son auto-efficacité entrepreneuriale.
Les entrepreneurs qui auront une croyance forte en leurs
aptitudes n'hésiteront pas à faire face aux tâches qui se
présenteront à eux, et pourront envisager cela davantage comme un
défi. Au contraire, ceux qui auront une croyance faible en leurs
capacités vont plutôt se sentir menacé et n'affronteront
peut-être pas la tâche (Robertson et Sadri,1993).
L'auto-efficacité occupe une place centrale à la performance des
gestionnaires. Si l'on suggère que le mentor lance un défi
atteignable au mentoré, cela aura pour conséquence d'augmenter
son auto-efficacité entrepreneuriale et pourra ainsi l'aider à
enrichir ses compétences. De nombreuses études ont établi
un lien entre le fait d'avoir un mentor et le sentiment
d'auto-efficacité48. Puisque le mentorat peut influencer de
manière positive le sentiment d'auto-efficacité entrepreneurial
de l'entrepreneur de nécessité nous suggérons que son
développement serait bénéfique à la performance des
entreprises.
48 Nandram, 2003 ; Ozgen et Baron, 2007.
https://www.cairn.info/revue--de-l-entrepreneuriat-2011-3-page-13.htm
74
CONCLUSION
A l'heure où les politiques économiques
prennent le parti d'encourager l'entrepreneuriat par la mise en place de
mesures incitatrices et facilitatrices, il convient de s'interroger sur les
dispositifs d'accompagnement qu'ils instaurent pour aider les citoyens dans
leur démarche. En effet, comme nous l'avons mis en évidence dans
notre travail, il existe deux types d'entrepreneurs : ceux qui s'engagent dans
un projet d'entreprise en raison d'une opportunité, et ceux qui sont
contraints par leur environnement (entrepreneurs de nécessité).
Les premiers sont caractérisés par un sentiment d'auto
efficacité fort, en raison notamment d'expériences actives de
maîtrise (compétences pour des tâches nécessaires
à la réalisation du projet) ou d'expériences indirectes
(existence de modèle de réussite dans l'entrepreneuriat). Les
seconds quant à eux affichent une auto efficacité affaiblie par
le manque d'expérience et un réseau moins
développé. Pourtant ils parviennent, eux aussi, à mener
à bien leur projet d'entreprise. Dans certains cas, ils
réussissent à obtenir des résultats conformes à
leurs attentes initiales, et à tirer une satisfaction de leur
expérience entrepreneuriale. Il nous semble donc que si le sentiment
d'auto efficacité influence l'intention entrepreneuriale, il n'est
évidemment pas le seul à agir sur la trajectoire de l'entreprise.
La capacité de l'individu à adapter ses ressources et
compétences ainsi que ses aspirations à son environnement
constitue un élément majeur dans le processus entrepreneurial et
conditionne la réussite de celui-ci. Aussi il nous semble important
qu'un entrepreneur ne maîtrisant pas tous les enjeux du processus
entrepreneurial puisse bénéficier d'un bilan de
compétence. Cela permettrait de cibler les expériences qui lui
font défaut et participerait au développement nécessaire
de ses compétences managériales. Par ailleurs, l'accompagnement
des porteurs de projet par le mentorat est un outil qui mériterait
d'être approfondi car il participe à renforcer les croyances de
l'individu en ses capacités.
Dans une société où se joue une
révolution du monde du travail, où le contrat de subordination
tend à ne plus être la norme, où l'uberisation incite les
travailleurs à s'engager dans l'entrepreneuriat par
nécessité plus que par opportunité, l'enjeu est de mieux
accompagner les porteurs de projet et de leur donner les outils
nécessaires à la compréhension de leur environnement et au
développement de leurs compétences.
75
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ANNEXE N°1 : GUIDE D'ENTRETIEN DES
ENTREPRENEURS
Données statistiques : - Genre
- Âge
- Niveau d'étude
- Environnement familial et géographique - Durée
de l'entretien
79
L'entrepreneuriat de nécessité
Objectif : Comprendre les motivations de
l'entrepreneur
Pourquoi êtes vous devenu entrepreneur ?
· Quelle était votre situation avant de vous lancer
dans cette aventure ?
· Quel est votre cursus scolaire?
· Quand et comment avez vous décidé de
devenir entrepreneur ?
· À quelle point désiriez vous que cette
aventure se concrétise ? Pourquoi ?
· Comment imaginiez vous la vie d'un entrepreneur ?
(idées préconçues, croyances, barrières)
· Que recherchiez vous à travers la
réalisation de cette expérience ?
· Quelles compétences faut-il pour devenir
entrepreneur ?
· Est-ce que cela s'apprend et comment ?
Evaluation du sentiment d'auto
efficacité
Objectif : Evaluer le sentiment
d'auto-efficacité
Dans quelle mesure considériez vous que le projet
était faisable ?
· Quelles qualités sont requises, selon vous, pour
créer une entreprise ?
· Quelle connaissance du monde de l'entreprise aviez vous
avant d'initier votre projet ?
· Quelles expériences personnelles aviez-vous dans
la réalisation des tâches à accomplir pour devenir
entrepreneur ? Montage de projet ? Compétences administratives ?
Compétences de gestion ?
· Que signifie être efficace dans le processus de
création puis dans la pérennisation de l'entreprise ?
· Quels exemples de réussite dans l'entrepreneuriat
dans votre entourage ?
· De quel soutien bénéficiez vous ?
· À quels obstacles imaginiez vous être
confronté ?
· Comment gérez vous l'imprévu, les
difficultés ? (comment réagissez vous face à un stress
?)
· Quelles étaient vos attentes de
résultats au lancement du projet ?
80
Evolution du sentiment d'auto-efficacité au cours
du projet
Objectif : déterminer le rôle de
l'auto-efficacité dans le projet entrepreneurial
Comment la perception de la faisabilité a-t-elle
évoluée ?
· Quels obstacles avez vous surmonté et comment ?
· Quelle(s) compétences pensez vous avoir acquises
depuis la création de votre entreprise ? Comment décririez vous
aujourd'hui vos connaissances en terme de savoir faire et de savoir être
?
· Avez vous bénéficié d'un
accompagnement dans la réalisation de votre projet ? Qu'en avez vous
pensé ? (A-t-il répondu à vos besoins, a-t-il
renforcé votre motivation ? votre croyance en la faisabilité
?)
· Avez vous bénéficié de formation
ou d'accompagnement quelconque depuis la création de votre entreprise ?
Lesquelles ? Pourquoi ?
· Quel bilan dressez vous de votre expérience ?
(attentes en adéquation avec la réalité ?)
· Comment est votre motivation aujourd'hui en comparaison
avec ce que vous ressentiez au début du projet ? Pourquoi ?
· Quel niveau de satisfaction ressentez vous
vis-à-vis de votre projet ?
81
ANNEXE N°2 : GUIDE D'ENTRETIENS DES
ACCOMPAGNATEURS
L'entrepreneuriat de nécessité
Objectif : Comprendre les motivations de
l'entrepreneur
Pourquoi devient-on entrepreneur de nécessité ?
· Quel est le profil « type » d'un entrepreneur
de nécessité et celui d'un entrepreneur d'opportunité
(formation, environnement)?
· Pourquoi, selon vous, distingue-t-on
généralement les entrepreneurs de nécessité des
entrepreneurs d'opportunité (entrepreneur classique)?
· Comment prenez vous en compte ce facteur dans votre
accompagnement ?
Evaluation du sentiment d'auto
efficacité
Objectif : Evaluer la connaissance des déterminants
de l'auto-efficacité
· Connaissez vous le concept d'auto efficacité ?
Qu'est ce que cela signifie pour vous ? Donnez moi votre propre
définition
· Interrogez vous les entrepreneurs que vous accompagnez
sur leur sentiment d'efficacité personnel ? Comment ? (attentes,
objectifs fixés, utilisation d'une échelle
d'évaluation...)
· Quels sont les facteurs qui influencent l'envie
d'entreprendre ?
· Quelles sont les qualités nécessaires
à l'entreprenariat ?
· A quels obstacles les entrepreneurs de
nécessité sont-ils confrontés dans leur démarche
?
Evolution du sentiment d'auto-efficacité au cours
du projet
Objectif : Déterminer les éléments
pouvant agir sur le sentiment d'auto-efficacité.
Comment peut-on renforcer le sentiment d'auto-efficacité
au cours du projet entrepreneurial ?
· En quoi consiste votre accompagnement lors du montage de
projet ?
· Poursuivez vous l'accompagnement après la
création de l'entreprise ? Pourquoi et comment?
· Quelles recommandations émettez vous pour
renforcer la faisabilité du projet ?
82
ANNEXE N°3 : EXEMPLE D'ENTRETIEN D'UN
ENTREPRENEUR
Données statistiques :
- Genre M
- Âge 38 ans
- Niveau d'étude Bac + 1
- Environnement familial et géographique : Divorcé
, deux enfants , métropole lilloise
- Secteur d'activité : Santé
- Durée de l'entretien : 43 minutes
L'entreprenariat de nécessité : Qu'est ce
que cela signifie pour vous ?
Objectif : Evaluer comment l'interlocuteur se positionne
vis-à-vis de l'entreprenariat
Pourquoi êtes vous devenu entrepreneur ? (Distinction de
l'opportunité et de la nécessité)
· Quelle était votre situation avant de vous
lancer dans cette aventure ? Quand et comment avez vous décidé de
devenir entrepreneur ?
Ma situation, j'étais employé. J'ai entrepris
par opportunité. Il y a deux parties, il y a eu la fois où
j'étais entrepreneur où je me suis lancé dans l'entreprise
tout seul et après il y a l'entreprise familiale. L'entreprise familiale
c'est complétement subi, je suis né dedans et je ne vois pas
comment je pourrais avoir ma place ailleurs d'une certaine manière ou
difficilement. Et il y a l'autre partie où j'ai entrepris en 2015, et
là c'était parce qu'il y avait une opportunité.
J'étais dans mon boulot, je faisais un truc et là je me suis dit
tiens il y a un « biz )) à faire. Ce que j'ai trouvé bah
tout le monde me le demande. Tous les clients me le demande, tout le monde
cherchait à avoir ce produit donc je me suis lancé,
c'était dans le domaine de la santé, l'emballage. Un process
industriel en machine.
· À quelle point désiriez-vous que cette
aventure se concrétise ? Pourquoi ?
Je le désirais fortement mais je n'avais pas les
capacités donc j'étais plutôt dans la logique d'une auto
efficacité faible. C'est à dire que j'ai de grandes ambitions
mais en fait il m'était impossible de déceler que je n'avais pas
les capacités organisationnelles pour pouvoir le mener à bien.
J'ai réussi un tant soit peu, mais juste un temps parce qu'à un
moment donné la réalité a rencontré la fiction et
je me suis arrêté. Je me suis dit arrête toi avant que
ça te coûte de l'argent vraiment, je sais pas que je puisse avoir
un passif complétement dingue et qu'il m'oblige encore à ce jour
à rembourser les dettes.
· Quelles compétences faut-il pour devenir
entrepreneur ?
Il me manquait de la gestion. Moi à la base
c'était un tableau « débit-crédit )) pour la
facturation tout bêtement pour savoir enregistrer les factures. Je savais
manipuler les tableurs EXCEL mais pas dans la forme gestionnaire. De là
je faisais mes prix de vente de
83
produits en fois 2, je ne calculais pas les tout ce qui
pouvait être frais intermédiaires de gestion, de placement enfin
tout ce qui pouvait être des coûts et charges variables quoi.
Charges fixes, je les connaissais, je les intégrais mais les charges
variables je ne savais même pas ce que ça voulait dire. Il faut de
l'empathie aussi. Savoir admettre ses erreurs et rebondir dessus, c'est
complétement imbriqué dans les compétences sociales
ça. Il faut être socialement intégrable et performant
humainement et économiquement. C'est complétement lié
à l'humain quoi.
· Est-ce que cela s'apprend et comment ?
Il y a une fibre mais ça s'apprend, c'est à
dire que tu n'as pas vraiment la fibre mais tu as une bonne idée et puis
il y a les compétences de base. Il y a de très mauvais
entrepreneurs pour vous prédire mais qui ont les compétences et
donc ils réussissent. Parce qu'ils ont l'intelligence au moins pour vous
dire « voilà le panel de compétence nécessaire c'est
celui-ci » et ils le gardent en tête et quand ils constatent qu'il y
a un défaut sur un des segments de ce panel de compétences, je
sais pas de gestion, commercial, de management etc, hé bah les mecs ils
ont quand même la jugeote d'y aller même s'ils n'ont pas ça
dans le sang quoi. Ils ont une certaine intelligence, une certaine
méthode et ils sont capable de réussir parce qu'ils sont capable
d'analyser les nécessités d'une compétence
managériale ou même d'entrepreneur et donc en fait de mettre
à profit leurs capacités mais dès qu'ils en trouvent la
limite, ils savent aussi aller chercher ailleurs de quoi combler ces manques.
Bah oui si tu n'as pas de compétences techniques, tu te trouves un
technicien. J'en connais un aujourd'hui, le mec humainement il est super,
techniquement il est assez limité et toutes les compétences il
les acquiert. J'étais d'ailleurs avec un de ses collaborateurs, on
dirait que c'est un petit mec qui a démarré comme ça dans
un coin mais aujourd'hui il vient de débaucher le directeur commercial
d'un de ses plus gros concurrents. On m'a demandé de me mettre dans son
équipe mais c'est une petite boite, je ne sais pas par quoi il l'a
appâté. De toute façon tu peux aller voir le chiffre
d'affaire, il faisait 1,6 millions de chiffre d'affaire il y a deux ans, il en
fait 4 millions aujourd'hui. Il est venu de rien. Quand je l'ai connu en 2014
il démarrait sa boite quoi.
· Quelle(s) différence(s) y a-t-il selon vous
entre l'entrepreneuriat de nécessité et l'entrepreneuriat
d'opportunité ?
Pour moi il n'y a pas de différence entre les
entrepreneurs parce qu'il faut toujours une opportunité pour pouvoir
entreprendre. Alors tu peux le faire par nécessité et non par
choix mais pour moi il y a toujours une opportunité qui se
présente ou quelque chose, il y a un déclic, un truc eurêka
tu vois. Là il y a un truc à faire, là forcément il
y a une opportunité qui est venue quoi, qui a été
créé par la personne ou qui est venu d'elle-même.
· Que signifie être efficace dans le processus de
création puis dans la pérennisation de l'entreprise ?
C'est vraiment pour moi d'avoir identifié toutes les
nécessités de ton domaine d'activité, de ton modèle
économique et puis mettre ça en parallèle avec les
nécessités de base de gestion d'une entreprise et de faire
matcher les deux quoi. Quand on parle de modèle économique, moi
je pense plus à la partie technique, aux besoins de l'activité
technique
84
elle-même après greffée aussi ça
dans une logique de management, de gestion. Faire matcher ça, ça
veut dire aussi faire matcher les compétences nécessaires c'est
à dire identifier ses propres lacunes et les compenser soit en se
formant comme je le fais, soit aller les chercher ailleurs, faire du
consulting, embaucher des mecs compétents.
· Quel est votre cursus scolaire ?
Avant d'entreprendre je n'avais pas de diplômes mais
j'avais déjà une expérience. Je faisais de la gestion
commerciale, j'avais des tableurs EXCEL, des calculs de devis. C'est
compliqué donc j'estimais qu'en capacité de calculs, de gestion
ça allait. Je faisais de la gestion de projet mais freestyle quoi, je
pensais que le freestyle ça fonctionnait partout quoi.
· Quand avez-vous décidé de devenir
entrepreneur ?
En fait dans mon poste, je commençais à avoir
fait le tour, je me disais « barre toi, barre toi mais vu comment t'es
naturellement c'est pas pour rien », partir dans une nouvelle boite encore
employé ? bof, donc il faut trouver un truc.
Déterminants de l'auto efficacité
entrepreneuriale
Objectif : Identifier les déterminants de
l'auto-efficacité entrepreneuriale
· Comment imaginiez-vous la vie d'un entrepreneur ?
(Idées préconçues, croyances, barrières) Que
recherchiez-vous à travers la réalisation de cette
expérience ?-
J'idéalisais rien puisque je viens d'une famille
d'entrepreneur donc je savais ce que c'était. Je savais la charge de
travail que ça demandait. Enfin l'asservissement. Je cherchais à
prouver à moi même que j'étais capable de faire la
même chose comme mes parents et mes grands-parents, ma famille même
parce qu'ils sont tous entrepreneur chez moi. Ils ont tous crée quelque
chose. Plus ou moins bien réussi mais ils ont tous crée quelque
chose.
· Quelles qualités sont requises, selon vous, pour
créer une entreprise ?
Première chose : l'humilité, la
résilience, je pense que c'est même avant l'humilité et
puis de la méthode. Savoir se conditionner aussi, c'est vraiment faire
de l'introspection, de la remise en question. La résilience c'est un peu
ça, mais la résilience c'est quand t'es en face de
l'échec. La résilience elle doit être proactif, il ne faut
pas attendre l'échec pour poser des questions.
· Quelles étaient vos attentes de résultats
au lancement du projet ?
Réussir à gagner assez bien ma vie pour
arrêter de travailler au plus tôt. Mon objectif dans la vie c'est
de trouver un moyen de faire des choses que j'aime, pas rien foutre quoi. En
tout cas par un levier qui est celui que j'aurais trouvé par rapport
à une opportunité de générer assez de
tranquillités pour faire ce que j'aime. On sait toujours
85
que faire ce qu'on aime, s'il y a une logique business qui se
greffe dessus ça ternit un peu le tableau. A moins que ça
génère tellement d'argent que tu ne te poses même plus la
question de la logique de productivités. Une logique de
productivité qui rentre quand tu greffes l'économie qui est
souvent pervertie et casse le rêve.
· Dans quelle mesure considériez-vous que le projet
était faisable ?
C'était faisable. En fait, l'erreur que j'avais faite
c'était d'avoir écouté ma famille. J'avais une logique
moderniste d'un manager. J'avais cherché quand même sur le net,
j'avais muri la chose. J'avais un business plan béton, avec un
investissement de fou avec au moins 400 000€ à mettre sur la table
pour embaucher un ami ingénieur, acheter des machines, acheter 2 ou 3
premières machines que je pouvais avoir à crédit de la
part de mon fournisseur qui est un pote aussi et pour pouvoir faire de la
prospection en direct et faire de la vente et avoir un showroom, tu vois un
truc bien costaud quoi. De là, j'ai écouté quelqu'un de ma
famille qui m'a dit « mais nan, te mets pas autant d'argent à dos,
commence petit, fait un bureau de représentation de ton fournisseur et
puis aucun besoins en fond de roulement, tu fais que acheter les machines la
bas et les revendre. Tu peux même les faire fabriquer au besoin comme
ça tu n'as pas besoin d'investissement et tu prends ta marge dessus
». Mais en fait en faisant ça c'était du pur commercial, et
moi je n'avais pas fait la relation entre ce modèle pure commercial et
moi, mon envie qui était oui du commerce mais de la technique et de la
qualité technique, du SAV tout ça. En fait, je m'appuyais sur les
capacités techniques, les personnels de mon fournisseur qui était
à l'autre bout du monde. C'était un modèle qui
n'était pas en relation même aux besoins économiques d'ici.
On a besoin de sécurité, de SAV, de pouvoir si on a un
problème claquer des doigts et trouver une solution technique surtout
pour des machines qui valent entre 20 000€ et 1 000 000€. Je suis
parti sur le projet que ma famille m'avait conseillé et c'est pour
ça que je me suis planté, j'ai pas écouté mon
coeur, j'ai écouté des personnes qui pour moi avaient plus
d'expériences et qui pouvaient analyser mieux que moi le marché.
Je faisais confiance à leur expérience alors qu'ils n'avaient pas
analysés mieux que moi le marché, ils étaient pas dans le
métier. Ils avaient des connaissances dans ce métier mais pas du
produit que je vendais, des contraintes particulières du modèle
économique que je voulais mettre en place et là grosse erreur.
J'ai bossé 4 ans. La 4ème année je n'ai plus
rien vendu et donc j'ai préféré m'arrêter quand
j'étais à +1000€ sur mon compte. En fait, j'avais mis 10
000€ de capital de départ. Je commençais à rogner mon
capital, je me suis dit oula récupère ton capital avant que ton
capital devienne zéro il va se passer 3 minutes. Il y a les frais de
cessation d'activité, je ne savais pas mais ça fait 3000€
par ci, 1000€ par-là etc ... Il me restait plus que 1000€ pour
m'acheter une bagnole quand je suis parti vivre ailleurs.
· Quelle connaissance du monde de l'entreprise
aviez-vous avant d'initier votre projet ?
J'avais toutes les connaissances, à part en gestion
pure. Techniques : je connaissais mon produit, pas pointu comme un technicien
mais j'avais une vision globale de la qualité de mon produit. Des
avantages, des inconvénients de mon produit. J'avais le carnet
d'adresse, et j'avais les banques qui me suivaient. Elles me disaient «
monsieur, vous voulez 400 000 bales, pas de souci, je vous les donnes »
peut-être pas à ce point-là mais c'était les banques
qui venaient me solliciter pour me prêter de l'argent. C'est rarement
comme ça. Les
86
banquiers connaissaient des gens que je connaissais, ils
connaissaient aussi des relations personnelles qui avaient une certaine
confiance en le back ground autour de moi de réussite professionnelle.
Ils avaient vu mon business plan, ils ont dit oui, on vous suit et c'est
là où je me suis rétracté, ils n'ont pas compris
quoi. La banquière en plus j'avais de bon contact avec elle en plus,
elle m'aurait dit monsieur votre business c'est de l'or et allez-y ne changez
pas de modèle, j'aurais écouté la banquière.
· À quels obstacles imaginiez-vous être
confronté ?
Je n'imaginais pas d'obstacle, mais j'en ai rencontré
dans tout ce qui est administratif, je me suis dit je vais commencer à
embaucher, URSSAF aie aie . C'était un peu nébuleux. Un peu sur
les sociétés j'avais un peu perçu parce qu'à chaque
fois les modif avec la CSG-CRDS. Je dirais tout ce qui est fiscal et
administratif j'avais peu de compétences là-dessus. Les
compétences en gestion c'est ça, il faut quand même
à un moment se faire violence et puis en faire quoi.
· Comment gérez-vous l'imprévu, les
difficultés ? (Comment réagissez-vous face à un stress
?)
Je faisais de l'introspection « pourquoi tu prends
ça comme une difficulté » Les difficultés que j'ai pu
constater dans ma carrière, les autres dirigeants que j'ai
côtoyés, « je me suis dit pourquoi lui il le prend bien et
moi je le prends mal ? ». C'était surtout en prospection où
t'as un business qui tourne et à un moment le business se casse la
gueule, tu dois retourner faire de la prospection, c'est un peu faire
pitié, tu as besoin d'activité. Tu dois aller solliciter des gens
et t'es pas forcément dans les dispositions psychologiques les
meilleurs. Comment tu te donnes la niaque pour y aller mais pas faire
pitié en fin de compte, paraître sérieux et fiable quoi.
· Quels exemples de réussite dans l'entreprenariat
dans votre entourage ?
Plein, il y a 3 créations d'entreprise
pharmaceutiques. Il y en a eu une qui a périclité mais il gagnait
tellement d'argent qu'il a arrêté de bosser pour sa boite et puis
de claquer son fric. Sa boite s'est cassé la gueule pour finir et c'est
normal. 2 autres qui tournent bien : la nôtre et une autre, celle de mon
oncle. J'ai des amis qui en ont une dans le sud mais qui risque d'être
racheté par les américains.
· De quel soutien bénéficiez-vous ?
J'ai du soutien mais en fait à l'époque quand
j'ai créé ma boite, j'avais déjà fait le choix du
modèle économique bureau de réorientation et eux ils m'ont
dit « ne fait pas un bureau de représentation comme ça, fais
un bureau de réorientation plutôt comme ça. Nous on a
l'expérience. » Commercialement et au niveau de l'image il y avait
une autre forme à mettre. Je ne les ai pas écoutés et je
suis resté sur le conseil de la personne familiale la plus proche de
moi.
Développement du sentiment d'auto
efficacité
Objectif : déterminer les facteurs qui contribuent au
développement du sentiment d'auto efficacité
· 87
Quels obstacles avez-vous surmonté et comment ?
J'étais en déséquilibre parce que comme
j'avais les dents longues et je n'avais pas les capacités
réelles, en tout cas j'avais des grosses lacunes sur certaines
capacités nécessaires à réussir l'entrepreneuriat.
Quand je vois ce que j'ai fait c'est « mais où tu trouves ça
». Au moment où je suis tombé face à ça, face
à ce problème de décalage entre réelles
capacités et réelles ambitions bah heureusement que j'avais une
femme qui m'a aidé à faire ma gestion et qui dans le cas de
figure où j'ai commencé à avoir une baisse de chiffre
d'affaire et devoir aller prospecter bah elle est allée avec moi dans
les salons quoi, limite elle m'a pris par la main. C'est là où je
me suis rendu compte que commercialement, vu que j'avais choisi le mauvais
modèle économique j'avais perdu foi en mon produit et là
c'était perdu aussi. Grosso modo il me manquait aussi un truc c'est un
peu le côté commercial. Ce que beaucoup de commerciaux type vente
porte à porte, ils savent très bien qu'ils savent très
bien qu'ils ont un produit pas terrible qu'ils vont emballer dans du papier de
soie et ils vont réussir quand même et ça ça me
manquait. Aujourd'hui j'ai réussi à peu le développer mais
en tout cas au moins à amoindrir ce sentiment. Il faut que je croie en
mon produit et ça bah en fait je n'ai pas eu assez de temps en tant
qu'entrepreneur pour pouvoir surmonter ça mais aujourd'hui tout
ça c'est lié à une mauvaise capacité d'analyse de
ces caractéristiques pour pouvoir les resservir dans un discours
commercial donc forcément quand j'ai été mis à mal
dans un point négatif et que entrer dans une logique bégnine
ça allait mais dès que c'était un point noir et qu'il
fallait que je mette de l'effort bah voilà. Mais en fait c'était
l'expérience, je manquais d'expérience, aujourd'hui il y a des
produits que je fabrique qui sont avec des trucs un peu commerciaux pour dire
que ça va sauver le monde, je n'en crois rien du tout mais j'arrive
à en faire la promotion. Je n'avais pas identifié qu'en fait
c'était facile mais avec l'expérience ça devient
naturel.
· Quel bilan dressez-vous de votre expérience ?
(Attentes en adéquation avec la réalité ?) -
Peut -être une leçon que je peux donner c'est
« écoutez-vous vous même ». Ça c'est un truc, je
pense dans mon cas de figure que j'avais déjà des exemples mais
quand tu as envie d'entreprendre tu te documentes, à moins que tu te
lances comme ça et là t'es vraiment con mais là ça
ne vaut vraiment pas le coup. Si tu te documentes un peu et tout ça, tu
as quand même une vision qui est bonne, qui est circonstanciée.
Qui est vraiment adaptée à ce que tu veux faire tout ça.
Si tu fais l'introspection bah forcément tu fais bien les choses. C'est
pas les « bons conseils » des autres qui doivent planter ton analyse
puisqu'ils sont en dehors du contexte, ils ont une analyse extérieur qui
vaut le coup d'être écouté mais ils n'ont pas toutes les
données que toi tu peux avoir. Même si tu les exprimes entre ce
que tu as comme idée en tête, ce que tu es capable d'exprimer, il
y a 70% de pertes, ça il faut le savoir mais il faut d'abord
s'écouter soi-même. Si tu le sens que c'est bon l'instinct il est
là quoi. Si j'étais resté sur ma première
idée, j'aurais réussi c'est certain. Quand je vois le truc et
quand je vois le marché aujourd'hui j'aurais mieux réussi.
J'étais en logique Apple, c'est à dire design in California, made
in China. J'avais vu ce truc-là, c'était vraiment l'idée.
L'idée aurait été de commencer autrement mais mon objectif
c'était ça. Prendre du made in China et de le transformer en made
in California parce que je n'avais pas la capacité de Design. Le Design
il existait et il était bon. C'était déjà des
copies de Design made in california quoi.
·
88
Avez-vous bénéficié d'un accompagnement
dans la réalisation de votre projet ? Qu'en avez-vous pensé ?
(A-t-il répondu à vos besoins, a-t-il renforcé votre
motivation ? votre croyance en la faisabilité ?)
En amont j'avais rencontré l'instance régionale
d'aide à la création d'entreprise, ça ne m'avait pas du
tout plu comme démarche parce qu'en fait il était là le
conseiller « si tu veux j'te fais un crédit à 0%. ».
C'est pas ce que je voulais, moi je voulais que dans le bassin
économique locale être aidé au niveau des ressources.
Savoir ce qui était complémentaire à mon projet. Je
n'avais pas eu des réponses à toutes mes questions. Ah si pour
faire tes flyers, tes cartes de visites « j'ai un ami qui fait de la
communication », je m'en fou de ça, il y a vistaprint, donc j'ai
abandonné. Une mise en garde que je pourrais faire c'est tu as besoin de
formation, tu vas faire de la formation mais tu ne donnes pas ton business
plan. Tu dis ton business à personne. Ça à renforcer ma
motivation et ça à modifier ma vision. Modifier ma vision, c'est
là où c'est compliqué, c'est les aides, les conseils tout
ça. Si c'est des entrepreneurs, il faut vraiment que les gens mesurent
leurs propos. Ne pas catégoriser. Moi dans mon cas de figure
j'étais vraiment inexpérimenté. J'étais jeune,
influençable. De là, l'envie de bien faire m'a fait chambouler le
principe. J'avais toujours la même niaque mais ils me l'avaient
renforcés parce qu'ils m'ont dit qu'ils croyaient en mon projet. Mais
j'ai retenu « je crois en ton truc mais fait le pas comme ça
»Je ne me suis pas rendu compte que je pervertissais mon projet.
· Avez-vous bénéficié de formation
ou d'accompagnement quelconque depuis la création de votre entreprise ?
Lesquelles ? Pourquoi ?
Je m'étais connecté avec ce truc de
création d'entreprise local qui proposait de la formation mais en fait
quand j'ai vu que ça ne pouvait pas m'apporter quoi que ce soit pour le
business en soit, je me suis dit ça ne sert à rien. Si eux
conseiller en gestion d'entreprise ils ne sont pas capables d'identifier que le
poids des entreprises c'est d'avoir un tissu économique local et d'avoir
des facilités pour ton business, ils servent à quoi ? Ils sont
mauvais en gestion aussi. Comment des mecs mauvais en gestion peuvent
m'apprendre à la gestion. La comptabilité ils avaient un
programme de comptabilité qui les aidait à le faire, et une femme
qui les aidait à le faire. Des trucs tout bêtes. La plupart ont
appris par leurs experts comptables. Ma mère s'est formée sur le
tas, avec cet expert-comptable à l'époque qui nous avait
accompagné dans la croissance de l'entreprise, aujourd'hui lui il a un
cabinet géant mais ma mère est encore là à corriger
certaines de ses erreurs.
· Quelle(s) compétences pensez-vous avoir
acquises depuis la création de votre entreprise ? Comment
décririez-vous aujourd'hui vos connaissances en termes de savoir-faire
et de savoir être ?
Il faut être au maximum concis. Il faut savoir quand tu
dois être concis et quand tu peux te laisser aller à des
familiarités. Être au service mais pas être asservi. Moi les
clients je les gères comme ça aujourd'hui. Il y a des moments je
suis dedans, mais je ne peux pas l'être à 100%. Quand ils
manifestent le besoin, il faut répondre mais après dans le
quotidien, tu ne dois pas être tout le temps présent pour eux
quoi. Il faut que tu jauges selon tes disponibilités quoi. Les mecs le
comprennent très bien. Par contre quand il y a un problème ou
quoi que ce soit, tu dois être présent quand même.
Déjà juste identifier
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un besoin, le catégoriser et savoir quel niveau de
réponse au niveau de l'urgence mettre en place, ça ça m'a
appris. J'estime ne jamais être assez performant à ce niveau
là parce qu'il y a toujours des trucs que tu te dis bah rien qu'hier,
j'avais promis un truc à u mec mais hier soir je me suis dit oula j'ai
complétement oublié. Mais même lui, son besoin a
évolué, son urgence à évolué mais il
comprend tout à fait. Il sait que je suis busy. Tous mes clients savent
que je suis pris.
· Comment est votre motivation aujourd'hui en
comparaison avec ce que vous ressentiez au début du projet ? Pourquoi
?
Je suis tout aussi motivé mais il y a une part de
désillusion qui est récurrente. En fait tous les points
négatifs, je les ai identifiés dans mon activité. Les
choses que t'aime soit pas faire dans l'activité, dans le quotidien,
soit des choses qui se passent mal de manière récurrente par
exemple en ce moment ce sont des problèmes de production et à
l'affut de client ça se passe bien mais au moment où tu ne
t'attends pas tu te prends un « skude » en te faisant traiter
d'amateur alors tu as envie de dire mais pourquoi je fais ça quoi. C'est
eux que tu remets en question. Attend est ce que j'aime encore entreprendre
dans cette boite, est ce que ces personnes pour qui je me donne elles en valent
le coup ? Soit je dégage les personnes ou soit moi je dégage
quoi. Il y a toujours ces interrogations, je suis un peu idéaliste, donc
en fait quand il y a des tracas comme ça qui se passe ça me casse
le rêve un peu.
· Quel niveau de satisfaction ressentez-vous
vis-à-vis de votre projet ?
Total satisfaction, je viens de loin, je n'avais pas de
diplômes. Je vois ce que je fais aujourd'hui, mes clients m'adorent.
Aussi j'en connais beaucoup plus grâce à l'expérience, cela
me permet d'être beaucoup plus efficace au quotidien.
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