Paragraphe II Lieu de la conclusion du contrat
1. Intérêt pratique de la question
Traditionnellement, la détermination du lieu de
conclusion du contrat permet d'apporter la réponse aux questions de
juridiction compétente, de loi applicable ou d'usage applicable au
contrat.
Lorsque les parties ne choisissent pas expressément ou
implicitement la loi applicable à leur convention, on applique alors la
loi du lieu de conclusion. C'est le principe « Lex Loci Contractus
» ou « Locus Regit Actum » qui veut que le lieu
régisse l'acte87.
85 DEMOULIN MARIE, op.-cit, p.100
86 L'article 18 alinéa 2 de la convention de
vienne sur le commerce international stipule : « L'acceptation d'une offre
prend effet au moment où l'indication d'acquiescement parvient à
l'auteur de l'offre. L'acceptation ne prend pas effet si cette indication ne
parvient pas à l'auteur de l'offre dans le délai qu'il a
stipulé ou, à défaut d'une telle stipulation, dans un
délai raisonnable, compte tenu des circonstances de la transaction et de
la rapidité des moyens de communication utilisés par l'auteur de
l'offre. Une offre verbale doit être acceptée
immédiatement, à moins que les circonstances n'impliquent le
contraire.»
87 YAV KATSHUNG, cours Droit privé
international, L2 Droit, Unilu, 2012-2013, p.39
~ 48 ~
2. Différents points d'ancrage
La question du lieu de formation du contrat est
traditionnellement résolue de la même façon que celle du
moment de formation. SHANDY parle à ce propos de théories «
monistes »88.
Cependant, certains auteurs adoptent une approche «
dualiste »89, en estimant que le lieu et le moment de
conclusion du contrat ne sont pas indissolublement liés et peuvent donc
être déterminés par des procédés
distincts.
L'offre et l'acceptation sont par nature immatérielles
et ne « voyagent » pas, à proprement parler, et il semble donc
inconcevable de les localiser dans l'espace. Aussi les méthodes de
localisation du contrat sont-elles nécessairement artificielles.
Cependant, la détermination du lieu de conclusion du
contrat peut s'avérer utile, pour des raisons pratiques. Cela ne
justifie toutefois pas que la question soit nécessairement
résolue de la même manière que celle du moment de
conclusion, les deux problèmes étant distincts.
La faiblesse de ceux qui soutiennent ce point de vue dit
« dualiste », est celle d'être théorique que pratique ;
ils se contentent de parler des procédés distincts, sans pour au
tant en donner des exemples, ou faire des propositions de ces
procédés.
Nous pensons de notre part, qu'à défaut d'une
stipulation expresse du lieu de la conclusion par les parties, la
difficulté du lieu de la conclusion devrait être résolu par
la même théorie, qui à solutionné la complication
liée au moment de la conclusion du contrat.
A l'heure des contrats conclus par voie
électronique, il est tentant de mettre la
séculaire théorie des contrats à distance à
l'épreuve des nouvelles technologies de l'information et la
communication(NTIC).
Bien avant d'y arriver, parlons d'abord des
caractéristiques du contrat conclu par voie
électronique.
? Des contrats dématérialisés
88 YOUSEF SHANDI, op.-cit., p.102
89 ibidem
-' 49 -'
Les contrats conclus par voie électronique sont dits
«dématérialisés» en ce sens que l'accord des
volontés ne se matérialise pas sous la forme d'un écrit
papier (revêtu, le cas échéant, d'une signature
manuscrite), mais résulte d'un échange de flux
«immatériels» et évanescents de données,
transmises par ondes électromagnétiques, fibres optiques ou
diffusion hertzienne90.
Dès lors, le support sur lequel se cristallise, in
fine, l'accord des volontés n'est plus le papier, reconnu et
apprécié de longue date comme un support stable et durable, mais
des imprévisibles octets nettement plus sujets à caution et
intelligibles seulement par le truchement d'un appareil (ordinateur,
téléphone).
Les défis liés à la
«dématérialisation» des contrats conclus sans papier,
ni signature manuscrite sur les réseaux, se situent essentiellement sur
le terrain de la preuve et du formalisme contractuel.
La preuve du contrat se heurte non seulement à la
disparition du papier, mais aussi aux divers risques découlant de
l'usage des réseaux ouverts pour communiquer et accorder les
volontés (altération accidentelle ou frauduleuse, d'un
message en cours de transmission; problème d'identification des parties,
substitution de l'auteur d'un message, répudiation d'un message par son
émetteur ou son destinataire, qui nie l'avoir expédié ou
reçu; rupture de confidentialité,...)
? Des contrats conclus dans un environnement
électronique et interactif
L'utilisation des réseaux numériques pour la
conclusion de contrats, invite à s'interroger sur la qualité des
consentements échangés. On peut se demander tout d'abord si
l'interposition d'un outil technologique complexe et plus ou moins opaque,
n'est pas de nature à mettre en cause la transparence du processus
contractuel et, dès lors, la réalité d'un
consentement libre et éclairé.
Etienne Montero soutient que l'automatisation et, partant, la
nécessaire standardisation de ce processus rend moins aisée la
mise en oeuvre d'une prestation de conseil.
90 ETIENNE MONTERO, op.-cit., p.296
-' 50 -'
Ensuite, l'internet se caractérise à la fois par
une grande interactivité dont l'une des clés est le lien
hypertexte91, une intégration particulièrement
poussée des différentes phases de la démarche
contractuelle.
Il y'a donc une grande rapidité dans le
déroulement des opérations qui mènent au contrat. Ces
circonstances sont de nature à faciliter des erreurs de manipulation et
d'impulsion.
En quelques «clics» de souris92,
l'internaute peut se trouver engagé dans des liens contractuels.
D'ailleurs au cours de la navigation sur le Web, on ne tardera pas à
«tomber» sur une ribambelle d'offre (éventuellement
ciblée en fonction des profils) présentée dans un
catalogue interactif invitant, au gré de simples manipulations, à
par exemple sélectionner des articles, à passer commande et
à payer.
? Des contrats conclus dans un espace sans
frontières
On dit du contrat électronique, ou mieux par voie
électronique qu'il ignore les frontières. On ajoutera que le
contrat par voie électronique favorise la conclusion de contrats
par-dessus les frontières, notamment dans le cadre de la vie
domestique93.
Il en résulte que le droit international privé sera
souvent sollicité pour résoudre les inévitables questions
de juridiction compétente, de loi applicable et d'exécution
extraterritoriale des décisions judiciaires.
Après l'exposé des caractéristiques du
contrat conclu par voie électronique, insistons maintenant sur le fait
que, les moyens de communication électroniques tels que le chat, la
vidéoconférence ou la téléphonie vocale sur
l'internet, sont des moyens par lesquels un véritable dialogue en
direct s'instaure entre les parties, permettant un échange
instantané des consentements, comme si les parties étaient en
présence les une des autres.
91 Le lien hypertexte est selon le jargon
informatique 1.3.1(BETA), un moyen très simple de navigation dans
un ensemble d'informations, liées les unes aux autres par
l'intermédiaire de liens appelés hyperliens.
92 Dispositif de pointage à l'écran
à l'aide d'un curseur dont les mouvements sont asservis à ceux du
dispositif en question. Cfr le jargon informatique 1.3.1(BETA).
93 ETIENNE MONTERO, op.-cit., p.305
-' 51 -'
Ainsi, les parties concluant par internet, nonobstant la
distance les séparant, se voient et/ou se parlent comme s'ils
étaient en présences les unes des autres.
Par ailleurs, on est alors en droit de se demander si
l'analogie entre le courrier postal et les messages transmis
électroniquement est tout à fait pertinente.
Si l'on peut incontestablement relever certaines similitudes
entre ces deux modes de communication (la non présence des
contractants de manière simultanée à un même
endroit), la rapidité avec laquelle les informations
s'échangent ne souffre d'aucune comparaison.
Sur les réseaux numériques, les communications
s'opèrent de manière quasi instantanée, « en temps
réel », quelle que soit la distance qui sépare les
interlocuteurs.
Dans un tel contexte, quelle est l'utilité
de cette théorie d'un autre âge, fondée sur l'intervalle de
temps qui sépare l'expédition d'un message de sa
réception par son destinataire, alors qu'il ne s'écoule
guère plus de quelques minutes, voire quelques secondes, entre ces deux
événements?
Il est improbable qu'une faillite, une modification
législative ou un sinistre interviennent dans ce délai ;
même s'il ne faudrait pas se leurrer sur l'instantanéité
des communications électroniques dans un Pays extraordinaire comme le
notre, ou à tout bout de champ le gouvernement peut interrompre la
connexion internet et ainsi faciliter la réalité technologique
selon laquelle les messages se perdent ou tardent à parvenir à
leur destinataire.
Dans ce contexte pour le moins aléatoire, la
théorie des contrats entre absents conserve toute sa pertinence,
même si son application peut s'avérer problématique sur les
réseaux numériques.
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