CHAPITRE II. LE REGLEMENT ARBITRAL DU CONTENTIEUX
DE
L'INVESTISSEMENT INTERNATIONAL
Parmi les modes alternatifs de règlement des
différends relatifs aux investissements internationaux, nous avons : la
médiation, la négociation, la conciliation et l'arbitrage.
L'arbitrage est aujourd'hui un mode presqu'universel et le
plus sollicité de
règlement des différends se rapportant à
l'investissement international. Il s'est imposé comme « la voie
royale du droit contemporain de l'investissement international
»219 qui, règle les litiges d'investissement
mettant en cause l'investisseur privé étranger à son Etat
d'accueil ( Etat ou' il exerce ses activités), en faisant appel à
une juridiction internationale indépendante. C'est pour cette
dernière raison que la plupart d'auteurs, à l'instar de LATTY
pensent que ce type d'arbitrage est « transnational
».220
Ce mécanisme a été mis en oeuvre en vue
de soustraire l'investisseur étranger des tribunaux de l'Etat d'accueil
- par crainte, à raison ou à tort, de partialité - et de
doter à celui-ci d'un autre moyen plus fiable pouvant lui permettre de
demander directement à ce dernier la réparation des dommages qui
leur sont causés.221
A cet effet, il a été avéré que :
« Seul le recours à l'arbitral international
d'investissement donne l'assurance qu'en cas de survenance de conflit,
l'investisseur sera traité sur le même pied
d'égalité que son interlocuteur étatique et garantit le
respect des engagements de l'Etat d'accueil ».222
De ce même ordre d'idée, « [le
contentieux de l'investissement international] ne sera pas tranché par
les tribunaux de l'Etat-hôte(...), mais par des tribunaux
extérieurs à celui-ci »223.
219Différends investisseur - Etat :
prévention et modes de règlement autres que l'arbitrage,
Etudes de la CNUCED sur les politiques internationales au service du
développement, New-York et Genève, Nations-Unies, p.XXI.
220 LATTY F., Arbitrage transnational et Droit international
général, Paris, CNRS éditions, 2008, p.467.
221 ROLA ASSI, Le régime juridique des
investissements étrangers au Liban au regard de l'ordre juridique
international, Thèse de doctorat, Aix-en-Provence,
Universités Aix-Marseille et Libanaise, 2014, p.505.
222 DERRAINS Y., « l'impact des accords de protection
des investissements sur l'arbitrage », in Gazette du Palais,
29 Avril 2001, spécial arbitrage, recueil mai-juin, cité par ROLA
ASSI, op.cit, p.506.
223 JUILLARD P., « l'arbitrage forcé
(arbitration without privity) », in revue de droit des affaires,
2008, p.16, cité par ROLA ASSI, loc.cit.
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Il s'agit là des litiges économiquement et
politiquement sensibles, et le recours à l'arbitrage entre investisseur
et Etat récepteur, dès lors, apparait particulièrement
approprié à leur solution.
Par ailleurs, l'arbitrage a été mis sur pied
pour supplanter la protection diplomatique224 qui était
autrefois, le seul moyen international dont disposaient les investisseurs
à l'encontre des Etats-hôtes. Celle-ci s'était
révélée inefficace et complexe en raison des divers
facteurs, dont la nécessité d'apurer les voies judiciaires
internes, et le fait qu'il appartient au bon vouloir de l'Etat225
d'initier la procédure en faveur de son ressortissant.226
En outre, en vertu de ce mécanisme, l'Etat revendiquait
non pas la violation du droit de l'investisseur, mais de celui de son Etat de
nationalité. La CIJ a affirmé à cet effet dans l'affaire
Barcelona Traction Light and Power Company (Belgique c/ Espagne), qu'«
une distinction essentielle doit être faite entre les obligations des
Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles
qui naissent vis-à-vis d'un autre Etat (...)
».227
Cela montre bien que ce qui est revendiqué avec la
protection diplomatique est bien la violation du droit de l'Etat de
nationalité de l'investisseur, de faire respecter le
224Conformément aux projets d'articles de la
commission de droit international (CDI) sur la protection diplomatique, cette
dernière consiste à « l'invocation par un Etat, par une
action diplomatique ou d'autres moyens de règlement pacifique, de la
responsabilité d'un autre Etat pour un préjudice causé par
un fait internationalement illicite dudit Etat à une personne physique
ou morale ayant la nationalité du premier Etat en vue de la mise en
oeuvre de cette responsabilité ». Ces travaux ont
été facilités par la Résolution 52/116 du 15
Décembre 1997 de l'assemblée générale des
Nations-Unies qui, a approuvé la décision de la CDI d'inscrire
à son ordre du jour le sujet de la protection diplomatique. L'affaire
des chemins de fer de Panevezys -Saldutiskis, arrêt du 28 Février
1939, CPJI, ajoute que la protection diplomatique peut être
exercée en cas de non satisfaction par les voies ordinaires, d'un acte
internationalement illicite subi par le ressortissant d'un Etat, par un autre
Etat.
225Dans l'arrêt Barcelona Traction, les juges
ont estimé que : « (...) dans les limites fixées par le
droit international, un Etat peut exercer sa protection diplomatique par les
moyens et dans la mesure qu'il juge appropriés, car c'est son droit
propre qu'il fait valoir (...) », CIJ, Barcelona Traction Light and Power
Company Limited ( Belgique c/ Espagne), arrêt du 5 Février 1970,
supra note 19, § 78 et 79. Cela a été renchéri par
des auteurs comme COMBACAU J., et SUR S., Droit international public,
4ème édition, Paris, Montchrestien, 1999, p.528 ;
et DUPUY P-M., Droit international public, 4ème
édition, Paris, Dalloz, 1998, p.431 et s. Ceux-ci mentionnent que :
« L'Etat doit être considéré comme seul maitre de
décider s'il accordera sa protection, dans quelle mesure il le fera et
quand il y mettra fin. Il possède à cet effet un pouvoir
discrétionnaire dont l'exercice peut dépendre des
considérations, d'ordre politique notamment, étrangères au
cas d'espèce ».
226JEANET P., L'arbitrage impliquant les
personnes publiques : tendances et perspectives, Mémoire
de Master, Université de Montréal, pp.1-3.
227 Affaire Barcelona Traction Light and Power Company
(Belgique c/ Espagne), op.cit.
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droit international. 228Logiquement, si une
réparation est octroyée, elle est au bénéfice de
l'Etat de nationalité de l'investisseur229.
A ce titre, l'investisseur était considéré
comme simple personne privée,
dépourvue de la personnalité
internationale.230Il est de ce fait, un sujet de droit interne,
soumis à l'Etat, véritable et unique sujet de droit international
public.231
Toutefois, celui-ci a changé de statut grâce
à une capacité d'action processuelle
et substantielle que lui ont reconnu les accords internationaux
de protection des
investissements. Une évolution affirmée par l'avis
Compétence des tribunaux de
Dantzig, la cour permanente de justice et d'arbitrage qui,
confirme à cette occasion qu' :
« on ne saurait contester que l'objet même d'un
accord international dans
l' intention des parties contractantes puisse être
l'adoption par les parties, de règles déterminées,
créant des droits et des obligations pour des individus, et susceptibles
d'être appliqués par des tribunaux nationaux
»232.
Cet argumentaire a été soutenu par SEIDL-
HOHENVERLDERN qui déclare :
« Tout traité qui concède des droits
à un individu ne fait pas de celui-ci un sujet. Ce n'est le cas que si
celui-ci concède à cet individu le droit de porter directement un
recours devant un organe international, sans l'intercession de son Etat
d'origine ».233
Cependant, le droit à l'arbitrage n'est reconnu
à l'investisseur qu'à l'existence préalable d'une clause
compromissoire ou d'une clause attributive de compétence permettant
cette voie. Le dernier cas concerne la saisine d'un tribunal international.
228SARTORIO CARNEIRO L., Evolution et apport du
droit international des investissements et du statut de l'investisseur
privé étranger à la qualité des personnes
privées en droit international public général , s.l,
Certificat d'études juridiques internationales, 2014-2015, p.13.
229 Ibidem.
230 La Cour internationale de justice a défini la
personnalité juridique internationale dans l'avis des réparations
des dommages subis au service des Nations-Unies, CIJ, avis, 1999; comme
« la capacité d'être titulaire des droits et devoirs
internationaux et (la) capacité de se prévaloir de ses droits par
voie de réclamation internationale ».
231Une conception restrictive lue dans le rapport de
SARTORIO CARNEIRO L., « Evolution et apport du droit international des
investissements et du statut de l'investisseur privé étranger,
op.cit, p.8.
232 CPJI, Compétence des tribunaux de Dantzig,
série B n°15, avis du 3 Mars 1928, pp.17-18.
233SEIDL - HOHENVELRDERN, « International
Economic Law/ Course on Public International Law », La Haye, in
les cours généraux de droit international public, Vol 198,
1986, p.9.
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Ainsi, dans le cadre du présent chapitre, nous
aborderons de prima facie le fondement de l'arbitrage international
d'investissement (Section.1), ensuite nous analyserons les différents
types d'arbitrage international d'investissement ainsi organisés
(Section.2), et enfin nous ferons une appréciation personnelle de ce
mécanisme de règlement des différends.
Section. 1 Fondement de l'arbitrage
Le fondement de l'arbitrage est le soubassement même des
responsabilités contractuelle et internationale de l'Etat pour des faits
ayant trait avec la protection des investissements
étrangers234. Il est le moyen par lequel les parties
consentent à un tribunal arbitral, en vue de la résolution d'un
éventuel litige qui, arrivera à naitre. Néanmoins, pour le
déterminer, cela ne s'est toujours pas avéré comme une
tâche facile.
En effet, de nombreuses sentences sont intervenues à ce
titre. Si elles convergent vers certaines solutions, leur démarche a
toujours été contradictoire ; et les difficultés, au lieu
de se résoudre au fil de la jurisprudence arbitrale
s'aggravent.235 Nous remarquerons de ce fait que les sources de la
soumission du litige d'investissement au juge arbitral d'investissement sont
variées. Il peut s'agir d'un contrat d'investissement (§1), d'un
accord international
d'investissement (§2) et de la loi nationale de
protection d'investissement ou code d'investissement (§3).
§.1 L'arbitrage découlant d'un contrat
d'investissement
Les contrats d'investissement sont des facettes des contrats
d'Etat, matérialisés
par :
« un accord en vertu duquel l'une des parties
(l'investisseur) s'engage à apporter à l'autre (le
bénéficiaire qui est normalement l'Etat), pendant une certaine
durée et selon des modalités définies contractuellement,
un certain capital ou certains actifs, en vue de la réalisation d'un
projet déterminé ».236
Ils prennent plusieurs formes, notamment le partenariat public
- privé, les marchés de construction, les contras de transfert de
technologie (le contrat de concession, le know how) etc.
234GAILLARD E., «
l'arbitrage sur le fondement des traités de protection des
investissements », in revue de l'arbitrage n°3, 2003,
résumé, p.1.
235LEBEN C., (dir.),
Le contentieux arbitral transnational relatif à
l'investissement, Paris, LGDJ, 2006, p.206. 236 ROLA ASSI,
op.cit, p.603.
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Aujourd'hui, ils constituent le fondement de la
responsabilité contractuelle de l'Etat en matière
d'investissement. Certes, les violations du contrat par l'Etat sont normalement
soumises à un juge étatique désigné par la clause
compromissoire mais toutefois, elles peuvent être
déférées devant le juge arbitral
international.237Dans ce dernier cas, les Etats
parties à un TBI peuvent convenir expressément
de respecter toutes les obligations contractuelles résultant des
contrats conclus avec les investisseurs ressortissants de l'autre Etat partie,
en vertu des clauses dites « umbrella», « clauses d'effet mirror
», « clauses de couverture », « clauses ascenseur »,
« clauses de protection parallèle », «
intangibilité du contrat », « clause générale de
respect des engagements contractuels ».
Elles sont souvent formulées comme suit : «
tout différend résultant des investissements est de la
compétence des méthodes prévues par le TBI
».238
Ces umbrella clauses visent à élever les
violations du contrat d'investissement au rang des violations d'obligations
conventionnelles (du droit international).239 Ce qui implique que
toute violation contractuelle constituerait pour l'Etat une violation du
Traité, laquelle relèverait de la compétence de la
juridiction arbitrale prévue par le Traité.240Par
conséquent, l'Etat engagera sa responsabilité internationale.
Ces principes ont été affirmé par les
affaires Lanco International Inc. c/ Argentine241, SGS c/
Philippines (2004)242, Salini c/ Maroc243, Vivendi c/
Argentine244, CMS Gas Transmission Company c/
Argentine245, et Eureko c/ Pologne et Noble ventures c/
237 ROLA ASSI, op.cit., p.604.
238Ibidem.
239 FERHAT HORCHANI, « Les relations entre les
traités et les contrats d'investissement : rôle et nature des
contrats d'investissement dans les pays en développement »,
second annual forum developping country investment negotiators, Marrakech,
Méridien N'Fis, 2008, p.38.
240Ibidem.
241Lanco international Inc. c/ République
d'Argentine, affaire CIRDI n°ARB/97/6. La compétence du tribunal
s'est fondé sur le TBI USA - Argentine signé en 1991, alors que
la défenderesse évoquait le fait que le contrat de concession
pour la construction et l'exploitation d'un terminal portuaire contenait une
clause de compétence au profit des juridictions administrative de
Buenos-Aires, décision sur la compétence du 8 Décembre
1998.
242 SGS c/ Philippines, affaire CIRDI n°ARB/02/6,
décision sur la compétence du 29 Janvier 2004.
243 Les arbitres ont fondé leur compétence sur
base du TBI Italie - Maroc conclu en 1990, même si le Royaume de Maroc
évoquait le fait que le contrat de construction d'un tronçon
d'autoroute liant les parties au litige contenait de compétence au
profit des tribunaux marocains.
244 Le tribunal CIRDI a déclaré sa
compétence sur le fondement du TBI France-Argentine, en dépit du
fait que le contrat de concession et d'exploitation du système de
distribution d'eau et d'évacuation d'eaux usées litigieuses liant
les deux contractants, donnait compétence aux juridictions
administratives de la province de Tucuman, en Argentine.
245CMS Gas Transmission Company c/ Argentine, affaire
CIRDI n°ARB/01/8, sentence du 12 Mai 2005.
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Roumanie (2005) ou' les arbitres décidèrent que
la violation du traité résulte dans le non-respect par l'Etat de
ses obligations contractuelles.
Cela est le contraire en droit international classique ou' la
violation du contrat Etat/
personne privée ne soulève pas automatiquement
la responsabilité internationale de l'Etat sauf dans le cas ou' la
violation est en même temps une violation d'une règle de droit
international.246
Notons par ailleurs que ces clauses de respect des
engagements, bien qu'elles ont dans certains cas été admises par
la jurisprudence arbitrale internationale, ne font toujours pas
l'unanimité à ce jour. Dans l'affaire SGS c/
Pakistan (2003), les arbitres ont interprété
restrictivement la clause parapluie insérée dans
le traité conclu entre la Suisse et le Pakistan au motif que celle-ci
avait une formulation large et générale.
Il a été retenu en ce sens que si cette clause
permette de regrouper une action
fondée sur le contrat et une action fondée sur
le traité devant le même tribunal arbitral, il n'en reste pas
moins que :
« Ce n'est ni la méthode la plus naturelle, ni
celle qui conduit aux solutions les plus pratiques, [...] puisque l'on permet
ainsi au tribunal de connaître des litiges contractuels, il serait plus
cohérent de donner en même temps à l'Etat l'occasion de
présenter ses propres demandes de nature contractuelle contre
l'investisseur. Or, une clause à effet miroir ne le permet
pas».247
De même, l'affaire El paso Energy International Company
c/ Argentine248 reconnait l'existence de ces clauses, mais tout en
précisant :
« Bien que l'umbrella clause transforme les
réclamations contractuelles, en réclamations sur le fondement du
traité, elle ne transforme pas cependant la question de l'étendue
ou du contenu de ces obligations en une question du droit international (...),
et ne supplante non plus les clauses de règlement des
246FERHAT HORCHANI,
op.cit, p.44.
247SGS
Société nationale de surveillance S.A c/ Pakistan, affaire CIRDI
n° ARB/01/13, décision sur la compétence du 6 août
2003.
248El paso Energy
International Company c/ Argentine, affaire CIRDI n°ARB/03/15, sentence du
31 Octobre 2011.
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différends spécifiques et exclusives figurant
dans le contrat d'investissement lui-même ».249
Une telle démarche a été suivie par les
sentences Salini c/ Jordanie250, et Joy Machinery c/
Egypte251ou' les arbitres ont refusé d'examiner les
réclamations contractuelles, au profit des demandes conventionnelles car
les estimant suffisamment pas claires.
Il convient également de mentionner que certaines
violations du contrat ne peuvent constituer des violations du traité,
tel est le cas d'un simple retard dans les paiements, etc.252
Hormis le cas ci-haut analysé, la responsabilité
internationale de l'Etat est à rechercher dans un instrument de
protection des investissements, lorsqu'il lui est reproché ne pas avoir
suffisamment protégé l'investissement, de ne pas avoir
accordé un traitement juste et équitable, de lui avoir un
traitement discriminatoire ou d'avoir pris à son égard des
mesures équivalentes à une expropriation ou toute autre violation
de cet instrument. Il peut s'agir dans ce cas du traité de protection
des investissements ainsi que les lois faisant partie intégrante de
l'ordre juridique des Etats concernés ou des lois adoptées aux
fins unilatéralement par les Etats. Ceci constituera le cheminement de
notre raisonnement.
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