Chapitre 2
Les caractéristiques des cibles
Durant la décennie 80 l'industrie américaine a
dû s'adapter à de nombreux chocs (progrès technologique,
choc pétrolier, dérégulation). La vague d'OPA semble avoir
permis la transformation de l'industrie américaine .
Mitchell et Mulherin (1996) ont trouvé que dans sept
industries (divertissement, drugstore, pétrochimie, production
télévisuelle, textile, pneu et sidérurgie) au moins les
trois quart des firmes ont soit été rachetées, soit ont
reçu une offre de rachat qui n'a pas abouti, soit se sont
restructurées entre 1982 et 1989. Ils trouvent aussi que 50% des
rachats dans une industrie donnée sont regroupés sur une
période de deux ans. Un-peu comme si les premiers rachats brisaient
un équilibre précaire et qu'il fallait de nombreux autres rachats
pour en retrouver un autre. Dans une première partie nous verrons
comment le choc pétrolier a conduit les firmes américaines
à se restructurer, comment l'avènement du pneu radial a
amené les industriels du pneu à fermer 37 usines et à
supprimer 40% des emplois dans cette industrie, ou bien encore, pourquoi les
pilotes de ligne ont dû accepter des réductions de salaires. Dans
une seconde partie nous nous intéresserons aux performances des firmes,
nous confronterons plusieurs études empiriques afin de voir si elles
corroborent la théorie du free cash-flow .
Section 1 : Les industries visées et la
question du démantèlement des conglomérats
Il semblerait que les industries ayant subi des chocs
(dérégulation, progrès technologique, choc
pétrolier,...) aient été particulièrement
concernées par la vague de rachats. L'un des éléments que
l'on ne peut occulter lorsqu'il s'agit d'expliquer la vague d'OPA c'est le choc
pétrolier des années 70. L'industrie pétrolière a
subi de plein fouet l'embargo décrété par les pays de
l'OPEP en 1973 et l'arrêt des exportations de pétrole par l'Iran
en 1978 et 1979 . Bien sûr, de nombreuses autres industries ont subi
ce choc , ce fut notamment le cas pour l'industrie du pneu et le
transport aérien.
Intéressons nous d'abord à ce qui s'est
passé dans l'industrie pétrolière .
§1 Les compagnies pétrolières
Entre 1973 et 1979 les prix du pétrole ont
augmenté dix fois. L'accroissement des prix du brut a été
à l'origine d'importants cash-flow pour les compagnies
pétrolières. En effet, la demande de pétrole ne chuta pas
immédiatement et les compagnies qui détenaient toutes
d'importantes réserves de brut purent engranger d'importants cash-flow.
En 1984 le cash-flow des dix plus grandes compagnies
pétrolières était de 48.5 milliards de dollars, ce qui
représentait 28% du cash-flow total des deux cents plus grandes
entreprises américaines (Dun's Business month survey).
Cependant on anticipait un déclin de la demande
(lorsque les prix du brut augmentent, la demande ne diminue pas
immédiatement (faible élasticité prix)). Ainsi le niveau
optimal des capacités de distribution, de raffinage et des
réserves de brut chuta au début des années 80 ;ce qui
laissa l'industrie pétrolière avec des capacités
excédentaires. Au même moment les profits étaient
élevés ; cela arriva parce que la productivité
moyenne des ressources de l'industrie augmentait tandis que la
productivité marginale diminuait ( Jensen 1986). L'industrie avait
besoin d'être restructurée ; les réserves de brut des
compagnies étaient trop importantes et la profitabilité de
l'exploration pétrolière et des forages diminuait à cause
de la baisse de la demande .
Conformément à la théorie du free
cash-flow , les managers, au lieu de verser le cash-flow libre aux
actionnaires, continuèrent à investir dans des projets
d'exploration bien que les rendements moyens furent inférieurs au
coût du capital. Ils entreprirent aussi des programmes de
diversification. Ces programmes furent à l'origine de rachats
d'entreprises de vente au détail , (Marcor racheté par
Mobil) de manufacture (Reliance electric racheté par exxon) ,
de fabrication d'équipements de bureau (Vydec racheté par
Exxon). Les compagnies pétrolières rachetèrent
même des sociétés d'extraction minière (Kennecott
par Sohio, Anaconda minérals par Arco, Cyprus mines par Amoco).
Ces acquisitions ont fait partie des moins réussies de
la décennie, en partie à cause de la malchance (par exemple
l'effondrement de l'industrie minière) et en partie à cause du
manque de compétence des managers à l'extérieur de
l'industrie pétrolière (Jensen 1986).
A ce stade nous ne pouvons occulter le fait que si les rachats
peuvent servir à sanctionner les managers, ils sont aussi pour eux le
principal moyen de gaspiller le cash-flow libre. Rappelons que pour Jensen
(1986) ces acquisitions non rentables sont tout de même
préférables (socialement) à des projets de croissance
interne non rentables, dans la mesure où ces acquisitions permettent aux
actionnaires des cibles de percevoir une partie du cash-flow libre.
Deux études indiquent que les dépenses
d'exploration dans l'industrie pétrolières ont été
trop importantes depuis la fin des années 70. Mc Connell et
Muscarella (1986) cités par Jensen (1986) ont trouvé que les
annonces d'augmentation des dépenses d'exploration entre 1975 et 1981
étaient associées à des baisses de cours
systématiques (et vis versa).
Picchi cité par Jensen (1986) a trouvé que les
dépenses d'exploration entre 1982 et 1984 avaient en moyenne un
rendement avant impôt inférieur à 10% .
Le foreur indépendant T Bonne Pickens de la
société Mesa pétroleum fut un des premiers à
comprendre que l'industrie pétrolière devait être
restructurée, il fut le premier à lancer une OPA sur une
compagnie pétrolière . Cette OPA fût la première
d'une longue série de fusions qui conduisirent les compagnies
pétrolières à faire d'importants versements aux
actionnaires (ventes de leurs réserves de brut dont le produit fût
versé aux actionnaires ). Elles réduisirent
considérablement leurs dépenses en exploration ainsi que leurs
capacités de raffinage et de distribution . Cela s'est traduit par
d'importants gains en efficience et en valeur . Les gains totaux pour les
actionnaires , générés par les fusions entre Gulf et
Chevron ,entre Getty et Texaco et entre Dupont et Conoco
s'élevèrent à plus de 17 milliards de dollars (Jensen
1986). Allen Jacob (1986) cité par Jensen (1986) estime à 200
milliards de dollars les gains totaux liés à la réduction
de l'inéfficience dans 98 compagnies avec d'importantes réserves
de brut en 1984 .
La menace d'OPA a aussi joué un rôle très
important dans la réduction de l'inéfficience dans cette
industrie . Les restructurations défensives de Philips et Unocal et
la restructuration volontaire d'Arco ont permis aux actionnaires de
réaliser des gains allant de 20 à 35% de la valeur initiale des
actions. Les restructuration étaient couplées à des
rachats d'actions allant de 25 à 53% de la capitalisation
boursière des compagnies (plus de 4 milliards dans chaque cas) .
L'autre industrie dans laquelle la vague de rachats a eu des
conséquences spectaculaires c'est l'industrie du pneu.
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