I.6. L'impact de l'Aide sur les réformes
politiques
Le deuxième argument développé pour
justifier l'idée d'une sélectivité plus grande des pays
receveurs en fonction de leurs politiques économiques est que l'aide n'a
pas d'effet sur la qualité de ces politiques. Plusieurs arguments
théoriques ont été avancés concernant l'effet de
l'aide sur les réformes de politique. Tout d'abord, SACHS, LAFAY et
Morrison, ALESINA et DRAZEN, NELSON, WATERBURY, AMPROU et DURET ont
développé l'idée selon laquelle l'aide peut permettre
à un gouvernement de lancer les réformes en compensant leurs
coûts d'ajustement, notamment si ces coûts sont supportés
par un segment particulier de la population39.
37 FRANCO-RODRIGUEZ S., O. MORRISSEY et M.
MCGILLIVRAY (1998), «Aid and the Public Sector in Pakistan: Evidence
with Endogenous Aid», World Development 26(7).
38 HADJIMICHAEL M.T., D. GHURA, M.
MUHLEISEN, R. NORD et E.M. UÇER (1995), » SubSaharan Africa:
Growth, Savings, and Investment, 1986-1993», Occasional
Paper 118, International Monetary Fund, Washington D.C.
39 AMPROU J. et E. DURET et al. (2000),
«Réformes, Groupes d'Intérêt et Dépendance
à l'Aide: Théorie et Estimation Econométrique»,
in Survivre grâce à l'Aide, Réussir malgré
l'Aide, Cahier des Sciences Humaines No.13, Autrepart, IRD.
40 RODRIK et BERG (1961),» International
Aid for Underdeveloped Countries», Review of Economics and Statistics
43(2).
25
En effet, les mesures de stabilisation et d'ajustement
imposent des coûts immédiats, souvent concentrés sur des
catégories de la population facilement identifiables et mobilisables,
tandis que les bénéfices attendus de ces mesures sont
différés, incertains et diffus.
A l'opposé, selon RODRIK et BERG40, les
ressources extérieures réduisent à la fois le coût
des réformes et le coût de l'inertie c'est-à-dire le
coût d'éviter les réformes. Pour la Banque mondiale, l'aide
n'a pas été l'élément principal des réformes
économiques. Les raisons de cet échec sont les dysfonctionnements
dont souffre l'instrument permettant à l'aide d'influencer les
orientations de politiques économiques à savoir la
conditionnalité attachée aux déboursements. Ce diagnostic
est largement partagé par l'ensemble des bailleurs mais les
stratégies pour y remédier diffèrent. Ainsi, la Commission
européenne vise une réforme de la conditionnalité,
consistant à prendre en compte des indicateurs de résultats.
Tandis que la Banque Mondiale, elle, propose une sélectivité
ex-ante des pays receveurs basée sur la qualité des politiques
économiques comme indicateur instrument.
Cependant, les deux points suivants développent
l'argument que l'aide n'a pas d'effet sur les réformes. Cet argument est
analysé à travers les dysfonctionnements des
conditionnalités et les analyses empiriques sur l'inefficacité de
l'aide en matière de promotion des réformes.
I.6.1. Les conditionnalités
La conditionnalité consiste en l'accord de financement
en contrepartie des réformes. Les bailleurs de fonds deviennent en
quelque sorte des « conseillers-payeurs ». Malgré deux
décennies de leur mise en oeuvre, les conditionnalités restent
toujours un instrument peu performant pour promouvoir
26
les réformes économiques. En effet,
d'après GUILLAUMONT41, les difficultés d'application
de ces conditionnalités et les objectifs souvent contradictoires
(débourser rapidement l'aide accordée et conditionner ces
déboursements à des réformes destinées à
favoriser durablement la croissance économique) ont contribué
à pervertir le système.
Pour Collier, deux éléments principaux sont
à la base de ces dysfonctionnements : la politique du gouvernement
déterminée par les forces politiques intérieures et la
formulation des conditionnalités n'est pas appropriée.
D'après WILLIAMSON, WATERBURY, STILES et HAGGARD, LAFAY
et MORRISON, les choix des politiques économiques sont dictés par
l'orientation doctrinale des responsables politiques et le comportement des
groupes d'intérêt, notamment leur opposition à
l'égard de mesures susceptibles de réduire les rentes de
situation. Ainsi, lors de la conception des politiques faisant l'objet de
conditionnalités, ces deux éléments représentent
des obstacles à la réforme et provoquent un manque
d'intériorisation des programmes soutenus par l'aide extérieure.
Alors que le principe même de l'aide à l'ajustement impliquait un
engagement des pays à mettre en oeuvre des réformes, il est
fréquemment apparu que les conditions de politique économique
étaient acceptées sans conviction, en raison de l'urgence
d'obtenir un financement42.
Suivant cette perspective, l'engagement formel à
opérer des réformes est devenu le prix à payer pour
obtenir de l'argent. Ainsi, la réforme est perçue comme un
coût et non comme un avantage. Face à la réticence des
pays, à la lenteur des réformes qui en a résulté et
à l'échec de nombreux programmes, la confiance des bailleurs de
fonds a largement baissé. Ceux-ci, devenus acheteurs de programmes, ont
alors été conduits à formuler des conditions de plus en
plus particulières et à s'impliquer davantage dans les
réformes pour en garantir la mise
41 GUILLAUMONT P (1995), « Propositions
pour un Nouveau Type de Conditionnalité », CERDI
Université d'Auvergne, Note établie à la demande la
Commission européenne, Direction Générale du
Développement, Bruxelles, p.115
42 WILLAMSON J. et al. (1994), The Political
Economy of Policy Reform, Institute for International Economics,
Washington D.C.
27
en oeuvre. Les programmes sont ainsi devenus l'affaire des
bailleurs de fonds, plus que celle des Etats receveurs.
Les études économétriques
suggèrent que le succès des programmes de réformes
dépend principalement des caractéristiques institutionnelles et
politiques des pays receveurs, les variables sous le contrôle de la
Banque mondiale n'étant, quant à elles, pas significatives.
Le deuxième élément susceptible de
provoquer des dysfonctionnements de l'aide est la formulation des
conditionnalités. La plupart des accords de financement comportent
plusieurs conditionnalités liées à différents
aspects d'une même réforme et correspondant au décaissement
de différentes tranches. La propension à n'appliquer que
partiellement les réformes convenues a été parfois
renforcée par la modération des sanctions effectives,
c'est-à-dire par la poursuite des versements lorsque les conditions
prévues n'étaient pas vraiment remplies. Ainsi, les performances
des agences d'aide au développement sont le plus souvent mesurées
en fonction des taux de décaissement des volumes financiers
engagés. Selon cette logique bureaucratique de succès, les
institutions financières ont considéré les
conditionnalités comme alors un moyen de pression qu'elles ne
l'étaient pas.
Il apparaît donc que la conditionnalité
macro-économique, qui est aujourd'hui l'instrument principal permettant
aux bailleurs de fonds de promouvoir ou d' « acheter » les
réformes de politique économique dans les pays receveurs, souffre
de nombreux dysfonctionnements. Ces derniers constituent l'un des
éléments à l'origine des performances largement
discutées de l'aide en matière de promotion des
réformes.
43 RAVALLION M., S. CHEN et al. (1997),
«What Can New Survey Data Tell Us About Recent Changes in Distribution and
Poverty? », World Bank Economic, Review 11 (2).
28
|