C) L' augmentation du taux d'endettement et ses
conséquences
1 Les restructurations
Denis (1990) trouve qu'en moyenne le taux d'endettement passe
de 21% avant à 42.6% après le paiement défensif .
Saffieddine et Titman trouvent qu'en moyenne les firmes qui ont subi une
tentative d'OPA (entre 1982 et 1991) ont augmenté
considérablement leur taux d'endettement durant l'année qui a
suivi . Avant la tentative d'OPA le taux d'endettement moyen des firmes de
l'échantillon était de 59.8% , un an après la
tentative d'OPA il était de 71.5% .
Une augmentation brutale du taux d'endettement peut avoir des
conséquences positives sur une firme qui génère beaucoup
de cash-flow libre. En effet, l'impératif lié au remboursement de
la dette peut être à l'origine de la crise qui motivera
l'arrêt des programmes d'expansion et la vente des divisions qui auraient
plus de valeur à l'extérieur de la firme (Jensen 1986)
.
En accord avec Jensen, Saffieddine et Titman (1999)
trouvent que les firmes qui ont accru leur endettement plus que la moyenne de
l'échantillon ont en moyenne versé à leurs
actionnaires, dans l'année qui a suivi l'OPA manquée, une somme
équivalente à 5% de leur capitalisation boursière sous
forme de dividendes spéciaux . Durant cette même année
ces firmes ont racheté en moyenne plus de 11% de leurs actions.
Autres résultats intéressants : entre
l'année - 1 et l'année +3 , ces firmes ont réduit de
28% leurs dépenses en capital ; leurs cessions d'actifs ont
augmenté de 45% en deux ans et elles ont réduit leurs effectifs
de plus de 5.5% durant l'année qui a suivi l'OPA . Les
résultats statistiques indiquent aussi que ces firmes se sont
recentrées . Leur cash-flow (compte tenu de la variation de la
valeur comptable des actifs) s'est accru de 14.5% en quatre ans, ce qui n'est
pas exclusivement dû aux cessions d'actifs mais aussi à une
amélioration de la motivation des managers. Conformément à
ces résultats, l'étude conduite par Nohel et Tarhan (1998) montre
que la plupart des rachats d'actions s'inscrivent dans un plan de
restructuration plus global qui inclus d'importantes cessions d'actifs .
Denis (1990) constate que 24 des 37 firmes de son
échantillon (firmes ayant réalisé un paiement
défensif ) ont entrepris des restructurations ;onze d'entre elles
ont réduit leurs effectifs. Les choses se passent un-peu comme si les
managers de la firme ayant échappé au rachat mettaient en oeuvre
les restructurations qu'aurait entrepris le raider.
De plus, un fort taux d'endettement permet de réduire
les dépenses discrétionnaires des managers et évite que
ces derniers n'investissent le cash-flow libre dans des projets pas ou peu
rentables (Jensen 1986, 1989) .
Nohel et Tarhan (1998) trouvent que les firmes qui avaient un
ratio Tobin's Q faible avant le rachat de leurs actions ont, trois ans
après, amélioré leurs performances opérationnelles
de 23.3% .
Tous ces résultats empiriques corroborent
l'idée de Jensen selon laquelle, c'est l'impératif lié au
remboursement de la dette qui va déclencher la crise à l'origine
des restructurations. C'est à travers des programmes comme ceux
là, que la shareholder value a commencé à s'imposer ;
c'est la menace d'OPA qui a conduit les managers à changer d'état
d'esprit.
Cependant comme nous l'avons déjà dit,
l'accroissement du taux d'endettement augmente la vulnérabilité
de la firme face à un retournement conjoncturel.
2 Les difficultés rencontrées par
les firmes endettées
L'augmentation du taux d'endettement à l'issue d'une
recapitalisation n'a pas toujours eu des conséquences positives. Denis
et Denis (1995) constatent que 31% des firmes qui se sont endettées pour
racheter leurs actions entre 1985 et 1988 ont ensuite rencontré des
difficultés financières. Il semblerait que ces firmes aient eu
des problèmes pour céder les actifs qu'elles avaient prévu
de vendre aux prix prévus ; les estimations suggèrent que si
elles avaient pu vendre aux prix prévus elles auraient pu
rembourser.
Le premier élément qui permet d'expliquer
la réduction de liquidité du marché des actifs, c'est la
récession qui a frappé les USA à la fin des années
80 . Cependant, la restriction des conditions d'émission des
obligations à haut risque (junk bonds) en 1989 a certainement
contribué à rendre le marché des actifs moins liquide en
diminuant les fonds disponibles pour l'achat des actifs .
Pour Jensen (1991) cité par Denis et Denis (1995) les
changements dans la réglementation ont contribué à
augmenter la probabilité de défaillance des transactions à
fort levier financier en réduisant les possibilités pour les
firmes en détresse de recontracter avec leurs créanciers.
Palepu et Wruck (1992) cités par Denis et Denis (1995)
considèrent que les rachats d'actions défensifs ont tendance
à être moins bien structurés que les rachats d'actions
volontaires. Cependant d'après Denis et Denis (1995) ce ne fut pas la
principale cause de détresse financière.
Ainsi, c'est la menace d'OPA qui a conduit des centaines de
grandes entreprises cotées à racheter leurs actions en
s'endettant, puis à se restructurer. Ces plans de restructuration ont
fait brutalement remonter les cours des entreprises concernées. En
quelque sorte, les managers en place ont fait sous la pression des raiders ce
que ces derniers auraient fait si ils avaient racheté
l'entreprise . La menace d'OPA a servi d'argument aux PDG qui ont ainsi pu
faire accepter les restructurations aux syndicats et aux autres groupes de
pression .
A travers ces plans de restructuration défensifs c'est
la shareholder value qui a commencé à s'imposer, les managers ont
dû reconnaître qu'ils n'avaient pas tout fait pour maximiser la
valeur pour les actionnaires.
On peut considérer que les restructurations
correspondaient à cette époque à la défense
anti-OPA la plus loyale vis à vis des actionnaires. Cependant, à
partir de 1988 un nouveau type de défenses a commencé à
s'imposer : les pilules empoisonnées et les lois anti-OPA .
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