Section 3 :L'implication des clauses anti-OPA
dans le déclin de la vague de rachats
Quelle est réellement la part de responsabilité
des pilules dans le déclin de la vague d'OPA ?
§1 La remise en question des clauses en tant que
principale cause de la baisse du nombre de rachats
C'est un débat qui a été vif ,
aujourd'hui encore il n'est pas tout à fait clos .
C'est durant le deuxième semestre de l'année
1989 que le nombre de rachats a considérablement baissé aux
USA, cette date correspond à la généralisation des
clauses et lois anti-OPA . Si nous regardons les statistiques, nous
constatons que jusqu'en 1986 seul 6% des entreprises américaines
étaient protégées par une mesure anti-OPA (loi ou clause)
alors qu'en 1989 87% des entreprises étaient
protégées par une loi ou une clause anti-OPA . Pour Coffee
(1991), Pound (1992) et d'autres, cités par Danielson et Karpoff (1998)
ce sont les clauses et les lois anti-OPA qui ont mis fin à la vague de
rachat des années 80 . En augmentant le coût des rachats ces
mécanismes auraient découragé les offreurs.
Comment et Schwert ne sont pas d'accord avec cette
explication, dans leur article de 1995 ils ont mis en évidence le fait
que beaucoup de managers attendaient que l'OPA soit imminente pour adopter une
ou des pilules empoisonnées et ils ont montré que la
présence de pilules n'affectait pas vraiment la probabilité de
succès de l'OPA . Heron et Lie (2000) sont d'accord avec cette
analyse puisque selon eux, la présence de pilules augmente le pouvoir de
négociation de la firme cible, ce qui permet d'obtenir une prime de
rachat plus élevée mais n'affecte pas la probabilité de
réussite de l'OPA. Ainsi l'adoption tardive d'une pilule, non
seulement ne dissuaderait pas l'offreur de lancer son OPA, mais en plus
n'aurait pas d'impact sur la probabilité de réussite de l'offre.
Ainsi même si personne ne conteste le fait que les clauses augmentent les
coûts des rachats ni que ces clauses aient empêché une
partie des rachats, pour Comment et Schwertz (1995) la
généralisation des clauses et lois anti-OPA n'est pas la
principale cause du déclin de la vague de rachats à la fin des
années 80 . Ils donnent d'autres éléments
d'explication.
§2 Les autres causes évoquées
Même s'ils n'ignorent pas l'impact qu'a pu avoir la
généralisation des clauses et des lois anti-OPA en 1988 ;
Comment et Schwert (1995) évoquent la récession qui débuta
en juillet 1990 (NBER) et soulignent qu'en août 1989 le
congrès américain vota une réforme des institutions
financières visant à restaurer la confiance (Financial
Institution Reform Recovery and Enforcement Act). Cette réforme
pénalisa les détenteurs d'obligations à fort rendement
(junk bonds) et ordonna leur vente, simultanément, les
autorités de régulation interdisaient aux banques commerciales de
participer à des transactions où la dette représentait
plus de 75% des actifs. Le marché des junk bonds s'effondra en septembre
1989 lorsque le principal émetteur révéla
l'étendue de sa crise de liquidités. L'effondrement de la
valeur du portefeuille de la banque Drexel entraîna sa faillite et sa
dissolution en février 1990 .
Cette réforme est très certainement responsable
de l'effondrement des prêts octroyés au secteur non financier par
les banques commerciales. Le montant total des prêts accordés en
1989 s'élevait à trente trois milliards de dollars, en 1990 il
n'était plus que de deux milliards ; or nous savons que les banques
commerciales étaient les principaux financeurs des rachats (Comment et
Schwertz 1995).
La réforme des institutions financières
(août 1989) et l'intervention des autorités de régulation
marquèrent la volonté du gouvernement américain d'en finir
avec les rachats financés par la dette, cette réforme
coïncide avec le déclin de la vague d'OPA (deuxième
moitié de 1989). Ainsi, il semblerait que les clauses n'aient pas
joué un rôle déterminant dans la sensible diminution du
nombre de rachats en 1989. S'il est difficile d'évaluer avec
précision la part de responsabilité des clauses anti-OPA dans le
déclin de la vague de rachats, ce qui est incontestable c'est qu'elles
ont entravé le fonctionnement du marché du contrôle des
entreprises, en augmentant les coûts des rachats, et ainsi
favorisé l'enracinement des managers .
Au début des années 80 l'économie
américaine est entrée dans une ère nouvelle.
Cette vague d'OPA a marqué le début d'un
processus à l'origine d'un changement durable dans le comportement des
managers ; ils sont passés d'une stratégie de
rétention et de réinvestissement du free cash-flow à une
stratégie de réduction de la taille de leurs entreprises et de
distribution de dividendes. Si ils ont renoncé à une partie de
leur pouvoir et de leurs prérogatives, c'est parce que le marché
les y a contraint. Le nombre élevé d'offres hostiles est
lié au fait que les intérêts des actionnaires et des
managers n'étaient pas alignés .
Galvanisé par l'utilisation des junk bonds et par la
progression des investisseurs institutionnels dans le capital des grandes
firmes cotées, le marché du contrôle des entreprises a
été suffisamment puissant pour transformer l'industrie
américaine et ainsi rendre les entreprises plus compétitives face
à la montée en puissance de la concurrence
étrangère. Durant cette décennie, les offreurs ont
démontré que les entreprises américaines étaient
inefficientes. Leur compétitivité était en train de
s'effondrer tandis que les concurrents étrangers, notamment japonais,
devenaient de plus en plus dangereux.
Même si elles ont été douloureuses
socialement (entre 1983 et 1987 4.6 millions de salariés perdirent leur
emploi), les restructurations mises en oeuvre étaient
inéluctables ; l'industrie américaine devait se moderniser
afin de faire face à la concurrence étrangère.
Cette vague a aussi et surtout marqué le début
de la shareholder value en tant que principe de gouvernance. Pour Holmstrom et
Kaplan (2001), «La shareholder value est devenue dominante dans les
années 80 et 90 , au moins en partie, parce que le
marché a un avantage comparatif dans la mise en oeuvre des
réformes structurelles que la dérégulation et le
changement technologique nécessitent. » Concernant la
persistance de la shareholder value après la vague d'OPA, Kaplan (1997)
cité par Denis et Kruse (2000), pour expliquer le très faible
nombre d'OPA hostiles lors de la résurgence des OPA dans les
années 90, invoque le fait que les managers et les conseils
d'administration ont retenu les leçons des LBO des années
80 . C'est certes un élément d'explication, mais ce qui a
très certainement permis à la shareholder value de perdurer et de
se diffuser dans le monde entier, c'est l'utilisation massive des stock
options. Elles ont permis, tant que faire se peut, d'aligner les
intérêts des managers avec ceux des actionnaires .
D'après la théorie de la shareholder value, le
fait que les entreprises maximisent la valeur pour l'actionnaire est profitable
à l'économie dans son ensemble parce que les actionnaires vont
réaffecter les dividendes qu'ils reçoivent de manière
efficiente. La dernière bulle spéculative et ses
conséquences nous incite à prendre cette affirmation avec
circonspection . Même si durant cette vague d'OPA le marché a
montré sa supériorité par rapport aux managers en
réaffectant efficacement les ressources ; on ne peut
décemment parler de l'efficience des marchés.
Le marché est, en quelque sorte, un mal
nécessaire !
Je tiens à remercier Jacques Ravix pour ses
conseils avisés.
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