1
Pour citer ce travail : MOURLAT Laurent, La
Bête du Gévaudan, l'animal pluriel, 1764-1767, sous la
direction d'Olivier Darrieulat, Université d'Oslo, Blindern, 2016, 185
p.
La Bête du Gévaudan
L'animal pluriel (1764 -1767)
Laurent Mourlat
FRA 4550. Mémoire de Master.
Études européennes et américaines,
filière France. Institut de littérature, civilisation et langues
européennes. Université d'Oslo. Printemps 2016.
Directeur du mémoire : Olivier Darrieulat, maître
de conférences
en civilisation française.
01.05.2016
2
Table des matières
REMERCIEMENTS 7
INTRODUCTION ..8
Les premières attaques 8
La bête du Gévaudan, un animal original au
Siècle des Lumières 9
I : Le choix de la méthode .
11
II : Une enquête de terrain
11
A : Travail préalable à la recherche « in
situ » 11
B : Stratégie d'approche des habitants 12
C : Acquérir la compréhension du territoire de
la Bête 12
III : Présentation des sources
14
Les sources primaires 14
Les sources secondaires 14
Les historiens locaux, les associations 15
A : Bernard Soulier, un spécialiste de l'histoire
locale au centre d'un réseau étendu 15
B : Le Chronodoc, un document indispensable aux recherches
consacrées à la Bête ....16
C : Jean Richard, l'auteur par lequel l'iconographie de la
Bête a été vulgarisée 17
D : Le travail d'Alain Parbeau, un expert en poudres et en
armes anciennes 18
E : Le point de vue de Patrick Berthelot, un expert des
uniformes du XVIIIè siècle 18
Les sources secondaires écrites antérieures
au XXè siècle 18
A : L'abbé Pourcher, un ecclésiastique qui
s'intéresse de près à la superstition. 18
B : Thomas Pennant, un naturaliste anglophone 19
Les sources liées au travail des chercheurs
contemporains 19
A : Des travaux d'étudiants : une thèse
vétérinaire et deux mémoires de maîtrise ....19
B : Les universitaires, des sources sûres et
éprouvées 20
1 : Jean-Marc Moriceau, un universitaire spécialiste du
loup en France 20
2 : Michel Meurger, spécialiste de l'histoire des
monstres et des félins exotiques 21
3 : Un universitaire anglophone spécialisé dans
l'étude de l'histoire des idées 21
Un « homme des bois » 22
IV : Le type d'entretien utilisé, un choix
méthodologique 22
A : Une interview avec l'ancien maire d'Auvers est
programmée 22
B : L'entretien structuré, une formule adaptée
aux études quantitatives 23
3
C : L'entretien semi-directif ou non directif, l'étude
de l'individu dans son milieu 23
D : Les raisons du choix du type de l'entretien 24
V : Présentation rédigée du
plan général de l'étude 25
Première partie 25
Deuxième partie 26
Troisième partie .26
PARTIE I : LE GEVAUDAN, UNE REGION CONTRASTEE .28
Introduction de la première partie de cette
étude 29
CHAPITRE I : Le Gévaudan, territoire de
prédation de la Bête 30
Introduction 30
I : Des attaques qui se concentrent dans des régions
pauvres et montagneuses 31
II : La vie rurale dans une région ingrate et froide
32
III : La diversification des sources de revenus, un
impératif de survie pour les paysans 34
Conclusion 35
CHAPITRE II : Un pays très
chrétien 36
Introduction 36
I : Le Gévaudan, une région qui résiste
aux idées nouvelles 37
II : La Lozère, une région catholique
attachée aux sacrements 38
Conclusion 39
CHAPITRE III : De la prédation du loup au
carnage de la Bête 40
Introduction 40
I : Deux années avant le début du carnage, des
attaques en Dauphiné 40
II : 1764 -1767, le carnage trois années durant 41
III : L'échec des chasses et ses conséquences
42
Conclusion 43
CHAPITRE IV : La presse, un des véhicules du
récit surnaturel .....44
Introduction 44
I : L'apparition du loup-garou 44
II : La presse réintègre une bête exotique
dans un univers traditionnel 45
Conclusion 46
4
CHAPITRE V : Un animal hybride, une
réalité partagée 47
Introduction 47
I : La Bête du Gévaudan, un animal victime de
l'imaginaire chrétien 47
II : L'imaginaire de la bête, une réalité
contextuelle 48
III : La Bête du Gévaudan, un hybride
cautionné par la science 49
Conclusion 50
CHAPITRE VI : De l'exotisme à l'ordinaire,
la normalisation du monde .51
Introduction 51
I : La mutation du cadre et des normes de l'Ancien
régime 51
II : Du monstre mythologique à l'animal de foire 51
Conclusion .52
CHAPITRE VII : L'évolution
asymétrique de la croyance 53
Introduction 53
I : A l'inverse de la Science, l'Eglise se réfugie dans
la mythologie chrétienne ....53
II : La bête du Gévaudan, une conséquence
du péché ....54
Conclusion de la première partie de cette
étude 55
PARTIE II : LA GENESE DE LA CROYANCE 57
Introduction de la deuxième partie de ce
mémoire. . 58
CHAPITRE VIII : Le processus de création
d'un prédateur exotique .60
Introduction 60
I : La structuration du récit du prédateur
exotique .........60
II : Le rôle de la culture 61
Conclusion 61
CHAPITRE IX : Une nouvelle Bête en
Gévaudan 62
Introduction 62
I : Un puma en Margeride 62
II : La presse s'intéresse à l'histoire du puma
.... 63
Conclusion 64
5
CHAPITRE X : L'importance de la culture
vernaculaire 65
Introduction 65
I : Une arrivée mouvementée 65
II : La localisation d'un animal non officiel 66
III : Un nouveau récit, le savoir vernaculaire à
l'épreuve du cadre de la modernité 66
Conclusion de la deuxième partie de ce
mémoire 68
PARTIE III : LA BÊTE, UNE ENTITE MULTIPLE 69
Introduction de la troisième partie de cette
étude 70
CHAPITRE XI : La manifestation d'une culture et
d'intérêts particuliers 71
Introduction 71
I : Du bannissement aux dettes, le déshonneur et la
prison 71
II : L'appât du gain et la réparation de
l'honneur des Morangiés 73
III : Un concurrent issu de la roture aspire à devenir
quelqu'un 75
IV : De la roture à la noblesse, un honneur
bafoué et des actions dictées par l'intérêt 77
V : La noblesse fortunée et titrée
privilégie l'hypothèse du loup en bonne et due forme .79
Conclusion 83
CHAPITRE XII : D'un imaginaire chrétien aux
figures de la Bête. 84
Introduction 84
I : Le prêtre, trait d'union entre les habitants et le
clergé 84
II : Le mandement de l'évêque de Mende, la
retranscription religieuse d'une calamité 86
III : La traduction du mandement, une interprétation
personnelle du prêtre 87
IV : Les figures de la Bête du Gévaudan, une
dichotomie archétypale 88
V : La presse, une force à la base d'une incertitude
interprétative additionnelle 91
VI : Les représentations zoomorphiques de la Bête
du Gévaudan, l'animal pluriel ....92
VII : Un hybride du Moyen Âge 95
VIII : Les représentations anthropomorphiques du
monstre, une Bête qui marche 97
Conclusion 100
6
CHAPITRE XIII : La métamorphose, un concept honni
par la théologie.......102
Introduction
|
102
|
I : Saint-Augustin et la permanence de l'oeuvre de Dieu
|
103
|
II : Jean Bodin, un théoricien qui accepte la
réalité de la métamorphose
|
..104
|
III : Les croyances attachées à la Bête du
Gévaudan au XVIIIè siècle
|
.....105
|
A : Les créatures anthropomorphiques
|
106
|
1 : La sorcière
|
.....106
|
2 : Le loup-garou
|
109
|
2a : Un témoignage aux références multiples
|
109
|
3 : Le diable
|
111
|
B : Une créature zoomorphe, l'hybride
|
114
|
Conclusion de la troisième partie
|
..116
|
CONCLUSION GENERALE
|
117
|
I : Les figures de la Bête, un ensemble issu d'un processus
social et historique
|
...117
|
II : La Bête du Gévaudan, un indice de la dichotomie
sociale présente sous l'Ancien régime.....119
III : Un nouveau monstre : l'Aristocratie 120
BIBLIOGRAPHIE 122
ANNEXES 137
7
Remerciements
Je tiens tout d'abord à remercier mon directeur de
recherche, Olivier Darrieulat, Maître de conférences en
civilisation française à l'Université d'Oslo. Il s'est
montré très disponible. Je voudrais aussi montrer ma
reconnaissance aux passionnés de la Bête et aux diverses
associations qui travaillent sur le sujet. En premier lieu, j'adresse mes
remerciements à Bernard Soulier, président de l'association type
loi 1901 "Au pays de la Bête du Gévaudan" 1.
Mr Soulier a répondu à tous mes courriels et à mes appels
téléphoniques. Notre conversation s'est
révélée constructive et j'ai pu mettre à profit les
informations qu'il m'a communiquées.
J'exprime également ma reconnaissance et mon admiration
à Alain Bonet pour le travail monumental qu'il a effectué, ceci
en regard de la centralisation des archives consacrées à
l'histoire de la Bête du Gévaudan. Je n'aurais tout simplement pas
été en mesure d'écrire ce mémoire sans ce document.
Enfin, je remercie Alain Parbeau pour m'avoir fait partager sa connaissance des
armes, Marie Segaffredo pour son aide précieuse au niveau informatique
et Patrick Berthelot pour son expertise concernant les uniformes du
XVIIIè siècle.
Enfin, je dédie ce mémoire à mon
père et à ma mère pour l'attention qu'ils ont
apportée à la relecture de ce travail ainsi que pour m'avoir fait
parvenir des ouvrages que les libraires refusaient d'envoyer en
Norvège.
1 L'association « Au pays de la Bête
du Gévaudan » est une organisation à but non lucratif
régie par la loi 1901. Son siège social se trouve à
Auvers, au coeur de la Margeride. Pour accéder à une information
plus complète, se référer à la bibliographie.
8
INTRODUCTION
Les premières attaques
C'est le trente juin 1764 que commence en Gévaudan
2 une série d'événements singuliers. Une jeune
fille de 14 ans est retrouvée morte au village des Hubacs, paroisse de
Saint-Etienne-de-Lugdarès 3. Le 8 août, à
Masmejean d'Allier 4, paroisse de Puy-Laurent, une fille de 15 ans
est « dévorée » 5. Les
réactions sont vives et le comte de Moncan,
Lieutenant-Général des armées du roi et commandant en
second pour la province du Languedoc 6 envoie l'ordre de donner la
chasse à Mr Du Hamel, capitaine aide-major des Volontaires de
Clermont-Prince. Les quatre compagnies de dragons du régiment de
Clermont-Prince se trouvant à Langogne 7 et Pradelles
dès l'automne 1763, elle sont mises à disposition. On ne
connaît alors pas encore l'identité de l'agresseur mais on
soupçonne fortement Canis lupus 8. En effet, le
Gévaudan est à l'époque une région tout à
fait propice à la colonisation par le loup. Alliant la moyenne montagne,
les forêts isolées et les pâturages dispersés, ce
territoire présente des caractéristiques géographiques et
topographiques de choix pour notre prédateur. La population y vit
principalement de l'élevage et ne se concentre pas dans les villages
9.
L`éparpillement des habitants ainsi que le type
d'activité agricole pratiquée dans la région donnent aux
loups la possibilité de s'attaquer aux hommes et à des cheptels
isolés. Les problèmes liés à la présence de
cet animal opportuniste sont d'ailleurs récurrents car celui-ci
sévit, et ceci depuis des siècles, dans tout le royaume. En 1641,
Henri de Laurens note la disparition d'une brebis ou d'une chèvre
«que le loup a mangée» 10. En août
1844 à Bazaigues, Baraise et Éguzon,
2 Le Gévaudan est une province qui a
existé avant la Révolution. De nos jours, le Gévaudan
n'existe plus en tant que tel. Il est rattaché à la Lozère
et à la Haute-Loire (pour le canton de Saugues). Voici une carte
comparée du territoire du Gévaudan et de celui de la
Lozère actuelle. Les limites de la Lozère actuelle: partie grise.
Le Gévaudan de 1764: partie rose. Pour accéder à la carte,
se référer à l'annexe 1. Les informations relatives
à l'histoire du Gévaudan viennent de Bernard Soulier.
Conversation téléphonique du 11.11.2015
3 Information issue des Archives de Montpellier.
Archive cote 44. Pour une localisation géographique de
Saint-Etienne-de-Lugdarès, se référer à l'annexe 2.
(OpenStreetMap)
4 «Masmejean ». Village de la
région de Saint-Etienne-de-Lugdarès. Pour une localisation
géographique, se référer à l'annexe 3.
(OpenStreetMap)
5 BONET, Alain, « Chronodoc », 2007, Document PDF
regroupant la quasi-totalité des archives consacrées à
l'histoire de la Bête du Gévaudan. p. 37.
6 Information donnée par Patrick Berthelot.
(courriels du 23 mai 2016).
7 Information militaire historique donnée par P.
Berthelot. - Langogne. Commune située entre la Haute-Loire et
l'Ardêche. Pour une localisation géographique de
Langogne, se référer à l'annexe 4.
8 «Canis lupus» : nom scientifique
donné au loup en latin. (Larousse, 1948)
9 «En 1789 seulement un dixième de la
population vit dans des villes ou des bourgades» (en Gévaudan).
Information donnée par Bernard Soulier au cours d'une conversation
téléphonique (15.10.2015). Bernard Soulier est le
président de l'association à caractère historique
«Au pays de la bête du Gévaudan».
10 MORICEAU Jean-Marc, L'homme contre le loup, Hachette,
2013, p 22.
9
communes de l'Indre «on n'a trouvé que la
partie des os de la jument et aucun vestige de la pouliche 11, un
«boeuf et une vêle» 12 sont
dévorés, trente chiens disparaissent»
13.
Située au centre du royaume de France, au sein d'un
territoire pauvre et rude déjà durement éprouvé par
la peste 14, la population du Gévaudan va, en cette
deuxième partie du XVIIIè siècle, être le
témoin d'une hécatombe. De 1764 à 1767, la «
Bête du Gévaudan » attaque environ 289 personnes. 108
sont tuées, plus de 49 sont blessées et environ 132 sont indemnes
15. L'étude des archives consacrées à ces
incidents montre que l'animal a fait plus de ravages en Auvergne qu'en
Languedoc 16. En Lozére, qui est alors la région la
plus touchée par les attaques, ce sont les cantons de Saugues, Pinols,
Le Malzieu, Ruynes et « Aumont et Fournels » qui payent le plus lourd
tribut à la voracité de la Bête, ceci avec respectivement
34, 23, 22, 14 et 10 agressions. Aux funestes événements qui
prennent place en Gévaudan les autorités répondent tout
d'abord par les mesures habituelles. On organise alors des chasses
17 dans les régions du Gévaudan et du Vivarais 18.
La bête du Gévaudan, un animal original
au Siècle des Lumières
Dans un siècle où la raison l'emporte et
où l'examen critique tend à fonder un nouvel humanisme on assiste
à la naissance d'idées novatrices. Si les scientifiques se
déchirent sur la validité de nouveaux modèles
19, l'Eglise est aussi le théâtre de désaccords
importants. Du côté des ecclésiastiques, les
Jansénistes 20, apôtres d'une pratique austère
et du respect des écritures combattent les Jésuites
21, eux-mêmes partisans du libre arbitre de l'homme. Dans les
milieux
11 Ibidem., p 23.
12 Ibidem
13 Ibidem
14 Entre 1720 et 1722, la peste décime la population
marseillaise. Le Gévaudan sera lui aussi durement touché. Pour
consulter le document original attestant ces faits, se référer
à l'annexe 5. (Bibliothèque Nationale de France)
15 Cette estimation est donnée par Alain
Bonet. Elle se fonde sur un recoupement des sources officielles, non
officielles ainsi que sur le travail des historiens. Pour une étude plus
approfondie des dégâts provoqués par la Bête du
Gévaudan, se référer à l'annexe 6 de ce
mémoire.
16 La Bête fera 82 victimes en Auvergne et 72
en Languedoc. Ces chiffres prennent en compte les victimes tuées,
blessées ou attaquées. Francois FABRE, Op. cit.
« complément historique », p 12.
17 Les chasses organisées par les
autorités s'apparentent aux huées aux loups du Moyen Âge,
sortes de battues où des hommes rabattaient les loups vers une zone
choisie pour les occir. (MORICEAU, 2008).
18 Vivarais. Province qui, avant la
Révolution, s'étendait approximativement sur le
département de l'Ardèche. Pour une localisation
géographique de l'Ardèche, se référer à
l'annexe 7. (OpenStreetMap).
19 En pleine expansion, la science est au XVIIIè
siècle le théâtre de désaccords importants. Par
exemple, Buffon et Linné proposent des modèles radicalement
différents pour expliquer l'évolution des espèces. Une
présentation plus précise de ces théories est
donnée au cours de cette étude. (HOQUET 2007)
20 Groupe Religieux qui prône une lecture
rigoriste de la Bible et s'en tient à la doctrine de Saint-Augustin. Ce
courant religieux nie la liberté humaine (il diffère en cela de
l'ordre des Jésuites) et s'en remet à la grâce de Dieu pour
obtenir le salut. (CROUZET, 1963)
21 Se dit d'un membre de la Compagnie de Jésus.
Fondée par Ignace de Loyola en 1537, la Compagnie de Jésus est
proche des idéaux de justice sociale. Les Jésuites sont aussi
favorables à l'éducation. (CROUZET, 1963)
10
scientifiques, Buffon 22 oppose des thèses
nouvelles à Linné 23 qui défend une vision
hiérarchique des espèces.
Au début du mois de novembre 1764, bien loin des
querelles parisiennes, on chasse en Gévaudan une étrange
bête. Décrite à l'époque par Du Hamel, capitaine des
chasseurs à cheval des Volontaires de Clermont-Prince, comme un animal
«original» 24, la bête en question va
très vite se révéler être un catalysateur des
croyances. Cette constatation est signifiante car la période à
laquelle se déroulent les faits n'est pas neutre. En effet, c'est parce
que ces événements se produisent quelques années avant la
fin de l'Ancien régime, à une époque où la science
tend à détrôner la métaphysique, que l'on peut se
demander si l'interaction entre la nature énigmatique de la Bête
du Gévaudan et le débat d'idées propre au XVIIIè
siècle ont participé à l'élaboration de croyances
originales. C'est alors tout l'imaginaire populaire de la Bête qui a pu
fluctuer au gré d'un processus dynamique dont l'analyse est liée
à l'histoire des idées.
L'exécution de cette étude doit donc être
faite dans le souci d'intégrer l'évolution des paradigmes
attachés au Siècle des Lumières, une période sur
laquelle des spécialistes comme Pierre-Yves Beaurepaire ou Daniel Roche
ont publié divers écrits 25. L'abondante bibliographie
consacrée à cette histoire, renferme une quantité
importante d'indices qui montrent que les thèses les plus extravagantes
ont circulé dans tout le royaume. Savoir si celles-ci étaient
latentes ou si la Bête a, malgré elle, été à
l'origine de nouveaux types de croyances est un sujet tout à fait
passionnant. Au vu des informations relevées au fil de mes lectures, mon
hypothèse est que l'apparition de cet animal a bien été
à l'origine de nouvelles croyances. L'objet de ma recherche est
d'établir une analyse des superstitions en Gévaudan au cours des
événements et de faire apparaître des
éléments qui confirmeront ou infirmeront mon hypothèse.
22 Georges Louis LECLERC, comte de Buffon (Montbard
1707-Paris 1788). Naturaliste et écrivain français, du
XVIIIe siècle. Buffon est un scientifique incontournable. Il
est avec sa théorie de la dégénération un de ceux
qui vont influencer l'évolution des sciences naturelles. (HOQUET,
2007).
23 Carl von Linné, naturaliste et médecin
suédois, partisan de la nomenclature. (HOQUET, 2007).
24 Lettre envoyée à l'intendant d'Auvergne..
« cet animal a la taille d'un taureau d'un an. Il a les pattes aussi
fortes que celles d'un ours, avec six griffes à chacune de la longueur
d'un doigt, la gueule extraordinairement large, le poitrail aussi long que
celui d'un léopard, la queue grosse comme le bras est au moins de quatre
pieds de longueur, le poil de la Bête est noirâtre, les yeux de la
grosseur de ceux d'un veau sont étincelants. Les oreilles courtes comme
celles d'un loup et droites, le poil du ventre blanchâtre, celui du corps
rouge avec une raye noire large de quatre doigts depuis le col jusqu'à
la queue. Je crois que vous penserez comme moi, que cet animal est un monstre
dont le père est un lion; reste à savoir quelle est la
mère ». Archives départementales du Puy-de-Dôme.
Cote 1731.
25 Par exemple, on peut citer : BEAUREPAIRE Pierre-Yves,
La France des Lumières 1715-1789, collection Histoire de
France, Belin, 2011 et ROCHE Daniel, La France des Lumières,
Fayard, 1993
26 En matière de théorie farfelue, on peut citer
celle du lycanthrope ou celle du « Machairodus », une sorte
de créature préhistorique, chère aux
cryptozoologues. (GODFREY, 2012).
11
I. Le choix de la méthode
Ayant formulé mon hypothèse de départ, il
s'agit maintenant de la tester. Pour ce faire, je dois me fonder sur une
méthode, la méthode hypothético-déductive. Selon
cette méthode, les conséquences observables d'une
hypothèse en déterminent la validité. Si nous
considérons que « l'apparition de cet animal a bien
été à l'origine de nouvelles croyances » il
s'agit maintenant d'étudier cette possibilité en
présentant des faits qui la valideront ou l'infirmeront. Très
rigoureuse, cette méthode implique qu'il soit rare qu'une
hypothèse soit complètement validée. Si seulement une ou
des parties de l'hypothèse sont validées, on peut alors
procéder à une reformulation de cette dernière, ce qui
peut mener à de nouveaux champs d'investigations. Pour effectuer une
étude aussi précise que possible, il est utile de se
référer aux archives et aux différents ouvrages qui ont
été écrits. Cette histoire a eu lieu il y a de cela 252
ans et il est peu probable, à part les érudits bien sûr,
que les gens du cru puissent nous renseigner mieux que les archives. Cependant,
l'enquête de terrain est indispensable car elle donne au chercheur une
autre vision que celle des textes. Ce travail doit être
précédé d'une préparation minutieuse et il est
à mon sens indispensable que l'approche préparatoire à
cette phase de la recherche soit menée d'une façon logique.
II. Une enquête de terrain
A. Travail préalable à la recherche « in
situ »
Pour ma part, le processus de construction d'un réseau
a pris la forme de lectures d'articles, de livres et de pages Internet
dédiées au sujet. Assez rapidement, je me suis rendu compte qu'il
fallait séparer le grain de l'ivraie. En effet, il existe une multitude
de sites, d'articles et d'ouvrages qui contiennent des erreurs et quelquefois
des théories farfelues 26. Après avoir
réalisé une sélection d'articles sérieux, je me
suis mis en quête de retrouver leurs auteurs. Pour cela, j'ai
utilisé les pages blanches de l'annuaire téléphonique.
Dans le cas où les numéros étaient introuvables, j'ai
contacté les éditeurs. Ces derniers ont quelquefois refusé
de donner suite à ma demande. Pour remédier à ce
problème j'ai écrit aux associations dont certains auteurs
étaient membres. Après quelques explications, ces
dernières ont bien voulu me renseigner. L'identification des personnes
recherchées étant terminée, j'ai pris contact avec elles,
cela par le biais d'une conversation téléphonique. A partir de ce
moment, et c'est bien ceci qui était recherché au départ,
j'ai été en mesure de me constituer
12
un véritable réseau fait d'associations,
d'éditeurs et d'auteurs. Le réseau établi, mon but a
été de me rendre en Gévaudan en voiture. La raison en est
que les différentes personnes avec lesquelles je voulais m'entretenir se
trouvent dans des lieux isolés en Margeride 27
B. Stratégie d'approche des habitants
Pendant mon séjour en Gévaudan, et ceci en
parallèle aux rencontres programmées avec les auteurs, j'ai
tenté de me mêler à la population pour recueillir des
informations. J'ai donc fait le tour de la ville de Saugues28
à pied en prenant soin de m'attarder devant les lieux de rencontre.
Après avoir repéré les cafés et les restaurants, je
me suis rendu compte qu'il y avait deux types d'endroits : ceux destinés
aux touristes et ceux qui sont destinés aux habitants de la
région. Dans un établissement, et ceci après avoir pris le
soin d'examiner les clients du dehors, j'ai pu observer que les visiteurs
semblaient se connaître car ils parlaient à voix haute de choses
qui se rapportaient aux problèmes de la région. J'ai aussi
remarqué qu'un des clients avait garé un véhicule sur un
parc de stationnement des alentours. Le véhicule était
équipé d'une remorque où figuraient des objets qui
semblaient être apparentés à ceux que l'on utilise pour
ériger des clôtures. J'ai alors pensé qu'il était
possible que cette personne soit un agriculteur. Ayant jeté mon
dévolu sur un établissement qui se trouvait un peu à
l'écart, je m'y suis rendu car j'avais l'impression que c'était
à cet endroit - et pas ailleurs - que je pourrais converser avec des
cultivateurs ou encore mieux... des chasseurs. J'ai donc poussé la porte
et ai directement engagé la conversation en présentant mes
recherches et mes motivations à la propriétaire des lieux.
C. Acquérir la compréhension du territoire de
la Bête
La tentative de prise de contact fut réussie. Non
seulement la tenancière s'est révélée très
loquace mais cette conversation à haute voix a amené d'autres
personnes à me livrer des détails sur la chasse et la
région. A la fin de la journée, j'avais réussi à
rassembler des témoignages sur la chasse, la topographie de la
région et... les coordonnées du gérant de la forêt
où la Bête fut tuée en 1767. La stratégie d'approche
des habitants décrite ci-dessus s'est révélée
être la bonne. Une
27 La Margeride est une région montagneuse du Massif
Central qui empiète sur la Lozère, le Cantal et la Haute-Loire.
Je veux ici préciser pour quiconque voudrait se rendre dans cette
région en hiver qu'une reconnaissance des lieux et des conditions
climatiques est indispensable. En effet, un bon nombre de routes
départementales sont fermées à la circulation pour cause
de verglas ou de congères. Ce problème peut aussi se
présenter en été, cela en raison des travaux de
maintenance liés à l'entretien des routes et aux
réparations causées par les dégâts du froid.
28 On peut se demander pourquoi j'ai choisi ce village. La
raison en est que Saugues se trouve au centre du territoire de prédation
de la Bête et que ce village est marqué par une culture religieuse
vivante. C'est à mon sens le lieu qui reflète le mieux le
Gévaudan dans sa spécificité régionale et
culturelle.
13
observation des lieux préalable et ceci en
détail 29, une tenue vestimentaire adaptée
30, une approche directe des personnes du cru, voici les
ingrédients qui m'ont permis, et cela en quelques heures de collecter
des informations importantes.
Très directe et très instructive, la prise de
contact avec les habitants m'a fait réaliser qu'il fallait aussi que je
me documente sur le relief et la nature des montagnes environnantes. Le jour
suivant que je suis donc retourné à Mende 31 pour me
procurer une carte de l'IGN 32 et c'est en pratiquant les
forêts du Gévaudan que je me suis rendu compte de
l'étendue, de la nature et des dispositions du territoire de
prédation de la Bête. De plus, même s'il est établi
qu'il y avait moins de forêts 33 à l'époque des
attaques, des incursions successives dans les bois m'ont fait réaliser
que les chasses avaient du être extrêmement difficiles. Cette
réflexion m'est venue car j'ai pu constater que les forêts de
sapins (dont certaines étaient à quelques kilomètres des
lieux mêmes où la bête fut tuée) étaient
très denses. Le rapprochement des arbres contribuant grandement au
manque de lumière, comment tirer un animal dans une forêt de
troncs très rapprochés où la luminosité est faible
? Cette question pratique est peut-être une de celles que Du Hamel s'est
posé au moment d'organiser les chasses.
Comme on peut le voir, s'attacher à comprendre une
région et ses habitants se révèle être utile
à la réalisation de la recherche que j'ai décidé
d'entreprendre. Aurais-je été en mesure de me rendre compte de la
particularité des forêts du Gévaudan sans converser avec
les habitants ? Je ne le pense pas. C'est bien au cours d'une conversation
informelle avec des autochtones que j'ai réalisé à quel
point les dispositions du territoire avaient pu influer sur le
déroulement des événements qui prirent place en
Gévaudan au XVIIIè siècle. Là encore, il est
démontré que le travail de terrain est une composante
indispensable au travail du chercheur.
29 Les lieux de réunion à Saugues
peuvent parfois être très différents les uns des autres et
il s'agit de ne pas les confondre car ils ne se limitent pas aux cafés
ou restaurants traditionnels . En effet, Saugues est sur le chemin du
pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostel. Le point de rencontre des
pèlerins, qui se situe en face de l'Eglise, est aussi un lieu qui
propose des boissons (non alcoolisées). Cet endroit, n'est
généralement pas représentatif des habitants et encore
moins de la population (agriculteurs et chasseurs) choisie pour notre
enquête.
30 Saugues est une petite communauté rurale,
très chrétienne et assez pauvre. Il s'agit alors de respecter les
codes vestimentaires de la région. C'est un détail qui a son
importance, surtout dans le cas où le chercheur tente de se mêler
à la population et à en tirer les témoignages utiles
à son étude.
31 Située en Auvergne, la ville de Mende,
qui est la plus peuplée du département de la Lozère en est
aussi la préfecture. (ALPHA, 1968).
32 IGN : Institut Géographique
National. Institut dont l'une des tâches principales est de cartographier
le territoire. Les cartes de l'IGN sont réputées pour leur
exactitude. Elles seront les bienvenues en Gévaudan, cela pour
découvrir les forêts et les lieux exotiques non
répertoriés dans les cartes proposées dans les
systèmes GPS.
33 Détail donné par Bernard Soulier,
ceci au cours d'une conversation téléphonique le 16.10.2015.
14
III. Présentation des sources
Les sources primaires
La présente étude nécessite une recherche
historique importante. La majeure partie des documents originaux
attachés à cette histoire est entreposée aux Archives
Nationales 34 ainsi que dans les archives du Puy-de-Dôme et de
l'Hérault. Ces témoignages du passé sont une trace
originale de ce que l'on a pensé, écrit ou dit à
l'époque des faits. Ils sont bien évidemment de la plus haute
importance.
Les sources secondaires
Les sources secondaires sont aussi à prendre en
considération. Une quantité importante de livres 35,
de films 36, de documentaires radiophoniques 37 ou
télévisés 38 sont à disposition. Ces
documents peuvent contribuer à la compréhension de l'histoire de
la Bête du Gévaudan car ils mettent quelquefois l'accent sur des
détails ou des faits qui avaient été passés sous
silence.
Ayant déjà réalisé un travail de
recherche en France 39, je suis très conscient de
l'importance des sources secondaires; mais je sais qu'il est encore plus
profitable de prendre directement contact avec les auteurs quand cela est
possible. Aussi, cette présentation ne se limitera pas à
introduire les oeuvres. Elle présentera aussi les auteurs que j'ai eu la
chance de rencontrer 40 ainsi que le travail qu'ils entreprennent
à travers les associations.
34 Recueil Magné de Marolles : Réserve des livres
rares, RES 4-LK2-786.
Plan de chasse pour traquer la Bête du Gévaudan.
Cote : F/10/476.
Rapport Marin (consultable dans l'annexe 8 de ce travail) :
liasse F 10 476, fond agriculture et destruction des animaux nuisibles.
35 De nombreux livres à propos de l'histoire
de la Bête du Gévaudan ont été écrits par des
auteurs plus ou moins sérieux. Les meilleurs ouvrages sont à mon
sens ceux écrits par Jean-Marc Moriceau, Jay smith, Bernard Soulier et
Jean Richard. Ces livres sont pour la plupart référencés
dans la bibliographie de cette étude.
36 « Maid of Gévaudan » (série
américaine de 2016), « le pacte des loups » (film
français de 2001), etc...
37 CHEVAL.L, le pays de la Bête du
Gévaudan, Radio bleue, Paris, 1999 - NRJ, la Bête du
Gévaudan, NRJ, le Puy-en-Velay, 1999, etc...
38 FR3 national, faut pas rêver, FR3
national, Paris, 2000 - FR3 Clermont, la Bête du
Gévaudan, Clermont-Ferrand, 1999, etc...
39 J'ai en 1995 commencé la rédaction
d'un mémoire de maîtrise en Art à l'université Paris
8 (Vincennes - Saint-Denis). Ce travail n'a pas été
entièrement réalisé, cela étant dû à
des problèmes de reconnaissance de diplômes entre la
Norvège et la France.
40 Mr Bernard Soulier et Mr Jean Richard ont eu
l'amabilité de me recevoir. Mr Bernard Soulier m'a reçu à
Saugues au musée de la Bête. Mr Jean Richard m'a reçu chez
lui, dans son antre de la Vachellerie. Au cours de ces entrevues, j'ai
eu la possibilité de consulter un ouvrage sur la chasse au loup
édité avant la Révolution (1788). J'ai aussi eu la chance
de pouvoir me faire expliquer l'utilisation d'objets relatifs à la
défense des chiens contre la prédation du loup (colliers
spéciaux, etc...)
15
Les historiens locaux, les
associations
A. Bernard Soulier, un spécialiste de l'histoire
locale au centre d'un réseau étendu
La première personne avec qui j'ai pris contact est
Bernard Soulier. La raison de ce choix est qu'il est celui qui paraissait le
plus adapté, ceci au vu de l'état de mes recherches.
Président de l'association à caractère historique
« au pays de la bête du Gévaudan », Bernard
Soulier fut enseignant puis directeur d'école.
Passionné par sa région et par l'histoire qui
nous intéresse, il est l'auteur de plusieurs livres dont la liste
exhaustive figure dans la bibliographie de cette étude. En plus de cela,
son association publie chaque année un numéro de la «
gazette de la Bête» 41. Cette revue se propose de
faire le point sur l'évolution générale des recherches
ainsi que sur les conférences, parutions et expositions sur le sujet.
Cette mise à jour annuelle est bien sûr appréciée
car elle concourt à compléter les références
bibliographiques.
Né à Auvers en Haute-Loire, à quelques
kilomètres d'où l'animal fut abattu par Jean Chastel en 1767, il
travaille depuis 35 ans sur l'histoire de la Bête du Gévaudan et
estime que le mystère est loin d'être élucidé.
Bernard Soulier est membre de l'association « histoire sociale de
Haute-Loire » 42, de la « société
académique du Puy-en-Velay » 43 et de la «
société des lettres, sciences et arts de Lozère »
44. En plus d'être un spécialiste de l'histoire de
la Bête, Bernard Soulier est au centre d'un réseau de
passionnés qui font des recherches aussi bien au niveau universitaire
qu'au niveau local.
41 « Gazette de la bête »,
publication diffusée gratuitement sur Internet qui se consacre
à la mise à jour de l'actualité de la Bête
(réunions, sorties, mise à jour des recherches etc...). Pour
accéder à une information plus complète, se
référer à la bibliographie.
42« Histoire sociale de la Haute-Loire ».
Cet organisme sans but lucratif se propose d'aider à faire
connaître l'histoire sociale de la Haute-Loire, ceci par
l'intermédiaire d'expositions et de publications consacrées
à ce sujet. Les informations relatives à cette association ont
été réunies à la lecture de la page Internet qui
lui est dédiée. Se référer à la
bibliographie pour obtenir des informations plus précises sur cette
association.
43 La « société
académique du Puy-en-Velay » fut créée en 1799.
Elle se consacre à l'étude de l'histoire et du patrimoine du
département. Les activités organisées vont de l'exposition
au voyage d'étude, ceci sans oublier une activité
éditoriale importante qui, selon la page internet de l'association, a
commencé en 1826. Les informations relatives à cette association
ont été réunies à la lecture de la page Internet
qui lui est dédiée. Se référer à la
bibliographie pour obtenir des informations plus précises sur cette
association.
44 Fondation reconnue d'utilité publique, la «
société des lettres, sciences et arts de Lozère »
fut fondée en 1819. Cette organisation veut « contribuer
au progrès des Lettres, sciences et arts ». Elle est la source
de publications semestrielles et est partie prenante dans l'organisation des
journées du patrimoine. En plus de ces activités, cette
association organise des sorties culturelles. Les informations qui
précèdent sont tirées d'une page Internet
dédiée à la Ville de Mende. Se référer
à la bibliographie pour obtenir des informations plus précises
sur cette association.
16
B. Le Chronodoc, un document indispensable aux recherches
consacrées à la Bête
Très vite, s'est posé le problème de
l'éparpillement des archives. En effet, les archives attachées
à l'histoire de la Bête du Gévaudan sont légion
45 et il aurait pu être difficile de les consulter dans leur
totalité. C'est ici que l'importance d'avoir un réseau s'est
avérée primordiale car Bernard Soulier m'a renvoyé vers
Alain Bonnet, auteur du « Chronodoc ». A l'origine d'un
travail monumental de regroupement des archives Alain Bonnet, professeur
d'anglais de son état, même s'il avoue ne pas savoir vraiment
pourquoi il s'est investi dans ce travail qui lui aura pris 6 années,
donne des pistes. L'inconnu, la célébrité de la
Bête, le devoir de mémoire envers les victimes, OKAPI
46 lorsqu'il était enfant ou la grosse déception
causée par le « pacte des loups »47 ? Il
n'en est pas sûr. Néanmoins, il avance la motivation de
rétablir la réalité historique et de sortir de la
fascination du récit des auteurs. C'est à la lecture d'un ouvrage
48 de Michel Louis et d'un écrit d'Abel Chevalley
49 qu'il s'attelle à la rédaction du
«chronodoc» 50. Au cours de son travail, Alain
Bonnet met à jour des incohérences, des interprétations
tronquées où les sources historiques et romanesques se
mélangent. Il prend alors la décision de reprendre son travail et
de se fonder sur les documents originaux. Après avoir corrigé des
dates, des erreurs de sources et de transcriptions et cela quelquefois
même dans les documents originaux, (doublons) l'auteur s'est quelquefois
essayé à effectuer des déductions. Prenant la forme de
notes personnelles, ces «corrections» ou «commentaires»
permettent de suivre un raisonnement qui peut être contesté par le
lecteur et modifié en conséquence.
Ainsi, le « Chronodoc » est un travail en
évolution. Document indispensable au chercheur, le « Chronodoc
» procède d'une recherche minutieuse et complète. Il
est aujourd'hui un document ouvert au public et un corpus auquel tout chercheur
qui a l'ambition de produire un travail de qualité peut se
référer.
45 Les archives en relation à l'histoire de
la Bête du Gévaudan sont principalement regroupées dans les
archives départementales de l'Hérault, du Puy-De-Dôme et
à la Bibliothèque Nationale de France (Plan de chasse pour
traquer la Bête du Gévaudan Cote : F/10/476 - Rapport Marin :
liasse F 10 476 fond agriculture et destruction des animaux nuisibles. -
Recueil Magné de Marolles : Réserve des livres rares, RES
4-LK2-786)
46 « OKAPI » : « Okapi » est le
nom d'une revue destinée aux adolescents. Cette revue est publiée
aux éditions Bayard Presse depuis 1971. Se référer
à la bibliographie pour obtenir des informations plus précises
sur cette revue.
47 « Le pacte des loups » est un film
français qui traite de la Bête du Gévaudan. Il est un
mélange de fiction et de faits avérés. Cette oeuvre
cinématographique ne respecte ni la réalité historique, ni
le déroulement des faits. Ce film est sorti sur les écrans en
2001 et fut réalisé par Christophe Gans. (Internet movie
database, 2016)
48 LOUIS Michel, L'innocence des loups, Paris, Perrin,
2000.
49 CHEVALLEY Abel , La Bête du
Gévaudan, Paris, J'ai Lu, 1972.
50 Chronodoc. Ce travail est une tentative de regroupement des
archives effectué depuis 2007 par Alain Bonet, le tout
agrémenté de commentaires et de réflexions. Il s'apparente
à une recherche mais n'est pas un ouvrage. Il sera donc dans cette
étude considéré comme un article au niveau des
références (Loc.cit.)
17
C. Jean Richard, l'auteur par lequel l'iconographie de la
Bête a été vulgarisée
Historien local passionné, saugain 51 , Jean
Richard est l'auteur d'un ouvrage 52 de référence. Il
propose une édition complétée des écrits de
l'abbé François Fabre, un ecclésiastique qui
découvre au début du siècle dernier une série de
documents inédits au sujet de l'histoire de la Bête du
Gévaudan. Ces écrits, qui seront publiés en 1901 sous le
nom de «la Bête du Gévaudan en Auvergne»,
seront réédités chez Floury, éditeur de la
capitale qui décide d'y ajouter des reproductions en couleurs.
Tirée à 500 exemplaires en 1930, cette édition, qui
comporte une bibliographie et une notice iconographique, est devenue
très rare. Edité en 2001, le livre de Jean Richard est lui une
source facile d'accès. L'ouvrage reprend le travail de l'abbé
François Fabre et propose des commentaires qui donnent aux lecteurs la
possibilité d'apprécier les hypothèses formulées en
relation à la véritable identité de l'animal. Ce travail
comporte aussi des illustrations (couleurs et noir et blanc) qui pour certaines
n'étaient pas présentes dans l'édition de 1930. Jean
Richard nous propose donc un ouvrage exhaustif où il est aisé de
puiser des détails historiques et bibliographiques.
Conseiller technique du « musée fantastique de
la Bête du Gévaudan »53, entreprise
culturelle située à Saugue qui propose 22 scènes
reconstituées des principaux moments de l'histoire le tout à
l'aide de mannequins (Bête, soldats, paysans, enfants...) et de jeux de
lumières, Jean Richard est aussi un collectionneur. Il rassemble et
classe depuis plus de 30 ans, les documents relatifs 54 à
l'histoire de la Bête. Il est le président de l'association
« MACBET » 55 qui s'occupe principalement de l'organisation
d'activités culturelles en relation avec l'histoire de la Bête du
Gévaudan. Il est aussi le secrétaire des « amis de la
Tour »56, deuxième association, cette fois-ci
composée par un groupe d'amis dont les réseaux et l'apport furent
fort appréciés lors de la recherche des financements en vue de la
création du musée cité précédemment. Il
possède une quantité importante de livres d'époque (dont
certains sont antérieurs à la Révolution de 1789) et est
une source d'information pour les chercheurs, les étudiants, les
amateurs d'histoire locale ou les journalistes.
51 Originaire de la Ville de Saugues en Gévaudan.
52 FABRE François, La Bête du
Gévaudan, édition complétée
par Jean Richard, de Borée éditions, 2001
53 Pour des informations plus précises, se
référer à la bibliographie. La dernière partie de
celle-ci comporte une page consacrée à la description de ce
musée.
54 On dénombre plus d'un millier de
références. Ces dernières sont regroupées dans une
brochure : RICHARD Jean, « Essai de bibliographie exhaustive sur la
Bête du Gévaudan », édité par l'auteur,
2000. Dans cette brochure sont recensés : 494 documents, 35 gravures,
116 articles de journaux.
55 Se référer à la bibliographie pour
obtenir des informations plus précises sur l'association «
MACBET».
56 Association des « Amis de la Tour
». Je n'ai pas été en mesure de trouver des
informations très précises sur cette association. L'Url de cette
dernière ainsi que quelques renseignements supplémentaires
à son sujet sont présents dans la partie consacrée au
« Musée fantastique de la Bête du Gévaudan
», à la dernière page de la bibliographie de cette
étude.
18
D. Le travail d'Alain Parbeau, un expert en poudres et en
armes anciennes
Quiconque s'intéresse à l'histoire de la
Bête doit s'intéresser aux chasses qui furent données
à l'époque. Bien que blessée plusieurs fois, et
tirée à courte distance, la Bête se relève et
disparaît. Ce détail, qui d'ailleurs contribuera à attiser
les superstitions, est un de ceux qui vont contribuer à fonder le mythe
de la Bête. C'est là qu'apparaît Alain Parbeau. Professeur
en lycée technique et spécialiste des armes anciennes, Alain
Parbeau peut nous aider à séparer la croyance 57 de la
donnée technique car il s'intéresse à la forge, aux
animaux et à l'histoire de la Bête depuis des années.
Auteur d'un document consacré aux performances balistiques des armes du
XVIIIè siècle 58, il est en mesure de
donner des détails sur les poudres et les fusils à deux coups
à platine à silex de l'époque.
E. Le point de vue de Patrick Berthelot, un expert des
uniformes du XVIIIè siècle
Patrick Berthelot est un spécialiste de l'histoire
militaire. Il est entre autres celui qui a mis en évidence une erreur
quant à l'identification des hommes en armes qui donnaient la chasse
à la Bête du Gévaudan. Longtemps appelés «
dragons du roi » par les historiens, ils faisaient en fait
partie du « régiment des volontaires de Clermont prince
». L'erreur était semble-t-il due à la similitude des
uniformes. Partrick Berthelot est un animateur des recherches en cours et son
avis, bien qu'il soit souvent en contradiction avec les thèses
habituelles, n'est pas à négliger car il peut contribuer à
expliquer et enrichir le débat.
Les sources secondaires écrites
antérieures au XXè siècle
A. L'abbé Pourcher, un ecclésiastique qui
s'intéresse de près à la superstition
Plus loin dans l'histoire, une autre source nous
éclaire. Le livre de l'abbé Pourcher 59, curé
de village de Saint-Martin-de-Boubaux dans les Cévennes, est un ouvrage
qui rassemble une grande partie des documents d'époque. Nous avons
là un travail qui décrit les attaques, les témoignages de
ceux qui en ont réchappé, l'organisation des battues
organisées par Du Hamel, les techniques de
57 Au moment des faits, beaucoup d'habitants du
Gévaudan décrivent la Bête comme un animal qui ne craint
pas les balles. Cette croyance, confirmée par le manque de succès
des chasses, contribue à l'établissement de superstitions
liées au caractère d'invulnérabilité attaché
à cet animal (BONET, 2007)
58 PARBEAU Alain, La Bestia del Gébaudan ou la
grace de Jean Chastel , Edition personnelle, 2009. Disponible pour la
somme de 14 € port compris. Contacter Alain Parbeau, 100 rue de Pibois,
44260, La chapelle Launay, ou, par courriel :
alain.parbeau@orange.fr
59 POURCHER Abbé, La bête du
Gévaudan, véritable fléau de Dieu,
éditions Jeanne Laffite, 2006 (Réédition)
19
chasse utilisées en vue de l'éradication de
l'animal (pièges, empoisonnement à la noix vomique 60,
utilisation des dépouilles mortelles empoisonnées des habitants,
déguisement des soldats en femme, pièges divers et variés,
etc...) ainsi qu'une description des différentes
cérémonies religieuses célébrées pour
implorer l'aide du Seigneur. La description chronologique et précise des
événements qui est mise à notre disposition met en relief
l'évolution du statut de la Bête dans l'imaginaire des habitants.
Le travail de l'abbé Pourcher est une source à laquelle celui ou
celle qui s'intéresse à l'histoire de la Bête du
Gévaudan ne peut se soustraire. Elle sera utilisée sans retenue
tout au long de cette étude. Cependant, et cela dans le souci de
respecter la réalité historique, il est important de garder en
mémoire que l'abbé Pourcher est un ecclésiastique.
Même si son ouvrage est d'une importance indéniable pour
l'étude qui nous occupe, il est probable que ses écrits aient
été teintés par ses convictions religieuses.
B. Thomas Pennant, un naturaliste
anglophone
Au XVIIIè siècle, Thomas Pennant, naturaliste
originaire du Pays de Galles, lui aussi nous renseigne sur les superstitions.
Dans un ouvrage publié en 1765 61, il donne des
détails sur les croyances locales du Bas-Dauphiné. Là
aussi, il semble que les loups-garous soient une
réalité. Ils s'attaqueraient aux enfants afin
d'alimenter les fours des verriers. Le Dauphiné n'est pas très
éloigné du Gévaudan, et il est probable que les croyances
et les superstitions des deux régions soient comparables dans leurs
teneurs et dans la réaction qu'elles suscitent. Dans les deux cas, il
semble que l'Eglise joue un grand rôle, soit du fait de sa
capacité à diriger et à administrer la foi des
fidèles, soit dans le combat qu'elle mène pour éradiquer
le paganisme des campagnes de France.
Les sources liées au travail des chercheurs
contemporains
A. Des travaux d'étudiants : une thèse
vétérinaire et deux mémoires de maîtrise
Les sources consacrées à l'histoire de la
Bête du Gévaudan ne sont pas toutes antérieures à
notre époque. Même si un travail de recherche important a
été effectué au cours des siècles derniers, il
existe aujourd'hui des travaux de qualité ceci aussi bien au niveau des
mémoires que des livres édités ou des doctorats. Si
l'histoire de la Bête inspire les recherches en histoire rurale ou en
60 « Noix vomique » ou « noix qui
fait vomir » : Strychnos nux-vomica, noix issue d'un arbre originaire
d'Asie du sud-est, source principale de la strychnine. A l'époque qui
nous intéresse, la noix vomique était mélangée avec
du verre pilé, ceci pour favoriser le passage de la strychnine
dans le flux sanguin. Cette technique était principalement
utilisée en vue de l'éradication des loups. (L'ISLE DE MONCEL,
1771 : 48)
61 PENNANT Thomas, Tour on the Continent, London,
Editions G.R de Beer, 1948. (Réédition)
20
ethnologie, on peut constater que des étudiants en
littérature et un doctorant de l'Ecole vétérinaire s'y
sont intéressés. En effet, une thèse de doctorat
vétérinaire 62 effectuée en 1982 à
l'Université Paul Sabatier de Lyon a été suivie de peu par
un mémoire de maîtrise en littérature 63 (1984)
soutenu à l'Université libre de Bruxelles. Écrit par
M.Rudy ce mémoire intitulé « la bête du
Gévaudan, manifestations littéraires et populaires d'un
phénomène mal connu », est voué à
l'analyse littéraire et historique de textes, chansons, poèmes et
documents liés à l'histoire de la Bête.
Intitulé « La bête du Gévaudan
» et écrit par J.M Farrant, qui d'ailleurs exerce le
métier de vétérinaire dans la région, le doctorat
propose un résumé de l'histoire de la Bête
agrémenté d'un exposé de différentes
hypothèses quant à la nature de l'animal. Plus tard, en 2002, un
deuxième mémoire 64 en littérature est soutenu
à l'Université de Cergy-Pontoise. Il s'intitule : « la
Bête du Gévaudan, écriture du fait-divers et mystification
». Ecrit par Laeticia Bierre, ce travail analyse la naissance et
l'évolution du mythe de la Bête à travers les
poèmes, les gazettes, le mandement de l'évêque de Mende et
la correspondance de monsieur Labarthe. Cette étude a
contribué à enrichir la bibliographie consacrée à
notre animal et a mis au jour que la plupart des ouvrages consacrés
à la Bête se répètent et par la même occasion
reproduisent les erreurs des ouvrages précédents 65.
Ces travaux, même s'ils ne sont pas directement liés à la
problématique attachée à ce mémoire, ne sont pas
sans intérêt. Une information tirée d'un document peut par
exemple confirmer ou infirmer une théorie échafaudée par
d'autres lectures.
B. Les universitaires, des sources sûres et
éprouvées
1. Jean-Marc Moriceau, un universitaire
spécialiste du loup en France
Concernant les universitaires qui se sont
intéressés à notre histoire, il en existe plusieurs aussi
bien en France qu'à l'étranger. Cependant, et ceci pour
prévenir les erreurs éventuelles, j'ai choisi de me limiter
à l'utilisation d'ouvrages aussi sérieux que bien
documentés. En voici les auteurs francophones : pour commencer, je
voudrais présenter Jean-Marc Moriceau, spécialiste de l'histoire
rurale et Professeur à l'Université de Caen. Universitaire,
Jean-Marc Moriceau est aussi connu du public du fait des nombreuses
publications qu'il a consacrées à l'histoire du loup en France.
Ces ouvrages recensent les attaques de loup sur l'homme (et sur les animaux)
tout en
62 FARRAN J.M, thèse de doctorat, « La Bête
du Gévaudan », 1982, Ecole nationale vétérinaire
de Lyon.
63 RUDY M, mémoire de maîtrise « la
bête du Gévaudan, manifestations littéraires et populaires
d'un phénomène mal connu », 1984, Université
libre de Bruxelles.
64 BIERRE Laeticia, mémoire de
maîtrise « la Bête du Gévaudan, écriture du
fait-divers et mystification », 2002, Université de
Cergy-Pontoise.
65 Cet avis est donné par Jean Richard, en page 7 de la
Gazette de la Bête numéro 5. Décembre 2004.
21
proposant des analyses de la peur viscérale qu'inspire
ce prédateur. En plus d'être un chercheur, Jean-Marc Moriceau est
président de l'association de l'histoire des sociétés
rurales 66 et membre de l'Institut Universitaire de France
67. Une partie non négligeable des sources utilisées
dans cette recherche est directement tirée de trois ouvrages
68 dont il est l'auteur.
2. Michel Meurger, spécialiste de l'histoire
des monstres et des félins exotiques
Essayiste, critique et ethnologue de formation, Michel
Meurger s'intéresse à la formation de l'imaginaire. Il fait
partie de l' «Institut métapsychique international de Paris
» 69 et a travaillé sur les monstres lacustres, les serpents
de mer, les dragons et les félins et autres prédateurs
légendaires 70. Michel Meurger étudie, entre
autres, l'assimilation des croyances en des créatures fabuleuses, ceci
à partir des témoignages d'une « réalité
zoologique non répertoriée » 71. Il est
l'auteur d'une grande quantité d'ouvrages passionnants dont une liste
non exhaustive est donnée en référence 72.
3. Un universitaire anglophone
spécialisé dans l'étude de l'histoire des
idées
Pour les ouvrages en langue anglaise, j'ai choisi la
publication de Jay Smith 73. Cet universitaire, qui est aussi
professeur d'histoire à l'Université de Caroline du Nord aux
États-Unis, propose une analyse de l'histoire de la Bête du
Gévaudan en rapport avec l'évolution de l'histoire des
idées. Très fouillé, documenté et
agrémenté d'une grande quantité de
références bibliographiques ce livre est reconnu comme un ouvrage
de référence 74 dans les cercles des
66 Cette association est née du fruit du travail
concerté des historiens professionnels et amateurs. Elle s'occupe
principalement de l'étude du monde rural. Se référer
à la bibliographie pour obtenir des informations plus précises
sur cette association.
67 Cet institut se propose de faciliter la recherche de haut
niveau et de favoriser l'interdisciplinarité. Se référer
à la bibliographie pour obtenir des informations plus précises
sur cet institut.
68 MORICEAU Jean-Marc, l'homme contre le loup, Op
cit .
Idem. La Bête du Gévaudan, Paris, Larousse,
2008.
Idem. Histoire du grand méchant loup, 3000 attaques en
France, Paris, Fayard, 2007.
69 l'Institut métapsychique international de
Paris. Cet institut, qui est reconnu d'utilité publique,
étudie de manière scientifique les phénomènes
paranormaux. Sa devise est la suivante : « Le paranormal, nous n'y
croyons pas, nous l'étudions ». Se référer
à la bibliographie pour obtenir des informations plus précises
sur cet institut.
70 Expression tirée de la revue de
littérature le visage vert, périodique qui
s'intéresse plus particulièrement aux parutions en rapport
à la littérature fantastique. Se référer à
la bibliographie pour obtenir des informations plus précises sur cette
revue.
71 Par cette expression, elle aussi aussi tirée de la
revue le visage vert, l'auteur fait référence aux
créatures légendaires telles que le « Dragon des Alpes
» ou le monstre marin. Au cours des siècles, les
érudits ont souvent donné du crédit aux
témoignages. De cette manière, les êtres légendaires
ont pu être admis dans le champ scientifique.
72 MEURGER, Michel, Histoire Naturelle Des
Dragons, Rennes,Terre de brume. 2001 Idem. Lake Monster
Traditions. A Cross-Cultural Analysis, London, Fortean Tomes, 1988.
73 Jay SMITH, Monsters of the Gévaudan,The
Making of a Beast,Cambrige, Harward University Press, 2011.
74 Alain Bonet, auteur du Chronodoc cite souvent cet
ouvrage et ne tarit pas d'éloges à son sujet.
22
spécialistes de l'histoire locale. Le travail de Smith
est tout à fait important pour notre étude car il met en relation
l'histoire de la Bête avec les évolutions morales, scientifiques
et religieuses inhérentes au Siècle des Lumières.
Un « homme des bois »
Enfin, et cela est indispensable pour mener à bien une
recherche sur la Bête du Gévaudan, il faut se mettre en relation
avec une personne qui connait les forêts. Une personne du cru, qui soit
partie intégrante de la culture du lieu. La chose n'est pas simple.
Néanmoins, et cela grâce à une enquête de
proximité, j'ai été en mesure de me procurer l'adresse de
Mr Boisserie, ancien maire d'Auvers 75. Mr Boisserie et sa femme
sont les descendants, et cela depuis huit générations, de ceux
qui ont entretenu la forêt où la Bête fut abattue par Jean
Chastel. De plus, et cela en raison de sa fonction d'élu, Mr Boisserie a
une connaissance approfondie des différentes péripéties
qui sont attachées à l'exploitation commerciale de l'histoire de
la Bête. Par exemple, c'est au gré des changements politiques et
des désaccords au sein des conseils municipaux que quelques communes se
sont disputées le droit d'ériger une statue à l'effigie de
Jean Chastel 76.
IV. Le type d'entretien utilisé, un choix
méthodologique
A. Une interview avec l'ancien maire d'Auvers est
programmée
Parallèlement au travail décrit
précédemment et toujours en vue de pouvoir vérifier ou
infirmer mon hypothèse, j'ai programmé une entrevue avec Mr
Boisserie (ancien maire d'Auvers et responsable de la forêt où la
Bête fut occise par Jean Chastel). Ce dernier a accepté de me
consacrer quelques heures au début du mois de juillet 2015. Pour que
cette interview porte ses fruits, il importe d'utiliser une forme d'entretien
adaptée. Il existe plusieurs formes d'entretiens, certains sont
utilisés pour des recherches quantitatives 77, les autres
pour des recherches qualitatives 78. Les
75 Commune et village du Gévaudan en Margeride.
76 Jean Chastel fut celui qui tua la Bête. Les
retombées commerciales de l'érection d'une statue à son
effigie furent à l'origine de désaccords entre les communes du
Gévaudan et le département de la Haute-Loire. Après
maintes péripéties, une quantité non négligeable de
l'argent consacré à la statue fut utilisée à la
réhabilitation de la mairie d'Auvers. Ces informations m'ont
été données lors de l'entretien avec Mr Boisserie, le
07.07.2015
77 La recherche quantitative est une étude
faite auprès d'un échantillon de la population, ceci en vue de
recueillir des informations sur les opinions, les comportements ou toute autre
chose. Ce genre d'étude est très adaptée aux besoins de la
stratégie commerciale. (RAGIN, 2011)
78 Dans ce type de recherche, on s'intéresse
plus particulièrement aux données descriptives. Cela pourrait par
exemple être l'observation d'un phénomène social dans son
milieu. (RAGIN, 2011)
79 BJORNHOLT Margunn, Gunhild FARSTTAD, « On
the advantages of interviewing couples together »,
Qualitative Research, 2012, pp 3-19.
23
recherches quantitatives et qualitatives ayant des buts
différents, l'identification des besoins du chercheur doit se faire
à l'avance. Pour faciliter la compréhension de la méthode
utilisée, j'ai choisi de préciser les raisons pour lesquelles
j'ai opté pour une forme d'entretien ou pour l'autre. Une description
détaillée des motivations attachées à
différentes méthodes d'investigation ainsi que les
réflexions qui m'ont amené au choix qui est le mien est donc
proposée ci-dessous.
B. L'entretien structuré, une formule adaptée
aux études quantitatives
Dans un travail où l'importance du nombre de personnes
contactées et la sélection sont primordiales, on
préférera l'entretien dit « structuré ». Le plus
souvent fondé sur des questions standardisées, l'entretien
structuré élimine la subjectivité car la structure et le
contenu en sont préétablis. Il est très populaire chez les
employeurs qui veulent se faire une idée sur des candidats potentiels.
La comparaison faite entre les réponses obtenues fournira, et cela
rapidement, une idée précise des compétences des
postulants.
C. L'entretien semi-directif ou non directif,
l'étude de l'individu dans son milieu
Pour les études dites « qualitatives »,
études dans lesquelles on étudie le comportement des personnes
dans leur milieu, on a principalement deux types d'entretien : l'entretien
semi-structuré et l'entretien non structuré. Très
populaire dans les sciences sociales et l'ethnologie ces derniers
diffèrent par leurs structures et sont utilisés dans
différents types de situations. Pour l'entretien semi-structuré,
on adopte un cadre où les thèmes abordés sont notés
à l'avance. De cette façon, il est plus facile de ne pas
dévier du thème. Les questions qui sont posées au cours de
l'entretien ne doivent pas suivre une forme particulière et peuvent
être modifiées au cours de l'entrevue. Ce type d'entretien est
régulièrement utilisé au cours de recherches qui
impliquent les couples ou la vie familiale 79.
L'entretien « non directif » ou « non
structuré » a une forme plus libre. Les thèmes sont
généralement choisis à l'avance et il est pour certains
apparenté à une conversation de tous les jours. Cependant,
l'entretien non directif présente des avantages considérables car
il semble être le plus adapté aux entretiens où des sujets
sensibles vont être discutés. Par exemple, aux États-Unis,
les
24
entretiens qui se concentrent sur les problèmes raciaux ou
la violence au foyer suivent cette méthode
80.
D. Les raisons du choix du type de l'entretien
Ayant préalablement décidé que les
thèmes abordés au cours de mon interview se concentreraient sur
la superstition et les ravages occasionnés par la Bête, je pense
qu'il aurait été malvenu de ne pas pouvoir dévier du
thème. Mr Boisserie, son épouse et leurs ancêtres occupent
les lieux (forêt où la Bête fut abattue) depuis des
générations. Des membres de leur famille ont-ils
été dévorés par la Bête ? Je n'en ai aucune
idée. En tous les cas, il s'agit ici de ne pas être intrusif. De
plus, la personne 81 qui m'a communiqué le numéro de
téléphone de Mr Boisserie m'a prévenu « Monsieur
Boisserie est très croyant, faites attention à ne pas le
froisser... ». L'entretien non directif semble ici présenter
des avantages incompressibles. De plus, même si l'entretien dit «
non structuré » est souvent comparé à une
conversation de tous les jours, il en est, il me semble, assez
éloigné. En effet, il est toujours possible d'encourager
l'interlocuteur pour en savoir un peu plus. Par exemple, l'utilisation de
pronoms interrogatifs « comment, pourquoi » etc..., ou encore des
interjections comme « ah », « Mmmm » etc... peuvent aider
le chercheur à approfondir le sujet de son étude ceci en incitant
l'interlocuteur à continuer sur le sujet. Il est je crois, et cela aussi
parce qu'il permet au chercheur de collecter des informations sans
dénaturer le flux de la conversation, tout à fait adapté
à la rencontre en question.
Enfin, la raison principale pour laquelle j'ai
décidé de pratiquer ce genre d'entretien pour ma recherche est
simple. La problématique de ma recherche est liée à
l'étude des croyances et de leurs évolutions à
l'époque des ravages la Bête. Nous nous concentrons donc
principalement sur le XVIIIè siècle et plus
précisément sur les 3 ans ( 1764 -1767) où notre animal a
fait tant de victimes. J'ai préalablement contacté Mr Boisserie
au téléphone, et il apparaît assez clairement que ce
dernier ne sera pas en mesure de me donner des informations qui ne sont pas
déjà consignées dans les archives. Ayant
déjà rassemblé au cours des travaux préparatoires
à cette étude un corpus d'archives important, je pense avoir
aujourd'hui une idée assez précise du sujet qui m'occupe. Aussi,
cet entretien est programmé afin de pouvoir déceler des
détails méconnus dans un cadre large, détails qui
pourraient ouvrir à une révision de ma compréhension des
événements. Le but est donc de donner la parole à mon
interlocuteur.
80 CORBIN Juliet, Janice M.MORSE, « the unstructured
interactive interview : issues of reciprocity and risks
when dealing with sensitive topics », Qualitative
inquiry, 2003, pp 335-354.
81 Cette dernière veut rester anonyme.
25
Au cours de cet entretien il est important de ne pas
dénaturer la spontanéité de l'entrevue car il est possible
que des éléments de la culture du Gévaudan (expressions
dialectales, éléments de l'histoire ancienne ou de l'histoire
contemporaine, pratiques régionales, etc....) refassent surface et nous
éclairent dans notre recherche. Pour ce faire je m'efforcerai, dans la
mesure du possible, de veiller à ne pas gêner mon interlocuteur en
lui posant des questions trop directes. De cette manière je pense qu'il
sera possible de conserver un discours dynamique et authentique. Ayant
préalablement reçu le droit d'enregistrer cette audience
82, je me munirai donc d'un appareil de prise de son. L'entretien
aura lieu au domicile de Mr Boisserie. N'ayant pas pu localiser la ferme de mon
interlocuteur sur mon GPS, j'utiliserai donc la carte de l'IGN
précédemment achetée à Mende. Cette interview
prendra la forme d'un entretien non directif. La raison de ce choix est
d'arriver à établir une conversation avec mon interlocuteur pour
que celui-ci s'exprime librement. Les questions posées seront des
questions ouvertes. Par questions ouvertes, j'entends des questions qui ne
dirigent pas mon interlocuteur vers un type de réponse mais qui au
contraire peuvent le conduire à développer des thèmes
connexes.
V. Présentation rédigée du plan
général de l'étude
Première partie
La première partie de ce travail est consacrée
à la présentation du Gévaudan et aux transformations
sociétales du Siècle des Lumières. Des informations en
rapport à la géographie du territoire de prédation de la
Bête, à la condition sociale de ses habitants ainsi que des
précisions relatives à l'évolution du statut du «
monstre » en tant que tel seront données. En effet, tous ces
éléments sont partie prenante du déroulement de l'histoire
qui nous intéresse. Si l'isolement du Gévaudan du XVIIIè
contribue à en faire une région où des règles
quasi-féodales sont toujours en vigueur 83, il est possible
que cette organisation sociale ait pu favoriser la conservation de croyances
antérieures à ce siècle. Aussi, la confrontation de ces
dernières avec les évolutions philosophiques et scientifiques de
l'époque a pu être à l'origine de la genèse de
nouvelles croyances.
82 Cette autorisation m'a été donnée par
mon interlocuteur, ceci au cours de la conversation téléphonique
qui a précédé notre entretien.
83 Ce détail m'a été
donné le 13.07.2015 au cours d'une discussion avec Jean Richard, auteur
de plusieurs livres sur la Bête du Gévaudan.
26
Deuxième partie
La deuxième partie de ce mémoire est
dédiée à l'étude du processus de
l'élaboration des croyances en rapport aux félins exotiques. Dans
ce chapitre, je me fonderai sur un article 84 de Michel Meurger pour
expliquer de quelle façon l'existence supposée de bêtes non
indigènes suscite l'adhésion de certains. La présence
d'une narration populaire propre au Gévaudan et à sa culture
ainsi que des éléments constitutifs de la mise en place de ce
récit apparaîtront à travers l'analyse d'une partie de
l'entretien non directif évoqué précédemment.
Ainsi, des éléments comme les « signes anomaliques
» 85, la « réactivation de croyances
locales » 86 ou la « réintégration de
l'épisode dans un cadre traditionnel » 87 seront mis en
évidence. Indispensable à la résolution de la
problématique de cette étude, la compréhension du
processus attaché au développement des croyances liées
à la bête du Gévaudan 88 à
l'époque des faits est à mon sens indispensable. C'est pourquoi,
et ceci dans le but d'annoncer la stratégie utilisée dans la
suite de ce travail, le cadre philosophique du siècle dans lequel se
déroulent les faits décrits dans le témoignage de Mr
Boisserie sera pris en compte. Comme nous le verrons, les changements
paradigmatiques effectués entre le XVIIIè et le XXè
siècles participent à la mutation de l'objet de l'animal
imaginé.
Troisième partie
La troisième partie de ce mémoire est
consacrée à une étude sectorielle des croyances car je
soupçonne que dans le Gévaudan du XVIIIè siècle,
ces dernières sont en rapport avec les catégories sociales dont
elles sont issues. Ainsi, le Tiers-Etat peut avoir développé des
croyances différentes de celles des populations éduquées.
Afin de découvrir si cette hypothèse est vérifiée,
il est utile de comprendre quelle était à l'époque
l'influence réciproque des groupes sociaux et des individualités
en présence. Ainsi, après avoir analysé les motivations et
les intérêts de figures centrales issues de la noblesse, je me
pencherai sur le rôle du prêtre en tant que représentant de
la foi officielle puis, comme composante de la vie sociale des roturiers.
84 MEURGER Michel. « Les félins
exotiques dans le légendaire français »,
Communications, 52, 1990. Rumeurs et légendes contemporaines,
sous la direction de Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard.
1990. pp.175-196.
85 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 177. Par «
signe anomalique », Meurger fait référence aux
détails inhabituels tels que des griffures placées en hauteur sur
les arbres, des cris étranges dans la forêt etc...
86 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.
87 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 178. Par
cette formule, l'auteur fait référence au cadre dans lequel se
développe la croyance ou à quoi cette dernière se
rattache. Par exemple, dans le cas de notre étude, la «
réintégration dans le cadre traditionnel » de
l'épisode se rapporte à la culture du lieu et aux
éléments qui favorisent la naissance de la croyance.
88 Dans ce cas, la Bête du Gévaudan est
considérée comme un « félin exotique
».
27
Aussi, l'iconographie, en tant que vecteur de propagation d'un
récit particulier, doit être prise en compte car il est probable
que la presse ait tenté d'exploiter l'effroi causé par la
Bête dans le dessein de résoudre les problèmes financiers
auxquels elle devait faire face. Si cela était le cas, l'étude
des estampes diffusées au cours des événements pourrait
nous éclairer sur l'existence d'une narration spécifique.
L'examen de l'iconographie et du discours médiatique qui lui est
attaché sera mené en parallèle à une analyse des
témoignages rapportés dans les archives puis, mis en rapport avec
le cadre théologique dans lequel évoluent les croyances.
Enfin, pour résoudre notre problématique, il
faut délimiter l'influence réciproque des éléments,
examiner la possible subordination des uns aux autres et en tirer une ligne
directrice. On cherchera donc à savoir si les multiples narrations
(religieuses, médiatiques, populaires, etc....) autour de l'animal
responsable des carnages ont une incidence sur la superstition à
l'époque de la Bête. C'est en comparant les croyances
déjà présentes dans cette région à celles
qui ont pu naître pendant cette affaire qu'il sera alors possible de se
rendre compte si l'inefficacité des chasses, le mandement de
l'évêque de Mende, la réalité médiatique ou
toute autre chose ont impacté les croyances attachées à
cette histoire.
C'est bien le caractère multiforme de la
représentation de la bête du Gévaudan qui concentre nos
motivations pour cette étude. Du loup-garou à la hyène,
cette entité polymorphe passe de l'animal de foire au monstre
mythologique. C'est cette variété des apparences qui oblige le
chercheur à se concentrer sur les multiples narrations qui
parsèment cette histoire pour enfin, peut-être, arriver à
définir en quoi la croyance affecte le réel.
28
PARTIE I
LE GEVAUDAN, UNE REGION CONTRASTEE
29
Introduction de la première partie de cette
étude
Dans cette première partie, je tenterai de
présenter le territoire du Gévaudan, ses habitants ainsi que
ladite « Bête du Gévandan » et le débat
d'idées qu'elle suscite.
L'étendue géographique dont il est question ici
correspond approximativement aujourd'hui à la Lozère. Connue pour
la rudesse de son climat et pour l'attachement de sa population à la foi
catholique, la région s'étend sur un territoire de moyenne
montagne où les températures peuvent être glaciales. Le
Gévaudan est aussi, de par sa configuration, un territoire idéal
pour le loup. Ainsi, de 1764 à 1767, une bête d'un nouveau genre,
« la Bête du Gévaudan », probablement un loup,
des loups ou un hybride, provoque un carnage et tue sans distinction hommes,
femmes ou enfants. La Bête, tour à tour qualifiée par les
témoins de hyène, d'hybride, de monstre ou de sorcier par les
plus superstitieux, va dans une période qui voit l'épanouissement
de la philosophie des Lumières, être à l'origine d'un
débat d'idées contradictoires.
30
CHAPITRE I
Le Gévaudan, territoire de prédation de
la Bête
Introduction
Territoire sauvage, le Gévaudan a au cours d'une grande
partie de son histoire été régi par l'autorité
féodale. Fondée sur le lien vassalique 89, la relation
entre les vassaux et les seigneurs y était alors fondée sur un
lien de sujétion et de protection. Les fiefs seigneuriaux étaient
défendus à l'aide d'un réseau de places fortes qui
pouvaient prendre la forme de forteresses ou de châteaux. Régnant
sans partage, les puissants voient à partir du début du
XIVè siècle l'Eglise s'affirmer comme l'expression d'un
contre-pouvoir car cette dernière s'impose progressivement comme une
extension de l'autorité du roi.
Dans le Gévaudan du XVIIIè siècle, bien
que la philosophie des Lumières propose dans les villes un modèle
de civilisation en total opposition avec l'Ancien régime, l'organisation
décrite ci-dessus est toujours de mise. Victimes d'une pauvreté
endémique, d'un climat rigoureux, et d'une organisation sociale qui les
opprime, les habitants de cette région doivent, en plus des attaques de
la Bête du Gévaudan, sans cesse chercher de nouveaux moyens
d'assurer leur survie.
89 Le lien vassalique met en pratique la
dépendance d'un homme libre (le vassal ) envers un autre homme libre (le
seigneur). Cette organisation sociétale est une résultante de la
quasi-disparition de l'autorité publique qui caractérise la
période qui voit entre le Xè et le XIè siècle la
destruction de l'Empire Carolingien. A cette époque les princes et les
rois se montrent incapables de réduire la résistance des petits
seigneurs locaux et doivent donc imposer une échelle sociale
théorique. De nouvelles règles, où chacun a des droits et
des devoirs, sont donc prescrites. Entre les hommes libres, s'établit
une hiérarchie mise en place par l'hommage féodo-vassalique
où le vassal s'inféode à un seigneur qui par la même
occasion se voit octroyé le droit de juger son vassal. De ce lien
naît une relation de réciprocité car, même si le
seigneur se réserve le doit de punir, sa puissance étant
conditionnée par la loyauté de ses vassaux, il se doit
d'être juste. Dans la pratique, le vassal et le seigneur ont des
obligations réciproques. En premier lieu, le vassal ne doit en aucun cas
essayer de nuire à son supérieur hiérarchique, à
ses possessions ou aux siens. Ensuite, viennent des devoirs attachés
à l'aide militaire, à l'aide financière. En ce qui
concerne les responsabilités du seigneur envers son vassal, il se trouve
dans l'obligation de lui fournir des armes, un cheval et des fonds. Dans
certains cas, le seigneur peut choisir de faire le don d'un fief à son
vassal. Le fief étant généralement une étendue dont
l'exploitation est sujette à des redevances, elle peut dans certains cas
se révéler une excellente solution pour les deux parties.
(CROUZET, 1963).
31
I. Des attaques qui se concentrent dans des régions
pauvres et montagneuses
A l'époque où se déroulent les faits, le
Gévaudan fait partie du diocèse de Mende et est attaché
à une région aujourd'hui appelée Auvergne. En 1790, date
à laquelle le territoire français est réorganisé
90, le Gévaudan disparaît et fait place à une
entité départementale, la Lozère.
Carte de la Lozère actuelle
Carte Tirée de «l'annuaire des campings de
France» 91. Echelle : 1 / 1666666
Le territoire de chasse de la Bête s'étend
principalement sur trois régions. La Margeride 92, le Haut-Rouergue
93 et le Haut-Vivarais 94. Ces dénominations ont,
pour certaines d'entre elles, été remplacées. De nos
jours, le «Haut-Vivarais» correspond à la chaîne des
monts du Vivarais, le Haut Rouergue à la partie de l'Aubrac qui se
trouve à l'Ouest et au Sud de Marvejols 95. La Margeride est
la partie la plus montagneuse de ces trois régions. Elle est à la
lisière de trois départements : Le Cantal, la Lozère et la
Haute-Loire.
90 Pour obtenir plus de précisions sur la
réorganisation du territoire, il est possible de consulter le «
rapport sommaire sur la nouvelle division du royaume » aux page 119
et 120. Ce document se trouve aux Archives parlementaires de la
Bibliothèque Nationale de France. Pour visualiser l'archive, se
référer à l'annexe 9
91 Cet « annuaire des campings de France
» est en fait le nom générique d'une organisation
touristique qui propose une liste exhaustive de tous les campings du territoire
français.
92 La Margeride est un massif montagneux situé dans le
Massif central. Pour obtenir des précisions sur le territoire de la
Margeride, aller à l'annexe 10 (BESQUEUT, 1953).
93 Le Haut-Rouergue est le nom donné
à une partie montagneuse de l'Aubrac. Cette région s'étend
sur plusieurs départements. Pour notre étude, c'est la partie
nord qui nous intéresse Pour plus de précision sur le
Haut-Rouergue, se référer à l'annexe 11 (TOURISME
VILLEFRANCHE DE ROUERGUE, 2015).
94 Le Haut-Vivarais correspond aujourd'hui à la
région des «monts du Vivarais», aussi appelée,
Haute-Ardèche. (ALPHA, 1968).
95 Marvejols est une commune et une ville du massif
de la Lozère. Pour une localisation géographique de Marvejols, se
référer à l'annexe 12. (OpenStreetMap).
32
Localisation de la majorité des attaques de la
Bête du Gévaudan
La carte ci-dessus 96 nous donne une idée du
territoire de prédation de la Bête
Ces étendues géographiques sont peu
peuplées. Des vents violents rendent la vie difficile et les chutes de
neige sont abondantes. En été, l'humidité donne naissance
à des tourbières. Les lacs et les rivières
dégèlent et sont à l'origine d'une irrigation naturelle.
Alors, se développe une flore variée faite d'innombrables fleurs,
de résineux mais aussi et surtout de landes, de bruyères et de
genêts. Situés en altitude (entre 1350 et 1500 mètres
environ), ces espaces souffrent de températures hivernales qui peuvent
descendre bien en dessous de zéro 97.
II. La vie rurale dans une région ingrate et
froide
Le Gévaudan est une province reculée du royaume
de France. Le pays est rude et les habitants sont pauvres. La majorité
des attaques dont la Bête est responsable est située à plus
de 1350 mètres d'altitude, entre le Haut Gévaudan, le Haut
Vivarais et le Haut Rouergue. Tirée d'un livre d'Auguste Chirac
98, cette citation illustre bien la réalité de ce
territoire : « Çà et là, dans les
96 Carte tirée de la page internet de L'INA
(Institut National de l'audiovisuel), organisation consacrée à la
sauvegarde du patrimoine.
97 Pour avoir une idée plus précise des
températures dans ces régions, j'ai contacté les archives
de Météo France. Voici une copie du courriel qui m'a
été envoyé «Les données de températures
sur la période 17641767 sont très fragmentaires, voire
inexistantes. En effet, les premières observations
régulières météorologiques ont été
effectuées à partir des années 1770-1780 par le
père Cotte mais ont été interrompues par la
Révolution. Cependant, on peut se faire une première idée
dans l'ouvrage du docteur Joseph-Jean-Nicolas Fuster, publié en 1845,
Des changements dans le climat de la France : histoire de ses
révolutions météorologiques. Ainsi, par exemple, on
note, page 272 dudit ouvrage, que l'hiver 1766 fut très rude avec 32
jours de gelées à Viviers, dans l'Ardèche, et 37 à
Montpellier et des températures moyennes respectives de -11,2°C et
-10°C».Montpellier est bien au sud de la région qui nous
intéresse. A Saugues, en Margeride, le record national est battu en 2005
avec la température de -22°C (Source Météo France,
courriel du 10.02.2015).
98 Auguste Chirac (1838-1903) fut un auteur
dramatique et un écrivain français du XIXè siècle.
(CARNOY 1909)
33
parties cultivées, se voient à de grandes
distances les uns des autres, de pauvres villages bâtis autour d'une
ruine féodale ou d'une modeste église. Et dans le voisinage de
ces villages, au coin d'un bois, sur le bord d'un ruisseau ou dans la
cavité méridionale d'un coteau, se remarquent de rares hameaux
dont les paisibles habitants, ignorants et naïfs comme des Iroquois,
vivent heureux et contents avec du pain noir, la foi en Dieu et la pratique des
vertus chrétiennes » 99.
A cette époque, la maison paysanne est bâtie par
le détenteur des lieux, souvent avec l'appui d'amis, de membres de la
famille ou de connaissances. Le toit est fait de paille ou de tuiles (romanes
ou lauzes régionales). La bâtisse compte deux pièces
principales, une pour les animaux, une pour les habitants. La
promiscuité est donc de mise. Cette citation donne une idée de la
cohabitation forcée qui règne en Gévaudan à cette
période : «J'étais seule avec mes petites filles,
l'aînée était couchée près de moi et la plus
jeune à mes pieds, j'accouchais dans l'obscurité. »
100.
L'unique source de chauffage présente dans la
pièce habitable vient de l'âtre de pierre où le feu
brûle en permanence durant l'hiver. Ajouté à cela, les
animaux présents dans la pièce voisine génèrent des
calories bienvenues par les occupants. Il n'est cependant pas rare de constater
des décès dont les causes sont en lien direct avec le froid :
« Aujourd'hui vingt-septième mars mil sept cent cinquante-deux
a été inhumée... Jeanne Hugon du lieu et paroisse de
Pinols... trouvée morte de froid dans les appartenances de
Chanteloube... où l'aurait conduite la démence où elle
était tombée depuis quelques années... » 101
Conçu pour se protéger des
éléments extérieurs (animaux, froid, vent...), le logis
familial est austère et sombre. En effet, le
«fenestrou» , ouverture de petite taille sans carreaux, est
l'unique source de lumière du jour. Parfois, et ceci en guise de trait
d'union entre la nature et l'intérieur, un papier huilé ou un
volet.102 Enfin, le manque d'hygiène est à souligner.
Le sol, fait de terre, peut faire office de terrain de jeu pour les enfants et
les animaux. La peste,103 qui décime une grande partie de la
population du Gévaudan vers 1721 a sans doute trouvé dans ce mode
de vie un vecteur de transmission idéal.
Malheureusement, l'austérité du logis n'est que
le reflet de la vie de l'homme simple. Celui-ci ne possède que le strict
nécessaire. Quelques animaux pour le lait, la viande ou la laine,
quelques
99 CHIRAC Auguste, Au Gévaudan des loups,
Maulevrier, Hérault 1982
100 Archives départementales de la Lozère 14 II U
345.
101 Archives départementales de la Haute-Loire R. P.
Nozeyrolles 6 E 164-01
102 SOULIER Bernard, « aperçu de la
société rurale en Gévaudan au temps de la bête
», revue d'histoire sociale de Haute-Loire n° 4,
éditions du Roure, 2013. p. 178.
103 Le Gévaudan fut le théâtre d'une
épidémie de peste vers 1720. Venant de Marseille, cette
épidémie à fait beaucoup de victimes. (ALPHA 1968)
34
ustensiles de cuisine, des meubles et des outils agricoles,
voici le sobre inventaire de ce dont dispose le chef de famille pour assurer sa
subsistance ainsi que celle des siens.
Un document daté de 1772 énumère les
biens de «Jean Charretier» laboureur en Aubrac : «
Une paire de boeufs, deux vaches et une velle (génisse), douze
bêtes à laine dont six brebis ; deux chaudrons de cuivre, un seau
de cuivre cerclé de fer avec sa coupe, une bassinoure de cuivre, une
marmite avec sa cuillère, une poêle pour le feu et pour la
cuisinière, deux haches, une bêche, un billau, une maie à
pétrir, une chaîne à traîner, deux attaches pour le
bétail, une paire de buffets, un grenier à deux étages,
une garde-robe fermée à clef, deux bois de lit l'un garni et
l'autre sans garniture, une charrette à bois et autres menus meubles
meublant la maison, ainsi qu'une paire de métiers à filer ».
104
III. La diversification des sources de revenus, un
impératif de survie pour les paysans
Plus propice à l'élevage qu'à
l'agriculture en tant que telle, la rudesse du Gévaudan oblige ses
habitants à pratiquer des activités diversifiées. En plus
du travail de la terre, les paysans de l'époque s'adonnent à la
culture du chanvre, ils deviennent ainsi «tisserands des toiles»
105. Cette activité d'appoint est toutefois insuffisante
pour subvenir aux besoins quotidiens. C'est alors que l'exploitation
forestière prend le relais. Le bois se prête à de multiples
transformations et est à l'origine d'une activité importante,
surtout en hiver. De la bûche aux mâts des navires, il donne aux
paysans du Gévaudan la capacité de fabriquer des objets qui sont
écoulés sur le marché local ainsi que la
possibilité de vendre hors de la région : « Le bois est
exploité pour le chauffage, la construction des habitations, des sabots,
des jougs, des outils, des meubles et aussi dans le nord du Gévaudan
pour les chantiers navals de l'Atlantique,(...) les mâts de bateaux
partent en direction de l'océan par flottaison sur l'Allier »
106.
En forêt, dans les champs ou occupé à
d'autres tâches, le roturier n'en est pas moins sujet à être
appellé au service de la milice 107. Les hommes
célibataires entre 16 et 40 108 ans sont les plus aptes. Il
est cependant possible que le rôle de milicien soit attribué
à des hommes mariés. D'une durée de 6 ans, les obligations
militaires de l'époque sont un fardeau supplémentaire pour les
104 Archives départementales De la Lozère 3 E 10
923.
105 SOULIER Bernard, Loc. cit. p 191.
106 Ibidem
107 Milice: Sous l'Ancien Régime, l'armée royale
est renforcée par des milices provinciales. Le cas
échéant, elles se consacrent à la défense du
territoire et de l'autorité royale. (CROUZET, 1963)
108 SOULIER Bernard, Loc. cit. p 192.
35
familles. C'est alors la femme et les enfants de celui que
l'on recrute qui doivent se charger de leur propre subsistance.
Quand on a pas le sou, et ceci n'est à l'époque
pas seulement le lot des familles à qui l'on enlève les maris,
les enfants sont loués. En échange d'un logis, les garçons
gardent les bêtes, les filles s'occupent de la maison. Envoyés
malgré eux dans des pâturages de moyenne montagne, les enfants
pauvres du Gévaudan sont victimes d'une organisation sociale. La mort de
Martial Charrade, tué par la Bête le 18 avril 1765 est au sens
propre une suite logique de cet état de fait :
» 109.
« Martial Charrade du Besset âgé
d'environ treize ans, fut dévoré avant-hier par la Bête
féroce qui mange le monde dans les tenemens de Vachelerie paroisse de
Paulhac où il s'était loué pour vacher ; et aujourd'hui
vingtième avril mil sept cens soixante-cinq les restes de son corps ont
été portés et inhumés dans le cimetière de
cette paroisse tombeau de ses ancêtres,...
Conclusion
A l'exemple de ce qui est décrit dans les lignes qui
précèdent, il est à mon sens possible d'affirmer que le
Gévaudan à l'époque des attaques de la Bête est une
région où le dénuement, la tradition paysanne et
l'austérité se conjuguent pour faire de ce territoire un exemple
de ce que pouvait être la vie du Tiers-Etat dans les régions
pauvres du royaume de France. La réaction des populations en proie aux
affres d'une existence ponctuée par la mort et l'indigence est
généralement de chercher une échappatoire qui bien souvent
est la religion. Dans les lignes qui vont suivre nous verrons que le pays de la
Bête ne déroge pas à l'usage.
109 SOULIER Bernard, Loc. cit. p 186
36
CHAPITRE II
Un pays très chrétien
Introduction
Marquées par l'orthodoxie, la résistance ou
l'hérésie les hautes terres s'illustrent par la
fidélité aux valeurs qu'elles se sont choisies. De
l'Ariège des Cathares 110 à l'Alpujarras des Maures
111, du Gévaudan catholique 112 aux Cévennes des
huguenots 113, les montagnes constituent souvent un refuge et un
terreau fertile à l'élaboration d'idées contraires
à celles de la civilisation des villes et des vallées. En 1702,
c'est bien dans les montagnes que la guerre des camisards 114
éclate. La systématisation des persécutions envers les
Protestants 115 finit par déclencher des révoltes qui
à leur tour conduisent à des affrontements armés.
Après deux années d'une guérilla 116
menée dans un relief montagneux, les Protestants cévenols sont
battus et doivent abjurer en masse. Ceux qui refusent de se convertir se
réunissent de façon clandestine et célèbrent
secrètement un culte où des
110 Inscrit dans le contexte de refus des valeurs
traditionnelles de l'Eglise autour de l'an 1000 , le catharisme dont le
château Montségur en Arriège (construit au sommet d'une
montagne au XIIIè siècle ) est le vestige le plus connu, est une
religion médiévale qui trouve ses racines dans le catholicisme.
Pour les Cathares, le monde matériel, qui rend possible la tentation,
s'oppose au paradis qui lui, mène à l'élévation
spirituelle. D'un point de vue pratique le catharisme pose un problème
important car il s'oppose à la propriété privée et
par la même occasion à la société féodale. Il
se développe entre le Xème et le XIVème siècle,
ceci principalement dans le Midi de la France. (ALPHA, 1968)
111 Entre 1568 et 1571, la population morisque de la
région de Grenade en Espagne se révolte contre les limitations
imposées à la pratique de sa religion, l'Islam. Ces incidents,
connus sous le nom de « révolte des Alpujarras »
poussent Philippe II d'Espagne à disperser ces populations dans le
royaume. Ici encore, c'est dans les montagnes (Les « Alpujarras
» se trouvent au sud de la « Sierra Nevada », aux
environs de Grenade) qu'éclatent les révoltes. (BENBASSA, 2011 :
10)
112 Terre de montagnes, convertie par Saint-Privat,
évangélisateur des Gabales, le Gévaudan se distingue par
une acceptation très rapide de la doctrine catholique. Ainsi, Aldebert
III, évêque de la capitale du Gévaudan au XIIè
siècle, bénéficie des largesses du roi de France qui le
remercie de lui avoir rendu hommage. Sans doute aidé en cela par l'essor
de Mende en tant que ville de pèlerinage, l'évêque recoit
du roi, une « bulle d'or » (décision rendue sous la
forme d'un texte) qui lui donne la possibilité d'exercer des pouvoirs
civils sur la ville. En conséquence de cela, la ville devient une
principauté ecclésiastique (Documents historiques sur la province
de Gévaudan 1846 : 355)
113 Les Cévennes des huguenots font
référence aux régions du Massif Central où se
développèrent des révoltes au début du
XVIIIè siècle. Ce relief montagneux et isolé forme une
chaîne qui s'étend de la Lozère au département du
Gard. Il est principalement composé de petits massifs. L'altitude de
cette chaîne de montagnes ne dépasse pas 1700 mètres (Pic
de Finiels) (ALPHA 1968)
114 Guerre des Camisards : Aussi appelée guerre des
Cévennes, il s'agit d'un soulèvement populaire
principalement animé par les paysans. Cette guerre est un
résultat de la révocation de l'Édit de Nantes par Louis
XIV. (Crouzet,1963)
115 Suite à la révocation de l'Édit de
Nantes, les protestants vont être victimes de persécutions. Des
temples protestants sont détruits, le pouvoir ordonne des enquêtes
et encourage la dénonciation. Une des conséquences de la
révocation de l'Édit de Nantes est la fuite des élites
protestantes pour l'Angleterre, la Hollande et l'Amérique. L'Édit
de Nantes est un document qui fut promulgué en 1598, sous le
règne d'Henri IV. Le but de cet édit était de mettre fin
aux guerres de religion. Il donnait aux Protestants une certaine liberté
de culte, des droits politiques et civils. (CROUZET, 1963)
116 La guérilla n'est pas une guerre conventionnelle.
Elle se caractérise par l'embuscade et le harcèlement. Elle est
adaptée aux terrains montagneux ou difficiles. (AUGE, 1948)
37
prédicants 117 font office de prêtres.
Nicolas Lamoignon de Basville 118, se charge alors de la traque des
résistants. Aux ordres de Louis XIV, cet administrateur
zélé exécute, emprisonne ou condamne aux galères
ceux qui résistent à la foi officielle. Bien qu'elle soit courte,
cette période de l'histoire de France témoigne bien de la
capacité des populations montagnardes à «
résister à l'épanouissement des civilisations et des
religions » 119. Comme semble l'avancer Patrick Cabanel,
120 il est difficile de changer les us et coutumes de ces régions
isolées sans se heurter à une résistance farouche des
habitants.
I. Le Gévaudan, une région qui résiste
aux idées nouvelles
Le Gévaudan ne fait pas exception à la
règle. Isolée, en altitude, la région n'est pas ici
protestante mais profondément catholique 121 et l'attachement
aux traditions cause des résistances qui ne sont pas circonscrites aux
cercles religieux. En 1892, la Lozère résiste à
l'arrivée d'enseignants protestants dans les écoles. On est alors
ici devant un refus de la « secte » identifiée comme
la franc-maçonnerie. Sur ce point, la retranscription d'une conversation
relevée par l'abbé Lozerien « Daurelle » nous
renseigne. «... Pourquoi ces préférences pour le
protestantisme ? Parce qu'il est l'allié naturel de la secte , et lui
livre l'homme, en le séparant de Dieu. N'osant installer ses loges dans
nos campagnes, elle veut du moins y installer des écoles de Luther qui
ne sont, elles aussi, qu'une duperie. »122.
Réfractaire aux influences extérieures, habitée par
des populations rurales très réceptives au discours du
clergé, cette étendue géographique ne va rompre avec
l'isolement qu'à la fin du XIXè siècle, ceci avec
l'arrivée du chemin de fer à Mende. Assez mal vu par
l'église, ce nouveau venu va concentrer les critiques. Ainsi, en 1891 un
curé s'exprime. Depuis l'arrivée du train, « les gens
ont perdu cette force, cette vigueur qui les caractérisait
»123. L'Eglise, qui sent alors qu'elle risque de
devoir concilier avec des influences extérieures intensifie la
rhétorique cléricale. L'arrivée d'idées nouvelles
provoque alors des résistances. Tiré du mandement de Mgr
Foulquier en 1852 l'extrait ci-dessous nous montre l'étendue de
l'incompréhension qui
117 Un prédicant est prédicateur protestant. (Le
petit Robert, 2009)
118 Nicolas Lamoignon de Basville 26.04.1648-17.05.1724 fut un
administrateur et un magistrat. Il fut, à l'époque des
révoltes protestantes, un personnage craint pour sa cruauté et
son zèle. (CROUZET, 1963)
119 CABANEL. Patrick, Cadets de Dieux, Vocations et
Migrations religieuses en Gévaudan XVIII-XX siècle, Paris,
CNRS éditions, 1997
120 Patrick Cabanel est un ancien élève de
l'École normale supérieure, agrégé d'histoire et
maître de conférences à l'université de Toulouse-Le
Mirail.
121 C'est dès le XIIIè siècle que le
Gévaudan pourvoie l'abbaye de Saint-Victor de ses moines. Le plus
illustre d'entre eux, accède au pontificat en 1362. « Guillaume
de Grimoard », natif de Grizac en Lozère devient alors Urbain
V. Cet héritage religieux lozérien qui semble passer de
génération en génération est attesté par les
écrits de Mgr Saivet. Nommé évêque de Mende en 1872,
il s'exprime en ces termes : « quand j'aurai eu mes audiences et dit
mes sentiments, je reviendrai à mes neiges, à mes chers
montagnards. Ce sera passer d'une blancheur à l'autre. Je ne me sens pas
malheureux entre l'âme du pape et les belles vertus de la Lozère
». (BRUNET 2005 : 333).
122 CABANEL. Patrick, Op. cit., p.43.
123 Archives départementales de la Lozère, 1T 1
38
règne entre la modernité et la vision des
ecclésiastiques régionaux. : « ...Du haut des
régions isolées qu'ils habitent, ou plutôt des hauteurs de
leur foi, comme aussi des hauteurs d'une raison mûrie et formée
par cette loi divine, nos diocésains ont entendu comme un écho
lointain de ces doctrines impies, immondes et sanguinaires, et ils les ont
méprisées... » 124.
II. La Lozère, une région catholique
attachée aux sacrements
Souvent appelée « terre des prêtres
» 125 ou « terre de misère » 126 la
Lozère catholique est encore au début du XXè siècle
un territoire où la religion occupe une place
prépondérante. Cette constatation est confirmée par la
représentation iconographique du territoire et de l'ancienne capitale du
Gévaudan. En effet, la grande majorité des cartes postales et des
images consacrées à Mende montre sa cathédrale, des
pèlerinages ou des édifices religieux (Ermitage de St-Privat par
exemple).
Cartes postales dédiées à Mende et
à la Lozere, vers 1920 127
Vue de Mende avec sa cathédrale
Ermitage de Saint-Privat
124 FOULQUIER Mgr, Mandement et lettres pastorales, 2
volumes. Ces documents sont consultables aux Archives de Mende. Cote 403 (1 J,
2 J, 3 J)
125 CABANEL. Patrick, Op. cit., p.93.
126 Ibidem
127 La reproduction de ces images dans ce mémoire de
maîtrise a été autorisée par le responsable de la
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internet est un forum où des collectionneurs échangent des
commentaires et mettent en ligne des documents iconographiques. Environ 70000
images sont consultables. Se référer à la bibliographie
pour obtenir des informations plus précises sur cette page.
39
Pèlerinage de Saint-Privat
Presque coupées du monde, entre altitude et
enclavement, les populations du Gévaudan ont, et ceci pendant des
générations, vécu dans une sorte d'autarcie. Le
collège communal au XIXè siècle y est encore dirigé
par des prêtres et l'évêque interdit l'enseignement des
mathématiques et du dessin 128. L'enfer est promis aux
contrevenants 129. La peur de l'enfer, qui est toujours
d'actualité au XIXè siècle, est tout à fait
réelle au XVIIIè siècle. Elle est attestée par
l'attachement que montrent les habitants aux traditions religieuses et aux
sacrements. Le Carême, Noël, la messe du dimanche, le Baptême
sont les éléments d'un maillage idéologique qui maintient
les fidèles dans la crainte du jugement dernier. Ainsi, en
Gévaudan, les Saints sacrements et l'Extrême-onction sont parfois
donnés bien avant la mort. Le manquement aux obligations religieuses
pourrait, c'est du moins ce que l'on croit en Gévaudan au XVIIIè
siècle, avoir des conséquences dans l'autre monde.
Conclusion
Cette hantise des populations gévaudannaises du
péché mortel, qui n'est autre que la conséquence d'une
rhétorique cléricale intégrée, est le témoin
d'un imaginaire. Résultat d'une culture propre à une
époque et à une région, cet imaginaire, empreint de
mysticisme, est le terreau fertile où peut se développer le
récit qui mène à une croyance. Comme nous le verrons dans
la suite de cette étude, la succession des incidents liés aux
ravages de la Bête du Gévaudan dans une région de ce type
ne manquera pas, et cela est valable pour la presse aussi bien que pour les
populations locales mais pour des raisons différentes, de contribuer
à la mise en place d'une narration particulière
128 CABANEL Patrick, Op. cit., p. 46.
129 Ibidem
40
CHAPITRE III
De la prédation du loup au carnage de la
Bête
Introduction
Les ravages causés par les loups ont, et cela depuis
des siècles, ponctué la vie des habitants de l'Auvergne. Par
exemple, les attaques localisées dans le massif du Livradois-Forez
130 ont par deux fois (1715-1718 et 1726-1730) 131
ensanglanté la région. Ainsi, vers 1715, un foyer d'attaques se
concentre sur une zone de 200 kilomètres carrés d'une
région très boisée où le loup sévit à
des altitudes qui oscillent entre 1000 et 1100 mètres. Un jeune homme
est alors « inopinément surpris et dévoré »
132 par le loup et le curé de Josas se plaint d'un animal
responsable de « tant de désordres » 133.
Les désordres énoncés par l'ecclésiastique
sont qualifiés de « continuels » 134 par Jean-Marc
Moriceau à partir de 1723, spécialement autour du Puy-en-Velay
135. Débutant en Dauphiné en 1762, de nouvelles
attaques mettent en scène une bête inconnue. L'animal
incriminé inquiète du fait de son étrangeté et
provoque l'étonnement des témoins. Deux ans plus tard, le
Gévaudan est lui le théatre d'un véritable carnage. Au vu
de l'inefficacité des mesures et des chasses les habitants et les
autorités se perdent en conjectures.
I. Deux années avant le début du carnage, des
attaques en Dauphiné
Dès 1762, une région du sud-est de la France
semble être le théâtre d'attaques d'animaux d'un genre
nouveau. En Dauphiné 136, l'abbé Raphaël,
curé de Laval, atteste avoir inhumé deux personnes victimes d'un
monstre. L'abbé déclare avoir vu une bête étrange.
Datée du 8 septembre 1762, voici la description qu'il en donne:
« (...) il est de la taille d'un très gros loup, couleur de
café brûlé un peu clair, ayant une barre un peu noire sur
le dos, le ventre d'un blanc sale, la tête fort grosse et moufline, une
espèce de bourre qui forme une houppe sur la tête et à
côté des oreilles,
130 Massif du Livradois-Forez : ce massif est formé par
les chaînes de montagne qui séparent la « vallée
de la Dore » de la « plaine du Forez ». Il culmine
à 1 634 mètres d'altitude. (ALPHA, 1968)
131 MORICEAU Jean-Marc, Histoire du grand méchant
loup, 3000 attaques en France, Op. cit., p 143
132 Ibidem
133 Ibidem
134 Ibidem
135 Le Puy-en-Velay est une commune située en
Auvergne ainsi qu'une ville qui est la capitale du Velay , une
région qui couvre aujourd'hui environ 60% de la superficie de la
Haute-Loire. La ville se trouve à une altitude de 628 mètres
(altitude de la mairie). Les températures enregistrées dans cette
ville sont contrastées et peuvent être glaciales en hiver et
caniculaires à la belle saison (records de -23 °C en hiver et de
+38 8°C en été) ( Metéo climat Bzh, 2015).
136 Le Dauphiné est une entité
géographique située dans le sud-est de la France. Pour une
localisation géographique, se référer à l'annexe
13. (EXPILLY).
41
la queue couverte de poil comme celle d'un loup ordinaire
mais plus longue et la portant retroussée au bout.» 137
Une année plus tard, toujours en Dauphiné, on
déplore une victime : « Le 25 octobre 1763, Anne Taquet, fille
de Jean Brunat, revenait à la paroisse [de Laval]
chargée du surplis, de l'étole, du fanal et de la sonnette;
tout quoi avait servi au sieur Raphaël, curé, qui venait
d'administrer son mari. [Elle] fut dévorée au soleil couchant par
la bête féroce. Cette femme était âgée de 60
ans.(...)Deux jeunes enfants qui se cachèrent dans une grange peu
éloignée furent témoins de son malheur. Ils dirent que
l'animal avait saisi au col cette misérable femme, qu'il lui mangea
d'abord le ventre, ensuite tous les membres, ensuite la tête dont on a
trouvé les os quelque temps après dans les bois. »
138
II. 1764 - 1767, le carnage trois années durant
Entre 1764 et 1767, une bête qui va très vite
être connue sous le nom de « la Bête » attaque
femmes, hommes et enfants des deux sexes. Bien que les attaques soient le plus
souvent localisées autour des bois et des pâturages, l'animal ne
recule pas devant les zones habitées 139. La plus grande
partie des attaques n'est pas mortelle (62,8 %) 140 mais les
blessures sont graves et les décès relatifs aux suites de
celles-ci sont chose commune (37.2 %). Au vu du nombre total des victimes
décédées, on peut noter que les enfants sont les plus
touchés, ceci dans une proportion de 69,3% . Ensuite viennent les femmes
(54,8 %) et les hommes (24.8 %). La Bête attaque les jeunes
garçons, les jeunes filles, les femmes adultes et enfin les hommes
adultes avec par ordre décroissant respectivement une proportion de 31.4
%, 25.6 %, 22 %, 21.1 %. A l'époque, c'est l'extrême
cruauté des attaques qui frappe les esprits. En effet, on
dénombre 21 victimes décapitées 141 et celles
dont les parties du corps sont en partie déchiquetées sont
nombreuses.
De plus, il faut ici tenir compte des dégâts
psychologiques causés par les méfaits de la Bête. Bien que
ce genre d'information soit difficile à obtenir, on peut tout de
même noter qu'un témoignage y fait référence. A la
vue de ce qu'il pense être la Bête « Pailleyre dit
Bégou de
137 Archives départementales de l'Hérault cote
44/106, 2 Mi 116/106
138 Archives départementales de l'Hérault cote
44/106
139 L'épisode de la « femme jouve »
confirme cette affirmation : « (...) Jeanne Jouve était
devant sa maison avec ses trois enfants au Mas de la Vessière, non loin
de Saint Alban, vers midi le 14 mars 1765. Soudain attirée par un bruit,
elle s'aperçoit que sa fille de 9 ans vient d'être saisie par la
bête qui est passée pardessus la muraille (...) » (DE
LAVIGNE, 2007 : 45)
140 Les calculs relatifs aux méfaits de la Bête du
Gévaudan ont été effectués par Alain Bonet.
141 BONET, Alain (conversation téléphonique du
14.02.2016).
42
Pontajou » eut tellement peur qu'il ne
« qu'il faillit ne pas en revenir » 142. Quant
à l'étendue de la prédation, le croisement des sources
nous renseigne. Etabli par Alain Bonnet, le tableau ci-dessous fait état
de plus de 289 victimes des attaques de l'animal. Ces attaques forment, selon
Jean-Marc Moriceau,143 la seconde vague la plus meurtrière
recensée entre 1571 et 1870 la première étant celle qui
prit place entre 1688 et 1697 lors de la guerre de la ligue d'Augsbourg 144.
Victimes des attaques de la Bête du Gévaudan sur
trois années
|
Attaques
|
Blessures
|
Décès
|
Total
|
Sources officielles145
|
79+
|
38
|
83
|
200+
|
Sources non-
officielles146
|
52+
|
10
|
24
|
86
|
Historiens147
|
1
|
1
|
1
|
3
|
Total
|
132+
|
49+
|
108
|
289+
|
III. L'échec des chasses et ses
conséquences
A l'époque, Etienne Lafont 148, syndic du
Gévaudan, travaille sans relâche à l'éradication de
la Bête. Il tente tout d'abord de rassembler les bergers de la
région. En effet, ces derniers connaissent le terrain et disposent de
chiens. L'idée est ingénieuse mais se révèle
être d'une efficacité relative. Alors, il prend la décision
d'autoriser le port d'armes pour les résidents du canton de Langogne qui
participent aux traques. Le 8 octobre 1764 149, une grande battue
est organisée. La stratégie est
142 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.113.
143 MORICEAU Jean-Marc, Histoire du grand méchant
loup, 3000 attaques en France, Op. cit., p.91.
144 La Guerre de la ligue d'Augsbourg oppose de 1688 à
1697 Louis XIV et l'Empire ottoman allié aux jacobites irlandais et
écossais à la Ligue d'Augsbourg formée par l'alliance
entre l'Anglo-Néerlandais Guillaume III, Léopold Ier
(Saint-Empire romain germanique) et le roi Charles II d' Espagne. (ALPHA,
1968)
145 Par « sources Officielle » l'auteur de
ce tableau fait référence aux autorités de l'époque
: La couronne, les chasseurs officiels, les administrateurs régionaux,
les curés, etc...
146 Par « sources non officielles »
l'auteur renvoie à tous les "civils." Par exemple, les
témoins non attachés aux autorités de l'époque (
les paysans, les travailleurs etc...)
147 Historiens : Pour les victimes, les historiens sont
pratiquement réduits à Pourcher (Alain Bonet, Courriel du
23.02.2016).
148 Cumulant les tâches inhérentes à sa
fonction de syndic du Gévaudan et celles qui incombent à la
responsabilité de subdélégué de l'intendant du
Languedoc, Etienne Lafont doit assurer « la bonne rentrée des
impositions royales et la paix civile » MORICEAU Jean-Marc,
l'homme contre le loup , Op cit. p.17.
149 MORICEAU Jean-Marc, l'homme contre le loup, Op.
cit., p.21.
43
simple, il faut « encercler la zone boisée en
se postant aux extrémités de l'enceinte de chasse »
150. On tire alors une bête qui par trois fois se relève
151. Dans une lettre à l'intendant du Languedoc,
Saint-Priest, Laffont émet une hypothèse. Bien plus grande qu'un
loup, avec un museau qui ressemble à celui du veau, ladite Bête
pourrait être une hyène avec « des soies (poils) si
longues » 152 qu'elles feraient « obstacle aux balles »
153.
Deux semaines plus tard, le vingt-deux octobre 1764, on
retrouve les restes de Marguerite Malige, décapitée près
du hameau de Grazière Mages. Cette fois-ci, la victime sera
enterrée sans sa tête.154 Les circonstances de la mort
de deux victimes (Marie Solinhac155 et Marguerite Malige) obligent
les agents de la baronnie d'Apcher à appliquer la législation en
vigueur. En effet, depuis 1736, il faut pouvoir déterminer les causes de
la mort et en déduire si elle est d'origine criminelle. Le fait qu'une
enquête soit demandée est signifiant. En effet, les victimes sont
des femmes et toutes deux sont décapitées. Alors, la Bête
pourrait-elle être un homme ? C'est probablement pour infirmer cette
éventualité ainsi que pour déterminer un mobile que des
enquêteurs sont dépêchés sur les lieux. Après
enquête, « toute présomption criminelle est
écartée » 156.
Conclusion
En cette fin de l'année 1764, le doute s'installe.
L'écho des échecs des chasses et le caractère très
spécial des crimes réaniment les croyances populaires. Des
rumeurs circulent et les autorités ne semblent pas avoir le
contrôle de la situation. Dès la fin du mois de novembre la presse
s'empare de l'affaire et propose une narration alternative en intégrant
à son récit des créatures imaginaires.
150 POURCHER, Op. cit., pp 25-30.
151 « (...) Le premier lui tira à environ 10
pas; elle tomba sur le coup, se releva sur-le-champ. Le second chasseur lui
tira à la même distance dès qu'il la vit relever, elle
retomba. (...) Elle se releva encore et rentra dans le bois (...). Elle
reçut dans le bois un autre coup de fusil qui ne l'abattit pas comme les
deux premiers. Elle ressortit du bois. Un chasseur lui tira encore à
environ cinquante pas; elle tomba de nouveau, se releva(...) »
Extrait tiré d'une lettre écrite par Lafont le 30 octobre
1764. BONET, « Chronodoc », Loc cit., p. 43.
152 Archives départementales de l'Hérault, cote
43.
153 Ibidem
154 « Marguerite Malige, âgée d'environ
dix-neuf ans, (...) est morte dévorée par une bête
féroce, ainsi que la justice de la baronnie nous l'a envoyé, le
vingt-deux octobre mille sept cent soixante quatre, et son corps le tronc de
son corps séparé de la tête qui n'a pas été
trouvée (...)» BONET, « Chronodoc », Loc
cit., p. 36.
155 Le onze octobre 1764, soit trois jours après la
chasse organisée le 8 octobre, on déplore une nouvelle victime.
Marie Solinhac est dévorée. On retrouvera la tête
séparée du corps dans le sud de l'Aubrac. Ce détail
macabre est précisé sur l'acte de décès.«
Marie Solinhac femme d'Henri Cayrel du lieu des Hermals laquelle
dévorée par la bête féroce au prés dit la
coste du Broulhet a été enterrée avec la teste du cadavre
le 12 octobre de l'année 1764 en foy de ce [signature illisible]. »
Document provenant d'un registre paroissial (peut-être Saint-Germain
du Teil), obtenu par l'intermédiaire de Mr Dumas au cours d'une
discussion liée à l'affaire de la Bête du Gévaudan (
04.07.15).
156 MORICEAU Jean-Marc, La Bête du
Gévaudan, Op. cit., p.27.
44
CHAPITRE IV
La presse, un des véhicules du récit
surnaturel
Introduction
La presse en général et le « Courrier
d'Avignon » 157 en particulier, vont dans cette affaire, jouer un
rôle important. Agrémentant la publication de lettres parfois
anonymes de commentaires écrits dans un style particulier,
158 les journalistes vont faire de ce fait divers une histoire
à rebondissement dont les épisodes passionneront les lecteurs. La
réintégration dans l'histoire de détails en rapport au
folklore populaire semble signifier que les médias ont, dans un but que
l'on peut s'imaginer être financier, tenté d'attiser les peurs et
les phantasmes. Malvenue, étrangère, la Bête du
Gévaudan devient dans le discours médiatique, et cela dès
1764, une sorte de « surloup » 159 symbole de la sauvagerie
et de la cruauté.
I. L'apparition du loup-garou
Reprenant une lettre anonyme datée du 30 novembre 1764
le Courrier d'Avignon participe à l'établissement d'un
environnement anxiogène en publiant un texte où il est
écrit que la Bête aurait « traversé la
Truyère sur ses pattes de derrière » 160. Un
mois plus tard, c'est une icône éditée par le libraire
Deschamps, rue Saint-Jacques à Paris qui est distribuée par des
colporteurs. La créature représentée est cauchemardesque
et délimite maintenant l'interprétation au domaine du monstre.
Cette Bête qui dévore le monde et qui peut maintenant se mouvoir
sur ses pattes de derrière rattache le récit surnaturel au
récit médiatique. Ce dernier cadre parfaitement avec le
référentiel de la culture populaire et semble nous indiquer que
nous sommes là en présence d'indices avérés de la
présence du loup-garou.161 Résurgence des peurs
ancestrales et des croyances locales, l'existence du loup-garou dans
l'imaginaire des hommes et des femmes de cette époque est
rapportée par Thomas Pennant, 162 naturaliste anglais du
XVIIIè siècle. Au cours de ses voyages en Bourgogne
157 Le « Courrier d'Avignon » est un
journal du sud de la France qui a propagé l'histoire de la bête du
Gévaudan au dix-huitième siècle. (SMITH 2011 : 67)
158 Utilisation d'adjectifs choisis et de détails qui
ajoutent encore au côté dramatique de cette histoire.
159 « Surloup » : Expression
utilisée par Meurger pour qualifier un loup extraordinaire ceci dans :
MEURGER Michel, 1990 Loc cit., p 193.
160 Lettre de Paris, reprise dans le Courrier d'Avignon du
30.10.1764
161 Animal mythologique qui est le résultat de la
transformation partielle ou totale de l'homme en une créature
maléfique, le loup-garou. (LECOUTEUX 2013).
162 Thomas Pennant, qui a parcouru la Bourgogne en 1765,
rapporte que les paysans croient au loup-garou. Cette affirmation est
importante car ces voyages sont datés de 1765, année où
sévit la Bête (SMITH, 2011)
45
(voyages effectués en 1765), il note qu'une grande
partie des paysans croit que le loup-garou tue les enfants.
Illustration distribuée par des colporteurs et
éditée à Paris 163
Cette illustration représente la Bête telle qu'elle
est imaginée par la presse de l'époque.
Cette croyance aura d'ailleurs des conséquences. En bas
Dauphiné, les soupçons s'orienteront vers les verriers qui seront
soupçonnés de lycanthropie. La raison en est que la fusion du
verre est obtenue grâce à de très hautes
températures. L'accusation se concentre alors sur l'idée que les
verreries pourraient utiliser de la graisse d'enfant pour alimenter les fours
164. La croyance en l'existence du loup-garou est donc
répandue dans les campagnes françaises au XVIIIè
siècle.
II. La presse réintègre une bête
exotique dans un univers traditionnel
C'est à la fin du mois de novembre 1764 que le
« Courrier d'Avignon » relie l'imaginaire gévaudanais
165 au récit journalistique et le récit journalistique
à l'exotisme. En effet, le 30 novembre, le bihebdomadaire publie un
article dans lequel la Bête est comparée à un singe par une
américaine qui a élu domicile dans le Région : «
Comme on a vu la Bête traverser la Truyère sur ses pattes de
derrière, on dit que c'est un singe ; ce sentiment fut exprimé
par une Américaine qui
163 « Figure de la Bête farouche ».
Cette icône se trouve au « département des Estampes
et de la Photographie » à la Bibliothèque Nationale de
France. Cote : Hennin, 9189.
164 SMITH, Jay Op. cit., p. 20.
165 Le «Cougobre » est un serpent monstrueux.
(DALLE, 1971 : 140)
46
a épousé quelqu'un de la région. Elle
affirme que dans son pays il y a des singes qui correspondent à la
description, et qu'ils sont tout à fait formidables. (...) Ce terrible
quadrupède est comparable au célèbre serpent que Regulus
dut combattre en Afrique » 166
On remarquera dans cet extrait l'habile évocation du
serpent de Regulus par les journalistes de l'époque. Ainsi, et cela du
fait de l'utilisation d'êtres extraordinaires dans le récit, le
Cougobre 167 languedocien retrouve le « serpent de Regulus
» 168. La Bête du Gévaudan est
elle-même comparée au singe qui à son tour est
associé à une créature combattue en Afrique.
Préméditée ou non, on devine de par
l'évocation du continent africain et des dangers qui lui sont
attachés le combat de la civilisation contre la sauvagerie
169 et de l'homme contre le monstre. La Bête est bien une
intruse, une étrangère, une malvenue.
Incarnation du mal dans le récit médiatique,
notre animal est aussi victime de son espèce. En effet, comme nous
allons nous en rendre compte à la lecture du prochain chapitre, le loup
n'est pas un animal fréquentable.
Conclusion
Fort de cette constatation il est alors plus aisé de
comprendre pourquoi la presse de l'époque choisit une ligne
éditoriale spécifique. En effet, le but des éditeurs
étant certainement d'augmenter les tirages il eut été
maladroit de ne pas saisir une pareille aubaine. Le loup, qui à travers
l'histoire représente la férocité, a de ce fait
été à l'origine de la création d'un imaginaire
propre. Cet imaginaire, qui représente un lien entre les hommes, se
devait d'être exploité par les journalistes. Il était la
clef d'une cristallisation des angoisses autour d'une histoire et de ce fait
pouvait mener à des profits substantiels
166 BONET Alain, « Chronodoc » Loc. cit., p
49
167 Serpent ou dragon, le/(a) «Cougobre» est
une créature mythique régionale.( FERDIERE 2003 : 207).
168 Serpent que Régulus aurait combattu à
Carthage (Tunisie) au cours de la première guerre punique. Cette guerre
eut lieu entre 246 et 241 avant Jésus-Christ. (CROUZET, 1963)
169 François Moureau, professeur de littérature
à la Sorbonne, donne des détails quant à la perception de
l'Afrique en Europe du XVIè au XVIIIè siécle. Dans un
séminaire dédié à la littérature des
voyages, il s'exprime : « On évoque seulement la sauvagerie de
leurs habitants et on ne va pas plus loin ».(MOUREAU, 2008 :
Séminaire « L'Afrique des voyageurs : découverte,
mythes, littérature »)
47
CHAPITRE V
Un animal hybride, une réalité
partagée
Introduction
En cette année 1764, les descriptions données
par les témoins oculaires présentent un animal bien
étrange. La Bête serait un gros loup, peut-être même
une hyène 170. Ces comparaisons sont à mon sens
signifiantes car les symboliques attachées à la hyène et
au loup sont très particulières et relient du même coup
notre animal à un imaginaire bien plus ancien. Parallèlement, les
habitants du Gévaudan tendent à définir la Bête
à travers une identification qui ne se fonde pas sur l'analyse mais sur
une mythologie préexistante. A l'époque des faits en
Gévaudan, l'imaginaire se mélange donc au réel.
A Paris, loin des régions montagneuses de la Margeride,
Buffon propose une théorie des espèces et légitime
l'hybridation. La nouvelle, pour les quelques habitants lettrés de
Gévaudan qui s'intéressent aux évolutions de la science,
ne rassure pas. L'animal tel qu'il est décrit dans les
témoignages serait donc susceptible d'exister.
I. La Bête du Gévaudan, un animal victime de
l'imaginaire chrétien
Le loup est, et cela depuis des siècles, un animal
redouté. Déjà au XIIIè siècle, Pierre de
Beauvais 171, auteur de bestiaires, le décrit en ces termes:
«ses yeux brillent comme des bougies ; ce sont des oeuvres du diable,
qui sont belles et plaisantes pour les fols gens, et pour ceux qui sont
aveugles de coeur» 172. Dans la Rome antique, les
prostituées étaient appelées «lupae»
(louves), et leur lieu de travail le «lupanaria». La
Bible présente le loup vêtu d'une peau de mouton,
déguisement qui lui permet de leurrer ses victimes 173.
« Canis lupus » est donc victime d'une symbolique
négative, sans doute aussi attachée à sa fonction de
carnassier et aux ravages qu'il a
170 Entre 1764 et 1767, la Bête sera comparée
à plusieurs animaux (et même au singe). Néanmoins, les
comparaisons au loup et à la hyène sont les plus
récurrentes.
171 Pierre de Beauvais : Rédacteur d'un bestiaire au
XIIIè siècle. (CROUZET, 1963)
172 Citation tirée du bestiaire médiéval
de Pierre de Beauvais. Citée et traduite de la page internet
dédiée au sujet : «The medieval bestiary, animals in the
middle age». Version anglaise : « The shining of the wolf's
eyes in the night is like the work of the devil, which seem beautiful to
foolish men ». Pour accéder à une information plus
complète, se référer à la bibliographie.
173. « Gardez-vous des faux prophètes. Ils
viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des
loups ravisseurs ». Bible, ancien testament. Matthieu
7.15
48
causés au cours de l'histoire. Avec l'arrivée de
la chrétienté en Europe, le loup est associé au
démon qui guette les brebis du seigneur et participe à la
création d'un imaginaire diabolique.
La hyène, elle non plus, ne bénéficie pas
d'une image très flatteuse. Au Moyen Âge, c'est grâce
à Pline l'Ancien 174 que l'animal est connu en Europe. Il
est, à cette époque, décrit comme un être imaginaire
175. On lui attribue un corps d'ours, un cou de renard et la taille
d'un loup 176. Il mange les cadavres, les hommes et les chiens. Il
peut changer de couleur et même de sexe 177. La
duplicité phantasmée de cet animal lui vaut d'être
comparé aux hypocrites. Comme nous pouvons l'imaginer le fait de
comparer la Bête au loup et à la hyène a une
conséquence symbolique lourde.
Ainsi, au tout début de cette histoire, soit quelques
mois après les premières attaques en Gévaudan, un animal
bien réel est attaché à une narration particulière.
De plus le fait qu'il n'ait pas été abattu par les tirs
répétés des chasseurs 178 donne aux
événements une tournure spécifique. La tentative
d'explication donnée par Laffont 179 semble bien
faible au vu des faits. Dans le Gévaudan très chrétien du
XVIIIè siècle, où la superstition côtoie la religion
officielle, il semble que l'apparition d'une bête polymorphe ait
donné l'occasion aux peurs collectives de se cristalliser autour d'une
identification symbolique . Du loup à la hyène la Bête du
Gévaudan paraît, à ce moment de l'histoire, être
l'expression incarnée de tous les vices. Elle allie le diable au sexe,
elle mange les cadavres et les enfants.
II. L'imaginaire de la bête, une
réalité contextuelle
L'émergence d'un imaginaire de la Bête est, nous
l'avons vu, déjà très chargé par la narration dont
elle est victime. Parallèlement, le contexte régional donne
à la Bête une aura particulière. En Gévaudan, une
population très largement illettrée vaque à des
occupations agricoles. Les forêts sont épaisses et les formations
rocheuses sont parfois attachées à des légendes
ancestrales. Par exemple le « Cougobre », qui est
d'ailleurs, nous l'avons vu précédemment, utilisé
174 Écrivain et naturaliste romain. Auteur d'une
encyclopédie intitulée «histoire naturelle».
(CROUZET, 1963)
175 PASTOUREAU Michel, Gaston DUCHET, le Bestiaire
médiéval , le léopard d'or, Paris, 2002, p.79.
176 Ibidem
177 Ibidem
178« Le premier lui tira à environ 10 pas;
elle tomba sur le coup, se releva sur-le-champ. Le second chasseur lui tira
à la même distance dès qu'il la vit relever, elle retomba
» Lettre de Mr Lafont à Mr de St.-Priest,
expédiée le 4 novembre 1764. Archives départementales de
L'Hérault, cote 43.
179 « Il pourrait bien se faire que la longueur de
ses soies fut un obstacle aux coups de fusil et qu'ils ne
pénétrassent que difficilement » Archives
départementales de L'Hérault, cote 43.
49
à dessein par les médias pour relier le
récit journalistique à l'imaginaire du Gévaudan, aurait
dit-on élu domicile aux alentours du lieu-dit du « saut de la
gratusse » 180.
Dans cette région, la configuration géographique
participe à la genèse des croyances et l'état
déplorable des voies de communication 181 accentue
l'isolement. Nous sommes là en présence d'une
société quasi-féodale où de petits seigneurs font
valoir des droits acquis de longue date. Très chrétienne, quoique
souvent habitée par des croyances païennes, la population et son
imaginaire font un avec l'environnement et la charge fictionnelle qui le
caractérise. Plus généralement, on peut dire que les
catégories d'opposition qui définissent notre réel moderne
ne s'appliquent ni au lieu ni au temps historique dans lequel s'inscrivent les
événements. Tout comme dans les sociétés du Moyen
Âge, l'imaginaire fait ici partie du réel 182.
III. La Bête du Gévaudan, un hybride
cautionné par la science
A la même époque, le débat philosophique
parisien est fécond. Dans les salons, on pratique l'art de la
conversation et Buffon, grand zoologiste français, tente de
débarrasser la science des influences religieuses. Transformiste
183 avant l'heure, il ne considère pas la nature comme un
système immuable et se pose la question de savoir si l'espèce en
tant que telle peut être sujette à des variations. Buffon est
contre la nomenclature 184 de Linné 185 et propose
l'idée d'une dégradation et d'un perfectionnement des êtres
le tout conditionné par un facteur temps. Ses innombrables
expérimentations sur la reproduction animale le conduiront à
décrire des lois 186 sous-jacentes à l'hybridation.
Bien que très éloignée des débats
d'idées de la capitale, la réalité du Gévaudan et
les débats scientifiques parisiens se rejoignent. En effet,
l'intérêt porté par Buffon pour l'étude des hybrides
va le pousser à déclarer qu'il est : « nécessaire
d'être conscient que rien n'est impossible, de
180 « Le saut de la Gratusse » est une
formation rocheuse de la région. Terrassé par Saint Front, le
« Cougobre » aurait dit-on crée un rapide dans la
Dordogne lors de sa chute. ( Information présente sur le site du
« pays de Bergerac » dont l'URL se trouve dans la
bibliographie de cette étude)
181 « L'on grimpe des vallées sur les
montagnes par des sentiers en faisant des longs détours, la plupart des
parties étant impraticables aux hommes et aux bêtes de somme,
à cause des précipices qui s'y rencontrent. Les sentiers sont
pierreux, très étroits, et ménagés au-dessus de ces
précipices ». Lettre rédigée par Mr Antoine »
BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.413.
182 Cette réflexion m'est venue à l'idée
en lisant un ouvrage dédié au bestiaire médiéval et
au Moyen Âge. L'auteur s'exprime en ces termes : « (...) Quant
au dragon, ce n'est nullement une créature chimérique mais un
être bien réel qui, lui aussi, se voit et se redoute au quotidien
(...) » (PASTOUREAU 2002 : 11)
183 Théorie qui présente des êtres qui
évoluent et qui s'adaptent à leur milieu ( HOQUET 2007).
184 La nomenclature binominale de Linné propose une
classification des espèces par deux mots latinisés. Buffon est
contre ce système car il prétend que l'évolution est un
processus dynamique et qu'il ne faut pas cloisonner des espèces qui sont
susceptibles de changer au cours du temps. (HOQUET 2007)
185 Savant suédois à l'origine de thèses
différentes de celles de Buffon.
186 Georges-Louis LECLERC, comte de Buffon, Histoire
naturelle, Volume XIV, Paris, 1766.
50
s'attendre à tout et de supposer que tout ce qui
peut-être est. Les espèces ambiguës, les anomalies, ne
doivent plus nous étonner ».187 Un des grands
scientifiques du siècle admet donc le fait que les hybrides existent et
que « rien n'est impossible » 188.
Pour les quelques rares habitants lettrés du
Gévaudan de l'époque qui se tiennent au courant des
évolutions scientifiques du siècle, « l'anomalie, les
espèces ambiguës » deviennent des données
naturelles cautionnées par la science. Cette narration, qu'elle soit le
fait d'observations des témoins ou le résultat d'une projection
phantasmée des théories scientifiques de l'époque, se
retrouve dans une grande partie des archives manuscrites où la
Bête est décrite. Par exemple, dans une lettre évoquant les
chasses du 8 au 10 octobre 1764, le syndic de Mende s'exprime en ces termes :
« Elle est bien plus grande qu'un loup, et de la hauteur et presque de
la forme d'un gros loup, elle a le museau approchant à celui d'un veau,
les soies fort longues, ce qui semblerait caractériser une hyène,
du moins est-elle ainsi représentée dans une des planches du tome
9e de l'histoire naturelle de Buffon » 189
Conclusion
Si le lettré se réfère à Buffon,
le caractère polymorphe de l'animal n'est pas interprété
de la même manière par la plupart des habitants illettrés
du Gévaudan. En effet, si de multiples témoignages de roturiers
font de la Bête du Gévaudan une créature extraordinaire,
les couches éduquées même si elles acceptent le fait que la
Bête soit un hybride peu ordinaire ne font , dans l'immense
majorité des cas 190, pas référence à un
être surnaturel. De cette constatation, il est, je pense, possible de
déceler un mouvement général typique du changement
paradigmatique du Siècle des Lumières : la mutation du cadre
interprétatif dû au débat d'idées qui s'opère
au XVIIIè siècle donne naissance à une scission entre les
populations. D'un côté, les populations illettrées se
vouent à la croyance et aux vérités dogmatiques, de
l'autre les individus qui ont accès à l'enseignement et à
la connaissance en général se tournent vers une
interprétation analytique du monde. Ce glissement est tout à fait
visible au vu du changement opéré en rapport au statut du
« monstre » en général. Exposé dans le
prochain chapitre, cette évolution est aussi le signe d'un certain
désenchantement du monde.
187 Traduit de l'anglais par moi-même. Tiré de
l'ouvrage de Jay Smith. SMITH Jay, Op. cit, p.33.
188 Ibidem
189 Archives départementales de l'Hérault, cote
43.
190 Dans la suite de cette étude nous verrons que dans
le cas d'une lettre anonyme, la question de la perméabilité des
couches sociales aux croyances superstitieuses peut se poser.
51
CHAPITRE VI
De l'exotisme à l'ordinaire, la normalisation du
monde
Introduction
Le modèle de l'analyse qui se met en place au cours du
XVIIIè siècle entraîne les hommes à questionner les
principes et les idéologies. Ainsi, petit à petit, la peur
inspirée par les êtres singuliers fait place à la
curiosité et au désir de comprendre. Cet engouement qui concerne
en premier lieu les habitants des métropoles va s'étendre aux
villes de moyenne importance et est attesté par les multiples
expositions qui sont organisées à cette époque. Aussi,
dans les classes supérieures, la fascination pour les êtres
extraordinaires n'est pas circonscrite aux zoologues. En 1764, c'est
Saint-Florentin, ministre de Louis XV et auteur de plusieurs lettres en
relation avec l'histoire de la Bête, qui doit convoyer en France le
squelette « exotique » d'un nain bouffon de cour de l'ex roi
Stanislas Leszczynski ( Beau-père de Louis XV) 191.
I. La mutation du cadre et des normes de l'Ancien
régime
L'intérêt porté à ce qui n'est pas
intrinsèquement « naturel » semble nous indiquer que
nous assistons à cette époque à une mutation profonde du
cadre normatif. Aussi, des manifestations d'un caractère particulier
voient le jour et la nature de ce qui y est exposé questionne les dogmes
religieux, les vérités scientifiques établies ainsi que la
morale. Illustrations de la métamorphose progressive de la
société de l'Ancien régime ces expositions sont le creuset
d'une bataille d'idées qui cristallise la querelle des anciens et des
modernes. Dans les lignes qui suivent, nous verrons que ce débat aura
des implications importantes, tant au niveau de la hiérarchie des
institutions que sur le statut du « monstre » en
particulier.
II. Du monstre mythologique à l'animal de foire
A Paris, où le débat entre les partisans d'une
évolution graduelle des espèces contredit l'idée d'une
nomenclature calquée sur l'immuabilité de la nature, la
population se presse aux portes d'expositions où le tigre côtoie
le chamois 192. Ces foires donnent aussi l'occasion d'approcher des
êtres dont l'inquiétante étrangeté excite les
foules. L'homme porc-épic 193, qui fut probablement
191 SMITH, Jay. Op cit., p.36 - Information
complétée par Patrick berthelot (Courriel du 23 mai 2016)
192 Ibidem
193 Ibidem
52
victime d'une maladie génétique, est à
l'époque le sujet d'interrogations profondes. Cet être est-il un
représentant d'une nouvelle race d'homme, l'« homo monstruosus
» 194 ? Est-il au contraire le résultat d'une
dégradation de l'espèce voire d'une hybridation ? Avec
l'édition des « singularités de la nature »
François-Marie Arouet dit « Voltaire », personnage
emblématique du Siècle des Lumières expose même la
possibilité de l'existence d'êtres hybrides nés de l'union
contre nature de la femme et du singe : « Y a-t-il eu en effet des
espèces de satyres, c'est-à-dire, des filles ont-elles pu
être enceintes de la façon des singes, et enfanter des animaux
métis, comme les juments font des mulets et des jumars ? Toute
l'antiquité atteste ces faits singuliers (...). Ce n'est pas un article
de foi. La chose est très possible, mais elle a dû être rare
» .195
Conclusion
Qu'elle soit le résultat d'un plan divin ou de
variations inhérentes au caractère des espèces, la vision
d'une nature aux possibilités de créations infinies est typique
du foisonnement d'idées de ce siècle et fut sans doute
exacerbée par l'exploration de nouveaux continents. Aussi, l'idée
selon laquelle l'hybridation pourrait donner naissance à des êtres
improbables atteste du fait que la pensée de l'époque se trouve
entre deux mondes : un monde imaginaire parsemé de
références à des animaux mythiques 196 et un
monde où l'homme tente de confronter un modèle d'analyse
rationnel au merveilleux. Cette confrontation, qui n'est pas sans danger, car
elle est encline à faire vaciller les dogmes établis, participe
à la redéfinition du monstrueux. En effet, si la fascination de
l'étrange attire les foules et les élites vers les êtres
exceptionnels ou les espèces exotiques, c'est bien que l'attrait de la
connaissance 197 et la curiosité se sont substitués
à la peur qu'ils inspiraient au Moyen Âge. Petit à petit,
le « monstre » devient une curiosité dont on se
délecte et le statut mythologique de ce dernier est
dégradé au rang de l'article de foire.
L'homme porc-épic, Edward Lamberd, qui fut très
jeune victime d'une maladie cutanée dût gagner sa vie en
s'exhibant. Cette maladie, probablement génétique, affectera
toute sa descendance. Information rapportée de la « fondation
Lejeune », base de données à caractère
médical. (L'Url dédié à l'étude de la
malformation génétique d'Edward Lamberd se trouve dans la
bibliographie de ce mémoire).
194 Homo monstruosus : une des cinq catégories
d'hommes proposées par Linné exposées dans la
douzième édition de « system of nature ».
(SMITH 2011 : 32)
195 Voltaire, Des singularités de la nature,
Londres, 1768.
196 Les animaux mythiques sont légion et
parsèment l'histoire. Par exemple, le « manticore »,
hybride qui présente des éléments de l'homme du lion
et du scorpion, décrit par Ctésias de Cnide (Médecin et
diplomate du roi de Perse au Vè siècle avant
Jésus-Christ), est aussi cité dans « la tentation de
saint Antoine » de Flaubert, ceci au XIXe siècle.
(GETAZ 2013 : 507)
197 SMITH Jay,. Op cit., p 38.
53
CHAPITRE VII
L'évolution asymétrique de la
croyance
Introduction
Si au XVIIIè siècle l'attrait pour les
êtres exotiques tend à supplanter la peur qu'ils inspiraient au
Moyen Âge, c'est que l'on assiste à un changement paradigmatique
profond. En effet, au Siècle des Lumières, l'imaginaire fait
place à l'analyse et le monstre redouté des enluminures n'inspire
plus la terreur. Cette évolution n'est cependant pas effective sur tout
le territoire. Si, comme nous l'avons vu dans les lignes
précédentes, les expositions participent à
l'évolution des mentalités dans les villes et les
métropoles, les campagnes isolées évoluent beaucoup plus
lentement. En Gévaudan, région où la rhétorique
cléricale est intégrée, une interprétation
très rigide des textes sacrés est proposée aux habitants.
L'évêque de Mende assimile la Bête du Gévaudan
à une créature vengeresse de l'Ancien Testament et invoque de
graves manquements des populations aux obligations chrétiennes pour
justifier son apparition. En gardien de la morale, l'évêque
fustige la superstition et tente de remettre les habitants dans le «
droit chemin ».
I. A l'inverse de la Science, l'Eglise se réfugie
dans la mythologie chrétienne
Sans doute ébranlée par l'évolution des
mentalités, l'Eglise du XVIIIè siècle voit
ressurgir des querelles théologiques. En effet, les jésuites,
partisans du compromis et du libre arbitre de l'homme, s'opposent aux
jansénistes qui prônent la rigueur et la grâce divine. Ce
conflit, qui trouve son origine dans les débats entre Saint-Augustin
198 et Pelage 199, est ravivé au VXIIIè
Siècle et tourne à l'avantage des Jansénistes car ces
derniers s'assurent la sympathie de la bourgeoisie parlementaire
200. En Gévaudan, le garant de l'ordre social et gardien du
dogme est un janséniste. Mgr de Choiseul-Beaupré, qui cumule
à lui seul les fonctions de comte du Gévaudan et
d'évêque de Mende, dispose d'importants soutiens politiques dans
la capitale. Partisan d'une lecture rigoriste
198 Saint-Augustin, docteur de l'Eglise latine. Né
à Souk-Ahras en 354 et mort à Hippone en 430. Saint-Augustin est
un philosophe et un poète. Il est aussi un des grands penseurs de la
théologie chrétienne. (CROUZET, 1963)
199 Pelagius vécut entre 350 et 420 après
Jésus-Christ. Moine Breton, il considère que la grâce
divine est accessible à tout chrétien. Il diffère en cela
fondamentalement de Saint-Augustin car, au contraire de ce dernier, il envisage
la grâce de Dieu comme étant contingente. (CROUZET, 1963)
200 La bourgeoisie parlementaire est un groupe social dont la
montée en puissance est importante au XVIIIe siècle.
Largement refoulé par la noblesse notamment dans l'armée, le
clergé et la magistrature, il détient la richesse de la nation
mais n'a pas encore le pouvoir qui est aux mains du monarque et de la noblesse.
(CROUZET, 1963)
54
de la Bible, Mgr de Choiseul-Beaupré adopte le
bréviaire de Paris 201 en 1763 et commet un mandement
202 le 31 décembre 1764. Dans ce document qui est rendu
public dans tout le Gévaudan, il légitime l'apparition d'un
animal vengeur par la concupiscence de ses fidèles et utilise la terreur
provoquée par la Bête pour ramener la population dans le giron de
l'Eglise. Suivant les préceptes jansénistes 203
l'évêque tente de s'attaquer à la superstition et aux
croyances. Pour l'ecclésiastique, la cause des maux qui accablent le
pays ne peut s'expliquer que d'une façon : le péché. La
Bête devient donc l'incarnation du léopard de l'Apocalypse et sa
présence est motivée par le besoin de rappeler les fidèles
aux commandements divins.
II. La bête du Gévaudan, une
conséquence du péché
Tirés dudit mandement, les passages ci-dessous sont
tout à fait clairs. Le premier extrait l'affirme sans ambages, c'est
l'offense faite à Dieu qui est la cause du malheur qui s'acharne sur la
région : « . La peine qu'il inflige suppose toujours la faute
qui l'a attirée. De ce principe, il vous est aisé de conclure que
vos malheurs ne peuvent venir que de vos péchés.
C'est là la source funeste de vos calamités. c'est parce que vous
avez offensé Dieu, que vous voyez aujourd'hui accomplir
en vous à la lettre et dans presque toutes leurs circonstances
». 204
Le deuxième extrait fait référence
à l'animal dévorant des Saintes Écritures. La comparaison
entre l'extrait du mandement (a) et le texte original de l'Apocalypse (b) est,
là aussi, tout à fait claire.
a. Extrait du tiré du mandement : «
et moi je serai pour eux comme une lionne, je les attendrai comme un
léopard sur le chemin de l'Assyrie, je viendrai
à eux comme une ourse à qui on
201 Le « bréviaire de Paris » est
une version expurgée des textes religieux. On peut remarquer que dans
cette version le nombre de jours fériés en relation aux saints
diminue. Cela est dû au fait que les jansénistes, dans leur vision
rigoriste des textes sacrés, ont la volonté d'amoindrir
l'importance des saints et de recentrer la ferveur populaire sur un Dieu
universel. Cette stratégie est mise en place en vue de
l'éradication des croyances et des superstitions. (SMITH 2011 : 52)
202 L'intégralité de ce texte est consultable
à l'annexe 14 de cette étude.
203 Les préceptes religieux à la base du
jansénisme furent discutés en présence de Paul V en 1611.
Un débat théologique fut engagé entre les dominicains,
défenseurs de la grâce divine, et les jésuites,
apôtres du libre arbitre de l'homme. Le pape Paul V se refusa alors
à prendre une position doctrinale pour une des deux parties. En 1640,
les défenseurs de la grâce divine s'installent au couvent de
Port-Royal à Paris et un débat philosophique s'engage. De
nombreux écrivains, des nobles et des magistrats prennent part à
la discussion. En 1640, l'Augustinius de Jansenius est publié à
titre posthume. La vision exposée dans l'Augustinius
(prédestination de la grâce) est vivement combattue par les
Jésuites qui défendent le libre arbitre. En Gévaudan, la
tentative de Mgr de Choiseul-Beaupré d'éradiquer la superstition
et d'inculquer une morale chrétienne à ses fidèles
s'inscrit dans une volonté de moralisation des moeurs. La
problématique de la morale rejoint alors celle du libre arbitre car si
les Jansénistes critiquent le libre arbitre il paraît alors
logique que l'homme ait besoin d'être guidé dans ses actions.
(ALPHA, 1968).
204 Extrait du mandement de l'évêque de Mende.
55
a ravi ses petits. Je leur ouvrirai les entrailles et leur
foie sera mis à découvert, je les dévorerai comme un
lion et la bête farouche les déchirera »
205
b. Extrait de texte tiré des écritures
saintes (Apocalypse 13.1-10) : « La bête que je vis
était semblable à un léopard; ses pieds
étaient comme ceux d'un ours, et sa gueule comme une
gueule de lion » 206
Homme d'église et fin connaisseur des croyances qu'il
combat, Mgr de Choiseul-Beaupré a sans doute préalablement
évalué l'effroi causé par les méfaits du monstre
qui rôde et tue dans la région. La terreur occasionnée par
la Bête est une occasion rêvée. Elle offre à
l'évêque la possibilité de citer l'ancien Testament pour
légitimer l'apparition d'un animal investi d'une mission quasi divine.
L'observance stricte des préceptes religieux et de la morale sont alors
érigés en muraille contre les influences néfastes du
libertinage parisien. Fort de ces éléments , il est alors
intéressant de constater que l'évêque de Mende choisit de
développer une rhétorique en totale contradiction avec
l'idéal des Lumières. Nous avons donc là une dichotomie
très claire. En Gévaudan, l'utilisation de la figure du
léopard de l'Apocalypse est en désaccord total avec
l'évolution générale des idées citadines.
Parallèlement, le dogme religieux, qui est, aussi du fait de
l'idéologie janséniste, érigé en modèle de
vie pour les fidèles, participe au renforcement d'un
référentiel mythologique déjà présent.
Conclusion de la première partie de cette
étude
L'arrivée d'un prédateur exotique en
Gévaudan pose un problème et fait se dégager des lignes de
force qui opposent les tenants de deux idéologies contradictoires. D'un
côté, l'Eglise tente de s'accaparer la Bête en la
réintègrant dans un récit biblique, de l'autre, la science
propose un modèle analytique et s'oppose au dogme. En plus du
débat d'idées, le caractère économique
attaché à l'histoire de la Bête du Gévaudan ne
saurait être oublié. En effet, si l'Eglise et la science
défendent un modèle différent, l'essor du capitalisme au
XVIIIè siècle favorise le développement sur la
scène d'un acteur qui prend de plus en plus d'importance, la presse.
Voyant dans cette affaire un moyen d'augmenter les tirages, elle propose un
récit alternatif et met en scène un fait-divers qui captive la
curiosité du public. En cette deuxième moitié du
XVIIIè siècle, le Gévaudan est une région
isolée qui subit le joug d'une organisation quasi-féodale. Reflet
d'une organisation sociale issue du Moyen Âge, la population y est
très chrétienne et perçoit le monde au travers d'un cadre
interprétatif où
205 Ibidem.
206 Description du léopard de l'Apocalypse. Bible,
Apocalypse, 13.1-10
56
l'imaginaire et le réel se combinent. Dans les milieux
citadins et éduqués, la science, tout en se libérant de la
narration religieuse et médiévale, propose un modèle qui
se fonde sur l'analyse. L'éducation occupe une place
prépondérante et l'instruction des hommes devient une
priorité car la formation de l'esprit critique est vue comme
indissociable de la construction des individus. L'encyclopédie de
Diderot 207, qui fut sans doute un véhicule important des
idées de la philosophie des Lumières 208, participe
à l'organisation de la connaissance et décrit le monde à
travers des modèles nouveaux. Nous passons alors des modèles
théologiques 209 ou humanistes 210 à une
vision scientifique 211 et technique. Cette mutation des
systèmes de référence amène l'élite des
capitales vers un rejet progressif des valeurs du passé. L'abandon de la
fascination exercée par la vérité dogmatique
212 et la compréhension intellectuelle des
phénomènes mènent alors au désenchantement du
monde.
Concernant la création de l'objet de la Bête du
Gévaudan, elle peut, selon moi, être rapportée à
plusieurs éléments. En premier lieu, on peut noter que
l'accumulation de « signes anomaliques »213
(caractère hybride de la Bête, détails étranges
qui ne permettent pas de la classer dans une espèce ou dans une autre,
etc...) donnent naissance à un « puzzle spéculatif
» 214. Dans le cas de la Bête du Gévaudan,
les spéculations sont nombreuses et sont très souvent
motivées par l'échec des chasses. Ensuite, le caractère
traumatique et répété des attaques de la Bête en
fait un événement tout à fait exploitable pour la presse
qui ne se prive pas de produire un discours alternatif en incorporant dans son
récit des éléments du folklore. Enfin, la dérive
vers une explication irrationnelle peut, d'après moi, être
rattachée à la culture du Gévaudan et à la
« réactivation de croyances locales »
215.
207 « L'encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers »
contient 17 volumes et 11 volumes de planches. Son élaboration a
demandé 21 ans. Cet ouvrage est une tentative de diffusion du savoir
pour le plus grand nombre. L'encyclopédie est une des pièces
maîtresses de l'oeuvre des Lumières. (BLANCO ESCODA 2014 : 244)
208 Les Lumières se rapportent à un
mouvement philosophique qui tente d'éclairer les populations en
diffusant le savoir. Ce mouvement est à mettre en parallèle avec
un changement sociétal. En effet, la philosophie des Lumières se
situe dans un contexte où l'on assiste à un affaiblissement de la
monarchie et à un renforcement de la bourgeoisie qui tend à
s'approprier des richesses importantes, cela grâce à la
généralisation progressive de l'industrie. (CROUZET, 1963)
209 Un modèle théologique est un modèle
dicté par l'Eglise où la rhétorique cléricale
occupe une place centrale. (AUGE, 1948)
210 Un modèle humaniste est un modèle où les
valeurs humaines sont primordiales. (AUGE, 1948)
211 La vision scientifique s'applique à un
modèle qui suit les préceptes de la science, c'est-à-dire
à une méthode où s'appliquent des procédés
rigoureux et précis. (AUGE, 1948)
212 Une vérité dogmatique se définit par
une croyance qui ne souffre aucun questionnement. Par exemple, la musique
européenne de la fin du Moyen Âge n'autorise pas l'utilisation de
la quinte diminuée ou quarte augmentée. Cet intervalle fut donc
interdit par l'église sans aucune autre forme de procès car cette
dernière avait décidé qu'il représentait le
« diable en musique». (BERTRAND 1921 : 13)
213 MEURGER Michel. Loc cit., p. 177.
214 MEURGER Michel. Loc cit., p. 179.
215 Ibidem
57
PARTIE II
LA GENESE DE LA CROYANCE
58
Introduction de la deuxième partie de ce
mémoire
Avant d'entrer dans l'analyse des croyances en tant que
telles, il s'agit tout d'abord de fixer un cadre. En effet, il est important de
savoir comment se développe une croyance et surtout, en ce qui concerne
notre étude, quel est le processus qui mène à son
élaboration.
Michel Meurger, dans un article intitulé « Les
félins exotiques dans le légendaire français » 216,
propose une analyse qui je pense peut être mise à profit.
Après s'être intéressé aux nombreux
prédateurs exotiques qui peuplèrent les forêts et
l'imaginaire des hommes, l'auteur tente d'isoler les éléments
constitutifs de la mise en place d'un récit autour de ces animaux. Pour
Meurger, les anomalies (griffures sur les troncs d'arbres, bruits inhabituels,
etc...) sont, entre autres, avec la culture locale des éléments
qui peuvent mener à une narration populaire particulière pouvant
se révéler être aux antipodes de l'analyse rationnelle des
faits.
Ces données, qui semblent, comme nous l'avons vu dans
la conclusion de la première partie de cette étude,
déjà attachées à la construction de l'objet de la
Bête du Gévaudan, pourraient-elles aussi être
présentes dans l'élaboration d'un nouveau « félin
exotique » aujourd'hui? Pour m'assurer de la validité de
l'approche de Meurger dans le cas de ma recherche ainsi que pour en fixer le
cadre, j'ai donc décidé de me rendre en Gévaudan en
Juillet 2015. Le but de mon séjour était de vérifier si
les constituants mis en évidence par Meurger pouvaient être
retrouvés en Gévaudan à notre époque. Pour cela, il
m'a fallu organiser un entretien avec une personne bien au fait de
l'actualité locale de la région, Mr Boisserie. Ancien forestier,
habitant à l'orée des bois où la Bête du
Gévaudan fut abattue il y a de cela plus de deux siècles, Mr
Boisserie à bien voulu me reçevoir et a été la
source de renseignements très précieux. Une retranscription d'une
partie de cet entretien est consultable à l'annexe 17.
Mise à l'épreuve des faits rapportés au
cours de l'entretien non directif effectué avec Mr Boisserie la
théorie de Meurger semble être validée. En effet, si
l'évocation de l'existence 217 d'une «
nouvelle bête » en Gévaudan est avancée par un
témoin, Mr Dalle maire de « Hontès haut »,
l'interview donnée par Mr Boisserie met en évidence l'utilisation
d'éléments énoncés dans la théorie de
Meurger. De plus la validité de la théorie paraît
être confirmée par le discours de mon hôte car une narration
particulière est bien mise en place par l'interviewé, cela
à l'aide de données qui n'ont rien de rationnel.
216 MEURGER Michel, « Les félins exotiques dans le
légendaire français », Loc cit.
217 La nouvelle bête serait, selon Mr Dalle, un puma.
L'animal aurait été vu par Mr Dalle au cours d'un trajet en
voiture.
59
Comme nous allons nous en rendre compte au cours des lignes
qui suivent, il est aussi possible d'observer que le glissement du cadre de
l'Ancien Régime vers la modernité des Lumières a
aujourd'hui des conséquences différentes selon les parties. Si le
changement paradigmatique associé à la transformation du cadre
sociétal est bien visible à travers la mutation de l'objet des
croyances (la nouvelle bête, invoquée par Mr Boisserie n'a plus
rien de surnaturel) la presse, elle, ne change pas et utilise la même
stratégie pour s'accaparer l'attention des lecteurs. Tout comme au
XVIIIè siècle, elle crée l'évènement
218 à l'aide de l'évocation de détails
explicites et exploite au mieux un fait-divers somme toute assez trivial.
218 L'attaque d'un cheval par un animal en Gévaudan
sera très vite mise à profit par la presse. Quelques semaines
après les événements, Paris Match et Le
Progrès publient des articles qui relatent les faits.
60
CHAPITRE VIII
Le processus de création d'un prédateur
exotique
Introduction
Avant de se lancer dans une analyse de la croyance, il est
utile de préciser le sens exact de ce mot. Le dictionnaire Larousse en
ligne en donne cette définition : « Fait de croire à
l'existence de quelqu'un ou de quelque chose, à la vérité
d'une doctrine, d'une thèse : La croyance en Dieu, aux
fantômes» 219. Une chose est donc tenue comme vraie, cela sans
aucune forme de preuve. Si le sceptique doute et reste incrédule, si
l'agnostique ne sait pas, le croyant lui a des convictions et considère
l'objet de sa croyance comme une certitude établie. Qu'elle se rapporte
à la religion ou à toute autre chose, la croyance dérive
généralement d'un processus 220. En ce qui concerne la
croyance en l'existence de prédateurs exotiques ou extraordinaires, ce
processus, théorisé par Meurger, semble assez clair.
I. La structuration du récit du prédateur
exotique
La structuration d'un récit autour de ces animaux
commence selon Meurger par la présence de « signes anomaliques
». 221 Par exemple, on pourra remarquer la
présence de griffures anormalement hautes 222 sur les troncs
des arbres d'une forêt connue. Cela, en plus de la possible
réactivation de croyances locales, 223 provoque
généralement l'arrivée d'experts qui dans certains cas
donnent des avis contradictoires. Le manque de consensus sur l'identification
des griffures va, en plus des éléments cités
précédemment, « multiplier les identités
possibles » 224 attribuées à l'animal. A partir de
cette situation, chaque témoin va développer une théorie
conforme à son expérience individuelle. Le résultat de la
prolifération des hypothèses aboutit à une multiplication
des bêtes imaginées. La création phantasmée d'une ou
de plusieurs entités exotiques ou extraordinaires à partir de
conjectures se fait alors en corrélation avec la culture du lieu
où se déroulent les événements 225.
219 Définition tirée du dictionnaire Larousse en
ligne.
220 La conversion d'une personne à une religion ou
d'une religion à une autre est aussi le résultat d'un processus
qui suppose un changement d'orientation psychologique profond. (Theissen,
2008).
221 MEURGER Michel, Loc. cit., p 177.
222 Ce détail m'a été donné lors
d'un entretien avec Mr Boisserie en Gévaudan. Mr Boisserie, ancien maire
de la ville d'Auvers (Gévaudan) s'occupe de la forêt où la
Bête fut tuée. Date de l'entretien : 07.07.2015.
223 MEURGER Michel, Loc. cit., p 179.
224 MEURGER Michel, Loc. cit., p 180.
225 Les croyances propres au lieu font partie
intégrante de la genèse d'une entité exotique et/ou
imaginaire. L'activation, la réactivation de celles-ci leur donne une
valeur interprétative.
61
II. Le rôle de la culture
Comme nous venons de le constater, si la genèse d'une
croyance est en rapport avec une anomalie de départ, elle est aussi
liée à la culture. C'est alors la différence entre
l'analyse logique de l'anomalie et la perception ressentie qui donne naissance
à la formation d'un récit. Ce dernier, qui peut être en
relation avec un bestiaire populaire, « réintègre
l'épisode dans un cadre traditionnel » 226. et est tout
à fait propice à la création d'animaux alternatifs.
Par exemple, le folklore qui s'est au fil des âges
greffé à la figure du loup en tant que prédateur
insatiable, en à souvent fait une sorte de « surloup » 227
ou « loup magique » 228. l' identification
symbolique de l'animal a pu ensuite s'introduire dans l'imagerie populaire et
de ce fait avoir une influence non négligeable sur les
interprétations humaines. Ainsi, des êtres tout droit sortis des
mythes et des croyances ont pu comme l'écrit Meurger « gagner
une factualité illusoire » 229. Une illustration de
ce processus peut être constatée dans un écrit de 1579. Une
Bête inconnue alors « tourmente les gens par les champs et les
chemins » 230. Les soupçons se concentrent alors
sur la figure du sorcier et du loup-garou : « L'on a ouï cette
opinion que c'était quelque léopard ou loup-garou et que cette
bête était un homme vaudois qui, par l'art du diable, se
transformait en cette figure » 231
Conclusion
Comme nous venons de le constater, la croyance n'est
pas circonscrite à un territoire ou à une époque. On a cru
en des choses diverses et variées depuis des millénaires et cela
sur tous les continents. Elle est dans sa diversité une photographie de
la culture et de l'imaginaire collectif d'un groupe social d'une époque
dans un milieu donné. Cette remarque est importante car elle va nous
permettre de mesurer l'intérêt des propos de Mr Boisserie.
226 MEURGER Michel, Loc. cit., p. 178.
227 MEURGER Michel, Loc. cit., p. 193.
228 Ibidem
229 MEURGER Michel, Loc. cit., p. 194.
230 HATTON Claude, « Mémoires »,
Bourquelot, Paris, 1857, t. II, p. 907.
231 Ibidem
62
CHAPITRE IX
Une nouvelle Bête en Gévaudan
Introduction
C'est au cours de l'entretien non directif effectué
avec Mr Boisserie dont il est fait mention quelques lignes auparavant que j'ai
pu mettre à jour quelques détails assez curieux. Pendant la
conversation, il est apparu que des personnes ayant eu des
responsabilités politiques dans la région 232 croient en
l'existence d'une nouvelle bête, un « puma ». Cet
animal aurait selon eux élu domicile dans les forêts de la
Margeride et des alentours. Quelque peu surpris par cette affirmation, je me
suis en premier lieu demandé si cette histoire était
motivée par l'intérêt. En effet, les communes de cette
région de France étant assez pauvres, la manne touristique
provoquée par l'arrivée d'un prédateur exotique aurait pu
renflouer des caisses parfois bien basses. Après deux semaines
passées en Gévaudan en été 2015, une interview et
de nombreuses conversations avec les habitants, mon opinion est que
l'apparition de l'histoire du « puma du Gévaudan »
n'a rien à voir avec des motivations pécuniaires.
I. Un puma en Margeride
En premier lieu, on peut noter qu'il est
particulièrement troublant de constater que, plus de 200 ans
après les faits, une « nouvelle bête » fasse
son apparition 233 dans cette région. De plus, des
détails étranges sont dévoilés par mon
interlocuteur 234. Celui-ci affirme que des griffures sur les arbres
sont retrouvées à un mètre quatre-vingt du sol et que des
empreintes exotiques sont observées dans les forêts. Ces
dernières n'auraient rien à voir avec celles du chien ou du loup
235. Pour Mr Boisserie, il n'y a pas d'erreur possible. Un animal
inhabituel se trouve bien dans les forêts du
232 Il s'agit là de Mr Boisserie, ancien maire d'
« Auvers » et de Mr Dalle, ancien maire de « La
Besseyre ». Il est bien sûr très probable que des
personnes qui ne pratiquent pas la politique croient aussi à cette
histoire.
233 L'apparition de l'animal est fondée sur une
observation faite par Mr Dalle, maire d'une commune du Gévaudan. Un
animal décrit comme étant un puma aurait traversé une
route devant le témoin, cela à une heure de l'après-midi,
au mois d'août 2011. Menuisier de son état et chasseur
expérimenté, Mr Dalle certifie que cet animal n'est pas un loup.
Après avoir fait des recherches en vue d'identifier l'animal le
témoin arrive à la conclusion que l'animal est un puma.
234 Mr Boisserie.
235 Selon Mr Boisserie, les empreintes du puma mâle
feraient environ 15 centimètres de diamètre et leurs
caractéristiques seraient très faciles à reconnaître
(informations données au cours de l'entretien non directif du mois de
juillet 2015).
63
Gévaudan. Pour en avoir le coeur net, on 236
a donc procédé à des enregistrements des cris de l'animal.
Après comparaison entre les cris du puma guatémaltèque et
ceux et de la bête qui hante les forêts de Gévaudan, on en
est arrivé à la conclusion suivante : ils sont très
ressemblants.
II. La presse s'intéresse à l'histoire du
puma
On imagine bien qu'une pareille nouvelle n'a pas laissé
les curieux indifférents. C'est le 17 juillet 2012 que «
Paris-Match » 237 s'empare de l'affaire. Dans un article d'une page,
l'auteur fait référence à l'attaque d'un animal de grande
taille : « Nuage », un cheval, est sauvagement
mutilé.
Pour Carole Robert, propriétaire de l'animal, il ne
fait aucun doute que le loup n'est pas responsable. Citée par «
Paris-match », elle s'exprime en ces termes : «Ses blessures
les plus importantes se situaient à la tête et à
l'encolure. Je suis certaine que Nuage a été attaqué par
un fauve» 238. Elle ajoute : «Il n'avait plus
d'oeil, plus d'oreilles... J'ai grandi parmi les chevaux, mais un truc aussi
horrible, je n'ai jamais vu» 239 . Madame Robert ne croit
pas à la thèse avancée par la gendarmerie locale 240.
« Paris Match » ne sera pas le seul journal
à se pencher sur la thèse du puma du Gévaudan, «
Le Progrès » 241 lui aussi cherche à en savoir plus.
Dans un article daté du 18 septembre 2011, ce quotidien régional
focalise son intérêt sur l'incident du lundi 12 septembre 2011.
Ce jour-là, Georges Dalle, maire de La Besseyre, voit
un animal inconnu traverser la route qui relie la bourgade de « la
Besseyre » au village d'« Hontès-Haut ». Mr
Dalle est un chasseur, il
236 La prise de son en question a été
réalisée par une personne qui a enregistré des
«cris de puma» au Guatemala. Ces feulements semblent,
toujours selon mon interlocuteur, être les mêmes que ceux
enregistrés en Gévaudan.
237 « Paris Match » est un journal
hebdomadaire tiré à des centaines de milliers d'exemplaires. Sa
devise résume la philosophie du journal : « Le poids des mots,
le choc des photos ». Paris match est spécialisé dans
la couverture des faits-divers, des mariages princiers et fait souvent
référence à des affaires scandaleuses ou amorales. C'est
un « tabloïd » en constante recherche de «
scoop ». (CASTELLANI 2007 : 79)
L'Url de ce journal ainsi que des informations relatives
à son histoire sont consultables dans la bibliographie de cette
étude.
238 Citation tirée d'un article de «
Paris-match » du 17 juillet 2012. Pour y accéder, se
référer à l'annexe 15.
239 Ibidem
240 Pour les gendarmes de la région («
Connangles » en Haute-Loire), le responsable des attaques serait
un « berger allemand ». La thèse officielle semble
cependant être assez ténue car les morsures se trouvent à
l'encolure et à la tête. Un berger allemand a-t-il
l'agilité nécessaire à un pareil saut ? Rien n'est moins
sûr.
241 « Le Progrès » est un quotidien
régional. Son siège social se trouve à Lyon. Il couvre les
actualités de l'Ain, du Jura, de la Haute-Loire, de la Loire et du
Rhône. Il fait partie de la presse d'information locale et est
tiré à environ 200.000 exemplaires. Ce journal est aujourd'hui
l'un des plus vieux quotidiens régionaux encore en activité.
L'Url de ce journal ainsi que des informations relatives à son histoire
sont consultables dans la bibliographie de cette étude.
64
arpente les forêts de la région depuis des
années. Il insiste, à son avis, l'animal rencontré n'est
pas commun. Il s'exprime en ces termes : « Je l'ai vu en
pleine course. Ce n'est pas un animal tel que l'on peut en voir chez nous et je
ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre qu'un puma... »
242.
L'«Office National de la Chasse et de la Faune
Sauvage » 243 s'intéresse aussi à la question. Des
experts sont dépêchés sur place pour faire des analyses de
poils qui pourraient appartenir au fauteur de troubles. Les chasseurs de la
région sont invités à signaler les indices 244
qui pourraient aider à élucider le mystère. On leur
demande aussi d'être très attentifs lors des battues. On a bien
signalé le passage d'un cirque à Saugues et à Langeac au
printemps, mais aucun animal ne s'est échappé 245.
Réel ou imaginaire, l'animal qui rôde dans les forêts du
Gévaudan est bien difficile à définir, la version
officielle 246 diffère de l'avis des témoins.
Conclusion
Ce chapitre, qui présente des faits réels
survenus en Gévaudan au cours des cinq dernières années,
met en évidence l'exactitude des théories de Meurger. En effet,
des « signes anomaliques » 247 sont présents
(griffures sur les arbres, empreintes exotiques, cris ressemblant à ceux
du puma, etc... ), la presse peut présenter à ses lecteurs les
« caractères d'un événement » 248 qui
dans ce cas est pour le moins singulier et le manque de consensus sur
l'espèce de l'animal mène à « multiplier les
identités possibles »249 de l'intrus. Comme nous
allons le voir dans les lignes qui suivent, la perception populaire va, comme
à l'époque de la Bête du Gévaudan, participer
à la formation d'un récit. Conformément aux
théories avancées par Meurger, une bête non
identifiée va être intégrée dans un récit
où les croyances et les traditions locales participent à la
création d'un nouvel objet .
242 Citation tirée d'un article de « Le
Progrès » du 18/09/2011. Pour y accéder, se
référer à l'annexe 16
243 L'Office national de la chasse et de la faune sauvage est
un organisme d'État. Il s'occupe de la surveillance des territoires de
chasse et est souvent l'instigateur de recherches liées à
l'habitat des animaux et à la faune. L'Url de l'office national de la
chasse et de la faune sauvage est consultables dans la bibliographie de cette
étude.
244 Principalement la découverte de carcasses d'animaux
dévorés ou d'empreintes sur le sol.
245 La théorie de l'animal échappé d'une
ménagerie fut aussi avancée à l'époque des ravages
de la Bête du Gévaudan.
246 Du côté de la gendarmerie, et après
avoir fait analyser des poils qui pourraient appartenir à l'animal,
l'animal serait plus proche du chien errant que du fauve.
247 MEURGER Michel, Loc. cit., p 177
248 MEURGER Michel, Loc. cit., p 178
249 MEURGER Michel, Loc. cit., p 179
65
CHAPITRE X
L'importance de la culture vernaculaire
Introduction
A la lecture des faits, on est en droit de se demander s'il
existe bien un fauve en Gévaudan. Un cheval sauvagement attaqué,
des griffures sur les troncs d'arbres et cela à presque deux
mètres de hauteur 250, des témoignages troublants,
voilà quelques-uns des indices qui rappellent à une région
une époque bien douloureuse. Cependant, il n'existe pas d'avis
définitif sur la nature de l'animal et son existence n'est
officiellement pas reconnue. Alors, comme pour combler le vide laissé
par le discours officiel, la culture s'immisce dans l'histoire et donne
naissance à un récit qui octroie aux croyances une valeur
interprétative. Le cadre du récit est alors
délimité par les us et coutumes du territoire. Ce processus,
amplement décrit dans l'article 251 de Meurger, va se
révéler dans le témoignage de Mr Boisserie. Il ne s'agit
plus alors de nommer cette nouvelle Bête , il faut pouvoir lui
donner une réalité, la localiser. C'est donc au cours de
l'entretien non directif programmé avec le responsable de la forêt
où la Bête du Gévaudan fut occise que la «
réintégration de l'épisode dans un cadre traditionnel
» 252 chère à Meurger va prendre forme.
I. Une arrivée mouvementée
Etant arrivé sur les lieux de mon entrevue, j'ai pris
contact avec Mr Boisserie qui est sorti de sa maison, alerté par des
aboiements. Le premier contact fut assez froid et je dois ici remercier
l'amabilité et l'expérience de madame Boisserie pour la
réussite de cette interview qui, en définitive, a
été très instructive. En effet, et ceci à cause
d'un manque d'information relative à la propriété de Mr
Boisserie, j'ai été bien malgré moi signalé
à mon hôte avant l'heure convenue. Ainsi, Mr Boisserie,
alerté par ses nombreux chiens est sorti sur le pas de sa porte, en
plein repas. D'après son attitude, j'ai tout de suite compris que
j'avais dû venir en avance. La raison en est que, ne trouvant pas sa
ferme sur mon GPS, j'étais parti plus tôt pour arriver à
l'heure. J'avais donc pensé me garer à l'écart, puis me
présenter à l'heure dite. Peine perdue, cela c'est
révélé impossible car plusieurs chiens sont venus à
ma rencontre. Mon hôte est donc venu me voir et m'a dit que nous devrions
faire l'interview à l'extérieur. Cela fut impossible car le bruit
causé par les chiens couvrait
250 Détail donné par Mr Boisserie en personne.
251 MEURGER Michel, « Les félins exotiques dans le
légendaire français », Loc. cit.
252 MEURGER Michel, Loc. cit., p. 178.
66
nos voix. C'est donc après quelques minutes assez
inconfortables, pour lui autant que pour moi, que Mr Boisserie m'invita
à rentrer chez lui. J'arrivais donc au milieu du repas... Bien contre
mon gré et m'en excuse encore.
Cette anecdote nous rappelle que la mise en confiance des
parties est primordiale lors d'un entretien non directif. Il ne s'agit pas
là seulement de venir chez quelqu'un pour réunir des informations
à la manière d'une entrevue commerciale. Il faut essayer de
comprendre son interlocuteur, d'encourager les réponses, de
procéder avec tact et finesse.
II. La localisation d'un animal non officiel
J'ai été, je dois le dire, très bien
reçu par monsieur et madame Boisserie, mais c'est après que
l'épouse de l'intéressé m'eut proposé quelques
biscuits et une tasse de café que Mr Boisserie s'est vraiment ouvert et
m'a précisé qu'il avait déjà localisé
l'animal 253. Interloqué, je lui ai donc demandé
comment il y était arrivé. C'est alors qu'après avoir
déplié un journal local, il me présenta une branche faite
de « coudrier » 254. Cette branche avait la forme
d'un « Y », c'était une baguette de sourcier.
Initialement, ce genre d'objet est utilisé pour localiser les sources
255 mais son usage s'étend aussi à la localisation des
animaux. Dans un souci d'exactitude, j'ai choisi de rapporter très
précisément les faits 256.
III. Un nouveau récit, le savoir vernaculaire
à l'épreuve du cadre de la modernité
Cet entretien nous renseigne sur plusieurs points.
Premièrement, nous pouvons constater que la « nouvelle
Bête » a pris une réalité. En effet, on ne parle
ici plus d'un témoignage de quelqu'un qui l'aurait vue sur une route. Mr
Boisserie a bien localisé ce puma, à quelques kilomètres
de sa demeure. Le fait est donc établi pour lui, ce puma existe bien.
Ensuite, il est important de noter que l'utilisation de la radiesthésie
n'est pas chose nouvelle dans la région. Equipés d'un fil de
cuivre, d'un pendule ou d'une branche en forme de « Y » ou
de « L » les sourciers ont, et cela depuis
253 Nous parlons ici du puma.
254 « Coudrier » : nom anciennement
donné au noisetier
255 La baguette de sourcier est un instrument de divination
lié à une pratique appelée Radiesthésie. Au cours
des siècles, la baguette de sourcier sera utilisée pour localiser
les sources, les métaux ou pour questionner les dieux. Son utilisation
sera prohibée au XVIè siècle car Luther considère
que son utilisation n'est pas conforme à certains commandements.
Plusieurs scientifiques et cela pendant des siècles, ont tenté de
vérifier l'efficacité de la radiesthésie.
Généralement les expériences montrent que les
résultats obtenus ne sont pas supérieurs à ce qu'aurait
produit le hasard. (SERVRANX, 2000)
256 Une retranscription d'une partie de l'entretien
réalisé en juillet 2016 se trouve dans l'annexe 17 de cette
étude.
67
des siècles 257, arpenté l'Auvergne
à la recherche des sources, des animaux ou des objets perdus. Enfin,
l'explication donnée par Mr Boisserie en regard du fonctionnement de la
baguette est très intéressante. Comme il le dit lui-même,
il pose une question et c'est la baguette qui répond. Il
s'établirait donc, et je me fonde ici sur les propos de Mr Boisserie
pour me risquer à une pareille analyse, une communication entre le
sourcier et sa baguette. Le fonctionnement de ce procédé, et je
me réfère ici toujours aux propos de Mr Boisserie, serait rendu
possible par un processus « mental » 258 qui inclut
l'utilisation de champs énergétiques 259.
Communément appelée radiesthésie, cette
méthode, bien qu'elle soit différente de par les modalités
attachées à sa pratique, fait partie d'une tradition qui inclut
les guérisseurs tels que les « rebouteux » 260 ou les
« coupeurs de feu » 261. Communs en Auvergne 262,
ces usages lient leurs auteurs à la pratique de savoirs
vernaculaires.
Fort de ces éléments, il semble ici possible de
pouvoir affirmer que nous sommes en présence de l'élaboration
d'une nouvelle croyance 263. Les éléments qui ont
mené à l'élaboration de ce nouveau félin exotique
en Gévaudan sont identifiés. Ils sont au nombre de deux : La
présence de « signes anomaliques » 264 qui
mène à une incertitude interprétative
généralisée ( presse, experts etc...) quant à
l'identité de l'animal et la pratique d'un art divinatoire vernaculaire
qui réintégre « l'épisode dans le cadre
traditionnel» 265 . La culture 266 du lieu est
donc bien, comme l'affirme Meurger partie intégrante du processus.
257 L'utilisation de la radiesthésie est très
ancienne. On sait aujourd'hui que cette technique remonte à
l'antiquité (DARCHEVILLE, 2013).
258 Processus « mental » : adjectif donné par Mr
Boisserie au cours de notre entretien.
259 Cette explication m'a été donnée par
Mr Boisserie dans la suite de l'entretien. Il m'a précisé que la
radiesthésie se fondait sur l'utilisation des « champs Hartmann
», qui sont, toujours selon lui, provoqués par le champ
magnétique terrestre.
260 Un « rebouteux » est une personne qui
guérit ou qui prétend le faire, ceci de manière empirique.
(Le petit Robert, 2009)
261 Le « coupeur de feu » est censé
soulager les victimes de brûlures. Tout comme les « rebouteux
», ceux-ci ne disposent très généralement pas de
diplôme dédié à l'exercice de la médecine (Il
n'existe pas de définition de « coupeur de feu ». Je
suis donc à l'origine du texte ci-dessus)
262 Les radiesthésistes font partie de la culture de la
région mais ils ne sont pas les seuls. En effet, c'est dans un article
de l'
express.fr daté du 25.07.2015
qu'il est écrit que différentes pratiques sont acceptées,
même dans les hôpitaux régionaux. Les « coupeurs de
feu » ou femmes et hommes « aux mains d'or », sont
aussi contactés par les casernes ceci pour soulager les
brûlés. Les « rebouteux » sont consultés
pour des problèmes de mal de dos, de préparation aux traitements
anticancéreux, etc.... Pour Jean-Pierre Fontana, romancier auvergnat,
« On les consulte avant d'aller chez le médecin. Il n'y a pas
de paiement. C'est par excellence le culte du don de soi et de la
gratuité ». (Article référencé en
bibliographie)
263 Mon propos n'est pas ici d'affirmer ou d'infirmer
l'existence d'un puma en Gevaudan. Mon analyse porte exclusivement sur le
processus attaché à l'élaboration de la croyance en cet
animal.
264MEURGER Michel, Loc. cit., p 177.
Signes anomaliques : Griffures sur les arbres, cris
enregistrés, attaques d'un animal de grande taille qui est sauvagement
mutilé, empreintes exotiques observées dans les forêts,
enregistrements sonores qui pourraient faire penser que nous avons là
affaire à un puma etc.... La présence de signes anomaliques dans
l'élaboration des croyances est évoquée dans l'article de
M.Meurger
265 MEURGER Michel, Loc. cit., p 178.
266 Par cette remarque, j'entends souligner que les
traditions, les coutumes régionales et bien sûr la
réalité paradigmatique du siècle dans lequel se
déroule le processus, sont liées à l'élaboration de
la croyance. L'importance de la culture du lieu et des personnes qui sont
liées à la formation de la croyance est aussi soulignée
par Meurger, ceci dans l'article cité précédemment.
68
Conclusion de la deuxième partie de ce
mémoire
Au cours de la deuxième partie de cette étude,
nous avons été les témoins de la création d'un
nouvel objet de la croyance 267. La culture régionale, la
présence de « signes anomaliques » 268,
l'arrivée de la presse qui peut alors décrire les «
caractères d'un événement » 269 ainsi que
d'autres éléments présents dans la théorie de
Meurger se retrouvent tout au long d'un processus qui semble être
très approchant de celui qui a vu la construction de l'objet de la
Bête du Gévaudan. Cependant, la réalité
paradigmatique de l'Ancien régime n'ayant rien à voir avec celle
de la société actuelle, la conséquence en est que la
teneur du récit attaché la nouvelle Bête est
différente. Ainsi, bien qu'elle soit elle aussi sujette aux conjectures
quant à sa nature véritable, bien qu'elle ne laisse dans son
sillage que quelques griffures et des blessures sur un cheval, la nouvelle
Bête n'est pas un animal extraordinaire. Qu'elle soit un puma, un puma
imaginaire ou tout autre chose, son identification ne verse ni dans la
mythologie ni dans la religion. Elle n'est en sorte que ce qu'elle est
supposée être : un animal. La croyance est donc là
circonscrite au domaine de l'existence ou de la non-existence d'une bête
en bonne et due forme.
Revenons maintenant au XVIIIè siècle et
intéressons-nous au cadre dans lequel se construisent les croyances
liées à la Bête du Gévaudan. Issus de cadres
sociétaux distincts, la noblesse et le Tiers-Etat devraient, du fait de
la dichotomie culturelle qui les caractérise, être à
l'origine de deux réflexions différenciées. Dans la
prochaine partie de ce mémoire nous verrons si l'évolution
asymétrique des idées qui définit le Tiers-Etat et la
Noblesse au XVIIIè siècle induit l'apparition de croyances
spécifiques et si ces dernières sont le fruit du cadre
référentiel dont elles procèdent.
267 Il n'est pas ici mon propos de tirer des conclusions sur
l'existence ou la non-existence d'un puma en Gévaudan. Animal imaginaire
ou non le puma dont il est question a été selon moi, l'objet d'un
processus qui a mené à l'élaboration d'une croyance.
268 MEURGER Michel, Loc. cit., p 177.
269 MEURGER Michel, Loc. cit., p 178.
69
PARTIE III
LA BÊTE, UNE ENTITE MULTIPLE
70
Introduction de la troisième partie de cette
étude
Dans la troisième partie de ce mémoire, je vais
tenter d'effectuer une analyse sectorielle. En premier lieu, je vais
m'intéresser aux croyances développées par la noblesse et
les gens éduqués. Pour ce faire, je vais isoler les cinq acteurs
de cette histoire qui, à mon sens, sont les plus représentatifs
de leur classe. Ainsi, François Antoine 270, les Dennevals
271 (père et fils), le comte de Morangiès
272, Mr de la Barthe 273 et le capitaine Du Hamel
274 feront l'objet d'une analyse comparée ceci au regard de leurs
rôles et de leurs intérêts possibles à
l'éradication de la Bête du Gévaudan. De cet examen,
j'espère pouvoir tirer des informations sur les motivations personnelles
de ces personnes et de ce fait pouvoir me prononcer sur l'existence ou la
non-existence de croyances dans ce groupe social. Enfin, je m'efforcerai de
réintégrer ces dernières dans la théorie de
Meurger, ceci dans le but de lier le processus qui les génère au
cadre dont elles sont issues. En second lieu, je m'attacherai à
l'étude des croyances du Tiers-Etat. Je me concentrerai
premièrement sur le rôle des prêtres dans la vie des
habitants du Gévaudan au XVIIIe siècle. La raison de ce choix est
que les ministres du culte ont, en tant que représentants de la croyance
officielle, exercé une influence non négligeable sur la culture
du lieu et conséquemment sur l'interprétation populaire des
événements par les habitants. De plus, en tant que trait d'union
entre l'institution et les autochtones ils ont fait office de traducteurs des
documents religieux et sont de ce fait un maillon essentiel de l'histoire.
Enfin, après avoir mis en évidence quelles étaient les
superstitions les plus communes en Gévaudan à l'époque de
la Bête, je procéderai à l'analyse des icônes et des
extraits d'archives qui s'y rapportent. Cette analyse sera faite en fonction de
l'évolution du cadre historique, ceci principalement du point de vue du
développement de l'histoire de la théologie. C'est en comparant
les croyances anciennes à celles qui ont pu naître au cours de ces
événements qu'il sera possible d'établir si la Bête
du Gévaudan est à l'origine d'un récit qui lui est
propre.
270 François Antoine fait partie de la noblesse. Il
était à l'époque des faits le porte-arquebuse de Louis XV.
Il aurait, selon la couronne, tué la Bête du Gévaudan. Les
faits montrent que cette version est discutable car l'animal a continué
de faire des ravages après que sa mort ait été
annoncée
271 Les Dennevals (père et fils), sont deux nobles.
Chasseurs normands spécialisés dans la chasse au loup, ils vont
très vite faire l'objet de vives critiques car ils montrent le
dédain le plus profond pour les populations paysannes. Surpris par
l'âpreté du climat ainsi que par le relief du Gévaudan, ils
seront incapable de remplir la mission qui leur était assignée
(occire la bête du Gévaudan). « D'Enneval »
était le véritable orthographe du nom. Il sera
remplacé par les Dennevals.
272 Noble local, Jean François Charles de La Molette,
comte de Morangiès est un personnage intéressant car il chasse
lui aussi la Bête et est en concurrence directe avec le capitaine Du
Hamel. De plus, Jean François Charles de La Molette, est dans une
situation inconfortable car son père fut, quelques années
auparavant banni de la cour.
273 Mr de la Barthe est un gentilhomme campagnard. Noble lui
aussi, il est l'auteur de lettres qui furent reprises par la presse de
l'époque. Commentateur ironique des croyances et des superstitions il
est un observateur qui rapporte avec zèle la réalité du
Gévaudan dans la période qui nous intéresse.
274 Le capitaine Du Hamel est le premier chasseur de la
Bête du Gévaudan. Organisateur de nombreuses battues
infructueuses, il sera désavoué et remplacé par les
Dennevals. En charge du régiment des volontaires de Clermont-Prince, Du
Hamel est un témoin oculaire. Il est l'auteur de nombreuses descriptions
de l'animal.
71
CHAPITRE XI
La manifestation d'une culture et
d'intérêts particuliers
Introduction
En vue d'analyser l'origine et le cadre où auraient pu
se développer des croyances nouvelles, j'ai, comme cela est
précisé dans l'introduction de cette étude, pris la
décision de procéder de manière sectorielle. Nous
commencerons donc par nous pencher sur l'évolution des croyances dans la
noblesse et dans les milieux éduqués. Pour ce faire, il est utile
de préciser l'histoire de chacun des protagonistes qui en donnent la
meilleure illustration. Ainsi, les dires et les actions du comte de
Morangiès, du capitaine Du Hamel, des d'Enneval père et fils, de
François Antoine, et d'un gentilhomme local, Mr de la Barthe, feront
l'objet d'une analyse. En effet, il est ici primordial de comprendre quelles
ont été les motivations qui les ont conduits à s'exprimer
ou à agir de la manière dont ils l'ont fait. Aussi, un examen
approfondi de leur histoire militaire ou personnelle pourra mettre en relief
des intérêts particuliers, ceci aussi bien en regard de leur
situation financière ou familiale, que de leur rapport à la
monarchie.
La raison pour laquelle j'ai opté pour une telle
stratégie est que je « soupçonne » la noblesse
de cette époque de tenter de retrouver un statut. La France sort vaincue
de la guerre de Sept ans et la Bête du Gévaudan ainsi que les
primes qui sont attachées à son éradication peuvent, pour
celui ou celle qui sortira vainqueur de son duel avec l'animal, concourir
à recouvrer l'honneur d'une bataille perdue ou aider à la
reconstitution d'une fortune 275. Le cadre et les motivations
semblent ici délimités par des déterminations internes
à une identité sociale. Il faut ici retrouver son rang, la
fortune ou l'honneur.
I. Du bannissement aux dettes, le déshonneur et la
prison
En ces années qui précèdent la
Révolution, la noblesse se trouve dans une situation assez
compliquée. D'une façon générale, cette
dernière doit en France retrouver son statut. Ridiculisée par la
défaite 276 concédée à l'Angleterre,
elle doit en plus, et nous évoquons ici plus particulièrement le
sort de la noblesse du Gévaudan, faire face aux ravages
occasionnés par la Bête.
275 Une prime de 9400 livres est promise à celui ou
celle qui sera victorieux de l'animal. BONET, « Chronodoc », Loc
cit., p.151.
276 Nous faisons ici référence à la
guerre de Sept Ans, conflit dont les conséquences désastreuses
pour la France sont décrites précédemment.
72
Les attaques de l'animal dévorant prennent place sur
des terres qui appartiennent à des seigneurs locaux et ses
méfaits démontrent l'incapacité de ces notables à
trouver une solution au problème.
En Gévaudan, l'histoire d'une famille illustre
parfaitement cette situation. Propriétaires terriens d'une baronnie du
Gévaudan 277, résidents de St Alban, les Morangies
vont être frappés par deux événements
simultanés : la défaite militaire, et l'apparition d'un animal
exotique. Comte de Morangiès, Marquis de Saint Alban, lieutenant
général des armées du roi, Pierre-Charles de
Morangiès, père de Jean François Charles de La Molette,
comte de Morangiès jouit d'une réputation sans faille. Il est
victorieux en 1745 à la bataille de Fontenoy 278, et
reçoit la croix de chevalier de Saint-Louis 279. C'est en
1759, au cours de la bataille de Minden qui oppose Fréderic II de Prusse
280 aux troupes franco-autrichiennes, qu'il va tomber en disgrâce. Il
doit alors quitter la cour et se retire dans sa baronnie du Gévaudan
après avoir séjourné dans son hôtel particulier
parisien. Il est donc au début des événements dans une
situation peu enviable. Jean François Charles de La Molette, comte de
Morangiès, fils du Marquis supporte mal le poids de la réputation
de son père 281. Incorporé à la compagnie des
Mousquetaires à l'âge de 14 ans puis aux Gendarmes de la Garde du
Roy, il obtient en 1748 le grade de colonel au régiment d'infanterie du
Languedoc 282. Il est fait prisonnier lors de la bataille de Minden
283 et contracte la phtisie 284 en détention.
Après sa libération, il s'en retourne avec son bataillon à
Pont-Saint-Esprit, pour y finir une carrière militaire commencée
très jeune. De retour en Gévaudan, Jean François Charles
de La Molette va se trouver dans la situation de pouvoir rétablir la
réputation de sa famille.
En octobre 1764, Marguerite Malige, alors âgée de
19 ans est dévorée sur ses terres. Le comte est alors
incité à participer à l'organisation de chasses
tumultueuses. La demande est envoyée par le
subdélégué Lafont, et la réponse donnée par
le comte est rapide et positive. Morangiès s'investit alors très
personnellement dans l'affaire, se déplace et rend même visite aux
victimes 285.
277 Il existe 8 baronnies en Gévaudan : Celles de :
Randon, Tournel, Cénaret, Peyre, Apcher, Canilhac, Florac, et Mercoeur.
Leurs propriétaires portent des titres seigneuriaux, marquis, duc ou
baron.
278 Bataille de Fontenoy : cette bataille prend place en
1745. Elle oppose Maurice de Saxe ( France) à William de
Cumberland (Angleterre). La France sort victorieuse. (ALPHA, 1968).
279 Décoration créée par Louix XIV, la
croix de chevalier de Saint-Louis récompense les chevaliers catholiques
qui montrent leur valeur au combat (CROUZET, 1963)
280 Frédéric II de Prusse : roi de Prusse, dit
Frédéric le grand, il étend son territoire sur la Pologne
et l'Autriche. Il donne à son pays un nouveau statut, celui de puissance
européenne. (CROUZET, 1963)
281 SMITH, Op cit., p 80.
282 Dossiers militaires personnels des marquis, comte et baron
de Morangiès, service historique de la Défense (SHD) ;
États Militaires de France 1759-1762 ; Dictionnaire des officiers
généraux sous Louis XV. Carrières des membres de la
famille Morangiès remises à jour par le groupe « le clavier
des Bestieux ».
283 La bataille de Minden se déroule le 1er
août 1759 en Westphalie (territoire historique de l'Allemagne). Les
forces britanniques sont victorieuses et mettent l'armée
française en déroute. (CROUZET, 1963)
284 Phtisie : La phtisie est une maladie pulmonaire comparable
à la tuberculose. (ALPHA, 1968).
285 En mars 1765, Morangiès se déplace en
personne pour aller rendre visite à une mère qui s'est battue
avec la Bête pour sauver ses enfants.
73
La question est ici de savoir quelles étaient les
motivations de ces visites. Cherchait-il à recueillir des informations
qu'il aurait pu utiliser pour pister l'animal et bénéficier des
primes allouées par l'Eglise et les administrations régionales ?
La situation économique dans laquelle se trouve le comte de Morangies
à cette époque nous donne peut-être des
éléments de réponse. En effet, même s'il n'y a rien
à dire sur les états de service militaires du comte Jean
François Charles de La Molette, il n'en va pas de même pour son
train de vie dispendieux et ses affaires avec la justice. Le 11 février
1773, il est emprisonné à la Conciergerie 286, ceci
pour une affaire de dette. Dès 1768, soit une année après
la mort de la Bête tuée par Jean Chastel, il doit
déjà 45.000 livres 287. Joueur, dilapidant la fortune
de son héritage et par la même occasion celui de ses frères
et soeurs, il va jusqu'à vendre des forêts qui ne sont pas les
siennes 288 à des bourgeois de la capitale.
II. L'appât du gain et la réparation de
l'honneur des Morangiés
Parallèlement, le 27 Janvier 1765, soit environ 7 mois
après la première visite rendue par Morangiès aux
victimes, Mr de Laverdy, contrôleur général donne l'ordre
à Mr de Ballaivillier d'informer la population que le Roi «
accorde une somme de six mille livres à celui qui tuera la Bête
» 289. Depuis le début des chasses, les primes
s'accumulent. De 2000 livres promises par St Florentin le 18 décembre
1764, on passe à environ 10.000 livres 290 en 1765 si l'on
prend en compte toutes les primes accordées par les notables, les
autorités régionales, départementales, l'Eglise et la
Monarchie. Voilà donc une somme considérable 291 qui
aurait pu aider un noble à retrouver le lustre de jadis. Aussi,
n'oublions pas de préciser que Morangiès n'est pas en bon rapport
avec la Monarchie. Son père fut disgracié et il partage avec la
famille des Canillac 292, une des grandes familles nobles
d'Auvergne, le sentiment qu'un représentant des Bourbons ne devrait pas
être sur le trône. Opposant de l'ombre, noble criblé par les
dettes, Jean François Charles de La Molette, s'il avait tué la
Bête aurait pu rembourser une partie de ses dettes et obtenir, au moins
du point de vue
286Conciergerie : La Conciergerie était une
prison. Amplement utilisée pendant la période de la «
terreur », juste après la Révolution, la Conciergerie fut la
dernière demeure de Marie-Antoinette, Reine de France et de Navarre.
(HOFFBAUER, 1995)
287Sources: «
labetedugevaudan.com ».
Page internet sérieuse consacrée à l'histoire de la
Bête du Gévaudan. Une description de cette page est donnée
dans la bibliographie de cette étude.
288 Ibidem.
289 Archives du Puy-de-Dôme cote 1731.
290 SMITH. Op cit., p 128.
291 Remise dans le contexte de l'époque, cette somme
est l'équivalent de 87 ans de salaire d'un ouvrier agricole. Source :
Alain Parbeau, spécialiste des armes anciennes.
292 Jacques-Timoléon de Montboissier-Beaufort-Canillac,
marquis, a vu son château rasé, ses biens et ses titres
confisqués. Il fut lui-même brûlé en effigie. Ces
événements, qui prirent place pendant les grands Jours
d'Auvergne, sortes de tribunaux organisés en vue de rétablir la
justice dans la région, furent la conséquence de la Fronde,
période où une réaction à la montée en
puissance du pouvoir monarchique en France provoqua des révoltes. La
réaction du pouvoir fut de réaffirmer l'autorité du roi en
matant la noblesse. Quelques grandes familles auvergnates furent
spoliées, d'où une rancoeur tenace envers la Monarchie, qui
traversa les siècles. (ALPHA, 1968)
74
de la satisfaction personnelle, une réparation
symbolique de la disgrâce de son père des mains même de
celui qu'il abhorre.
Comme on peut le voir, les motivations ne manquent pas, et il
n'est pas impossible que le comte ait lui-même évalué les
avantages que lui apporterait la disparition de la Bête du
Gévaudan. Comte de la baronnie du Gévaudan, personnage connu et
important dans la région, Morangiès va donc essayer de s'imposer.
Dans une lettre du 26 octobre 1764, le comte assure le
subdélégué Lafont qu'il ne doit pas « douter
qu'il 293 ne fasse tout au monde pour l'aider à
délivrer le pays du monstre qui le désole »
294. De plus, c'est dans des termes choisis qu'il exprime la
vision de la mission qu'il s'assigne. Cela n'est pas une chasse ou une battue
ordinaire mais bien une guerre 295. En effet, dans la même
lettre, il écrit : « Je souhaite d'un coeur vraiment
patriotique que Mercier vous porte la tête de la bête féroce
ou que du moins la guerre que nous allons lui faire l'éloigne de nous
» 296. On devine ici, et cela du fait de l'utilisation de l'adjectif
« patriotique » 297 et du nom commun « guerre
» 298 que Morangiès voit en l'animal une sorte de fléau
dont la patrie doit être délivrée. On est là dans le
champ lexical du conflit armé, pas celui de la chasse au loup.
D'ailleurs, est-ce bien un loup que l'on chasse ? Rien n'est moins
sûr.
Dans la même lettre, Morangiès, envisage
ouvertement la possibilité que l'animal ne soit pas natif du
Gévaudan, voire du royaume de France. En effet, à la fin de sa
correspondance avec le subdélégué Lafont, il écrit
: « Si cet animal est né en Afrique, comme il y a lieu de le
présumer, je crois qu'il souffrira beaucoup pendant le gros hiver
» 299. Nous avons bien là affaire à
un animal exotique ; en tous les cas, c'est ce que semble croire Jean
François Charles de La Molette en cette fin d'octobre 1764. Une guerre,
un territoire à défendre contre un envahisseur étranger
(peut-être même africain...) en Gévaudan, voilà des
éléments qui auraient pu faire pencher la décison des
autorités. Le comte ne ferait-il pas en effet un parfait chasseur ? Il
est un homme rompu à la pratique des armes, il n'a pas été
disgracié, il connaît la région et une partie des attaques
prend place sur ses terres.
293 « il » fait ici référence
à Morangiès.
294 Archives départementales de l' Hérault, cote
44, 1764, 108
295 SMITH, Op cit., 81
296 Archives départementales de l' Hérault, cote
44, 1764, 108
297 SMITH, Op cit., 81
298 Ibidem.
299 Archives départementales de l' Hérault, cote
44, 1764, 108
75
III. Un concurrent issu de la roture aspire à
devenir quelqu'un
Coup de théâtre ! Au début du mois de
novembre 1764, c'est le capitaine Du Hamel 300 qui est choisi pour
donner la chasse à la Bête, cela au grand dam de Jean
François Charles de La Molette qui, comme nous l'avons vu
précédemment aurait très certainement accepté ce
rôle sans sourciller. Né à Amiens en 1732, Du Hamel
commence aussi sa carrière militaire très jeune. Recruté
dans un régiment de volontaires étrangers 301 il sera
tout comme Morangiès, mais dans une autre bataille, le témoin de
la déroute de l'armée française. C'est à la
bataille de Krefelt que Louis de Bourbon-Condé 302,
général auquel ses troupes sont attachées, montre ses
limites. Louis de Bourbon-Condé, Comte de Clermont et avec lui le
capitaine Du Hamel sont battus par Ferdinand de Brunswick-Lunebourg
303. L'armée française est déshonorée.
Déchu de son armée et banni de la cour, Louis de
Bourbon-Condé n'en reste pas moins un personnage important car ses
relations sont étendues et il est un prince de sang. C'est d'ailleurs
à son secrétaire 304 et quelquefois à lui en
personne 305 que Du Hamel écrira plusieurs lettres pour
rendre compte du progrès des chasses. Ce détail nous montre de
façon évidente que Du Hamel, bien qu'il prenne le rôle d'un
chasseur de loups, a gardé une identité propre : celle d'un
militaire attaché au service du comte de Clermont, créateur du
régiment des volontaires de Clermont prince en 1758. Mais ce n'est pas
tout. Le père du capitaine Jean-Baptiste-Louis-François Boulanger
Du Hamel se disait « sieur de Luzière ». On sait
qu'au XVIIIè siècle, la paroisse de « Conti »
306, aussi quelquefois orthographiée « Conty
» administrait « Luzière » et « Le
Hamel ». Située au sud d'Amiens, elle a donné son nom
à la « branche cadette des Bourbons-Condés
»307. Ce détail est important car il est alors
possible, bien que cela ne soit pas prouvé, que les
Bourbons-Condés et les Du Hamel se soient connus en dehors de l'exercice
des armes et que le capitaine ait été l'objet d'une certaine
protection. Comme le souligne Serge Colin308 dans son étude,
Jean-Baptiste-Louis-François Boulanger Du Hamel est directement
intégré dans le
300 De son vrai nom : Jean-Baptiste-Louis-François
Boulanger Du Hamel.
301 Ce régiment était principalement
composé d'éléments originaires de Wallonie et de
régions où la langue pratiquée était l'allemand.
(Source, Patrick Berthelot).
302 Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, est un
ecclésiastique et un militaire français. Il est aussi un prince
de sang issu de façon légitime par un des petits-fils de France.
(CROUZET, 1963)
303 Ferdinand de Brunswick-Lunebourg: Commandant à tour
de rôle les troupes du roi de Prusse et les troupes britanniques,
Ferdinand de Brunswick-Lunebourg est un grand nom de l'histoire militaire. Il
est aussi un personnage important dans les rangs de la franc-maçonnerie
où il exercera le rôle de grand maître en « Allemagne
» et celui de maître pour les frères de l'Asie. (ALPHA,
1968).
304 SMITH, Op cit., p. 79.
305 Ibidem
306 La paroisse de Conti est à l'époque sous
l'autorité de Louis François de Bourbon. Né en 1717, il
deviendra, après avoir été comte de Conti, prince de Conti
autour de 1727. Information donnée dans l'étude de Serge Colin,
annexe 18
307 Information aussi donnée dans l'étude de
Serge Colin, consultable dans l'annexe 18 de la présente
étude.
308 Serge Colin est un passionné. Il est
bénévole et a effectué une étude passionnante
à propos du capitaine Du Hamel et sur la possibilité que celui-ci
soit issu de la noblesse.
76
régiment des Volontaires de Clermont-Prince
309 en 1758, l'année de sa création. Aussi, et cette
information provient des mêmes sources,
Jean-Baptiste-Louis-François Boulanger Du Hamel n'est en 1750 que
« cornette » ou sous-lieutenant dans un autre
régiment. Il rentrera directement avec le grade de capitaine au service
du régiment du Comte de Clermont.
Même s'il n'appartient pas directement à la
noblesse, Du Hamel - et j'utilise cette citation car elle me semble tout
à fait appropriée la situation dans laquelle il se trouve -
appartient au « Tiers-Etat , faction supérieure de la roture,
ce Troisieme Etat distinct du peuple » 310 qui d'après
l'abbé Sieyes 311 « n'était encore rien dans l'Etat mais
aspirait à y être quelque chose » 312. Aussi,
et cela est loin d'être un détail,
Jean-Baptiste-Louis-François Boulanger Du Hamel, alors Officier
d'état-major, est à l'origine de la création d'un
traité sur les règles d'équitation. Bien plus que le
traité en lui-même, ce sont alors les destinataires qui nous
renseignent. En effet, ces écrits seront envoyés à
Etienne-François de Choiseul, ministre sous Louis XV et proche de Mgr de
Choiseul Beaupré, évêque de Mende. Il fallait bien de
l'assurance pour envoyer à l'époque des écrits à un
homme qui fut tour à tour ministre des Affaires
étrangères, de la marine et de la guerre. Il est alors possible
d'en déduire que Du Hamel n'est pas n'importe quel capitaine. C'est un
homme qui dispose d'un réseau étendu et il est possible que ses
relations aient été décisives quant au choix fait par les
autorités en regard de l'attribution de la responsabilité des
chasses en Gévaudan.
Enfin, il est intéressant de constater que les
descriptions de la Bête que Jean-Baptiste-Louis-François Boulanger
Du Hamel propose à ses supérieurs et à la presse peuvent
parfois donner le vertige. Vu l'influence de la presse et le problème
politique que posait l'animal, il fallait, ici encore, bien de l'audace et de
l'assurance pour dépeindre l'animal dévorant du Gévaudan
comme un hybride improbable 313. Cet indice semble nous indiquer que
le capitaine Du Hamel était sûr de ses soutiens et que ses
relations réelles étaient bien au-delà de ce à quoi
on pouvait s'attendre de la part d'un militaire issu de la roture. Nous voici,
tout au début des chasses en présence d'une situation
309 Ce régiment de volontaires étrangers ne doit
pas être confondu avec d'autres régiments, ceux des Dragons du
roi. Il est le régiment envoyé en Gévaudan et est
attaché à Louis de Bourbon-Condé, prince du sang. Les
régiments des Dragons du roi étaient composés d'hommes qui
servaient à cheval et à pied. Le régiment des volontaires
étrangers de Clermont-Prince était constitué de cavalerie
et d'infanterie (grenadiers et fusiliers). Information donnée par
Patrick Berthelot au cours d'un échange de courriels (11.10.2015 et
10.01.2016)
310 Citation tirée de l'étude de Serge Colin,
effectuée en 2012. Cette étude se trouve dans l'annexe 18.
311 Abbé Sieyès, 3 mai 1748 - 20 juin 1836 :
l'abbé Sieyès est en plus d'être un homme d'Église,
un essayiste et un homme politique. Il est surtout connu pour des ouvrages qui
furent écrits et publiés au cours de la Révolution.
(ALPHA, 1968)
312 Citation tirée de l'étude de Serge Colin,
effectuée en 2012.
313 Description de Du Hamel : « (...) Cet animal est de
la taille d'un taureau d'un an. Il a les pattes aussi fortes que celles d'un
ours avec 6 griffes à chacune de la longueur d'un doigt, la gueule
extraordinairement large, le poitrail aussi fort que celui d'un cheval, le
corps aussi long qu'un léopard, la queue grosse comme le bras, et au
moins de 4 pieds de longueur, le poil de la tête noirâtre, les yeux
de la grandeur de ceux d'un veau, et étincelants (...) ».
Archives départementales du Puy-de-Dôme, cote
1731.
77
inédite. C'est donc bien un homme issu du Tiers-Etat et
dont la noblesse n'est pas établie qui va prendre la direction des
chasses. Ce détail n'est pas sans importance 314 car il
préfigure peut-être les changements à venir. Par cette
remarque, j'entends souligner que l'influence déclinante de la noblesse
en cette fin du XVIIIè siècle voit la montée des classes
bourgeoises. Ce mouvement de fond mènera quelques décennies plus
tard à la Révolution.
IV. De la roture à la noblesse, un honneur
bafoué et des actions dictées par l'intérêt
Comme nous venons de le voir, les deux hommes, bien qu'ils
viennent de milieux différents, ne sont peut-être pas si
dissemblables et partagent tous deux le désir de faire oublier les
événements de la guerre de Sept Ans. Tous deux battus, pour l'un
c'est l'honneur de la noblesse et de la famille qui est en jeu, pour l'autre,
c'est l'honneur de l'armée. L'un ayant endossé le rôle de
chasseur officiel, et l'autre étant noble de naissance, on aurait pu
croire qu'au vu des victimes 315 ces deux hommes aient pu partager
un idéal chevaleresque 316. En effet, les vertus du chevalier
étant entre autres la grandeur d'âme, la fidélité,
le courage et la prouesse 317, il paraît assez naturel que des
hommes qui auraient eu un idéal aussi élevé aient
cherché à ce que justice soit faite, surtout dans le cas
où les victimes se trouvent être des femmes jeunes et des enfants.
Développée par Smith 318, cette idée est
séduisante, mais nous ne sommes plus au Moyen Âge, et il me semble
que cette dernière ne soit pas adaptée à la
réalité des forces en présence. Morangiès, est
comme nous l'avons vu criblé de dettes et passe son temps à
emprunter pour maintenir son train de vie. Il n'est pas ici question d'un
idéal chevaleresque, bien au contraire. Du côté du
capitaine Du Hamel, qui a des relations mais qui est issu du Tiers-Etat, on
devine plutôt, même s'il est loin d'être l'individu si
souvent décrit comme un incapable 319, un homme qui a soif
d'ascension sociale et de
314 Cette constatation est signifiante car le droit de chasse
n'était en général pas donné aux roturiers et fut
jusqu'au règne de Louis IX réservé aux nobles. Au cours de
son règne, ce dernier fit des dérogations et autorisa quelques
bourgeois à le suivre. Il était cependant absolument interdit de
chasser aux roturiers à qui même le droit de posséder un
furet ou un chien n'était pas donné. Au XVIIIè
siècle, un document nous renseigne. Il semble bien que la noblesse ne
fût pas encline à abandonner ses privilèges. La citation
ci-après l'établit : « La chasse estant un droit
seigneurial qui nous attribue tout le gibier qui est sur notre seigneurie, il
est de conséquence de le conserver sans le laisser à la mercy
d'un tas de canailles, paysans et autres qui regarde la terre comme en propre
et à leur discrétion ». Citation tirée d'un
document utilisé au cours d'une conférence de Jean-Marc Moriceau
à l'Université de Caen, samedi 4 avril 2009. Le document est
intitulé : «Usages du prieuré et de la Seigneurie de
Coudres vers 1723 ».
315 Les victimes sont en grande majorité des femmes jeunes
et des enfants
316 SMITH, Op cit., p.81.
317 AUGER Louis Simon, Mélanges philosphiques et
littéraires, Volume 2, Paris, Le duc de Chartres, 1828, p. 408.
318 SMITH, Op cit., p.81.
319 Du Hamel était souvent décrit comme un
incapable. Il semble plus réaliste que le capitaine ait
été desservi par l'étendue et la géographie du
territoire de la Bête du Gévaudan. Il n'est pas sûr qu'une
autre personne ait fait mieux, vu la tâche à accomplir.
78
reconnaissance du public 320. Le Comte de Moncan ne
s'est d'ailleurs pas privé d'avertir le capitaine qu'il se chargerait de
prévenir des personnes importantes 321 au cas ou il
réussirait à débarrasser le Gévaudan de l'animal.
Il est clair qu'avec une pareille recommandation, 322 Du Hamel
aurait pu prétendre à une élévation substantielle
de sa condition. On est là encore assez loin de l'idéal
chevaleresque.
Comme nous pouvons le voir, le cadre dans lequel se
développent les croyances en regard de la véritable
identité de la Bête du Gévaudan est fortement
structuré par l'intérêt personnel et la concurrence que se
livrent Morangiès et Du Hamel. Ainsi, pour tous ces prétendants
aux récompenses promises, il s'agit de ne pas démériter et
de donner à un animal dont la nature est inconnue une forme à la
hauteur des primes qui sont attachées à sa destruction.
Cependant, si le capitaine décrit un hybride et Morangies un lion,
jamais l'un d'eux ne se laisse aller à décrire un animal
fantastique 323.
La remarque est signifiante car la superstition est chose
commune dans les campagnes françaises du XVIIIè siècle et
très répandue en Gévaudan. Par exemple, l'abbé
Pourcher relate dans ses écrits un épisode pittoresque. En effet,
selon la rumeur, deux femmes auraient croisé en 1765 un homme bourru aux
abords des « bois du Favard » 324. La nature de
cet être singulier fut sujette aux discussions et à toutes les
extrapolations dans la région. Pour les gens du peuple, l'affaire
était entendue, c'était un loup-garou 325.
320 Cette théorie sera vérifiée par le
discours qu'il tiendra plus tard quant à l'identité
présumée de la Bête. Cette partie de l'histoire sera
analysée dans la suite de cette étude
321Lette de Moncan à Du Hamel datée
du 14 octobre 1764. « si l'on peut parvenir à tuer cet animal,
vous me ferez plaisir de me l'envoyer ou au moins la tête, la peau, la
queue ou les pattes. Vous pouvez poursuivre cet animal partout où il
ira. Je ne laisserai pas ignorer à M. le duc de Choiseul et
à M. le comte de St.-Florentin l'offre que vous m'avez faite de le
détruire, si vous pouviez parvenir à le trouver.
» BONET , « Chronodoc », Loc cit.,
p.35.
322 Moncan propose ici à Du Hamel de
référer à ses exploits potentiels directement au duc de
Choiseul, le ministre à qui il avait préalablement envoyé
un traité d'équitation.
323 Par « animal fantastique », j'entends des
animaux comme le loup-garou.
324 Petite forêt du Gévaudan.
325 « ...Pendant tout le trajet qu'elles furent en
compagnie de cet homme, en voyant les longs poils de son estomac à
travers la fente de la chemise, elles étaient tellement saisies de
frayeur que la respiration leur manquait et qu'elles pouvaient à peine
se tenir sur leurs jambes, quand cet homme les quitta
brusquement; et dans la matinée on avait vu la
Bête dans les environs. C'était, disait-on, le loup-garou qui de
rage voulait empêcher ces femmes d'aller à la messe. Quand on
allait à la vérification de ce fait, on l'assurait vrai, mais
elles l'avaient seulement entendu raconter à des gens de tels
endroits... » BONET, « Chronodoc », Loc cit.,
p.175.
79
V. La noblesse fortunée et titrée
privilégie l'hypothèse du loup en bonne et due forme
En cette année 1765, Du Hamel, partisan de l'animal
hybride, se voit retirer la responsabilité des chasses en
Gévaudan. Victime de ses échecs successifs et de la critique
quelquefois acerbe de Morangies, le capitaine est supplanté par
Jean-Charles-Marc-Antoine Vaumesle d'Enneval, grand louvetier normand. Du Hamel
quitte donc le Gévaudan le 17 avril 1765, ceci sur ordre de la cour. Les
d'Enneval(s), arrivés en Gévaudan le 2 mars 1765, obtiennent
l'entière responsabilité des chasses 326, ceci
après une période de collaboration difficile avec Du Hamel.
Noble de naissance, jouissant du titre honorifique de
« grand louvetier de Normandie », Jean-Charles-Marc-Antoine
Vaumesle d'Enneval est un personnage qui bénéficie, tout comme Du
Hamel mais à un niveau supérieur, d'un réseau de relations
étendu. Déjà reconnu comme un chasseur hors pair, n'ayant
pas participé à la guerre de Sept Ans, il n'a ni de
défaite à faire oublier ni d'honneur familial à
défendre. Il est intéressant, ici encore, de constater que ce
second chasseur officiel bénéficie d'appuis importants. C'est
bien grâce à l'intervention du « Sieur de Lavigneu »
327 et du Commis des Finances « Cromeau de Paris » 328
que son souhait de participer aux chasses est connu de Louis XV. Son
appartenance à la noblesse et le niveau des personnes qui s'attachent
à promouvoir sa candidature permettent de cadrer le personnage. Nous
avons ici affaire à un noble de haut rang, éduqué et bien
entouré.
Là encore, malgré des échecs cuisants,
ceci aussi bien au niveau des chasses 329 qu'au niveau de sa
relation aux populations locales, 330 malgré une pression
croissante de la presse qui voit dans ce fait-divers une possibilité
d'augmenter les tirages, ni Jean-Charles-Marc-Antoine Vaumesle d'Enneval, ni
son fils ne se laissent aller la description un d'animal fantastique. Nulle
part dans les archives, à part une interrogation relative à la
raie noire que la Bête portait sur le dos et à la grosseur de sa
queue 331, on ne trouve de référence de la part des
d'Enneval(s) à autre chose qu'un loup.
326 Les chasses furent, une brève période,
conduites par Du Hamel et les d'Ennevals. Cette collaboration fut de courte
durée car il ne semble pas que ces protagonistes aient eu de très
bons rapports.
327 Ce personnage était intendant dans la ville
d'Alençon. Orthographié Lavignan selon Berthelot et
Moriceau
328 « Cromeau de Paris » était le
suppléant du contrôleur général des Finances
Clément-Charles de l'Averdy.
329 Avec l'aide de son fils, Jean-François Vaumesle
d'Enneval, il entreprend des chasses qui vont se révéler
infructueuses. Aidé de six grands danois dont un fut prêté
par le comte de Montesson, d'Enneval fait le choix d'utiliser ses chiens pour
courir à vue dans l'espoir de lever la Bête. Cette technique va se
révéler être inadaptée au terrain vallonné du
Gévaudan. Mal perçu par la population, d'une nature hautaine,
celui-ci quitte la région le 18 juillet 1765, ceci sur un constat d'
échec. Il est critiqué de toutes parts et passe pour un
imposteur.
330 La population locale n'appréciait pas du tout les
chasseurs normands. Ces derniers étaient considérés comme
prétentieux et inefficaces. Morangiès s'exprimera à leur
égard en ces termes : « Enfin MM. d'Enneval que l'on avait eu
soin de faire avertir arrivèrent et donnèrent comme à leur
ordinaire de jactance et de l'inutilité la plus désolante »
. BONET, « Chronodoc », Loc cit., p. 307.
331 Ce point de vue est donné par le fils d'Enneval. Le
père lui, pensait que la Bête qui était chassée
était la même que celle que le « lieutenant de louveterie
provinciale », le « chevalier de l'Isle de Moncel
», chassait
80
Nous n'avons donc ici aucune trace de superstition ou de
croyances attachées aux d'Ennevals. Déjà constatée
dans l'analyse des dires de Du Hamel et Morangiès, cette tendance,
transparaît-elle dans le discours de François Antoine, dernier
chasseur officiel?
Né en 1695, originaire de Saint-Germain-En-Laye et
habitant la rue Saint-Honoré à Versailles, François
Antoine reçoit de son père, lui-même porte-arquebuse du
Roi-soleil, le rôle de porte-arquebuse du roi de France de
l'époque. Fait chevalier de l'ordre de Saint-Louis en 1755 à la
suite de brillants états de service au régiment des Dragons de
Beaucourt, il ne participe pas à la guerre de Sept Ans. Lieutenant
commissionné des chasses du roi, il est aussi le garde des «
magasins des poudres royales » 332, des fusils du roi, et
des armes de guerre. Fils de Jean-marc Antoine, Seigneur de Champeaux, il fait
partie de cette noblesse qui est au contact direct du roi et dispose bien
sûr du soutien direct du monarque. Il n'a lui ni à rougir de
défaites relatives à la guerre de Sept Ans, ni de
problèmes d'argent, ni de problèmes relatifs à l'histoire
de sa famille.
Cependant, et c'est là toute l'importance de l'enjeu,
avec le succès de ses chasses se joue l'honneur de la Monarchie qui est
en cette année 1755 la risée de l'Europe entière.
Envoyé par la cour en Gévaudan, il ne peut échouer. Son
arrivée dans la région 333 suscite l'admiration des
populations qui sentent que le roi s'intéresse à leur sort.
Après trois mois de chasse, où il recevra une aide
précieuse des populations locales, celui-ci tue une bête
334. Cette dernière sera traitée par un taxidermiste,
et montrée à la cour. François Antoine empochera la
totalité de la somme et aura, du fait de l'autorité du roi et de
son juge d'Armes de la noblesse de France 335, l'autorisation de
joindre un loup mourant dans ses Armes 336.
La présentation de cet animal empaillé à
Versailles n'aura aucun effet sur les attaques en Gévaudan mais aura
bien sûr l'immense avantage d'accréditer la thèse
officielle selon laquelle l'animal ne fut qu'un loup. Comme on peut se
l'imaginer, on ne trouve de la part du porte-arquebuse de Louis XV aucune trace
de superstition ou de croyances attachées à la Bête. Il
semble bien ici
dans l'est de la France un loup différent, plus grand
et plus fort, peut-être venu du Dauphiné ou de l'Est de la France
ou de l'Europe. (Information donnée par Patrick Berthelot au cours d'un
échange de courriels daté du 11.10.2015)
332 BERTHELOT Patrick, « Les Portes-Arquebuse du Roy
», juillet 2005, ouvrage illustré et agrémenté
de documents d'époque, p.45, édité à compte
d'auteur.
333 Il arrive en Gévaudan le 21 juin 1765.
334 La Bête qui fut occise par François-Antoine
est connue sous le nom de « loup des chazes » (DE LAVIGNE,
2015 : 48)
335 Louis-Pierre d'Hozier. Auteur du «registre de la
noblesse de France» document en relations aux armes des
différentes familles de la noblesse française.
336 Le sens du mot « Armes » n'a dans ce
contexte rien à voir avec une dague ou une épée. Il s'agit
ici d'un signe symbolique placé sur l'écusson dans le but
d'identifier une personne, une famille ou une région.
81
qu'avec la mise en scène de la mort de la soit disant
Bête, la couronne ait voulu mettre fin à un problème
politique épineux.
En dehors des individus directement intéressés
par l'apport financier attaché à la destruction de l'animal, on
trouve aussi en Gévaudan un gentilhomme qui se refuse à
céder à la superstition. Issu de la noblesse locale, Mr de la
Barthe 337 est un homme curieux et éduqué.
Interessé par l'agronomie, ami de La Condamine 338, il
entretient une correspondance avec Lalande 339 et fait des
expériences avec Mr de Réaumur 340. Au début
des ravages de la Bête, au moment où les théories quant
à sa véritable identité vont de l'hybride de louve et
d'ours au léopard de l'apocalypse en passant par le grand singe, Mr de
la Barthe s'efforce de récolter des détails anecdotiques de
fables populaires pour mieux en réfuter la véracité. Les
opinions de cet aristocrate seront popularisées par la publication de
quelques-unes de ses lettres dans le courrier d'Avignon.
Dans sa correspondance, Mr de la Barthe ridiculise les dires
du peuple et par la même occasion se place au-dessus du discours
populaire. Par exemple, dans une missive datée du 27 octobre 1764 et
envoyée à monsieur Séguier il s'exprime en ces termes :
« ...Vous ririez d'entendre tout ce qu'on en dit: elle prend du tabac,
parle, devient invisible, se vante le soir des exploits de la journée,
va au sabbat, fait pénitence de ses anciens péchés. Chaque
paysan, chaque femme fait son histoire... » 341. Quelques
mois plus tard, le 20 avril 1765, c'est après avoir lu la reproduction
des lettres de Mr de la Barthe dans la presse qu'un ecclésiastique,
Monsieur Mygueri curé de Tarare 342 prend contact avec monsieur de
Labarthe. Il écrit : « ...Vous vous êtes
élevé au-dessus du sentiment commun en la faisant regarder comme
un loup ordinaire, et vous en avez donné des preuves suffisantes pour
quiconque ne court pas après le merveilleux. Pour moi je vous avoue que
je n'ai jamais pensé qu'elle fût d'un autre genre... »
343
Ainsi, au moment où la croyance populaire décrit
la Bête comme un animal sorti des contes, la noblesse locale,
344 la haute noblesse, 345 le capitaine Du Hamel, et
même un ecclésiastique
337Le personnage est intéressant car il est
aussi contrasté. En effet, bien qu'il veuille donner de lui une image de
philosophe, il n'en garde pas moins une foi solide car il sera fait sous-diacre
à Vivier le 1er mars 1769. (PRIVAT, 1899 : 72)
338Charles Marie de La Condamine : 27.01.1701 -
4.02.1774. Astronome et homme de science français du XVIIIe
siècle. (ALPHA, 1968)
339 Joseph Jérôme de Lalande : 11.07.1732 -
4.04.1807. Astronome français du XVIIIe siècle.
(ALPHA, 1968)
340 René-Antoine Ferchault de Réaumur.
28.02.1683 - 17.10.1757. Naturaliste et physicien français du
XVIIIe siècle. (ALPHA, 1968)
341 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.31.
342 Localité située dans le département du
Rhône en région Rhône-Alpes. (ALPHA, 1968)
343 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.243.
344 Je me réfère là aux dires de
Morangiès et de Mr de la Barthe.
345 Je me réfère aux dires des d'Ennevals et de
François Antoine, porte-arquebuse du roi.
82
extérieur au diocèse administré par Mgr
de Choiseul-Beaupré refusent l'idée selon laquelle la Bête
du Gévaudan serait autre chose qu'un loup, un hybride ou un animal
exotique. Les gens éduqués se refusent donc à croire au
monstre mythologique et ne se privent pas d'en faire état dans la presse
346. On pourrait croire que ce point de vue, qui fait autorité dans ces
milieux, soit une conséquence logique de l'instruction et du
raisonnement. Cela est probable mais il y a je pense une raison plus profonde.
Motivée par l'entretien non directif effectué auprès de Mr
Boisserie, cette réflexion personnelle est fondée sur le fait que
la croyance de mon interlocuteur se base sur deux composantes principales : Les
« signes anomaliques » 347 et la pratique d'un art
divinatoire vernaculaire 348. Ces deux éléments
forment le cadre dans lequel Mr Boisserie donne une réalité
349 à l'animal auquel il croit. Si ces données sont
valables pour Mr Boisserie, en Gévaudan en 2015, qu'en était-il
entre 1764 et 1767 ?
Au Siècle des Lumières, le Gévaudan est,
nous l'avons vu précédemment, une région reculée
qui subit encore le joug d'une organisation quasi-féodale. A
l'époque où la Bête sévit on note une grande
quantité de « signes anomaliques » 350 dans les
descriptions qui en sont faites. Si le peuple illettré,
déjà considérablement traumatisé par la rumeur
s'extasie devant les illustrations cauchemardesques et les récits
détaillés et emphatiques de la presse, la noblesse, elle, a une
grille de lecture différente. Eduquée, ayant des contacts avec la
capitale 351 et même des rois étrangers 352, elle a
à coeur de se différencier du peuple en marquant ses
privilèges et sa différence. Cette dernière ne se
réfère ni à la tradition populaire, ni à la
mémoire locale. Le cadre interprétatif de la Noblesse et des gens
éduqués est délimité par le discours officiel,
qu'il soit politique ou scientifique. Ainsi, si les d'Ennevals et
François Antoine se limitent à la théorie selon laquelle
l'animal serait un loup, la créature du capitaine n'est, et cela
malgré des détails qui quelquefois peuvent paraître
fantaisistes,
346 Nombre d'articles de journaux de l'époque se
réfèrent directement aux descriptions et aux dires des chasseurs
et des nobles locaux.
347 MEURGER Michel, Loc. cit., p 177. Dans ce cas,
des griffures sur les troncs d'arbres d'une forêt connue, des cris qui
rappellent ceux du puma, etc...
348 Par l'utilisation de cet adjectif, j'entends insister sur
le fait que cette pratique est profondément ancrée dans les
traditions, la mémoire locale.
349 Je veux ici insister sur le fait que je ne me prononce pas
sur l'existence de l'animal auquel mon hôte a donné une
réalité. Il est ici uniquement question de l'analyse du processus
qui mène à la croyance en l'existence de cet animal.
350 MEURGER Michel, Loc. cit., p 177. Dans ce cas,
une bête qui présente des caractéristiques anatomiques de
l'hybride, de la hyène, du loup, une raie noire sur le dos, etc...
351 Morangiès père dispose d'un hôtel
particulier à Paris (Information donnée par Alain Bonet au cours
de la conversation téléphonique du 12.01.2016)
352 Jean François Charles de La Molette verra le roi
Stanislas (roi de Pologne et Duc de Lorraine) , ennemi de Louis XV, financer
des fouilles archéologiques où seront découverts des
vestiges romains. Ces fouilles seront entreprises par Morangiès,
après une visite à la cure de Bagnols où il fut
guéri de la tuberculose. Information trouvée sur le site de
Patrick Berthelot :
betesdugevaudan.simplesite.com.
Pour plus de précisions, se référer à la
bibliographie.
83
pas sortie d'un conte de fées. C'est un hybride,
espèce intermédiaire dont la réalité
théorique est établie par Buffon.
Conclusion
Du loup à l'hybride, il semble bien que nous soyons
ici, aussi bien dans le discours officiel que dans le discours des chasseurs et
des nobles, passés d'une interprétation religieuse et
mythologique à une interprétation factuelle proche des
théories scientifiques du siècle de Voltaire. Le cadre
vernaculaire ayant, pour les nobles et les gens éduqués,
laissé place au cadre interprétatif des Lumières, les
croyances de cette couche de la population s'en trouvent affectées. Les
« signes anomaliques 353 » ne mènent pas à la
création phantasmée d'entités extraordinaires car la
culture de la classe sociale qui aurait pu en être la source a
modifié ses références. Il n'y a pas de différence
entre l'analyse logique de l'anomalie et la perception qui en est faite et donc
pas de formation d'un récit. Il n'y a pour la noblesse pas de trace de
croyance particulière en une Bête qui serait autre chose qu'un
animal hybride, exotique ou un loup en bonne et due forme. Pour conclure, on
peut dire que même dans le cas où des chasseurs aient voulu faire
monter les primes 354 en décrivant un animal dangereux,
étrange ou exotique, même si certains chasseurs sont aux prises
avec des difficultés financières et un honneur bafoué, il
est difficile de relever dans les archives des traces de croyances en relation
avec la Bête du Gévaudan dans la noblesse et les populations
éduquées.
353 MEURGER Michel, Loc. cit., p 177
354 La question peut se poser. Du Hamel étant un des
principaux fournisseurs de témoignages directs, il a pu avoir un contact
privilégié avec la presse. Cette éventualité aurait
pu aboutir sur une dynamique dont Du Hamel et Morénas (rédacteur
du Courrier d'Avignon) auraient pu tirer parti, l'un pour faire
augmenter les primes (10.000 livres au plus haut), l'autre pour faciliter les
ventes. Cependant, je ne souscris pas à ce point de vue car, Du Hamel,
et cela dès le début des chasses semble bien avoir
été une victime de la presse. Cette dernière, a de par
l'inexactitude des faits rapportés et le vocabulaire emphatique qu'elle
emploie, plutôt contribué à faire de la Bête une
créature mythologique et de Du Hamel un homme traqué par
l'opinion.
84
CHAPITRE XII
D'un imaginaire chrétien aux figures de la
Bête
Introduction
Comme nous venons de nous en rendre compte, la Noblesse et les
populations éduquées n'ont pas de croyances particulières.
La question est maintenant de savoir ce qu'il en est pour le Tiers-Etat. Issu
d'une culture que tout oppose à celle de la Noblesse, le Tiers-Etat est
sous l'Ancien régime un groupe social où règne
l'illettrisme et la pauvreté. En Gévaudan, une des régions
les plus pauvres du royaume de France à l'époque des faits,
l'isolement et l'organisation quasi-féodale du territoire sont des
éléments qui accentuent encore les différences entre les
classes sociales. C'est donc le prêtre, personnage central car il sait
écrire, qui prend en charge les tâches administratives et le
discours de l'Eglise qui forme l'imaginaire des autochtones.
L'analphabétisme des habitants qui appartiennent au Tiers-Etat a des
conséquences importantes car, ne sachant pas lire, le petit peuple
s'informe à travers les rumeurs ou à l'aide des illustrations qui
sont véhiculées par les colporteurs. Conséquence logique
de l'ignorance, l'impact des images est alors de la plus haute importance.
Après m'être penché sur le rôle du prêtre en
Gévaudan à l'époque des faits, je m'intéresserai au
discours de l'Eglise et sur la façon dont celui-ci est relayé aux
habitants. En prenant soin d'établir de quelle manière la
narration religieuse ainsi que son mode de propagation génèrent
de l'incertitude quant à l'identification de la Bête, j'essayerai
d'en isoler les figures les plus récurrentes. Cela étant
effectué, je me concentrerai sur les références
iconographiques utilisées par la presse dans les estampes qui ont
représenté la Bête du Gévaudan. Les icônes
étant avec les rumeurs parfois le seul moyen de s'informer pour les
illettrés, il me semble essentiel d'en faire une analyse approfondie,
ceci tant du point de vue pictural que du point de vue historique ou
symbolique.
I. Le prêtre, trait d'union entre les habitants et
le clergé
Elément essentiel de la vie des campagnes du
Gévaudan au XVIIIè siècle, le prêtre occupe un
rôle central dans l'organisation sociale et religieuse de la
région. Venant d'un milieu rural, souvent originaire de la province
même où il exerce ses fonctions, il est souvent issu de couches
sociales supérieures. Alliant une parfaite connaissance du terrain et
des personnes qu'il côtoie à un réseau étendu de
relations, il fait le lien entre la société rurale des paysans et
les autorités locales. En tant que représentant de
l'Église, le prêtre se doit de donner aux fidèles les bases
d'une
85
instruction religieuse. Celle-ci est donnée à
chaque messe paroissiale 355. En plus de ces responsabilités,
sa capacité à la lecture et à l'écriture le
prédestine à devoir exercer des fonctions administratives. Ainsi,
c'est par la main du prêtre que les cérémonies religieuses
telles que les mariages ou les décès sont enregistrées
dans les registres paroissiaux et envoyés aux autorités civiles
356. Oreille attentive, le prêtre est aussi très bien
informé. En tant qu'intercesseur entre Dieu et ses fidèles, il a
la confiance de tous et c'est donc tout naturellement que l'on se rend à
la confession pour lui livrer les secrets les plus inavouables. Proche des
populations qu'il administre, il participe aux tâches difficiles et
n'hésite pas à prendre des risques. Par exemple, comme le fait
remarquer Bernard Soulier, le vicaire de Pruniéres, ne recule pas devant
l'eau glacée de la Truyère. Le 7 février 1765, il poursuit
la Bête jusque dans la rivière. « (...)Le vicaire de
Prunières et dix de ses paroissiens se jetèrent dans la
rivière et la traversèrent à pied, et presque à la
nage, nonobstant la rigueur de la saison. Ils suivirent la Bête pendant
longtemps à la trace, la perdirent ensuite dans les bois qui ont
beaucoup d'étendue(...). » 357
Le dévouement du prêtre lui vaut aussi parfois
les foudres des autorités. Ainsi, en 1764 358, l'abbé Ollier,
curé de Lorcières, se permet d'écrire à Versailles.
Il demande alors une baisse de l'imposition pour ses ouailles et invoque le
climat et les ravages de la Bête. La réponse est sèche ! On
le traite d' « écrivain perpétuel » 359 et les
impôts sont maintenus. L'abbé Bouniol, curé de Chanaleilles
et l'abbé Béraud, curé de Saint Alban auront plus de
chance. Auteur d'un récit dramatique relatif à des attaques sur
des enfants, ils réussissent à émouvoir les
autorités, et voient leurs efforts récompensés. Jeanne
Jouve 360 obtient 300 livres 361 et Jacques Portefaix est
pris en charge 362. Comme on peut le voir, le prêtre et
l'Eglise en tant qu'organisation religieuse sont
355 SOULIER Bernard, Loc. cit. p. 206.
356 SOULIER Bernard, Loc. cit. p. 207.
357 Archives départementales de l'Hérault cote
44.
358 La certitude de cette date n'est pas établie. La
lettre en question pourrait avoir été envoyée en 1765.
359 SOULIER Bernard, Loc. cit., p. 210
360 Le 13 mars 1765, Jeanne Jouve, mère de six enfants,
se bat corps-à-corps contre la Bête pour sauver ses enfants. Son
courage force l'admiration. Par une ordonnance datée du 10 avril 1765,
Louis XV autorise le paiement de la somme de 300 livres à
l'intéressée, ceci en considération des « marques
surnaturelles de courage qu'elle a données, malgré sa faible
complexion pour défendre ses enfants en bas âge des attaques de la
Bête féroce qui ravage le Gévaudan » BONET,
« Chronodoc », Loc cit., p. 267.
361 SOULIER Bernard, Loc. cit., p. 210.
362 Le 12 janvier 1765, Jacques Portefaix alors
âgé de douze ans se distingue en prenant la tête d'un petit
groupe d'enfants. La petite troupe, armée de bâtons où
étaient attachées des lames, met l'animal en fuite. Cet
épisode, qui va impressionner la Couronne aura des conséquences
pour Portefaix. Élevé aux frais de l'Etat, il devient,
après des études chez les frères Ignorantins de
Montpellier puis à l'école militaire, lieutenant en
troisième (adjudant) dans l'artillerie royale.
Décédé en dehors du service le 14 août 1785 au
presbytère de Franconville-La-Garenne (Seine-et-oise). Source : Archives
des corps de l'Outre-Mer. Dossier militaire de Jacques-André Portefaix
au SHD de Vincennes. Acte de décès du 14 août 1785,
paroisse de Sainte-Marie Magdeleine de Franconville-La-Garenne, acte
testamentaire du notaire Robert-Guillaume Bouju et lettre de confirmation du
ministre Calonne, AD Montpellier, cote 44. Recherches menées
auprès des services concernés par les membres du Groupe de
recherche « le clavier des Bestieux » en 2015. Ci-dessous
une lettre de Mr de Laverdy datée 19 février 1765 atteste de
l'intérêt qui lui est porté. «(...) Le Roy a
admiré comment un enfant de cet âge a montré tant de
courage et de fermeté dans une circonstance aussi
86
parfaitement intégrés dans le Gévaudan du
XVIIIè siècle. Des sacrements à l'éducation
religieuse ils structurent la vie quotidienne et l'imaginaire des habitants.
Fort de cette constatation, on peut alors prendre la mesure de l'impact produit
par le mandement de l'évêque de Mende. Document daté du 31
décembre 1764, ce document propose une lecture religieuse des
événements et introduit des éléments tirés
des scènes de l'apocalypse.
II. Le mandement de l'évêque de Mende, la
retranscription religieuse d'une calamité
Exposé dans toutes les églises à partir
du 6 janvier 1764, le mandement de l'évêque de Mende est
accompagné de la récitation de prières publiques de
quarante heures. Le contenu de cet écrit est signifiant car il s'inscrit
dans la continuation d'une tradition et d'une rhétorique. En effet,
depuis le Moyen Âge, l'interprétation religieuse des
calamités n'est autre que le « fléau de Dieu » 363.
Ce terme, que l'on peut noter à plusieurs reprises au cours dudit
mandement ne laisse aucun doute sur le sens profond que l'Eglise entend donner
aux attaques de la Bête. Il s'agit bien ici d'une punition
infligée par Dieu, la citation ci-après ne laisse aucun doute sur
cela : « (...) Mais toutes ces choses n'étaient que le
commencement et le prélude d'un malheur plus terrible encore que ceux
qui ont précédé. Vous ne l'éprouvez que trop,
hélas ! Nos Très Chers Freres, ce fléau extraordinaire, ce
fléau qui nous est particulier et qui porte avec lui un
caractère si frappant et si visible de la colère de Dieu
(...) » 364.
Le fléau de Dieu, qui n'est selon
l'exégèse qu'une traduction matérielle du non-respect des
règles édictées par l'Eglise trouve dans
l'interprétation de Mgr de Choiseul Beaupré une justification
très précise. C'est bien la dissolution des moeurs qui en est la
cause 365. Bien que naturelle dans le cadre de la rhétorique
cléricale, cette justification est inscrite dans un discours
théologique complexe, celui du mandement de l'évêque de
Mende. Le tout a, pour être compris par la population, donc
demandé un effort pédagogique important de la part des
prêtres. En effet,
dangereuse et ce trait particulier a frappé sa
Majesté au point qu'elle désire savoir à qui cet enfant
appartient et s'il a déjà eu quelque éducation, ou s'il
serait susceptible d'en recevoir une convenable et d'être utilement
formé à l'art militaire auquel ses talents naturels et ses
dispositions semblent le rendre propre(...) ». Laverdy contrôleur
général des finances. BONET, « Chronodoc »,
Loc cit., p. 162.
363 Le fléau de Dieu se dit d'une calamité qui
s'abat sur une population. Suivant la culture du Moyen Âge, la cause de
la calamité serait induite par le non-respect des règles
données par les textes religieux. (CROUZET, 1963).
364 Extrait du mandement de l'évêque de Mende
365 Tiré du mandement de l'évêque de
Mende, la citation qui suit l'affirme sans ambages, le péché et
le dérèglement des moeurs sont bien la cause des malheurs qui
frappent le Gévaudan : « Quelle dissolution et quel
dérèglement dans la jeunesse de nos jours ! La malice et la
corruption se manifestent dans les enfants avant qu'ils aient atteint
l'âge qui peut les en faire soupçonner. Ce sexe dont le principal
ornement fut toujours la pudeur et la modestie, semble n'en plus
connaître aujourd'hui ; il cherche à se donner en spectacle, en
étalant toute sa mondanité et il se fait gloire de ce qui devrait
le faire rougir ». BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.84.
87
une grande partie de la population ne parlant pas le
français correctement 366, c'est au prêtre qu'il
incombe de traduire et d'expliquer un écrit qui pour la plupart est
incompréhensible. La tâche est ardue. En effet, la traduction d'un
texte est soumise à des contraintes multiples.
III. La traduction du mandement, une interprétation
personnelle du prêtre
La première question que l'on peut se poser est de
savoir si les mots utilisés dans le mandement du 31 décembre 1764
trouvent tous des correspondances dans le patois régional. Dans le cas
où certains mots seraient intraduisibles directement , le prêtre
se trouve dans l'obligation de devoir en expliquer le sens. Cette
éventualité oblige donc le prêtre à produire un
énoncé qui est le résultat de son interprétation
personnelle. Dans le cas où il y aurait des correspondances, la question
est de savoir si le mot français a le même sens que le mot traduit
dans le patois régional. La traduction n'en est pas rendue moins
délicate car, comme l'indique Jules Mazoureau 367 dans un
article publié dans les « Cahiers de l'Association
internationale des études françaises » 368, lorsqu'une
correspondance est possible la simplification ou le délayage sont des
écueils qui sont souvent masqués sous prétexte d'analyse
ou de synthèse 369. Ensuite vient s'immiscer
l'épineuse question du style. En effet, le mandement de
l'évêque de Mende n'est pas n'importe quel document. Le «
léopard de l'Apocalypse » y côtoie la «
volonté de Dieu », et le tout est écrit dans un style
où les images s'allient aux métaphores. Par exemple, si la
Bête se substitue métaphoriquement au « Léopard de
l'Apocalypse », l'image qui en est donnée n'en est pas moins
terrifiante. En effet, c'est bien « le Seigneur qui dirige sa course
rapide vers les lieux où elle doit exécuter les arrêts de
mort que sa justice a prononcés » 370.
Décrite comme rapide, chargée d'exécuter la justice
divine, la Bête est au centre d'une narration où des
éléments stylistiques comme les métaphores sont
utilisés en vue de les rendre signifiants. Au vu de la difficulté
de traduire toutes les finesses sémantiques induites par l'utilisation
de figures de style, il n'est pas sûr que les traductions
proposées dans les paroisses aient été fidèles
à l'original. Enfin, il ne faut pas oublier l'aspect structurel de la
langue. L'ordre des mots, la construction des phrases sont autant d'outils et
de particularités linguistiques qui permettent d'adapter et d'exprimer
la pensée. Ce qui peut ici paraître naturel pour le pratiquant
d'une langue maternelle peut se révéler être une
énigme pour le traducteur. En effet, « l'ordre des
366 Une grande partie de la population du Gévaudan du
XVIIIè parle la langue d'Oc, ou un dialecte dérivé. Le
français est donc assez peu utilisé et parfois mal compris.
(Information donnée par Bernard Soulier au cours de la conversation
téléphonique du 15.02.2016).
367 MAZOUREAU Jules, 20.03.1878-27.09.1964. Latiniste
français, professeur à la Sorbonne, il est l'auteur de plusieurs
publications scientifiques telles que : « L'ordre des mots dans la
phrase latine », « Les articulations de l'énoncé »
ou « La phrase à verbe être en latin ».
368 Cahiers qui traitent de la littérature ou de la
langue française. Ces publications font autorité depuis des
décennies et traitent dans chaque volume de questions concernant
l'histoire littéraire.
369 Ibidem
370 Extrait du mandement de l'évêque de Mende.
BONET, «Chronodoc», Loc cit., p. 84.
371 MAZOUREAU Jules. « La traduction », Cahiers
de l'Association Internationale des Etudes Françaises », 1956,
n°8. p. 149.
88
mots est un élément d'expressivité,
il ne se calque pas, il se traduit » 371. Cette
constatation, pose la question du sens et donne des indices quant au travail
qui fut demandé aux prêtres du Gévaudan il y a de cela plus
de 250 ans. Du français aux patois de la langue d'Oc, il fallait donc
aussi donner du sens à l'ordre des mots.
Comme nous l'avons vu précédemment, le
prêtre est un élément indissociable de la vie et de
l'organisation de la société gévaudannaise du
XVIIIè siècle. Avec le mandement du 31 décembre 1764, il
se trouve dans la situation de devoir traduire et expliquer un document
où le langage métaphorique et les références
à l'Ancien Testament sont utilisés pour décrire une
Bête dévorante. En butte à des difficultés telles
que l'interprétation des correspondances interlangagières, la
retranscription du style ou la transposition dans une autre langue des
particularités linguistiques inhérentes à la syntaxe d'une
langue source, le ministre du Culte a pu faire des erreurs quant à la
traduction de la pensée originale du mandement. De plus, la parole
étant un acte individuel, il paraît très vraisemblable que
l'interprétation des fidèles ait été colorée
par l'opinion personnelle du traducteur.
En conséquence, il semble raisonnable d'avancer que la
retranscription religieuse des événements ait varié de
paroisse à paroisse. Ainsi, il est possible d'envisager que des
habitants de différentes parties du Gévaudan se soient
trouvés en présence d'un problème insoluble. Face à
l'ambiguïté causée par la narration d'histoires multiples et
sans doutes déformées au cours du temps, il leur était
impossible de se faire une idée précise de la nature de l'animal
dévorant dont ils étaient les victimes. Alors, en proie à
une angoisse bien naturelle, le petit peuple était livré aux
conjectures et les théories quant à la véritable
identité de la Bête se répandirent dans la
région.
IV. Les figures de la Bête du Gévaudan, une
dichotomie archétypale
Afin de mener à bien notre analyse il nous faut
maintenant répertorier les caractéristiques avérées
de la Bête, ceci pour tenter d'identifier le type de créatures qui
étaient l'objet des croyances. Pour ce faire, je vais m'appuyer sur une
analyse effectuée par les membres de l'association « Au pays de
la Bête du Gévaudan » qui fut présentée
à Auvers en 2005. Les opinions quant à la forme ou le genre de la
Bête du Gévaudan sont très diverses et viennent de sources
éparses. Cependant, bien que les postulats sur la nature exacte de la
Bête du Gévaudan diffèrent, il existe des constantes.
Premièrement, on peut s'accorder sur le fait que la créature est
inconnue et qu'elle est le plus
89
souvent vue comme un hybride et pas un loup ordinaire. Cette
possibilité est acceptée par la plupart en Gévaudan
372 à l'époque et Du Hamel lui-même
l'écrit 373 dans sa correspondance avec les autorités.
Ensuite, les théories du loup-garou, du démon 374 et
du sorcier 375 sont avancées par le petit peuple. Nous le
savons car Mr de la Barthe et l'abbé Pourcher y font
référence dans leurs écrits. Si l'abbé Pourcher
donne à ces témoignages une créance certaine, Mr de la
Barthe, un gentilhomme campagnard, ne se prive pas d'ironiser et montre par la
même occasion un dédain pour l'opinion populaire.
Concernant les méfaits de la Bête du
Gévaudan, on peut affirmer que les potentialités
avérées de l'animal prêtent aux conjectures. En effet, la
Bête serait d'une agilité inconcevable 376, capable de couvrir 8
lieues 377 par heure et dotée d'intelligence car elle est
maligne et attire ses victimes en utilisant la ruse 378. La
Bête semble aussi être dotée du pouvoir de charmer les armes
à feu, ce qui par la même occasion la ramène au sorcier, et
de se jouer des chasseurs. Elle transformerait, dit-on, la poudre en sable
ou en lait caillé en se moquant de ceux qui lui donnent la
traque 379. On pourrait, si l'on voulait, continuer à relever
les détails relatifs aux croyances présentes dans les archives et
dans les ouvrages consacrés à l'histoire de la Bête.
Cependant, il me semble plus profitable pour cette étude d'isoler des
archétypes ceci pour pouvoir en identifier la forme et les origines.
372 « Cet animal leur parut de la grandeur à
peu près d'un âne, le poitrail fort large, la tête et le col
fort gros, les oreilles plus longues que celles du loup, le museau à peu
près comme celui d'un cochon ». Témoignage d'habitants
du Gévaudan issus du Tiers-Etat. Témoignage de l'abbé
Trocellier tiré d'une étude effectuée en 2005 par les
membres de l'association « Au pays de la bête du Gévaudan
» à Auvers (43 300). Comme le précise Bernard Soulier,
le choix de ces passages montre les affabulations de l'époque, ceci
surtout dans les campagnes. Pour consulter l'étude (mise en ligne), se
référer à la bibliographie.
373« Cet animal est de la taille d'un taureau d'un
an, il a les pattes aussi fortes que celles d'un ours avec six griffes à
chacune de la longueur d'un doigt. La goeulle extraordinairement large, le
poitrail aussi fort que celuy d'un cheval, le corps aussi long qu'un
léopard, la queue grosse comme le bras, et au moins de quatre pieds de
longueur, le poil de la tête noirâtre, les yeux de la grandeur de
ceux d'un veau, et étincelants, les oreilles courtes comme celles d'un
loup, et droites ». Citation tirée d'une lettre du capitaine
Duhamel du 20 janvier 1765. Etude de l'association « Au pays de la
bête du Gévaudan », 2005 Loc cit., p.4.
374« Beaucoup affirment que ce monstre était
un loup-garou, un démon » ( CUBIZOLLES 1995 : 143).
375 Lettre en relation avec une attaque survenue le 11/01/1765
« ...Cet animal est inconcevable, c'est un loup-garou, c'est un
sorcier, c'est le diable en personne... » ( L'Histoire,
numéros 100 à 106, 1987 : 62)
376 « Son agilité est encore plus inconcevable
: il y a trois jours qu'un paysan dont le fusil avait trois fois fait feu, ne
put, avec un grand coutelas dont on fait des sabots, l'empêcher de le
prendre aux reins, quoiqu'il tournât toujours pour l'éviter...
» Lettre de Madame Labarthe à Mr Séguier du 31 octobre
1764.
Étude de l'association « Au pays de la bête
du Gévaudan », 2005 Loc cit., p.11.
377 « La rapidité de sa marche et de ses
courses est, dit-on inconcevable ; car on assure qu'elle fait huit lieues par
heure » Ibidem.
378 «...La méchante bête, pour avoir la
chevrière, pris un chevreau des plus beaux, et sut si bien le faire
souffrir sans le tuer, qu'aux cris de l'animal, la pauvre enfant sortit au
galop pour voir sa pauvre petite chèvre que la bête jeta
aussitôt, et comme l'éclair, elle sauta sur la petite qu'elle
mangea presque entièrement...» Étude de l'association
« Au pays de la bête du Gévaudan », 2005
Loc cit., p.7.
379 « ...Leurs armes à feu sont
charmées. La poudre est du sable, ou plutôt du lait caillé.
Alors, en vigoureux guerriers, ils saisissent leurs sabres (...) et quand ils
arrivent presque auprès d'elle, d'un saut, elle est loin et semble avoir
l'intelligence de se moquer d'eux... ». Étude de l'association
« Au pays de la bête du Gévaudan », 2005
Loc cit., p.14.
90
Comme je l'ai écrit dans les lignes qui
précèdent, il existe un consensus à l'époque sur le
fait que la Bête serait un hybride. Mais un hybride de quoi ? Sur ce
point, les archives nous renseignent. La Bête - et cela est
confirmé à la lecture de la grande quantité des
témoignages - serait une composition originale, une sorte de
métisse, un mélange entre des animaux. Nous avons donc là
un premier type. La Bête est, toujours selon les témoignages, un
hybride zoomorphe. Par cela j'entends une créature dont les parties
(tête, pattes, queue, museau etc...) proviennent d'animaux
différents. Ensuite, et cela toujours en consultant les archives, on
peut se rendre compte d'une autre tendance : l'animal est dans les
témoignages souvent décrit comme étant debout ou sur les
pattes de derrière. La récurrence 380 de ce
détail en fait à mon sens l'indice d'une tendance de fond. Cet
élément est d'ailleurs relevé par Edouard Peyron, un
abbé auvergnat qui exerca ses fonctions au XIXè siecle. Dans un
de ces écrits, il précise que : « Certains ont
pensé que ce devait être quelque homme de bois ou gros singe, et
cela avec d'autant plus de fondement que lorsque cet animal passe quelque
rivière, il se redresse sur ses deux jambes de derrière, et gaye
comme une personne, pourvu qu'il ne soit pas pressé ». 381
L'itération de la description d'attributs de la
personne humaine dans le but de qualifier la Bête du Gévaudan nous
mène donc à autre chose. L'animal qui se dresse sur ses pattes
pour passer le gué des rivières, qui est « gaye »
et qui est « tout le long de la journée debout »
présente des caractéristiques avérées de
l'hybride anthropomorphique. Cette tendance est d'ailleurs rapportée par
Mr de la Barthe dans une lettre 382 à l'érudit
Séguier datée du 31 octobre 1764. A l'énonciation des
détails rapportés, la comparaison entre l'homme et la Bête
ne fait aucun doute.
Au terme de cette petite analyse des archétypes de la
Bête du Gévaudan, nous arrivons à deux catégories
principales : l'hybride zoomorphe et l'hybride anthropomorphique. Dans les
lignes qui suivent, nous allons découvrir que cette dichotomie est aussi
présente dans l'iconographie dédiée à notre animal.
De plus, l'analyse de détails des illustrations qui étaient
distribuées par les
380 La description de la Bête sur deux pattes, marchant
ou dans la position debout est très présente et cela tout au long
des archives. Pour illustrer mon propos, en voici quelques exemples :
« cette bête est tout le long de la journée debout, suit
les chemins qui mènent d'un village à l'autre, passe à
côté des bois sans vouloir s'y fixer » -
«...Tous les habitants de ce village poursuivirent la Bête
jusqu'à une petite rivière qu'elle passa toute droite sur ses
pattes de derrière, et tout de suite elle fut à un autre village
qu'on appelle Pennavayre, et y dévora un enfant sans aucun
empêchement... » En ordre respectif : BONET, « Chronodoc
», Loc cit., p.281. - Loc cit., p.160.
381 PEYRON Edouard, la semaine religieuse du Puy ,Le
Puy, Prades-Freydie,1885, p. 296.
382 « Vous ririez d'entendre tout ce qu'on en dit:
elle prend du tabac, parle, devient invisible, se vante le soir des exploits de
la journée, va au sabbat, fait pénitence de ses anciens
péchés. Chaque paysan, chaque femme fait son histoire ».
BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.40.
91
colporteurs va nous renseigner sur les origines de ces
hybrides imaginaires et surtout sur le sens que veut donner la presse à
l'histoire.
V. La presse, une force à la base d'une incertitude
interprétative additionnelle
En 1764, la France est en paix. Signé le 10
février 1763, le traité de Paris 383 met fin à
la guerre de Sept Ans. Favorable à l'Angleterre, ce traité
entérine la fin du premier Empire colonial français
384 et donne à la perfide Albion 385 la
possibilité d'étendre la domination anglophone sur les
territoires nouvellement acquis 386. La France perd donc, à
la signature de ce traité, son statut de puissance européenne
dominante. Bien qu'appréciée de la multitude, la paix n'est pas
bonne pour tout le monde car la presse tend à en pâtir. La
Gazette de France diffuse à sept mille huit cents exemplaires (dont
20 % à Paris) vers 1750. Deux ans après le début de la
guerre de Sept Ans 387, soit en 1758, la diffusion de la Gazette de France
s'élève à quinze mille exemplaires 388. La
différence est énorme, les bénéfices aussi.
La guerre terminée, les tirages diminuent. La
conséquence directe en est que les profits des gazetiers s'en
ressentent. Il faut donc trouver une histoire qui puisse tenir le lecteur en
haleine. Avec la Bête, la presse pense avoir repéré une
histoire exploitable. L'animal est singulier, il y a des morts, tout semble
annoncer un récit dont les rebondissements assureront les ventes.
Très vite, des réseaux de correspondants s'activent. A
l'étranger, et ceci dès la fin du mois de novembre 1764, la
Gazette de Hollande 389 et la Gazette de Cologne
390 font leurs choux gras des malheurs du Gévaudan.
383 Traité de Paris : signé le 10 février
1763, le traité de Paris met fin à la guerre de Sept Ans. Ce
traité est très favorable à l'Angleterre qui peut,
à partir de cette date, étendre sa domination culturelle et
linguistique sur le monde. (CROUZET, 1963 )
384 Premier Empire colonial français :
réfère à l'Empire constitué sous l'Ancien
Régime. Les territoires concernés à l'époque sont
localisés sur le continent américain et sur quelques comptoirs
disséminés en Asie et en Océanie. (CROUZET, 1963)
385 Perfide Albion : nom donné à l'Angleterre en
France et souvent utilisé de façon humoristique dans la presse.
(ALPHA, 1968)
386 Les territoires nouvellement acquis sont : le Canada, la
rive gauche du Mississippi, le bassin des Grands Lacs, l'Acadie, l'île
royale, l'Isle Saint-Jean, ainsi que quelques îles des Antilles. Les
territoires français aux Indes sont aussi perdus par la France. (ALPHA,
1968)
387 La guerre de Sept Ans : conflit majeur qui se
déroule sur plusieurs continents et ceci de façon
simultanée. Cette guerre oppose le Royaume de France au Royaume de
Grande-Bretagne. La guerre de Sept Ans est, du fait de l'étendue des
territoires sur lesquels elle sévit et le caractère des alliances
dont elle procède, considérée comme étant la
première des guerres mondiales. (ALPHA, 1968)
388 Les informations relatives à la diffusion de la
Gazette de France en 1750 et 1758 sont obtenues par
l'intermédiaire de la page internet de la BNF (Bibliothèque
Nationale de France). Pour accéder à la page
dédiée, se référer à la bibliographie.
389 La Gazette de Hollande : journal imprimé
en Hollande, dirigé par les réfugiés protestants hostiles
à Louis XIV. (ALPHA, 1968)
390 Journal allemand qui s'intéresse tout
particulièrement à l'actualité française. La raison
en est qu'une quantité non négligeable des rédacteurs sont
bulletinistes à Paris avant de partir pour l' « Allemagne ».
(ALPHA, 1968)
92
Souvent vendues par les colporteurs ou placardées dans
les villes et villages, les images imprimées sont pour les
illettrés une source d'information importante et témoignent d'une
volonté avérée des médias à véhiculer
dans les masses un cadre narratif qui se délimite aux créatures
mythiques et fabuleuses. Fortements stylisées, ces illustrations font
référence à des créatures du folklore,
elles-mêmes issues de mythologies plus anciennes.
VI. Les représentations zoomorphiques de la
Bête du Gévaudan, l'animal pluriel
L'iconographie liée à notre histoire est aussi
volumineuse qu'intéressante. Composée de dessins imprimés
à des milliers d'exemplaires, elle témoigne de la vitalité
de la presse de l'époque. Comme nous allons nous en rendre compte, les
illustrations dédiées à la Bête du Gévaudan
dépeignent un animal hors du commun. Alliant des mensurations
monstrueuses à des détails qui semblent sortir du bestiaire du
Moyen Âge, elles forment, avec la culture populaire, le socle commun de
l'interprétation du Tiers-Etat.
Afin d'illustrer mon propos, je me propose de faire l'analyse
de plusieurs icônes. Datée de 1765, l' image intitulée
« Combat de la bête et des sept enfants du Villeret d'Apcher,
dirigés par le petit Portefaix » est représentative du
choix éditorial de la presse. Le caractère dramatique de la
scène et l'apparition de détails que l'on pourrait sans peine
qualifier d' «anomaliques» 391 participent ici à la
création d'un imaginaire. On peut en effet remarquer la forme qui est
donnée à la patte de la Bête.
Située entre le jeune enfant qui se tient la tête
et l'adolescent qui brandit un bâton où une lame de couteau est
attachée, elle est composée de trois griffes qui, si l'on en
mesure la longueur, sont environ deux fois plus longues que la tête de
l'adolescent.
391 Je me réfère ici au sens qui en est
donné par Michel Meurger dans, « Les félins exotiques dans
le légendaire français » Loc cit.
Par « anomalique » Meurger renvoie au mot anomalie,
donc à tout détail qui ne correspond pas avec l'idée que
l'on se fait de la chose en question. Concernant l'image étudiée,
c'est Jay Smith dans, « monsters of the Gévaudan, The Making of
a Beast » Loc cit, qui relève des anomalies. Il
écrit : «(...) the animals left forelegs are visible partly
concealed, vaguely resemble's a dragon's claws, and its taut and wavy coat
resembles (...) , feathers, or scaly reptilian skin (...) «.
Traduction : « Les pattes avant gauches de l'animal, qui sont
quelque peu cachées, ressemblent vaguement à des griffes de
dragon et son manteau ondulé à des plumes ou à une peau
reptilienne ».
93
« Combat de la bête et des sept enfants du Villeret
d'Apcher, dirigés par le petit Portefaix »
Image du combat de Portefaix comme elle est illustrée
à l'époque 392
En plus d'être d'une taille impressionnante, cette partie
du corps de l'animal a une forme très particulière : elle
ressemble du fait du nombre de griffes et la forme des « doigts »
à des représentations bien plus anciennes.
Représentation des pattes d'animaux fabuleux
Patte de sagittaire Patte de dragon Patte de la Bête
XVe, Armenie 393 XVe, Pays-bas 394 1765, France 395
392 Cette image est consultable à la
Bibliothèque Nationale de France, à la référence
suivante : Qbi 17641788. Elle fut selon toute vraisemblance publiée en
1765 (B. Soulier, conversation télephonique, 12.03.2015)
393 Cette image a été retrouvée sur un
site de partage où est hebergé un forum consacré aux
animaux fabuleux. L'icône originale du « signe du Sagittaire
représenté avec une queue à tête de dragon »
est consultable dans l'annexe 19 de cette étude. Pour visiter le
site où l'image a été trouvée, se
référer à la bibliographie.
394 Représentation de Sainte Marguerite luttant contre le
dragon
Source iconographique : Livre d'heures d'Amherst, XVè
siècle., Baltimore, Walters Art Museum, Ms W.167, f.101v. L'image
originale se trouve dans l'annexe 20 de cette étude.
395 Partie choisie tirée de l'illustration du
« Combat de la bête et des sept enfants du Villeret d'Apcher,
dirigés par le petit Portefaix »
94
Tirées d'icônes du XVè siècle et du
XIXè siècle, les représentations des pattes du Sagittaire
ou du dragon peuvent à mon sens être comparées à
celle de la patte de la Bête du Gévaudan. En effet, même si
elles ne sont pas orientées de la même façon, on y retrouve
bien trois « doigts » allongés et munis de griffes.
Si cette manière d'illustrer les attributs d'animaux fabuleux est
remarquable par le fait qu'elle semble indiquer une sorte de récurrence
des modes de représentation, 396 elle ne l'est pas moins du fait de ce
qu'elle représente. Si l'on s'attache à la première image,
nous avons à faire à un Sagittaire. Souvent assimilé au
Centaure 397, il fait partie d'une mythologie qui prédate la
chrétienté. Issu de l'imaginaire de la Grèce antique, cet
être vivait, disait-on sur le mont Helicon 398, en compagnie
des muses 399.
Tirée du « Livre d'heures d'Amherst »
400, un ouvrage XVè siècle, la deuxième
image nous vient des Pays-bas. Mettant en scène sainte Marguerite aux
prises avec un dragon, ce dernier symbolise ici l'image du mal 401.
Créature mythique s'il en est, on le considère au Moyen Âge
comme un animal céleste, aquatique, terrestre, voire souterrain. Si l'on
retrouve le Sagittaire chez les Hébreux 402, les Syriens
403 et même en Inde où il porte un nom différent
selon les langues pratiquées 404, l'origine du dragon, elle,
ne semble pas être délimitée géographiquement. On
trouve des représentations de cette figure imaginaire en Chine, dans des
monuments funéraires 405 du
396 Il faut ici noter que les dragons peuvent être
représentés de manières différentes. Par exemple,
on trouve des dragons à quatre griffes, à cinq griffes ou qui
possèdent des attributs différents selon les époques, les
religions ou les territoires. Cependant, le dragon à trois griffes
semble être assez fréquent pour que l'on puisse y déceler
une sorte d'habitude de représentation. Si cela n'est pas un
début de standardisation des formes, on peut tout du moins remarquer une
récurrence, ceci indépendamment des époques et des
continents. (ALPHA, 1968).
397 Le Sagittaire est une créature mythologique qui est
souvent symbolisée par le Centaure. L'animalité et l'attachement
au monde matériel de l'homme est représentée par la partie
animal du Centaure ( le cheval, partie inférieure ), tandis que la
spiritualité trouve son expression à travers sa partie humaine (
le tronc et la tête humaine, partie supérieure). Muni d'un arc, le
Centaure décoche des flèches, qui, selon l'interprétation
des spécialistes, représentent la « rapidité de
son esprit ». (ANEAU, 2000 : 363)
398 Le mont Hélicon était du temps de la
Grèce antique considéré comme une montagne divine.
Pégase y aurait d'un coup de sabot fait jaillir la source
Hippocrène. (CROUZET, 1963)
399 Les muses sont les filles de Zeus. Elles auraient, selon
la mythologie grecque, vécu sur le mont Parnasse et le mont
Hélicon. Les muses symbolisent les qualités requises pour la
pratique des arts. Elles sont au nombre de neuf : « lio », «
Thalia »,« Calliope »,« Uranie »,« Polymnie
»,« Erato »,« Terpsichore », « Euterpe »
et « Melpomène ». (ALPHA, 1968).
400 Le livre d'heures est à la fin de la période
médiévale, un livre de prières destiné à la
pratique personnelle de la religion. Personnalisés et enluminés
à la demande des acquéreurs les plus fortunés, les livres
d'heures sont quelquefois de véritables oeuvres d'art. (ALPHA, 1968).
401 Souvent considéré comme une créature
maléfique, le dragon peut aussi représenter le bien. On le
retrouve dans différents récits sous la forme d'une jeune vierge
ou du gardien d'un trésor localisé dans une caverne (voir le
mythe du jardin des Hespérides ou celui de la Toison d'or). Dans la
mythologie chrétienne, précisément l'Apocalypse, il
symbolise le mal vaincu par les anges au cours de l'ultime combat
eschatologique. (BULOZ, 1866).
402 Pour les Hébreux, le Sagittaire se nomme «
Kescheth » (ALPHA, 1968).
403 Chez les Syriens, il porte le nom de « Kestho »
(ALPHA, 1968).
404 En pelhvi le Sagittaire est nommé « Vismap
», en brame « Dhanoussou », (ALPHA, 1968).
405 ONIANS John, The atlas of world Art, Blume,
2005. p.46.
95
néolithique 406, dans la mythologie nordique
407, dans les mythes des sociétés grecques
408 et sur la porte d'Ishtar, une des huit portes de Babylone
409.
VII. Un hybride du Moyen Âge
La deuxième icône que je me propose
d'étudier est une parfaite illustration de l'hybride zoomorphe
410. En plus de présenter des « pattes en forme de
doigts armés de longues griffes » 411, elle est, entre autres,
composée de pattes arrière qui sont « comme celles d'un
cheval » 412 et d'une queue « semblable à celle du
léopard » 413
« Figure de la Bête féroce qui ravage le
Languedoc »
Illustration de la Bête du Gévaudan, datée de
1765, imprimée à Bordeaux le 6 mars 1765 414
406 Le néolithique est une période qui
correspond plus à un niveau d'évolution technique et
économique qu'à une époque précise. Elle peut donc
être différente de région à région.
Cependant, il existe un consensus sur le fait que cette période à
commencé en Moyen-Orient, au nord de la Mésopotamie vers le
IXè siècle avant notre ère. Les progrès
inhérents à ce stade civilisationnel se sont ensuite
propagés en Europe vers le septième siècle avant
Jésus-Christ (MARILLIER, 1997)
407 Originaire d'Europe du Nord (Islande et Scandinavie) la
mythologie nordique est présente dans ces régions au cours du
Moyen Âge, et est antérieure à la christianisation dont
l'influence s'exerce du IVè au XIè siècle après
Jesus-Christ. Elle fait partie d'une croyance polythéiste plus large et
se fonde principalement sur les croyances de la mythologie germanique.
(MARILLIER, 1997)
408 Dans la mythologie grecque, les dragons sont souvent
représentés sous la forme de serpents. Ils sont les gardiens de
trésors ou de lieux liés au culte. Par exemple, l'hydre de Lerne,
créature aux têtes multiples dont l'antre se trouvait dans un
marais semait, selon la légende, la désolation dans le
Péloponèse. (ALPHA, 1968).
409 Babylone : au VIè siècle avant
Jésus-Christ, cette cité, alors sous le règne de
Nabuchodonosor II, est une des plus importantes de Basse Mésopotamie.
(CROUZET, 1963)
410 Zoomorphe. Se dit de quelque chose ou de «
quelqu'un » à qui ou à quoi on attribue des
caractéristiques animales.
411 Ce détail est donné par l'éditeur de
l'époque dans la description écrite qui suit l'icône. Pour
découvrir le texte dans son intégralité, se
référer à l'annexe 21 de cette étude.
412 ibidem
413 ibidem
414 FABRE François, La Bête du
Gévaudan, édition complètée
par Jean Richard, De Borée édition, 2001. Complément
historique p.2.
96
Si l'on se rapporte aux éléments constitutifs du
corps de cette entité, il est possible de les rapprocher de classes
iconographiques connues. En effet, dans une étude 415
publiée dans « images re-vues » 416 Franck
Thénard-Duvivier 417, propose une analyse de la figuration de
l'hybridation dans les églises du Moyen Âge. Après avoir
séparé les hybrides dotés de caractères physiques
anthropomorphes des hybrides munis d'attributs zoomorphes, il indique que leurs
représentations sont au Moyen Âge le plus souvent
agrémentées de détails zoomorphes. Ainsi, la queue, la
pilosité, les griffes et les sabots composent la plus grande partie des
traits retenus par les sculpteurs de cette époque, ceci avec
respectivement 65%, 48%, 28% et 25% de récurrence 418. Pour
l'auteur de cette étude, une différenciation importante peut
être établie sur la base du type de pattes
représenté. Les griffes caractériseraient donc des
attributs du « léocentaure », les sabots ceux du
« Centaure ». Comme il l'écrit, il existe même
une créature qui évoque « à la fois le Centaure
et le léocentaure avec des sabots à l'avant et des griffes
à l'arrière » 419.
C'est alors que l'analyse iconographique de l'image ci-dessus
prend tout son sens. En effet, il est tout à fait clair que
l'Illustration de la Bête du Gévaudan, datée du 6 mars 1765
reprend des détails des hybrides du Moyen Âge. Dotée cette
fois-ci de griffes à l'avant et des sabots à l'arrière,
elle se rapproche du « léocentaure » et du «
Centaure » évoqués par Franck
Thénard-Duvivier. Ainsi, du Sagittaire au dragon en passant par le
« léocentaure » et le « Centaure
», les créatures mythologiques zoomorphes transcendent les
époques et les civilisations.
Que ce soit dans le cas de l'icône du « combat
de portefaix » ou dans celui de l'image imprimée à
Bordeaux le 6 mars 1765, des détails tirés d'icônes du
Siècle des Lumières relient la Bête du Gévaudan
à l'imaginaire des sociétés préchrétiennes
et aux sources mêmes des mythes fondateurs des croyances
polythéistes. En conséquence, il est à mon sens ici
possible d'affirmer que nous ne nous trouvons pas ici en face d'un simple
dessin de presse mais d'une allégorie 420.
Faisant par l'utilisation de détails picturaux
référence à des créatures bien différentes
du loup en bonne et due forme, la presse exprime l'idée de la Bête
par l'intermédiaire d'une métaphore qui renvoie au mythe de
créatures fabuleuses. Elle ouvre du même coup la voie à une
narration
415 THENARD-DUVIVIER Franck, « Hybridation et
métamorphoses au seuil des cathédrales », Images
Revues, 6, 2009.
416 Image re-vues : Revue périodique
consacrée à la théorie de l'art, l'anthropologie et
l'histoire.
417 Franck Thénard-Duvivier est docteur en Histoire. Il
est l'auteur de la thèse intitulée « Au seuil des
cathédrales. Culture visuelle et enjeux de pouvoir de Rouen à
Avignon (XIIIé-XIVé siècles) », soutenue
à l'Université P. Mendès-France de Grenoble 2 en 2007.
418 THENARD-DUVIVIER, Loc cit, p.7.
419 THENARD-DUVIVIER, Loc cit, p.7.
420 Allégorie : une allégorie est «
l'expression d'une idée par une métaphore ( image, tableau,
etc....) animée et continuée d'un développement ».
Source : Larousse en ligne.
97
médiatique spécifique,421 celle du
conte. En vue de vérifier cette assertion, je me propose maintenant de
répéter l'analyse sur deux icônes d'un caractère
distinct, celui de l'anthropomorphisme.
VIII. Les représentations anthropomorphiques du
monstre, une Bête qui marche
a) Vrai portrait de la Bête 422 b)
représentation de la Bête dévorante 423
Estampe 424 de 1765, « Bête lion »
Illustration publiée en 1765 425.
Datés de 1765, les dessins ci-dessus furent
publiés par des éditeurs privés. Vendus en librairie et
souvent distribués par les colporteurs, ils étaient
fréquemment collés ou cloués au vu de tous dans les
villages et donnaient aux regardeurs une idée de la forme de l'animal
qui était la cause des ravages dont ils étaient les victimes.
Estampes stylisées s'il en est, ces représentations sont plus
proches du phantasme que de la réalité car elles comportent des
anomalies très reconnaissables.
La première anomalie que l'on peut remarquer est que
l'on se trouve en présence d'animaux qui marchent. En effet, les pattes
arrière sont solidement arrimées au sol et les créatures
se tiennent
421 Si cette assertion est vérifiée par
l'étude de l'iconographie elle n'en est pas moins valable dans le champ
des textes imprimés par les Médias. Morénas, un
journaliste lié au Courrier d'Avignon , utilise une mise en
scène narrative des plus extravagantes (Dans un article du 18 janvier
1765 à propos de Marvejols, il compare même la Bête au
démon). Il ne se prive pas non plus de rapporter des faits inexacts.
Dans un article daté du 16 novembre 1764, il écrit : «
...On écrit du Bas-Languedoc qu'une bête féroce qui a
dévoré à Langogne 22 personnes s'est jetée du
côté de Mende, où elle en a encore dévoré 8
». Lafont est sur les lieux. Il recense 10 victimes. BONET, «
Chronodoc », Loc cit., p.50.
422 La description écrite qui figure au bas de cette
estampe semble indiquer aux lecteurs de l'époque que cette
représentation est fidèle à l'original. En effet, au bas
de cette illustration, il est écrit : « on ne doit plus mettre
en doute la forme et la figure de l'animal qui ravage le jeuaudan". Dont on
parloi avec sipeu de certitude. Pour amuser le public ; en voici le vrai
portrait envoyé à M. le prévost de la quatredale d'Usez
par Mr l'Abbé de Mende qui se trouva à la vue du facheux
spectacle... ». Collection du professeur Grasset de Montpellier
».
423 Image recueillie à la bibliothèque nationale
dans le « recueil Magné de Marolles ».
424 La reproduction de cette estampe se trouve dans l'annexe 22
de ce mémoire.
425 Information donnée par Bernard Soulier au cours de la
conversation téléphonique du 12.11.2015.
98
toutes deux dans la position debout. Bien que semblables du
fait de la manière dont ils semblent se déplacer, ces «
monstres » sont toutefois bien différents. En effet, si la
tête et le corps de l'animal représenté dans l'image
«a» ont plus du lion qui marche que du loup 426,
les attributs de la bête dévorante portraitée dans l'image
«b» se rapprochent, même si la créature semble
aussi marcher, plus de canis lupus. Nous avons là une
différenciation qui n'est pas sans importance, car comme nous l'avons vu
précédemment si l'on pensait déjà à
l'époque que le loup était responsable des ravages
occasionnés par ladite Bête, le comte de Morangies avait, et cela
dès l'hiver 1764, avancé l'idée que le responsable pouvait
venir d'Afrique et qu'il souffrirait beaucoup du « gros hiver
»427. Il semble bien que ce détail confirme que la
presse et les illustrateurs étaient très intéressés
par les événements et qu'ils tentaient d'adapter leurs discours
aux rumeurs du moment. Au vu de la représentation de la «
Bête lion » la volonté de rapprocher la narration
médiatique de celle du conte semble donc ici encore assez claire.
La deuxième anomalie vient du fait que ces
créatures semblent tenir leurs proies. La chose est curieuse
car pour tenir il faudrait avoir des mains, organe préhensile dont les
hommes et les primates sont les seuls détenteurs. En y regardant de plus
près, on peut se rendre compte que nos deux créatures ont une
façon bien humaine d'étreindre leurs victimes.
L'agrandissement des deux images présentées
antérieurement nous révèle que non seulement ces
créatures marchent, mais elles possèdent aussi des pattes
antérieures dont le mode d'utilisation rappelle curieusement celui de
l'homme. Dans l'image a (Vue rapprochée), le monstre à
la tête de lion semble tenir sa victime au niveau du sein droit et par le
dos ; dans l'image b (Vue rapprochée) l'animal qui
dévore la tête de sa victime a saisi sa proie par l'épaule
gauche alors que la patte antérieure droite semble être
posée sur l'avant-bras.
Vue rapprochée de l'image a Vue rapprochée de
l'estampe b
426 Je me réfère à la sorte de
crinière dessinée par l'auteur pour me risquer à cette
comparaison.
427 Lettre du comte de Morangiès à Mr Lafont
datée du 26 octobre 1764. Archives de l'Hérault, cote 43.
99
Comme nous le montre l'analyse des estampes de la «
Bête lion » et de l'autre animal dévorant, nous sommes
ici en présence de deux anomalies. Tendant à rapprocher ces
créatures cauchemardesques des attributs de la personne humaine
428, ces détails picturaux déterminent les
interprétations possibles. En effet, si les créatures
mythologiques sont légion, la quantité de celles qui allient la
bête dévorante qui saisit ses victimes et qui marche avec l'image
du loup 429 est limitée. La position debout, la
présence de détails qui mettent en scène des pattes
antérieures quasi préhensiles et surtout le caractère
meurtrier de la scène forment à mon sens une métaphore
picturale qui ouvre vers le développement d'un récit, celui du
loup-garou. Ce dernier étant un être imaginaire, on retrouve ici
encore, mais cette fois-ci dans des représentations d'entités
à caractère anthropomorphique, la volonté d'orienter la
narration vers le conte.
Ainsi, en plus des interprétations personnelles des
ministres du culte, la presse, à travers un traitement orienté
430 des ravages de la Bête ajoute encore à
l'incertitude ambiante. Comme l'écrit Mr de La Barthe à Mr
Séguier dans une lettre à propos de la Bête datée du
31 octobre 1764 : « On lui a donné tous les noms possibles et
on l'a jugée de toutes sortes de grandeurs. Dans le vrai, on ignore, en
Gévaudan comme à Nîmes, quelle est son espèce...
» Ainsi, du dragon au Sagittaire, du loup-garou à la
Bête lion en passant par le « Léocentaure », la
presse ne propose à travers les illustrations qu'une
réitération de mythes anciens. Il n'y a donc là pas de
création de croyances propres à la Bête du Gévaudan.
Cependant, si cette vision phantasmée de la bête semble bien
exagérée, il est clair qu'à la lecture de la
retranscription écrite des témoignages d'époque, il
ressort que la croyance en la réalité de l'existence d'une
bête extraordinaire n'est pas discutable. Cette concordance des avis
à propos de l'existence d'une entité fabuleuse est exploitable
car elle permet d'apprécier les différences entre
l'allégorie médiatique et les faits rapportés par les
habitants.
428 Le fait de se tenir debout et de se servir des pattes
antérieures de la même manière qu'un homme se serait servi
de ses mains rapproche les créatures représentées de
l'homme.
429 La raison pour laquelle j'ai choisi de citer le loup
à la place de la bête lion est simple. Je pense que la
représentation de la «bête lion » est une
adaptation artistique liée aux dires de Morangiés et aux rumeurs
attachées à une bête qui serait venue d'Afrique. Le mythe
du lycanthrope est celui qui à mon sens se rattache le plus à la
réalité du lieu et de l'époque car il est attesté
par les écrits de Thomas Pennat, auteur anglophone, cité
précédemment. De plus, et ceci pour appuyer mon point de vue, le
mythe dans son universalité a une correspondance dans l'imaginaire
d'autres contrées. Par exemple, dans les légendes africaines ou
indiennes, on trouve l' « homme-crocodile », l' «
homme-léopard » ou l' « homme-tigre ».
430 Il est ici intéressant de constater que l'on
retrouve dans le cas de la presse des indications données par Meurger au
regard du mécanisme qui mène aux constructions légendaires
des populations. Décrivant le processus de l'élaboration d'une
croyance, l'auteur précise que la « réintégration
de l'épisode ( il se réfère ici aux histoires
liées aux félins exotiques) dans un cadre traditionnel »
se fait à l'aide d'un « recours au bestiaire populaire
» . Il semble bien ici que la presse de l'époque ait eu une
connaissance approfondie des croyances et des traditions de la région et
qu'elle ait réintégré un bestiaire dans ses illustrations
dans le but de coller au cadre traditionnel de la culture de son lectorat. En
effet, il semble difficile de croire que l'apparition de créatures si
étranges dans des estampes n'ait pas été mise au service
d'un discours médiatique adapté à la situation. La presse
étant, nous l'avons vu, en crise, la fin aurait justifié les
moyens.
100
Considérée tout à tour comme un sorcier,
un démon, un loup-garou ou un hybride anthropomorphe ou zoomorphe, la
Bête du Gévaudan est aussi décrite comme un animal peu
recommandable et, que ce soit du fait de sa qualification ou de sa
représentation, elle ne semble jamais très loin d'une
créature dont la nature maléfique nous ramène à la
théologie. Le Gévaudan étant, nous l'avons vu, une
région très chrétienne où l'influence des
prêtres est prépondérante, il me semble indiqué
d'inclure dans mon étude une partie qui soit dédiée
à l'évolution des idées de l'Eglise. De plus,
comme l'indique l'analyse picturale, les allégories
répétées des illustrateurs, qui elles-mêmes ne sont
pour la plupart que des retranscriptions graphiques des témoignages
locaux adaptées aux besoins narratifs de la presse, ramènent
toutes à la même idée. Zoomorphes ou anthropomorphes toutes
les entités reproduites présentent de près ou de loin
l'idée d'un changement d'état 431 ou d'une
métamorphose.
Conclusion
Au cours de ce chapitre, il nous a été possible
de nous rendre compte de quelle façon l'organisation sociale du
Gévaudan a impacté le développement des croyances. A cette
époque, le discours clérical produit par un janseniste est
transmis à une population illettrée. Le mandement de Mgr de
Choiseul-Beaupré, est écrit dans une langue difficile et
métaphorique qui n'a rien à voir avec le patois local et qui ne
cadre pas avec le niveau d'instruction des autochtones. En conséquence,
les écrits de l'évêque de Mende doivent être traduits
par les prêtres dans la langue du pays. La traduction d'un document aussi
difficile implique une exégèse de la part du prêtre qui
à son tour ne manque pas d'être réinterprétée
par les habitants. Au final, le tout donne naissance à une incertitude
interprétative qui conduit à une angoisse
généralisée.
La presse, qui se trouve à la sortie de la guerre de
Sept-Ans dans une situation financière difficile voit dans ce
fait-divers la possibilité de renflouer ses caisses. Elle met donc en
place une narration connexe qui, tout en réintégrant des
éléments des croyances locales, oriente le récit vers le
conte. Concernant les créatures représentées dans
l'iconographie de la Bête, elles présentent toutes un
élément commun. Toutes sont de près ou de loin
liées à l'idée de la métamorphose.
Profondément combattue depuis Saint-Augustin, l'idée de la
métamorphose sous-tend la réflexion
431 En effet, toutes les créatures
étudiées se métamorphosent. Le lycanthrope est un
homme changé en loup. Le Centaure « Chiron », fils de
« Philyra » et de « Kronos », victime
d'une flèche empoisonnée, est métamorphosé en
constellation, la constellation du Sagittaire, par « Zeus ».
La représentation de la Bête dans l'icône
dédiée à la bataille livrée par Portefaix
présente des caractéristiques (en particulier celles de sa patte
postérieure) qui n'ont pas grand-chose à voir avec le loup en
bonne et due forme. Le loup s'est donc lui aussi transformé. Enfin,
l'icône intitulée « la Bête féroce qui
ravage le Languedoc » est de part sa constitution en rapport avec le
« Léocentaure » et le « Centaure ».
Le « Centaure » étant assimilé au «
Sagittaire », il porte lui aussi le nom d'une constellation, la
constellation du « Centaure ».
101
théologique de la démonologie du Moyen Âge
et se retrouve dans les témoignages 432 écrits
conservés dans les archives consacrées à l'histoire de la
Bête. A mon sens, cette correspondance n'est pas fortuite.
En premier lieu, elle montre clairement que la presse suit
avec attention le développement des événements en
Gévaudan car les descriptions données dans les archives
écrites sont très souvent retranscrites dans les estampes et
relayées dans le récit et l'imagerie médiatique. Ensuite,
cette correspondance peut être l'indice que la source d'inspiration des
dessinateurs et l'idée que se font les témoins de
l'identité de l'animal à travers les créatures qu'ils
décrivent procède d'une conception antérieure.
Dans le but de résoudre la question posée par ma
problématique je vais, après avoir exposé
l'évolution du concept de métamorphose dans l'Eglise depuis le
début du Moyen Âge, m'attacher à l'étude des
témoignages écrits présents dans les archives. Par ce
biais, j'espère pouvoir établir si les affirmations des habitants
de l'époque se retrouvent dans une réalité
antérieure, ou si les croyances des habitants du Gévaudan sont
originales.
432 « Pendant tout le trajet qu'elles furent en
compagnie de cet homme, en voyant les longs poils de son estomac à
travers la fente de la chemise (...) dans la matinée on avait vu la
Bête dans les environs. C'était, disait-on, le loup-garou qui de
rage voulait empêcher ces femmes d'aller à la messe » -
Paillère, dit Bégou de Pontajou, paroisse de Venteuges,
s'était levé de grand matin. (...) L'homme de la rivière,
s'apercevant qu'il était vu, d'un bond, sortit de l'eau et fut
changé en bête. Alors, elle s'élança avec une telle
fureur vers Paillère, qu'à peine il eut le temps de se fermer
dedans. Et sa frayeur fut si grande qu'il faillit ne pas en revenir... »
BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.130.
102
CHAPITRE XIII
La métamorphose, un concept honni par la
théologie
Introduction
Aux côtés de nombreux témoignages oraux
liés aux traditions vernaculaires, les métamorphoses sont, au
cours de l'histoire européenne, attachées à quatre
légendes principales : l'histoire de l'âne d'or d'Apulée
433, la lycantropie 434, les compagnons de Diomède
435 et l'histoire des enchantements de Circée 436.
Thème prolifique tout au long du Moyen Âge, la
métamorphose, qui puise dans l'histoire européenne son
inspiration dans les mythes grecs, est présente dans la
littérature apologétique et dans la littérature profane.
Bien que très courante cette idée n'est visiblement pas du
goût de l'Eglise car Saint-Augustin la réfute en la qualifiant de
« perfide jeu des démons » 437. L'avis
donné par l'évêque d'Hippone 438 va avoir des
conséquences importantes car un nombre important de croyances
païennes vont au Moyen Âge être considérées
comme des phénomènes diaboliques et de ce fait devenir
répréhensibles. Ainsi, si l'homme-loup passe du statut de
lycanthrope 439 à celui de loup-garou, créature
cauchemardesque et diabolique qui aurait le pouvoir de se transformer à
volonté, c'est que le discours religieux cherche à se
débarrasser du paganisme et applique au monde une dichotomie du bien et
du mal. En effet, et cela est tout à fait clair au vu des procès
intentés auxdites « sorcières » et autres
créatures métamorphes indésirables, il est malvenu
d'attenter à la permanence et à l'unicité de l'oeuvre de
Dieu. Comme nous allons le voir au cours de ce chapitre, le caractère
diabolique des croyances en rapport à la Bête du Gévaudan a
une histoire. Cependant, si ce dernier semble trouver sa source dans la
théologie, les croyances en tant que telles ont une
réalité bien antérieure 440.
433 Écrite au IIè siècle après
Jésus-Christ par Apulée, cette histoire relate les aventures d'un
aristocrate transformé en âne par erreur par sa maîtresse.
(CROUZET, 1963)
434 La lycantropie fait référence aux
transformations de l'homme en homme-loup. (CROUZET, 1963)
435 Cette histoire narre les aventures de Diomède qui
vit ses compagnons changés en oiseaux. (CROUZET, 1963)
436 Enchanteresse de la mythologie grecque, Circée,
disait-on, transformait les hommes en animaux à l'aide de potions et de
breuvages. ( (ALPHA, 1968)
437 HARF-LANCNER Laurence. « La métamorphose
illusoire : des théories chrétiennes de la métamorphose
aux images médiévales du loup-garou ». Annales.
Économies, Sociétés, Civilisations. 40? année,
N. 1, 1985. p.209.
438 Hippone : Ville où Saint-Augustin fut
évêque. ( Aujourd'hui, cette ville se nomme « Annaba »
et se trouve au Nord-Est de l'Algérie). (ALPHA, 1968)
439 Lycanthrope : acception grecque de l'homme-loup. Homme
transformé en loup du fait de la colère de Zeus. (ALPHA, 1968)
440 Par exemple, les croyances en rapport aux
différentes formes de l'homme-loup à travers l'histoire sont le
résultat de la transposition et de l'assimilation au Moyen Âge de
rites très anciens. En effet, au paléolithique supérieur
(entre 35 000 et 10 000 ans avant Jésus-Christ) des os de loups ont
été ensevelis de manière intentionnelle et très
certainement rituelle par les hommes de cette époque. Comme l'avance
Bernard Marillier, il est très probable que les chasseurs aient voulu
s'approprier la force de l'animal dans un but
103
I. Saint-Augustin et la permanence de l'oeuvre de Dieu
Entre le troisième et le quatrième siècle
après Jésus-Christ, Saint-Augustin, docteur de l'Eglise latine
rédige « la cité de Dieu » 441. Au
chapitre XVIII de cet ouvrage monumental, ceci après une analyse des
mythes grecs dont celui de la vénération du dieu «
Lykaios » 442, il déclare que la
métamorphose relève de deux éléments distincts,
« l'irréalité » 443 et le «
diabolique » 444. Le démon serait donc à l'oeuvre et
induirait les hommes en erreur. Bien que redoutable, le malin n'a cependant
pour Saint-Augustin pas le pouvoir de se soustraire à la volonté
de Dieu. Il ne peut altérer son oeuvre. La métamorphose reste
donc de l'ordre de l'illusion ou de l'apparence. Tirées de la
cité de Dieu, ces quelques lignes exposent sa conception : «
assurément les démons ne sont pas créateurs de nature,
s'il est vrai qu'ils réalisent des prodiges semblables à ceux
dont il est question ; ils modifient quant à l'apparence seulement les
créatures du vrai Dieu pour qu'elles ne semblent être ce qu'elles
ne sont pas » 445.
Afin de donner un fondement théorique à
l'idée de l'illusion diabolique Saint-Augustin invente une notion
nouvelle : « le phantasticum hominis ». Sorte de double
fantastique qui apparaît au cours du rêve, il est la «
représentation que le rêveur a de lui-même dans son
rêve » 446. N'existant que par les sens, n'ayant ni
réalité corporelle, ni d'attache avec le rêveur dont il
émane, le « phantasticum hominis » est sujet aux
manipulations démoniaques, et c'est alors l'image manipulée du
« phantasticum hominis » qui est perçue par autrui,
d'où l'illusion. Le sujet est donc, malgré lui, victime d'un
véritable dédoublement.
Bien qu'antérieure à l'idée que se
faisaient les guerriers germaniques de l'âge de fer 447 et aux
pratiques chamaniques, nous pouvons ici remarquer que la conception
augustinienne de la
cynégétique. L'idée est d'ailleurs
concevable car la transformation symbolique du guerrier en loup étant
une partie intégrante des rites d'initiation dans la plupart des
armées européennes de l'époque
préchrétienne, le symbolisme de l'appropriation de la force d'un
animal trouvait déjà un prolongement dans l'art de la guerre.
(MARILLIER,1997 : 78).
441 « La Cité de Dieu » :
Composée de vingt-deux livres rédigés par Augustin
d'Hippone entre 413 et 426 après Jésus-Christ, cet ouvrage est
une des oeuvres majeures de la théologie chrétienne. (CROUZET,
1963)
442 « Lykaios » : ce dieu de la
Grèce antique est à associer à des rites de passage
où le cannibalisme et la transformation en lycanthropes de jeunes
adolescents étaient censés se réaliser sur le mont
Lykaion, en Arcadie. (UNIVERSITE DE PAU, Actes du colloque de la
Société des professeurs d'histoire ancienne, 1990 : 64)
443 HARF-LANCNER, Loc cit., p 209.
444 Ibidem.
445 HARF-LANCNER, Loc cit., pp. 209 et 210
446 HARF-LANCNER, Loc cit., p. 210.
447 Le concept de «Tierkrieger» ou
« guerrier animal » est alors répandu dans toute la
zone d'influence germanique. Chamane ou guerrier, le « guerrier animal
» est supposé être possédé par l'esprit de
l'animal et en détenir les attributs et la force. Nous sommes là
bien loin de toute idée de métamorphose. L'homme reste un homme,
la bête reste une bête. (KROPFELDER, 2015 : 2)
104
métamorphose est en deux points semblables. Il
n'y a pas de métamorphose corporelle de l'homme en animal, et c'est bien
dans un état second 448 que l'homme se «
dédouble ».
Ainsi, l'idée d'un changement de nature des choses, en
d'autres termes une véritable métamorphose n'est pas admise.
Cette idée, qui est centrale dans la pensée théologique
médiévale, va contribuer à en former l'imaginaire.
Dès le IXè siècle après Jésus-Christ, le
Canon episcopi 449 condamne les sorcières, le sabbat et
l'idée des métamorphoses. Le concept est fustigé et mis au
rang des illusions démoniaques, ceci conformément aux
écrits augustiniens.
II. Jean Bodin, un théoricien qui accepte la
réalité de la métamorphose
C'est avec la « Démonomanie des sorciers
» 450, au XVIè siècle, que l'on assiste
à un changement radical. En effet, l'auteur de cet ouvrage
451 soutient que la métamorphose est bien réelle et
conteste même la possibilité de l'existence des vrais loups. Dans
cet extrait tiré de l'écrit cité ci-dessus, Jean Bodin
l'affirme sans ambages, il y aurait bien une transformation de « corps
à corps » : « Mais la chose la plus difficile a
croire, et qui est plus admirable, est le changement de la figure humaine en
beste, et encore plus de corps en corps. Toutefois les procès faits aux
Sorciers et les histoires Divines et humaines et de tous les peuples font la
preuve très certaine » 452.
Conséquence logique d'une telle affirmation, le nombre
de procès intentés aux soi-disant loups-garous augmente, ceci
principalement en Lorraine, dans le Dauphiné, en Bretagne et en
Franche-Comté. L'issue du jugement est presque toujours
l'exécution. Cette conception nouvelle, qu'il est bien souvent possible
de retrouver dans la littérature médiévale, 453
représente une nouveauté qui crée des dissensions entre
les théologiens. En homme prudent, Jean Bodin, va donc modérer
ses propos. Après avoir affirmé que la métamorphose est un
phénomène bien réel, il tente d'adapter son discours.
L'extrait ci-dessous illustre parfaitement cette mise au point. « Dieu
non
448 Les chamanes de l'âge de fer préfèrent
énoncer l'état de transe que le rêve. Les deux notions en
reviennent à dire que le dédoublement ne peut
s'opérer que dans un état second. (MARILLIER,1997 : 78).
449 Canon Episcopi : Ce texte fut écrit dans le dessein
de donner aux évêques et aux ministres du culte le pouvoir
d'éradiquer les arts divinatoires et toutes les pratiques liées
à la magie dans la région dont ils avaient la charge. (ALPHA,
1968)
450 « Démonomanie des sorciers » :
ouvrage du XVIè siècle où l'auteur expose des
théories très différentes de celles qui étaient
communément admises par l'Eglise. HARF-LANCNER, Loc cit., p.
216.
451 Jean Bodin fut un magistrat et un philosophe
français du XVIè siècle. Originaire d'Angers, il est
l'auteur de différents ouvrages dont « les Six Livres de la
république » (1576). (ALPHA, 1968)
452 HARF-LANCNER, Loc cit., p. 216.
453 Les histoires de loup-garou sont nombreuses dans la
littérature médiévale. Retracant les aventures macabres de
ces êtres imaginaires, elles mettent en lumière la dualité
du loup-garou, qui passe périodiquement de l'état d'animal
à celui d'homme en bonne et due forme. Comme exemple, on peut citer :
« Renart le contrefait », 1320, « le lai de
Bisclavret » de Marie de France, 1160-1170 ou une partie du roman de
Gervais de Tilbury, « Otia imperialia », 1209-1214.
HARF-LANCNER, Loc cit., p. 217.
105
seulement a créé toute chose, (...) les
esprits malins n'ont pas la puissance de changer la forme, attendu que ma forme
essentielle de l'homme ne change point »454.
Comme nous venons de le voir, l'oeuvre de Dieu à un
caractère sacré et il est difficile d'en altérer la
nature. Cette affirmation, qui est valable tout au long de l'histoire de la
chrétienté, 455 place donc l'idée de la
métamorphose en général et celle du loup-garou
456 en particulier dans le domaine de la superstition. Activement
combattue par l'Eglise, cette croyance ne sera cependant pas
complètement éradiquée. Elle subsiste en Gévaudan
jusqu'aux années 1980 457, et peut-être bien encore au
jour d'aujourd'hui, 458 dans les campagnes reculées et plus
particulièrement dans les milieux pauvres et peu éduqués.
Fort de l'exposé qui précède, je vais maintenant
m'employer à faire le lien entre les traces écrites de
superstitions trouvées dans les archives consacrées à
l'histoire de la Bête du Gévaudan, les préceptes
augustiniens exposés précédemment et les croyances
anciennes. Comme nous allons nous en rendre compte, l'imaginaire du
XVIIIè siècle est fortement coloré par des conceptions qui
lui sont bien antérieures.
III. Les croyances attachées à la Bête
du Gévaudan au XVIIIè siècle
L'ambition de la dernière partie de ce chapitre est de
découvrir si les croyances du Tiers-Etat en Gévaudan sont
originales. C'est à travers l'examen des croyances
énoncées par les habitants que j'espère pouvoir
établir si ces dernières sont le résultat d'un processus
historique, ou si nous avons affaire à autre chose. Dans le but de
clarifier mon propos, je vais - tout comme dans l'étude des icônes
- procéder par étapes. En premier lieu, je m'intéresserai
aux créatures anthropomorphiques après quoi je porterai mon
attention sur les êtres zoomorphes. J'examinerai donc premièrement
les témoignages liés aux sorcières, à l'homme-loup
puis au diable. Enfin, je terminerai par une étude des hybrides.
454 HARF-LANCNER, Loc cit., p. 216.
455 Il est possible d'observer, et ceci jusqu'à notre
époque, des conséquences de la croyance en ce caractère
soi-disant sacré de l' « oeuvre de Dieu ». Les prises
de position quant au débat sur les recherches génétiques
ne sont à mon sens que ce qui en résulte.
456 Il faut ici définir le « loup-garou »
car celui-ci n'est pas un lycanthrope. C'est un être hybride,
inquiétant et lié à nos peurs et à nos angoisses.
Défini autrefois comme un loup mangeur d'hommes, il est décrit au
XVIIIè siècle par Buffon comme un loup féroce dont il faut
« se garer ». Cette explication rationnelle, qui est
très certainement liée à une certaine
réalité des campagnes, a aussi fait au cours de l'histoire
référence à autre chose. Le loup-garou était un
homme doué de la capacité à se métamorphoser
à volonté et de ce fait, était considéré par
l'Eglise comme une créature démoniaque. (MARILLIER,1997 : 82).
457 Alain Parbeau a mentionné au cours d'une
conversation téléphonique qu'une personne qu'il avait
rencontrée en Gévaudan croyait encore au loup-garou. Le
témoignage relaté par Alain Parbeau date des années
1980.
458 Après avoir visité le Gévaudan
parlé aux habitants, aux chercheurs et aux auteurs, mon opinion
personnelle est qu'il subsiste encore aujourd'hui en Gévaudan un fond de
croyance. En ce qui me concerne, je ne pense pas que l'on croit encore en des
créatures fantastiques dans cette région, mais je persiste
à dire que, dans certains cas extrêmes,
l'éventualité n'est pas à écarter.
106
A. Les créatures anthropomorphiques
Les créatures anthropomorphiques dont il est fait
mention par les autochtones dans les archives écrites sont le/la
sorcier(e), l'homme-loup et le diable. Ces entités présentent un
caractère particulier car elles sont aussi, bien que toutes ne soient
pas représentées dans les icônes 459,
douées du pouvoir de métamorphose 460.
1. La sorcière
Les témoignages attachés à l'existence
des sorcières sont particulièrement intéressants car l'un
est tiré des écrits de Francois Antoine, et l'autre d'une lettre
anonyme. Si le premier écrit confirme la dichotomie des
interprétations du fait du niveau social, le second peut être
l'indice d'une certaine perméabilité 461 des croyances
entre les classes et montre la récurrence de la réaction des
masses au contact d'un danger immédiat.
Présent dans la majeure partie des témoignages
issus des classes supérieures ou éduquées, le
dédain 462 attaché aux croyances du petit peuple est
à mon sens le plus visible dans une lettre de Mr Antoine,
porte-arquebuse du roi et noble de naissance. Dans un courrier adressé
à Mr de Ballainvilliers et daté du 29 juillet 1765, il
décrit les habitants en ces termes : « ces habitants poltrons
comme des poules à marcher la nuit, même à si peu de
distance des endroits où nous sommes, par la frayeur mortelle dont ils
sont remplis de ladite bête, qu'ils croient la plupart être
sorcière » 463. Le caractère de la
bêtise est ici cumulé à celui de la couardise.
459 A l'époque des évènements, on ne trouve
pas de représentation du diable ou du sorcier dans les icônes.
460 L'homme-loup est du fait de sa dualité un
être qui illustre parfaitement la métamorphose. Parfois homme,
parfois loup ou quelquefois un mélange des deux il se situe entre deux
mondes. La sorcière et le diable sont eux passés maîtres
dans l'art de la mystification. La sorcière avait, disait-on le pouvoir
de se transformer en lièvre pour se rendre rapidement sur les lieux de
son choix. Le diable lui a, dans le folklore populaire et
médiéval, une panoplie impressionnante de figures à sa
disposition. Lutin, animal, hybride ou fait homme, il était souvent,
selon la légende, visible dans les forêts profondes. (DEY,
1881)
461 Cet exemple est l'exception qui confirme la règle.
Comme je l'ai écrit précédemment, la noblesse ne semble
pas avoir de croyance particulière en Gévaudan à cette
époque. Aussi, il n'est pas établi que cette lettre fut
écrite par un noble.
462 Au cours de notre histoire, l'éventualité de
l'existence du (de la) sorcier (e) est avancée plusieurs fois et cela
par des personnes appartenant à des milieux différents. En ce qui
concerne la noblesse, il est clair qu'en tant que classe dominante, elle n'y
prête aucune importance et traite le tout sur le ton du dédain et
de l'ironie. C'est le cas de Mr de la Barthe, de son fils et de Mr de Seroin
qui est un noble attaché au service du comte de Clermont. Les
ecclésiastiques, dont l'abbé Trocellier et l'abbé de
Vienne, fustigent la superstition tout en n'omettant pas de critiquer
« l'ignorance » du peuple.
463 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.417.
107
Le détail de l'analyse des archives met aussi en
évidence que l'opinion de la noblesse est parfois contredite,
peut-être même de l'intérieur, mais ceci avec une infinie
précaution. En effet, à la lecture d'une lettre anonyme
adressée Mr de Ballainvilliers, on devine l'existence d'une
réalité alternative dont les références sont bien
antérieures au XVIIIè siècle. La correspondance en
question relate les « morts d'hommes », les «
pertes de bestiaux » les « gelées » et les
« pertes de fruits », le tout agrémenté par la
description de soit disant « sorciers qui fourmillent dans le
monde
» 464.
Bien que l'auteur s'exprime dans une langue qui n'a rien du
patois local 465, il est clair que nous nous trouvons là dans
le cadre d'une interprétation populaire et religieuse 466 car
on retrouve dans des retranscriptions des procès du Sabbat des
détails similaires au témoignage qui figure dans la lettre
anonyme citée ci-dessus. Par exemple, un extrait tiré des
Errores gazatorium 467 nous apprend que les
maléfices des sorciers peuvent « tuer hommes et animaux ou
détruire les récoltes » 468. Aussi, le 30
juillet 1438, « Aymonet Maugetaz », un individu d'une
vingtaine d'années rapporte qu'après une réunion
consacrée à la pratique de la sorcellerie, une « forte
tempête (...)s'abattit sur les récoltes(...) »
469. Ces épisodes, qui semblent mettre en
évidence que le sorcier pourrait être à l'origine
d'intempéries destructrices, trouvent un écho dans la description
de 1765.
C'est en poussant l'analyse de l'idée directrice qui
sous-tend l'argumentation de l'auteur de la lettre anonyme que l'on peut aussi
mettre en lumière un détail important : les catastrophes
naturelles qui sont décrites comme étant le résultat de la
sorcellerie y sont liées à la présence de la Bête du
Gévaudan 470. Cette constatation est signifiante car elle
montre le mécanisme de la désignation d'un bouc émissaire.
Dans ce cas-là, la Bête est assimilée au sorcier et
inversement. Il
464 Lettre anonyme datée du 27 juillet 1766. Archives
départementales du Puy-de-Dôme, cote 1740.
465 Ce détail peut vouloir dire que cette lettre
anonyme ait été écrite par une personne qui a eu
accès à l'enseignement des meilleurs précepteurs, donc
soit un noble ou une personne lettrée. Il peut aussi, dans le cas ou
l'auteur soit un noble ou une personne éduquée, être
l'indice d'une certaine perméabilité des classes
supérieures aux croyances et aux superstitions populaires.
466 Les actions maléfiques des
sorciers(ères) sont synthétisées dans une bulle
papale qui date de 1484. Dans ce document, le « Summis desiderantes
affectibus », le pape de l'époque, Innocent VII,
énumère les crimes liés à la sorcellerie.
Déjà au XVè siècle, ce texte attribue les
dégâts sur les récoltes et les meutres aux sorciers
(éres). (THACKER, 2011 : 36,37,38)
467 Textes anciens en rapport avec la description du sabbat des
sorciers et des sorcières.
468 PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Martine OSTORERO. « La
genèse du sabbat. Autour de l'édition critique des textes les
plus anciens ». Comptes rendus des séances de l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres, 144? année, N. 1, 2000.
p.74.
469 PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Martine OSTORERO, Loc
cit., p. 73.
470 Cette allusion est très claire à la lecture
d'un passage tiré de la lettre anonyme à propos des ravages de la
Bête. Les activités de cette dernière y sont directement
assimilées à la sorcellerie. « (...) je crois que ce
sont des sorciers qui fourmillent dans le monde. Pourquoi tant de
dérangements de saisons, tant de neiges( ...)». Lettre anonyme
datée du 27 juillet 1766. Archives départementales du
Puy-de-Dôme, cote 1740.
108
est donc clair que la figure de la Bête du
Gévaudan se trouve au centre d'un processus d'assimilation.
En effet, si l'on se réfère à deux
études 471 qui ont été faites sur la
sorcellerie, on peut constater que l'assimilation d'individus, d'êtres
étranges ou de groupes sociaux aux sorcier(e)s et autres cohortes
diaboliques, est une idée récurrente au cours de l'histoire. Au
contact d'un traumatisme ou d'un danger immédiat, les communautés
majoritaires recherchent une victime expiatoire et tendent à
marginaliser un groupe ou une entité. Le sorcier, qui selon la
légende se rend au sabbat à tire-d'aile après s'être
métamorphosé 472 en animal, ou se meut sur le dos
d'une bête pour tramer des plans diaboliques en réunion avec
d'autres créatures infernales, représente un ennemi. Malvenue
dans la société des hommes, son image s'est souvent
propagée aux groupes minoritaires et exposés. Par exemple, en
France, vers 1321, on accuse les lépreux d'empoisonner l'eau des
fleuves, ceci en relation à la participation supposée au Sabbat.
L'accusation inclut d'ailleurs immédiatement les Juifs qui eux sont
soupçonnés d'avoir participé à ces crimes
473. Ainsi, des siècles après l'Inquisition et les
bûchers, la Bête du Gévaudan qui n'est dans le
témoignage anonyme et dans celui rapporté par le porte-arquebuse
du roi que la victime d'une assimilation au (à la) sorcier(e) montre
bien l'importance du fait religieux. Comme l'écrit Saint-Augustin, les
sorcièr(e)s et leurs transformations ne peuvent relever que de deux
éléments distincts, l'irréalité et le
diabolique. La Bête, qui elle-même ferait partie d'une
espèce honnie, le loup 474, dont « les yeux brillent
comme des bougies » 475 et qui « sont des oeuvres du diable
» 476 n'est selon moi que la victime de la conjonction d'une
idéologie dominante, celle de l'Eglise de Saint-Augustin et d'un
imaginaire intégré, celui de la superstition.
La création de l'objet de la croyance en la
sorcière semble ici se rapprocher des théories de Meurger. En
effet, l'échec des battues organisées en vue de
l'éradication de la Bête a pu être à la base de la
« réactivation de croyances locales » 477 et doter
ces dernières d'une « valeur interprétative »
478.
471 PARAVICINI BAGLIANI Agostino, OSTORERO Martine, Loc cit.
- HARF-LANCNER, Loc cit.,
472 Ce détail fait de lui un être d'autant plus
détestable car cette croyance est réfutée par
Saint-Augustin et le place de ce fait du côté des êtres
malfaisants.
473 (TAGUIEFF, 2008 : 328).
474 Cet avis sur le genre présumé de la
bête du Gévaudan, est à l'époque partagé par
un grand nombre de personnes
475 Citation tirée du bestiaire médiéval
de Pierre de Beauvais. Citée et traduite de la page internet
dédiée au sujet : «The medieval bestiary, animals in the
middle age». Version anglaise : « The shining of the wolf's
eyes in the night is like the work of the devil, which seem beautiful to
foolish men ». Pour accéder à une information plus
complète, se référer à la bibliographie.
476 Ibidem
477 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.
478 Ibidem
109
2. Le loup-garou
Abondemment relayée par la presse, la figure du
loup-garou provoque, nous l'avons vu au cours de la première partie de
cette étude, l'effroi dans les campagnes françaises du
XVIIIè siècle. Cette créature revient plusieurs fois
à la lecture des documents relatifs à notre histoire et le
témoignage qui suit est, car il fait référence à
deux acceptions différentes de l'homme-loup, à mon sens le plus
propice à nous renseigner sur l'origine de cette croyance
2a. Un témoignage aux références
multiples
Dans la retranscription de l'abbé Pourcher, il est
écrit que, le 27 juin 1765, Pailleyre dit Bégou de Pontajou, un
paysan local, aurait du pas de la porte de sa demeure été le
témoin d'une scène épouvantable. En voici la teneur
narrée par Pourcher : « lorsqu'il fut sorti à la porte
de sa maison, il479 reconnut que c'était bien la lune qui
éclairait (...) l'homme de la rivière s'apercevant
qu'il480 était vu, d'un bond sortit de l'eau et fut
changé en Bête »481.
Ce témoignage est très intéressant car
nous sommes là de façon très claire en présence de
la description d'une métamorphose d'un homme en bête. Bien que la
référence à l'homme-loup ne soit pas explicite, deux
éléments tendent à confirmer cette hypothèse. En
effet, nous pouvons déjà remarquer la présence de la lune
lors de la métamorphose. Etabli pour la première fois
par Gervais de Tilbury, un écrivain et un homme politique du Moyen
Âge, le rapport entre les métamorphoses de l'homme en loup et la
pleine lune est décrit dans Otia Imperialia 482 dont
le titre se traduit par : « Les Divertissements pour un empereur
». Dans cet ouvrage du XIIIè siècle, il est même
précisé que des métamorphoses prennent place en Auvergne
483. Durant le XIIIè siècle, l'homme-loup, qui est
connu sous le nom de « leu garoul » 484, est
considéré comme une créature démoniaque
douée de la capacité de se transformer à volonté et
son existence est acceptée par le plus grand nombre.
479 Le sujet (il) fait référence à
l'observateur de la scène, Pailleyre dit Bégou de Pontajou.
480 Le deuxième sujet (il) décrit l'homme
qui se transforme.
481 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.130.
482 Cet ouvrage était, un peu comme dans une
encyclopédie ou comme dans un dictionnaire, supposé rassembler
les connaissances du moment. (CROUZET, 1963).
483Citation : « Je sais seulement que chez
nous il arrive journellement, dans le cours des destinées humaines, que
certains, aux changements de lune, se transforment en loups. Nous savons en
effet qu'en Auvergne, dans l'évêché de
Clermont, le noble sire Pont de Capitoul avait dépouillé
de ses biens Raimbaud de Pinet, un soldat très exercé au
maniement des armes. Celui-ci, devenu errant et fugitif sur la terre ,
parcourait seul, comme une bête sauvage, les endroits
écartés et boisés ». Extrait tiré d'une
page internet dédiée à l'étude des légendes
et des mythes (
arcanum.com) . Se référer
à la bibliographie pour obtenir des informations plus précises
sur cette page.
484 Le terme « leu garoul » voit le jour en
France au XIIIè siècle. Cette expression vient de « garwall
» mot dont l'origine vient du latin « gerul phus »
terme lui-même dérivé du francique «
wari-wulf ». La signification originale de « wari-wulf
» est « homme-loup », d'où la confusion
avec le lycanthrope dont le sens (homme loup) est le même mais qui fait
référence à autre chose. (MARILLIER, 1997 : 83)
110
Par exemple, Sigsimond, un prince attaché à la
maison du Luxembourg qui vécut au XIIIè siècle, sans doute
effrayé par l'idée d'une telle abomination, questionne à
l'époque les théologiens. La réponse de ces érudits
est sans appel : « on devrait croire à leur existence et il y
aurait hérésie à ne pas y croire » 485.
Fort de ces observations, il est je pense possible de voir
entre la retranscription du témoignage de Pailleyre dit Bégou de
Pontajou et l'histoire des croyances exposée ci-dessus une relation
assez claire. En effet, et cela tout comme au XIIIè siècle, la
transformation d'un homme en une Bête dans le Gévaudan du
XVIIIè siècle est mise en rapport avec la présence de la
lune. De plus, si l'on s'attache à la lecture attentive de faits
consignés dans la même retranscription on peut se rendre compte
que Pailleyre dit Bégou de Pontajou eut une « frayeur (...) si
grande qu'il faillit ne pas en revenir » 486, ce qui
pourrait vouloir dire que ce dernier ait été influencé par
les peurs du Moyen Âge et donc par la figure du « leu garoul
»
Ensuite, il semble bien que la retranscription du
témoignage de Pailleyre dit Bégou de Pontajou fasse écho
à une réalité encore plus ancienne. En effet, vers 400
avant Jésus-Christ, Hérodote mentionne un rituel attaché
à la transformation d'hommes en loup en Scythie, une province de la
Grèce antique située au nord de la Mer Noire. Faisant
référence au mythe grec de la lycanthropie, ce rituel nous
ramène à l'Antiquité et à Lycaon, fils de
Prônée et roi d'Arcadie. Ayant élevé un temple
où des sacrifices humains étaient pratiqués en faveur de
Zeus, Lycaon fut honoré de la visite de celui-ci. En guise de bienvenue,
Lycaon l'invita à se mettre à table et lui servit de la chair
humaine. La colère de Zeus fut terrible et le roi d'Arcadie fut
changé en loup. Il devint par la même occasion le premier
lycanthrope. La possibilité pour lui de recouvrer la forme humaine
était, tout comme dans le rituel décrit 487 par
Hérodote, liée au franchissement d'une étendue d'eau.
Comme nous l'avons lu dans les lignes qui
précédent, dans la mythologie grecque le lycanthrope doit
accomplir un rite de passage pour passer d'une forme à une autre. Pour
ce faire, il doit traverser un lac ou une rivière. Le fait que l'homme
de la rivière décrit dans la retranscription du témoignage
de Pailleyre dit Bégou de Pontajou soit changé en bête en
quittant l'élément liquide
485 BOSC Ernest, Glossaire raisonné de la divination,
de la magie et de l'occultisme, 1909, Ligaran. p.22.
486 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.130.
487 Ce rituel incluait un ensemble de rites de passage
où les participants figuraient la résurrection en revêtant
un masque ou une peau de loup. Aussi, le franchissement d'un fleuve et la
consommation de viande se pratiquaient dans le contexte d'un
cérémonial où la nudité des participants ajoutait
encore au caractère bestial de l'ensemble. Ces
célébrations étaient périodiques et se
reproduisaient annuellement ou tous les neuf ans. On pense aujourd'hui que ces
coutumes sont à rattacher au fait que les lycanthropes étaient
des prêtres ou une confrérie qui se vouait au culte de «
Zeus lycaos » dont la traduction est « Dieu loup ».
(MARILLIER, 1997 : 80)
111
semble indiquer que nous soyons en présence d'un
changement d'état induit par une « eau des transformation
». Ainsi, cette retranscription est doublement interessante car elle
fait selon moi référence à deux croyances
éloignées de plusieurs millénaires. La première et
cela du fait de la présence de la lune la lie à une acception de
l'homme-loup qui nous vient du Moyen Âge, celle du « leu garoul
». La seconde la rattache du fait de la symbolique de l'eau au mythe
du lycanthrope grec.
Du point de vue de l'élaboration de l'objet de
l'homme-loup à l'époque de la Bête du Gévaudan, il
me semble clair que nous pouvons invoquer la présence de
«cycles narratifs unifiés par la croyance » 488
antérieurs au témoignage de Pailleyre dit Bégou de
Pontajou. Aussi, il ne faut pas oublier le rôle de la presse qui, en plus
de multiplier l'impression d'icônes pour le moins fantaisistes, s'est
focalisée sur la création d'une « topographie »
de la Bête du Gévaudan. En effet, le rappel continuel des
itinéraires de l'animal et de ses ravages a très certainement
participé à l'établissement de sa légende.
3. Le diable
Quiconque s'attelle à la lecture des archives et des
documents consacrés à notre histoire peut remarquer que la
Bête du Gévaudan est souvent associée à la figure du
diable. De plus, l'étude des écrits consacrés à la
Bête montre que l'animal partagerait un nombre important de traits de
caractère avec celui-ci. Pour comprendre les origines de ces
attributions, intéressons-nous maintenant aux bestiaires
chrétiens et en particulier au « Physiologus » un
bestiaire daté du IIè ou du IVè siècle.
Au Moyen Âge, la caractérisation des bêtes
de la création est binaire et les attributs physiques de ces
dernières sont utilisés afin de développer un discours
moral et mystique. Par exemple, si l'on se réfère au Physiologus,
on peut remarquer que le renard est hypocrite car il simule la mort pour
dévorer les oiseaux : « le renard est très rusé.
Quand il a faim et ne trouve rien à manger, il cherche un endroit
où il y ait une terre rouge, et s'y étant roulé, il se
couche sur le dos ; après quoi, retenant son souffle, il s'enfle ; les
oiseaux, le croyant mort, descendent du ciel pour s'en repaître, mais il
s'en saisit alors et les dévore » 489. Cette
description est dans le même ouvrage suivie par un discours moralisateur
qui assimile le renard au diable car sa technique de chasse est
assimilée à la fourberie : «Il en est de même du
diable, tricheur dans toutes ses oeuvres. Quiconque
488 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.
489 CARMODY Francis J. « Le Diable des bestiaires »,
« Cahiers de l'Association internationale des études francaises
», 1953, n°3-5. p.79.
112
mangera de sa chair mourra ; ses oeuvres sont
l'adultère, la fornication, la luxure, le vol et autres choses
semblables » 490.
Si tous les animaux présents dans le «
Physiologus » sont décrits et classifiés, c'est la
description du loup qui pour nous est la plus signifiante. En effet,
le loup, y est dépeint comme une
créature repoussante où se fondent « les
caractères de la hyène du singe et du renard »
491. Comme nous l'avons
déjà noté au cours de ce travail, les symboliques du loup
et de la hyène sont au Moyen Âge particulièrement
chargées de sens et se rapportent très souvent au diable. Voyons
maintenant la symbolique attachée au singe.
Le singe est, si l'on en croit le bestiaire
médiéval et les histoires qui circulent à l'époque,
victime d'une réputation pour la moins scabreuse. Camaldule
492, un savant qui côtoyait la cour pontificale au XIè
siècle, rapporte que des rapports sexuels auraient eu lieu entre
l'épouse du comte de Ligurie 493 et un singe
apprivoisé. Le « physiologus », lui, l'assimile
directement au Diable 494. Cette réputation sulfureuse lui vaut
d'ailleurs d'être représenté enchaîné dans
l'art roman car il est, dit-on, associé au péché ou muni
d'un miroir ceci en relation à sa vanité.
On pourrait croire qu'un document dont l'origine remonte au
Haut Moyen Âge n'ait aucune influence plus d'un millénaire
après sa création. L'analyse des sources nous montre que cette
assertion semble être fausse. En effet, la hyène, le singe
et le renard sont présents dans les archives et comparés
à la Bête du Gévaudan. Si l'on considère les
lettres, les témoignages, les articles, les poèmes et les
rapports en tous genres, on dénombre respectivement, 90, 14 et 19
occurrences de ces animaux dans les archives. L'évocation d'animaux
associés au loup, lui-même considéré par Pierre de
Beauvais comme un être maléfique et peu recommendable
495 est très intéressante car tous ces animaux nous
ramènent à l'idée du mal et au discours moral et mystique
du « Physiologus » ainsi qu'à d'autres histoires dont
l'origine remonte au Moyen Âge. Comme nous allons le voir dans les
490 Ibidem
491 CARMODY, Loc cit., p.85.
492 Camaldule : Moine érémitique du XIé
siecle, il devient Saint Romuald à sa mort en 1027. La date de sa
naissance est inconnue (ALPHA, 1968).
493 Ligurie : région de l'Italie localisée dans
le nord-ouest du pays. La capitale de cette province de la péninsule
italienne est Gênes. (ALPHA, 1968).
494 « Au Moyen Âge (...) les auteurs de
bestiaires et d'encyclopédies et les prédicateurs reprennent des
anecdotes anciennes qu'ils recouvrent d'un vernis chrétien. (...). De
nombreux bestiaires reprennent l'idée du singe diabolique ».
GAUDRON Amandine, Le singe médiéval. Histoire d'un
animal ambigu : savoirs, symboles et représentations,
Paris, Sorbonne, 2014. (Thèse de doctorat)
495 Le loup aurait les « yeux qui brillent comme des
bougies » et qui seraient «des oeuvres du diable ».
Il est au Moyen Âge une créature redoutée et souvent
apparentée au diable. Citation tirée du bestiaire
médiéval de Pierre de Beauvais. Citée et traduite de la
page internet dédiée au sujet : «The medieval bestiary,
animals in the middle age». Pour accéder à une
information plus complète, se référer à la
bibliographie.
113
lignes qui suivent, les « traits de
caractères » supposés du singe, du renard et
de la hyène sont aussi visibles dans certaines des retranscriptions des
méfaits de la Bête du Gévaudan.
Le singe, dont les traits de caractère confinent entre
autres à la luxure, trouve à travers les méfaits de la
Bête du Gévaudan une possible illustration de sa nature perverse.
En effet, les archives contiennent des commentaires qui impliquent une
préférence de la bête pour le Beau sexe 496. Ces
commentaires sont parfois assez explicites et font quelquefois directement
référence au diable. Par exemple, dans deux extraits tirés
respectivement du livre de l'abbé Pourcher et d'une lettre de Mr de la
Barthe, on peut lire : « (...) Quand on vint pour ramasser les restes
de cette malheureuse fille, on trouva que la couture du devant de sa robe avait
été décousue, comme si une personne l'avait fait. »
497 ou « il 498 mange de fort belles filles,
qu'à juger en diable, il gagnerait bien plus à tenter et à
s'en servir pour tenter les hommes ». 499
Le renard, qui est dans le « physiologus »
une bête rusée et fourbe voit lui aussi une illustration de
sa nature supposée dans les archives. En effet, la Bête du
Gévaudan utilise la ruse pour parvenir à ses fins . Elle se
« couche ventre à terre et rampe » 500 et ne
paraît alors « pas plus grande qu'un gros renard »
501. Du « mauvais goupil » 502 du «
physiologus » à la « mauvaise bête »
503 du greffe de la Prévote Royale de Langeac, la comparaison est
ici visible jusque dans la langue.
La hyène, elle, est une bête très
particulière. Dans le bestiaire médiéval, elle est vue
comme un chasseur redoutable qui dévore hommes et animaux
504. Elle est aussi supposée roder aux abords des villages
à la recherche d'une proie facile. Créature
considérée comme imaginaire 505, elle est de ce fait
comprise dans la catégorie des hybrides. Tous ces éléments
en font une créature comparable à la nature supposée de la
Bête du Gévaudan. En effet, la Bête est elle aussi
décrite comme une
496 Ceci peut s'expliquer par le fait que les filles et les
jeunes filles étaient les plus faibles et donc les plus enclines
à être attaquées. Cependant, les descriptions de Mr de la
Barthe (robe décousue) et celle de la lettre de Marvejols (mise
côte à côte de « forts belles filles » et
de la « tentation des hommes ») semblent indiquer que dans
certains témoignages, l'idée de la luxure est bien
présente.
497 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.606.
498 « Il » fait référence au
monstre et par association à la Bête du Gévaudan
499 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.275.
500 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.46.
501 Ibidem
502 CARMODY, Loc cit., p.83.
503 Archives de la Haute-Loire 180-B-62. « minutes du
greffe de la Prévôté Royale de Langeac ».
504 PASTOUREAU Michel, Gaston SUCHEAUX, Op.cit, p.
79.
505 Les animaux imaginaires des bestiaires
médiévaux sont pour la plupart des hybrides. L'Hippogriffe y
cotoie le Griffon et la Licorne.
114
sorte d'hybride 506. Tout comme la hyène, la
Bête est un redoutable chasseur qui dévore les hommes ou les
animaux, et qui rode près des maisons et des villages 507.
Comme nous avons pu nous en rendre compte, le loup, qui par
les animaux auxquels il est associé dans les bestiaires
médiévaux devient l'expression personnifiée des
péchés des hommes, trouve une illustration de sa nature
supposée dans les méfaits de la Bête. Maligne,
peut-être même tentée par le beau sexe, la Bête du
Gévaudan est associée au diable car elle en devient l'incarnation
naturelle. Enfin, son hybridation supposée en fait un être
transgressif car elle sort de la norme augustinienne qui refuse l'idée
d'un changement de la nature des choses et altère de ce fait l'oeuvre de
Dieu.
La création de l'objet du diable est ici selon moi
fondée sur le modèle traditionnel de l'imaginaire du loup en tant
que tel. En effet, comme l'écrit Pierre de Beauvais au XIIIè
siècle, le loup n'est pas une créature fréquentable,
«ses yeux brillent comme des bougies ; ce sont des oeuvres du diable,
qui sont belles et plaisantes pour les fols gens, et pour ceux qui sont
aveugles de coeur» 508. Doté de tels
antécédents l'assimilation du loup au diable paraît bien
naturelle.
B. Une créature zoomorphe, l'hybride
J'ai décidé de mettre le titre de cette partie
au singulier car je me réfère ici à la pluralité
des descriptions du caractère hybride d'une seule bête, la
Bête du Gévaudan. En effet, tantôt tirant vers le cochon,
vers le chat, le veau ou autre chose, notre animal est dans cette histoire
l'expression d'une entité insaisissable et plurielle. Tiré d'une
lettre de Paris reprise dans le « Courrier d'Avignon » le 23
novembre 1764, l'extrait ci-dessous illustre parfaitement cette idée :
« Un hôte de Langogne, qui l'a vu, et à qui la frayeur
qu'il en eut a causé une grosse maladie, l'a dépeint long, bas,
d'une couleur fauve, une raie noire sur le dos, la queue longue, les griffes
fort grandes.
506 Les attributs de la Bête du Gévaudan en font
un animal qui, tant par la taille que par la couleur ou la forme,
confère au cheval au taureau ou au cochon. L'extrait ci-après est
une illustration de ce mélange :« cet animal est de la taille
d'une vache ou taureau d'un an, la gorge et le ventre blancs, le poil du corps
rouge et pas plus long que celui d'un loup, une bande noire le long du dos,
dont le poil est fort long, la queue longue comme celle d'un cheval, fort
touffue et rougeâtre,(...) les yeux grands et étincelants et le
museau de la longueur de celui d'un cochon avec cette différence que le
bout du museau baisse au lieu de se lever. La gueule est extraordinairement
large (...). Les dents longues sont larges, pointues par le bout et distantes
d'un demi-poucel'une de l'autre. Les oreilles droites et pas plus longues que
celles d'un loup ». Lettre du capitaine Du Hamel au comte de Moncan.
Archives départementales du Puy-de-Dôme. Cote 1731.
507 Cette assertion est vérifiable. La Bête a,
entre 1764 et 1767, attaqué des hommes des femmes et des enfants aux
abords de leurs demeures.
508 Citation tirée du bestiaire médiéval
de Pierre de Beauvais. Citée et traduite de la page internet
dédiée au sujet : «The medieval bestiary, animals in the
middle age». Version anglaise : « The shining of the wolf's
eyes in the night is like the work of the devil, which seem beautiful to
foolish men » Pour accéder à une information plus
complète, se référer à la bibliographie.
115
Un curé, qui l'a chassé à la
tête de ses paroissiens, et qui dit l'avoir vu 3 fois, l'a
représenté long, gros comme un veau d'un an, de même
couleur, la raie noire, et le museau comme celui d'un cochon. Divers paysans le
figurent à peu près de même, avec cette seule
différence qu'ils donnent à sa tête la ressemblance de
celle d'un chat, qui n'en a certainement aucune avec celle d'un cochon
».
A l'époque des faits, l'idée de l'existence d'un
hybride zoomorphe monstrueux 509 nous replace dans un
contexte bien antérieur à celui du XVIIIè siècle et
peut nous aider à comprendre la peur qu'éprouvaient les
habitants. En effet, nous sommes là en présence d'une
entité fantastique qui n'est pas perçue à travers ses
« caractéristiques mais par sa dimension allégorique ou
symbolique » 510. En liaison directe avec la pensée
médiévale, cette interprétation ouvre l'imaginaire des
habitants à un bestiaire où l'opposition entre le réel et
les chimères n'est pas clairement établie. La lecture des
événements est donc ouverte à toutes les conjectures.
Aussi, dans une région très chrétienne dirigée par
un janséniste, la Bête du Gévaudan pose un problème
théologique ardu car, en plus des méfaits dont elle est la cause,
elle pourrait incarner la négation du caractère permanent de
l'oeuvre de Dieu. En effet, si le caractère de l'hybridation est peu
recommandable aux yeux de l'Eglise, la théologie l'accepte si et
seulement si elle présente le caractère de l'immuabilité.
Rejoignant ainsi la théorie augustinienne de la permanence de l'oeuvre
de Dieu, les hybrides nés hybrides ont dans la création
une place définie 511. Le changement d'état
transitoire est lui un vice absolument rédhibitoire car les
véritables hybrides, eux, ne changent pas de forme 512.
Au vu des témoignages qui circulent en Gévaudan,
la Bête ne semble pas seulement se contenter d'être un hybride. La
multiplicité des descriptions et des icônes qui circulent à
son sujet en font aux yeux du monde une entité polymorphe douée
du don de métamorphose. Perçue par les habitants illettrés
à travers sa dimension allégorique ou symbolique la Bête
est vue comme un être transgressif. Elle représente le mal en
opposition à l'ordre divin. D'une façon générale,
il est à mon sens possible de considérer que la figure de
l'hybride zoomorphe telle qu'elle est décrite dans les lignes qui
précèdent participe à un renforcement de
l'inquiétude en Gévaudan. Sa dimension
509La Bête du Gévaudan est à
l'époque bien considérée comme un monstre. Ci-après
une citation du capitaine Du Hamel « Voilà, M., le monstre tel
qu'il est et d'après la peinture que j'ai l'honneur de vous en faire, je
crois que vous penserez comme moi que cet animal est un monstre dont le
père est un lion ; reste à savoir quelle en est la mère
» Archives departementales du Puy-de-Dôme. Cote 1731.
510 THENARD-DUVIVIER Loc cit., p.4.
511 Les sirènes ne sont pas
considérées comme des êtres maléfiques car
elles ne sont - d'après la théologie - pas douées du don
de la métamorphose. THENARD-DUVIVIER Loc cit., p.10.
512 L'hybride est, elle aussi, mais cette fois-ci de par sa
nature même, une créature ambiguë. L'Eglise en distingue deux
sortes. Les hybrides nés hybrides, qui ont selon la
théologie une place dans la création car ils ne se transforment
pas, et les hybrides métamorphes. Ces dernièrs n'ont, parce
qu'ils se métamorphosent, pas de place dans la création. Ils sont
donc considérés comme des créatures démoniaques.
THENARD-DUVIVIER Loc cit., p.10.
116
symbolique est en quelque sorte une « caisse de
résonance » qui vient amplifier les peurs et qui contribue
à « réactiver les croyances locales » 513
Conclusion de la troisième partie
Au cours de la troisième partie de cette étude,
j'ai tenté de mener une analyse sectorielle des croyances
attachées à la figure de la Bête du Gévaudan. Le
travail effectué en rapport à la noblesse et aux populations
éduquées montre que ces dernières n'ont pas de croyances
particulières. De plus, il semble que ces couches sociales, qui
appartiennent à des cadres sociaux distincts, veuillent se
démarquer en dénigrant l'approche traditionnelle des autochtones.
Il apparaît donc que les classes fortunées en cette moitié
du XVIIIè siècle aient déjà tourné le dos
aux valeurs du passé et qu'elles aient adopté un modèle
fondé sur l'analyse et l'intérêt.
En plein essor, la presse nous montre une autre
réalité. Fonctionant en réseau, elle propose une narration
particulière qui met en scène des créatures mythologiques
en rapport aux croyances du petit peuple. Les images imprimées à
l'époque réintègrent la figure de la bête du
Gévaudan dans un cadre traditionnel la reliant à l'imaginaire des
bestiaires du Moyen Âge 514. Le récit alors
proposé transforme un fait-divers en une histoire tout droit sortie des
contes et par la même occasion favorise l'augmentation des tirages.
Le Tiers-Etat, composé pour la majeure partie
d'illettrés ayant des rapports avec les prêtres locaux, est lui
victime du cadre sociétal dont il est issu. Ici, le dogme religieux
participe au renforcement d'un référentiel mythologique et la
presse, véhicule d'une incertitude interprétative
avérée, propose un monde imaginaire où le merveilleux fait
place à l'analyse. Aussi, le fait que les créatures
évoquées par les autochtones soient toutes associées
à la métamorphose et à une histoire qui
précède le XVIIIè siècle, indique que l'origine des
croyances qui sont révélées par les archives est
antérieure à l'arrivée de la Bête. Enfin, comme il a
été possible de le constater au cours de la lecture de la
troisième partie de ce travail ainsi que dans celle qui lui
précède, il semble bien que la création de l'objet des
croyances en général suive un processus similaire et qu'il ne
soit pas circonscrit aux époques 515.
513 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.
514 Pour certaines des images, les références sont,
comme nous l'avons vu, bien plus anciennes.
515 En effet, l'élaboration de la figure du «
puma du Gévaudan » et celle de la figure de la «
Bête du Gévaudan » semblent suivre un processus
similaire. Des « signes anomaliques » donnent naissance
à un « puzzle spéculatif » qui est à
son tour amplifié par la presse. La différence entre les deux
objets imaginés est délimitée par le cadre (dans ce cas,
le cadre de l'Ancien régime et celui de la Modernité) dans lequel
se déroule le processus.
117
CONCLUSION GENERALE
I. Les figures de la Bête, un ensemble issu d'un
processus social et historique
Au cours de cette recherche, mon but a été de
découvrir si l'apparition de la Bête du Gévaudan a
été à l'origine de nouvelles croyances. Arrivé au
stade ultime de ce travail, il est selon moi utile d'exposer le processus qui
est à la base de l'élaboration des croyances pour en
établir l'origine et de ce fait, pouvoir répondre à la
problématique de cette étude. Déjà exposés
dans la recherche de Meurger, les éléments utiles à la
constitution de l'objet d'une croyance sont aussi présents en
Gévaudan.
Dès les premiers mois d'une période qui
s'étend du 30 juin 1764 au 19 juin 1767 les attaques d'un animal
amorcent un processus qui va très vite donner naissance à un
objet de croyance. En effet, dans une région très catholique
où la superstition est chose commune, des éléments
distincts vont se conjuguer pour faire d'une bête qui n'était,
d'après ce qu'en disent les historiens qu'un loup, des loups, ou un
hybride, une entité particulière. Dès le début des
attaques, c'est la cruauté du mode d'action qui choque. Très
vite, l'inefficacité des battues qui sont organisées s'ajoute aux
descriptions physiques de la Bête pour en faire une créature hors
norme.
La présence de « signes anomaliques »
516 constatés au cours des chasses oriente alors
l'interprétation des habitants illettrés vers une «
dérive irrationnelle » 517 car les éléments en
présence constituent les pièces d'un « puzzle
spéculatif » 518. Parallèlement, le contenu
du mandement de l'évêque de Mende et les traductions
approximatives des prêtres locaux se combinent. La conjonction de tous
les paramètres cités ci-dessus est alors à l'origine d'une
incertitude interprétative avérée.
En tant qu'élément extérieur, la presse
joue un rôle de caisse de résonance car elle se focalise
sur une topographie de la Bête (itinéraires, attaques
avérées, morts, chasses inefficaces, etc..) tout en proposant un
récit et une iconographie qui font référence à des
créatures mythologiques ou issues du folklore populaire. Fort de ces
éléments, il est alors possible de déceler une dichotomie
519 sociale des croyances car, si les nobles et les personnes instruites
semblent se désolidariser du
516 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 177.
517 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 181.
518 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.
519 Cette dichotomie est, semble-t-il, la règle
générale. Cependant, en étudiant de près les
archives, on peut constater que certains individus ne suivent pas
l'interprétation généralement attachée à
leur classe sociale.
118
récit médiatique, la narration populaire, elle,
y est quasiment reproduite, voire amplifiée. Cet indice paraît
indiquer que, même dans les campagnes reculées, la majorité
des populations qui disposent d'une instruction a délaissé le
cadre vernaculaire pour se vouer au cadre interprétatif analytique des
Lumières. Cette conjoncture, qui à l'époque des faits
aboutit à l'abandon par les lettrés de l'hypothèse
irrationnelle, est intéressante car elle est aussi d'une certaine
façon visible de nos jours en Gévaudan. En effet, à la
lecture de la retranscription de l'entretien effectué avec Mr Boisserie
en 2015, on s'aperçoit que, même si mon interlocuteur a une
tendance prononcée pour les thèses exotiques et qu'il
légitime ses opinions par l'utilisation de procédés
traditionnels, il ne dérive jamais vers la thèse d'un animal
mythologique. Cela est à mon sens la démonstration du fait que le
paradigme des Lumières est aujourd'hui très majoritairement
intégré par les populations car, même si la construction de
l'objet du « puma du Gévaudan » procède de
mécanismes comparables 520 à ceux qui ont vu
l'élaboration du « mythe de la bête du Gévaudan
» 521, elle ne débouche que sur des
interprétations circonscrites au domaine de l'existence ou de la
non-existence d'une bête en bonne et due forme. C'est donc le cadre
interprétatif issu des Lumières qui délimite aujourd'hui
le champ des possibles.
À l'inverse des lettrés, la grande
majorité des roturiers du Gévaudan à l'époque des
faits n'a pas accès à l'instruction. C'est donc sur un cadre
vernaculaire traditionnel qu'elle fonde son interprétation du monde. Le
processus de formation de l'objet de la Bête dans le Gévaudan du
XVIIIè siècle est donc, même s'il est identique à
celui dont les individus éclairés sont le témoin,
décliné ici sur un tout autre mode. Ainsi, la lecture des
méfaits imputés à la Bête du Gévaudan conduit
dans cette couche de la population à une transposition irrationnelle qui
débouche logiquement sur la réactivation des croyances anciennes
: le loup-garou, la sorcière, le diable et l'hybride.
Ces figures étant, nous l'avons vu au cours de cette
étude, déjà présentes dans le folklore populaire,
la théologie, les mythes, ou les procès antérieurs aux
événements du Gévaudan, il semble
Par exemple, dans le cas de la lettre anonyme dont j'ai
fait usage pour l'analyse des croyances liées aux sorcier(e)s, on peut
constater que la qualité du style et de l'écriture ne cadrent pas
avec ce que l'on est supposé attendre d'un illettré. Dans le cas
où l'auteur de la lettre anonyme appartiendrait, comme je le pense,
à une couche sociale supérieure, la description de l`existence
d'un(e) supposé(e) sorcier(e) peut montrer une certaine
perméabilité des couches sociales aux croyances. De plus,
l'existence du témoignage que l'on sait venir d'un paysan de «
Fraissinet », nous montre, cette fois-ci avec certitude, qu'il y
a des exceptions aux règles générales. Bien
qu'étant un roturier, cet autochtone n'accorde aucun crédit aux
thèses fantaisistes. Pour lui, la Bête du Gévaudan n'est
autre chose qu'un loup en bonne et due forme. Cet extrait, tiré d'une
lettre du syndic Lafont datée du 17 avril 1767 en donne la preuve
certaine : « la bete s'arrêta à quelques pas du
Sr Chaleil, il me dit avoir eu tout le tems de la bien considérer, et
avoir bien remarqué que ce n'étoit autre chose qu'un gros
loup». Archives de Montpellier, Cote 6772.
520 Signes anomaliques, récit médiatique, attaques
(sur un cheval cette fois-ci), etc...
521 Il est ici question des croyances attachées
à cet animal. L'animal en soi n'est pas un mythe ; il a, nous le savons,
bien existé dans la réalité.
119
alors raisonnable d'affirmer que l'apparition de la Bête
du Gévaudan n'est pas à l'origine de croyances
originales ou nouvelles.
II. La Bête du Gévaudan, un indice de la
dichotomie sociale présente sous l'Ancien régime
Politiquement, les événements du Gévaudan
se déroulent à une période charnière de l'histoire
de France. Au moment où sévit la Bête, le pays est
régi par un roi faible et contesté. La couronne est, à la
suite de débats houleux attachés au principe
d'égalité devant l'impôt, accusée de despotisme par
les juges, et des magistrats publient même leurs objections aux
législations royales. Impliqué dans diverses rumeurs de
débauche avec des courtisanes 522, Louis XV apparaît,
ceci tout particulièrement après la signature du traité de
Paris, comme un souverain peu enclin à assurer les charges qui lui
incombent. Ainsi, aux prises avec un parlement retors et une presse
organisée qui dévoile au grand jour l'incurie du pouvoir, la
monarchie absolue, qui avait sous Louis XIV muselé le Parlement, se
fissure et l'on voit déjà poindre au cours du règne de
Louis XV une rhétorique 523 qui sera utilisée au fait de la
Révolution.
Si la Monarchie semble vaciller, il en est de même pour
l'institution religieuse. Les solutions métaphysisques ainsi que les
doctrines énoncées par la théologie sont
questionnées par les philosophes et c'est l'esprit d'analyse qui
l'emporte sur l'autorité exercée par les traditions
524. La crise des valeurs de l'Ancien régime et la mise en
place de nouveaux modèles de pensées par les philosophes
provoquent alors dans les cercles scientifiques l'introduction de
méthodes inédites. Les résultats des sciences
expérimentales sont désormais produits dans un cadre où
les faits sont reproductibles et contrôlés. La science, alors
dotée d'un outil intellectuel rationnel s'érige en
défenseur de la raison contre la vérité dogmatique des
ecclésiastiques.
D'une manière générale, la fermentation
intellectuelle propre au Siècle des Lumières est à
l'origine de la création d'un mouvement social qui va voir
l'anéantissement de l'Ancien Régime et la naissance d'un ordre
nouveau.
522 MONTGAILLARD (DE), Guillaume Honoré Rocques,
Histoire de France, Paris, Imprimerie de Fain, 1827, p. 442.
523 Tout comme au cours du débat sur
l'égalité devant l'impôt sous Louis XV, les juges
dénonceront dans la décennie qui précède la
Revolution de 1789 le despotisme de la Monarchie et se présenteront
comme des défenseurs des citoyens et de la liberté. (ALPHA,
1968)
524 L'austérité prônée par les
jansénistes au temps de Louis XIV fait alors place à un mouvement
d'idées contraires, et la mise en exergue de notions telles que la
passion et le plaisir favorisent dans la haute société le
developpement de moeurs licencieuses. (LAGARDE et MICHARD, 1992)
120
Enfin, comme nous avons pu nous en rendre compte au cours de
cette étude, il existe à l'époque des attaques de la
Bête du Gévaudan une dichotomie profonde entre
l'interprétation des masses populaires et des élites
éduquées. Bien qu'on ne puisse pas, au vu des archives,
considérer que cette dichotomie soit totale, cette dernière est
le signe d'une séparation sociale avérée. A mon sens, et
cela pour conclure l'analyse sectorielle proposée au cours de cette
étude, l'histoire de la Bête du Gévaudan souligne les
antagonismes et montre avec clarté l'opposition dans la France de
l'Ancien régime entre culture urbaine, culture rurale, et classes
éduquées / Tiers-Etat. Aussi, quelques décennies avant les
événements de 1789, le désaccord permanent quant à
l'identification de l'animal est, selon moi, un signe clair de la
volonté de certains groupes sociaux d'imposer leur vision du monde, ceci
pour tenter de conserver une position sociale acquise de longue date.
III. Un nouveau monstre : l'Aristocratie
Bien que la Révolution française soit
animée d'idéaux universels, la lutte qui oppose
les privilégiés aux hommes ordinaires est toujours
d'actualité après la chute de l'Ancien régime.
L'Aristocratie est alors perçue par la multitude comme une force
cachée qui oeuvre dans l'ombre et l'idée d'une conspiration
antirévolutionnaire est en marche. Violemment dénoncée par
la presse qui dispose alors d'une liberté quasi
illimitée,525 l'Aristocratie est la cible d'une expression
pamphlétaire virulente qui n'est pas sans rappeler les illustrations
fantaisistes éditées à l'époque de la Bête du
Gévaudan. Ci-dessous, un exemple de l'iconographie de
l'époque.
« Les fripons craignent les réverbères »
526
Centre historique des Archives nationales.
525 Information donnée par « l'histoire par
l'image », page internet dédiée à l'étude
de l'évolution des images et de l'histoire de France entre 1643 et 1945.
Pour plus précisions sur ce site, se référer à la
bibliographie de cette étude.
526 Image éditée dans un pamphlet anonyme de
1789 intitulé « Etrennes à la vérité ou
Almanach des Aristocrates ». Une version grand format de cette
estampe se trouve à l'annexe 23. Source : Bibliothèque
Nationale de France, Gallica (la référence exacte de
cette icône, est consultable dans la bibliographie).
121
Tout comme dans l'iconographie utilisée par la presse
au cours des événements du Gévaudan quelques
décennies auparavant, le monstre (maintenant l'Aristocratie) est
dépeint sous les traits d'une créature multiforme dont les
origines sont bien antérieures à la date de parution de
l'estampe. En effet, nous avons ici affaire à une hydre, créature
mythologique de la Grèce antique tuée par Hercule 527.
La bête à abattre n'est cette fois-ci plus un
hybride de loup, d'hyène ou d'autre chose mais la représentation
d'une conjoncture politique 528. Ainsi, des illustrations moralistes
du Moyen Âge, en passant par les icônes de la Bête et enfin
à travers le choix pictural de la caricature de l'Aristocratie devenue
monstrueuse, on devine l'inexorable montée en puissance du pouvoir des
images.
Du pupitre des enlumineurs aux « presses à
deux coups » 529 de la fin du XVIIIè siècle
l'expression picturale doublée d'une charge allégorique et/ou
caricaturale ne saurait être vide. Elle fait bien partie du monde des
idées et participe à la création des opinions.
527 Hercule : figure de la mythologie grecque. Hercule,
personnage doté d'une force hors du commun, vaincra l'Hydre de Lerne
lors du deuxième combat de la série dite des « douze
travaux d'Hercule ».
528 La tête coiffée d'un « casque à
panache » représente la noblesse, la « tête de
dindon » les magistrats, le « bonnet d'abbé »
et la « mitre d'évêque » respectivement le
« clergé régulier » et le «
clergé séculier » Dans : Luce-Marie ALBIGÈS,
« Un pamphlet contre l'aristocratie », Histoire par l'image
[en ligne], consulté le 1er Mai 2016.
529 Presse à deux coups : Type de presse manuelle du
XVIIIè siècle. Le rendement de ce type de presse était
alors de 150 à 200 exemplaires à l'heure.
122
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Chronologie et documentation raisonnées », Document
PDF, 2007. Commentaire : j'ai décidé de mettre le
travail d'Alain Bonet dans la catégorie des articles de recherche. Cette
décision est motivée par le fait que le « chronodoc
» n'est pas un ouvrage mais un travail de recherche annoté de
réflexions personnelles. Ce document a été consulté
tout au long de cette étude.
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société rurale en Gévaudan au temps de la bête
», Histoire sociale de Haute-Loire n° 4, éditions du
Roure mars 2013.
Etude envoyée par Bernard Soulier (courrier
électronique) le 17.03.2016.
THENARD-DUVIVIER Franck, « Hybridation et
métamorphoses au seuil des cathédrales », Images
Re-vues, 6, 2009.
URL :
http://imagesrevues.revues.org/686
Consulté le 12.10.15
DES INSTITUTS
L' « Institut Universitaire de France ».
L' « Institut Universitaire de France » se
propose de faciliter la recherche de haut niveau et de favoriser
l'interdisciplinarité. Cet Institut sélectionne des chercheurs en
fonction de la qualité de leurs travaux. Les chercheurs
sélectionnés disposent alors de plus de temps pour leurs
recherches et sont déchargés d'une partie de leurs heures de
cours
URL : http://iuf.amue.fr/
Page consultée le 01.06.2015
L' «Institut Métapsychique
International de Paris ».
Reconnu d'utilité publique L'«Institut
Métapsychique International de Paris » étudie de
manière scientifique les phénomènes paranormaux.
Fondé en 1919, cet institut propose une approche rationnelle et offre
une alternative à la crédulité et au scepticisme. L'
« Institut Métapsychique International de Paris » est
responsable de la parution d'une revue, la « Revue
Métapsychique ». Éditée en français,
cette publication se propose de faire connaitre le travail de l'Institut
URL : http://www.metapsychique.org/
127
Page consultée le 21.06.2015
DES ASSOCIATIONS
« Histoire sociale de la Haute-Loire ».
Cet organisme sans but lucratif créé en 2008 se
propose d'aider à faire connaître la Haute-Loire en favorisant les
recherches sur ce département et en organisant des expositions
consacrées à son histoire. Il arrive aussi que cette association
participe à la publication de travaux de recherche. URL :
http://histoire-sociale-haute-loire.fr/
Page consultée le 09.07.2015.
« Au pays de la Bête du Gévaudan
».
Association type loi 1901 qui est localisée à
Auvers en Haute-Loire. L'association est au coeur du « pays de la
Bête » et à quelques kilomètres du lieu où
Jean Chastel tua la Bête le 19 Juin 1767. Un des buts de l'association
est de mettre à jour la vérité historique de l'histoire de
la Bête du Gévaudan URL :
http://betedugevaudan.perso.sfr.fr/
Page consultée le 08.07.2015
L'« étude sur les croyances en relation avec
la Bête du Gévaudan », effectuée en 2005 par les
membres de l'association a été utilisée dans le cadre de
l'analyse des figures surnaturelles de la Bête du Gévaudan.
L'étude est consultable sur ce lien
Etude consultée le 07.03.2016
« L'Association d'Histoire des
Sociétés Rurales ».
« L'Association d'Histoire des Sociétés
Rurales » est née du fruit du travail concerté des
historiens professionnels et amateurs. Elle s'occupe principalement de
l'étude du monde rural. Créée en 1993, l'Association est
aussi responsable de la publication d'une revue semestrielle dont le but
premier est de diffuser des articles récents en relation avec la
ruralité.
URL : http://www.histoire-et-societes-rurales.org/
Page consultée le 14. 10.2015
La « Société des lettres,
sciences et arts de Lozère ».
La « société des lettres, sciences et
arts de Lozère » fut fondée en 1819. Cette organisation
veut « contribuer au progrès des Lettres, sciences et arts
». Association reconnue d'utilité publique, elle est
responsable de la publication semestrielle d'une revue : « Revue du
Gévaudan, du Causse et des Cévennes ». L'association
est aussi à la source de l'organisation d'activités culturelles
en Auvergne. URL :
http://www.mende.fr/201-societe-des-lettres-sciences-et-arts-de-la-lozere.html
Page consultée le 14.07.2015
128
La « Société académique
du Puy-en-Velay et de la Haute-Loire».
Association consacrée à l'étude de
l'histoire et du patrimoine du département la «
Société académique du Puy-en-Velay et de la Haute-Loire
» fut fondée en 1799. Cette association regroupe des
passionnés et organise des avtivités telles que des «
voyages d'étude » et des visites de sites historiques.
Reconnue d'utilité publique, elle participe à la vie culturelle
régionale. http://www.societeacademique.fr/
Page consultée le 16.07.2015
Association « MACBET
»
Cette association a pour but de but de « promouvoir de
façon objective et historique, l'histoire de la bête du
Gévaudan » et concentre son activité autour de
l'administration du « musée de la Bête du Gévaudan
» à Saugues. Elle est dirigée par Jean Richard, auteur
de plusieurs livres sur l'affaire et heureux propriétaire d'une
collection d'ouvrages qui parfois précèdent la Révolution
de 1789.
http://www.paysdesaugues.com/asso-f431-.html
Page consultée le 06.08.20015
ICONOGRAPHIE
« Signe du Sagittaire
représenté avec une queue à tête de dragon »
Image trouvée sur le site de partage «
http://www.xooit.com/fr/ »
où est hebergé un forum consacré
aux animaux fabuleux.
Annexe 19.
Page consultée le 18.01.2016
« Sainte Marguerite luttant contre le dragon
»
Livre d'heures d'Amherst, XVè siècle, Baltimore,
Walters Art Museum, Ms W.167, f.101v. Annexe 20.
« Hybride zoomorphe »
Icone publiée à Bordeaux en mars 1765
FABRE Francois, édition complétée par J.
Richard, Op. cit. « complément iconographique »,
p 3. Annexe 21.
« La bête lion »
Illustration de la bête du Gévandan montrant un
animal marchant sur deux pattes. SMITH, Op. cit, p.41.
Annexe 22.
« Les fripons craignent les
réverbères »
Bibliothèque Nationale de France, Gallica.
URL :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6947481z
Annexe 23.
Page consultée le 18.04.2016
129
OUVRAGES ET TEXTES ANCIENS
La Cité de Dieu : Composée de
vingt-deux livres rédigés par Augustin d'Hippéne entre 413
et 426 après Jésus-Christ.
Canon Episcopi : Ce texte fut écrit
dans le dessein de donner aux évêques et aux ministres du culte le
pouvoir d'éradiquer les arts divinatoires et toutes les pratiques
liées à la magie dans la région dont ils avaient la
charge.
Renart le contrefait, 1320. Roman du Moyen
Âge
Le lai de Bisclavret de Marie de France. Roman
du Moyen Âge Otia imperialia, Sorte d'ouvrage
encyclopédique du Moyen Âge.
Physiologos ou Physiologus :
Bestiaire chrétien qui fut développé au
IIe ou au IVe siècle. Cet ouvrage traite des
animaux et propose une interprétation de leur valeur morale
fondée sur une étude de leurs propriétés physique
et/ou comportementale
Page internet dédiée aux bestiaires:
«The medieval bestiary, animals in the middle
age»
Cette page est consacrée aux bestiaires du Moyen
Âge. Bien documentée, référencée, elle
contient un nombre important de reproductions, d'enluminures et de dessins
d'époque. Les commentaires présents sur ce site m'ont aidé
à comprendre de quelle façon les créatures fantastiques
influencaient l'imaginaire de cette époque. La citation « The
shining of the wolf's eyes in the night is like the work of the devil, which
seem beautiful to foolish men » présente dans cette
étude est tirée de cette page.
URL:
http://bestiary.ca/index.html
Page consultée le 29.05.15.
TRAVAUX EFFECTUES A PROPOS DE LA BETE DU
GEVAUDAN
FARRAN J.M, thèse de doctorat, « La bête
du Gévaudan », 1982, École nationale
vétérinaire de Lyon.
RUDY M, mémoire de maîtrise « la
bête du Gévaudan, manifestations littéraires et populaires
d'un phénomène mal connu », 1984, Université
libre de Bruxelles.
BIERRE Laeticia, mémoire de maîtrise «
la bête du Gévaudan, écriture du fait-divers et
mystification », 2002, Université de Cergy-Pontoise.
130
TRAVAUX UTILISES AU COURS DE CETTE
ETUDE
BOOERKHORN Dimitri Nikolai, Thèse de doctorat,
Bestiaire mythique, légendaire et merveilleux dans la tradition
celtique - Lille, 2008.
URL :
http://www.sudoc.abes.fr/DB=2.1/SRCH?IKT=12&TRM=125871899
GAUDRON Amandine, Thèse de doctorat, Le singe
médiéval. Histoire d'un animal ambigu : savoirs, symboles et
représentations, Paris,Sorbonne, 2014.
URL :
http://theses.enc.sorbonne.fr/2014/gaudron
CONFERENCE
MOUREAU François, L'Afrique des voyageurs :
découverte, mythes, littérature. Conférence du centre
de recherche sur la littérature des voyages. URL :
http://www.crlv.org/conference/voyageurs-et-captifs-dans-le-nord-de-l%E2%80%99afrique-xvie-xviiie-si%C3%A8cles
. Page Consultée le 29.05.15.
REVUES
La « Gazette de la Bête ».
La « Gazette de la Bête » est une
publication diffusée gratuitement sur Internet. Cette revue se concentre
sur l'histoire de la Bête du Gévaudan et sur les recherches et les
événements en relation à ce fait-divers. Bernard Soulier
est responsable de la rédaction de ce périodique.
URL :
http://betedugevaudan.perso.sfr.fr.
Page consultée le 13.05.2015.
« Le visage vert ».
« Le visage vert » est une revue qui
s'intéresse plus particulièrement aux parutions en rapport
à la littérature fantastique. Créée en 1995, cette
revue compte 26 numéros à son actif. Au cours de ces
numéros, plus de 150 contes, légendes et nouvelles ont
été publiés. Les publications du « Visage vert
» ne se limitent pas à la production littéraire
française car plus de 80 auteurs de nationalités
différentes ont vu leurs écrits figurer dans cette
publication.
URL :
http://levisagevert.com/.
Page consultée le 13.08.2015
« L'Histoire ».
L' « Histoire » est une revue scientifique
consacrée aussi bien aux événements historiques qu'aux
changements politiques et sociétaux. Cette revue dispose d'une version
papier et d'une page internet. La lecture de l' «Histoire»
peut être soumise à des droits et la grande qualité
des articles proposés en fait une publication de choix pour tout
étudiant ou chercheur en quête de références ou
d'articles.
URL : http://www.histoire.presse.fr/
Page consultée le 17.06.2015
131
PERIODIQUES
« Paris Match »
« Paris Match » est un journal hebdomadaire
tiré à des centaines de milliers d'exemplaires. Sa devise
résume la philosophie du journal : « Le poids des mots, le choc
des photos ». Paris Match est spécialisé dans la
couverture des faits-divers, des mariages princiers et fait souvent
référence à des affaires scandaleuses ou amorales. C'est
un « tabloïd » en constante recherche de « scoop » qui
se concentre le plus souvent sur la vie des personnes connues le tout
étant agrémenté de photographies souvent à la
limite de la bienséance.
URL : http://www.parismatch.com/
Page consultée le 14.03.2015.
« Le Progrès
»
« Le Progrès » est un quotidien
régional. Son siège social se trouve à Lyon. Il couvre les
actualités de l'Ain, du Jura, de la Haute-Loire de la Loire et du
Rhône. Il fait partie de la presse d'information locale et est
tiré à environ 200.000 exemplaires. Ce journal n'appartient pas
au groupe de la presse à scandale, il est aujourd'hui l'un des plus
vieux quotidiens régionaux encore en activité. Les renseignements
donnés dans la note de bas de page consacrée à ce
périodique ainsi que dans la bibliographie ici présente sont
tirés de la page d'information du journal, URL :
http://www.leprogres.fr/presentation-du-progres
.
Page consultée le 14.03.2015.
« Okapi »
« Okapi » est le nom d'une revue
destinée aux adolescents. Cette revue est publiée aux
éditions Bayard Presse depuis 1971. URL : http://www.okapi.fr/
Page consultée le 22.12.2015.
ARCHIVES
Archives du « Service historique de la Défence
» (SHD) à Vincennes.
Archives départementales de la Haute-Loire.
Archives parlementaires.
Archives de Montpellier.
Archives départementales du Puy-de-Dôme.
Archives de Mende.
Archives départementales de la Lozère.
Précision : Pour les lettres de Du Hamel au comte de
Clermont et à son secrétaire, se référer aux
archives de la Lozère : BALMELLE, Marius, «
lettres inédites du capitaine Du Hamel sur la bête
du Gèvaudan ( octobre 1764 - avril 1756 ), Du Hamel
à Me Seuroin, secrétaire des commandements
de SAS Mgr le comte de Clermont, 20 mars 1765 »,
RGCC 15 (1969) : 118-135, esp.121
132
D'AUTRES SOURCES
Office national de la chasse et de la faune sauvage
Organisme en charge de la surveillance l'environement et de la
chasse. http://www.oncfs.gouv.fr/
Page consultée le 05.04.2015
Météo France
Organisme de prévision météorologique. URL
:
http://www.meteofrance.com/accueil
Page consultée le 22.09.2015
Météo climat bzh
Page internet consacrée au climat et aux records de
température.
http://meteo-climat-bzh.dyndns.org/records-1-48.php
Page consultée le 14.09.2015
Dictionnaire Larousse en ligne
Dictionnaire de langue française en ligne.
http://www.larousse.fr/
Page consultée tout au long de cette étude.
Fondation Lejeune
base de données à caractère
médical.
http://publications.fondationlejeune.org/article.asp?filename=fjl029.xml
Page Consultée le 24.06.15.
Article de l'Express consacré à
l'Auvergne à ses traditions et à la radiesthésie
http://www.lexpress.fr/tendances/voyage/auvergne-mythes-et-legendes_1699417.html
Page Consultée 25.02.2016.
Documents historiques sur la province de
Gévaudan, Toulouse, édition Gustave de Burdin
1846. ( Google books )
Lien
Page consultée le 11.09.2015.
Page internet du pays de Bergerac
Page dédiée au pays de Bergerac
http://www.pays-de-bergerac.com/pages/riviere-dordogne/coulobre/index.asp
Page consultée le 10.10.2015.
Page Internet créée par Patrick
Berthelot
http://betesdugevaudan.simplesite.com/
Très bien documentée, agrémentée
d'illustrations de grande qualité, cette page propose une lecture
historique des événements du Gévaudan.
Page consultée le 17.08.2015.
133
La « Bibliothèque nationale de France
»
La « Bibliothèque Nationale de France »
est une source incontournable. Cette bibliothèque propose un nombre
important d'archives en ligne et de documents qu'il est possible de consulter
sur place. La page de la BNF a été particulièrement utile
au cours de la recherche sur l'évolution de la presse.
http://expositions.bnf.fr/presse/
Page consultée tout au long de cette étude.
Site de partage d'images liées aux
représentations mythologiques du cheval
Cette page se consacre principalement à l'étude de
la mythologie liée au cheval. Le « signe du Sagittaire
représenté avec une queue à tête de dragon »
vient de cette page.
http://www.dinosoria.com/cheval-mythologie.html
Page consultée le 23.06.2015.
Site touristique de la ville de Villefranche sur
Rouergue
Cette page est dédiée à la ville de
Villefranche sur Rouergue. Il est possible d'y trouver des
informations sur la culture du lieu et sur la façon de s'y
rendre.
URL :
http://www.tourisme-villefranche-najac.com/fr/cote-pratique/comment-venir.php
Page consultée le 12.06.2015.
Page dédiée à l'étude des
légendes et des mythes
Cette page est consacrée à l'explication des mythes
en relation avec l'histoire. Les informations
données en relation avec le mythe de l'homme-loup y sont
particulièrement intéressantes.
URL :
http://www.arcanum-revelation.com/lychantropie-legende-du-loup-garou-3
Page consultée le 25.08.2015.
Page dédiée au partage de photographies
anciennes
Cette page internet est un forum où des collectionneurs
échangent des commentaires et mettent en ligne des documents
iconographiques.
URL :
http://www.cparama.com.
Page consultée le 01.09.2015.
Page internet sérieuse consacrée
à l'histoire de la Bête du Gévaudan
Cette page est animée par Phil Barnson, un
passionnée de cette histoire et est utilisée par les chercheurs
ainsi que par les amateurs.
http://www.labetedugevaudan.com/pages/homme/morangies
01.html
Page consultée le 11.10.2015.
« Le clavier des Bestieux »
Page « facebook » dédiée la
Bête du Gévaudan et à la réalité historique
de cette histoire.
https://plus.google.com/118374132740305448244/posts/ak9ksCn2EoL
Page consultée tout au long de cette étude.
134
UN MUSEE
Le « Musée fantastique de la Bête du
Gévaudan » 530 est le fruit du travail de passionnés.
Situé à Saugues en Gévaudan, il voit le jour après
que les quelques amis de l'association « MACBET »
fondée par Jean Richard aient trouvé des appuis
auprès d'une autre association, celle des « Amis de la Tour
» 531. Lucien Gires (responsable de la restauration de
ta Tour des Anglais 532 de Saugues) et Jean Richard trouveront
des financements auprès du Conseil général de la
Haute-Loire, du Conseil régional d'Auvergne 533 et
grâce à des fonds privés 534. Le 1er
Juillet 1999, le Musée est ouvert. « France 3 » 535
et l'équipe de « Faut pas rêver » 536 sont
présents lors de la journée inaugurale. Ayant moi-même
visité ce musée, je conseille à toute personne de passage
à Saugues de s'y rendre. Le travail de recherche effectué pour
rendre compte de la vie des habitants du Gévaudan du XVIIIè
siècle est sérieux et les animations des scènes
proposées sont de très grande qualité. Ci-dessous une
copie de la brochure du musée.
530 « Musée fantastique de la Bête du
Gévaudan » URL : http://www.musee-bete-gevaudan.com/
Consulté le 18.06.2015.
531 Il n'existe pas à ce jour d'informations nouvelles
et précises en ligne sur cette association. En conséquence, je me
limiterai aux informations qui m'ont été données en
Gévaudan en juillet 2015. Cette association a été
particulièrement active lors de la recherche de fonds
dédiés au « musée fantastique de la Bête du
Gévaudan » C'est une « association loi 1901 »
enregistrée sous le numéro 805321718 00019, et fondée
en 1978. URL :
http://www.paysdesaugues.com/asso-f429-.html.
Consulté le 09.07.2015.
532 Cet édifice porte ce nom car des troupes anglaises en
prirent possession vers 1362 ( ALPHA,1968).
533 La liste n'est pas exhaustive
534 Monsieur Aimé Chabanel, originaire de Saugues, fera un
don à l'association.
535 Troisième chaîne de la télévision
française.
536 Nom donné à une émission produite par la
chaîne citée ci-dessus.
135
CHRONOLOGIE
1764
Mars/juin: des attaques sont constatées aux
alentours de Langogne, dans le Vivarais.
30 juin : mort de Jeanne Boulet, 14 ans, première
victime de la Bête.
21 septembre : 18 livres sont promises par les
états du Gévaudan à celui ou celle qui occira la
Bête.
28 octobre : une grande chasse est organisée. Plus
de 10 000 personnes y participent.
5 novembre : Du Hamel arrive en Gévaudan avec un
détachement du régiment des volontaires de Clermont-Prince.
26 décembre : 600 livres de prime sont promises par
l'Intendant d'Auvergne à qui tuera la Bête.
31 décembre : Mgr de Choiseul-Beaupré commet
un mandement. Le fléau de Dieu est évoqué. Des
prières publiques sont ordonnées.
1765
27 janvier : les récompenses augmentent et
atteignent 9400 livres.
11 février : une énorme battue est
organisée. 50.000 personnes sont mises à disposition. C'est la
plus grande chasse jamais organisée pour occire une Bête
féroce.
17 février : les d'Ennevals (père et fils)
arrivent à Clermont-Ferrand.
14 mars : Jeanne Jouve et ses enfants sont attaqués
aux abords directs de leur logis.
7 avril : Duhamel quitte le Gévaudan, suivi du
régiment des volontaires de Clermont-Prince.
18 mai : le comte de Morangiès se plaint des
méthodes des d'Ennevals.
30 mai : Mr Antoine, porte-arquebuse de Louis XV, est
dépêché sur place pour occire l'animal.
18 juillet : après une courte collaboration avec
Antoine, les d'Enneval(s) quittent le Gévaudan.
18 septembre : un loup est signalé dans les «
bois des Chazes ».
20 septembre : Mr Antoine abat le « loup des
Chazes ». L'animal est examiné et authentifié.
1er octobre : Mr Antoine fils se rend à Versailles
avec une Bête empaillée qui est exposée à la
Cour.
3 novembre : Mr Antoine quitte le Gévaudan. 2
décembre : les attaques reprennent.
1766
Mars-août : une nouvelle Bête , la «
Bête de Sarlat, » fait environ 18 victimes.
4 mars : à Montsec en Dordogne, un loup tue un
homme.
10 mai : un loup enragé fait son apparition aux
« Alleuds » dans les Deux-Sèvres. Plusieurs personnes
sont mordues.
Août : dans le Bas-Dauphiné, 11 enfants sont
dévorés aux environs de la « Tour-du-Pin ».
136
1767
19 juin : la Bête est abattue par Jean Chastel, un
chasseur local.
20 juin : la Bête est autopsiée. Il s'ensuit
la rédaction du « rapport Marin ».
Août : après examen Buffon juge que la
Bête présentée n'est qu'un « gros loup
». Les restes de l'animal sont enterrés (probablement dans les
jardins de l'Hôtel de la Rochefoucauld à Paris, à
l'emplacement de l'actuelle rue des Beaux-Arts) 537.
537 Information donnée par Alain Bonet.
137
ANNEXES
138
*
Annexe 1 : carte comparée du
territoire du Gévaudan et de celui de la Lozère actuelle
139
Annexe 2 : localisation
géographique de Saint-Etienne-de-Lugdarès. (OpenStreetMap)
140
Annexe 3 : localisation
géographique de Masmejan (« M » sur la carte).
(OpenStreetMap)
141
Annexe 4 : localisation
géographique de Langogne. (OpenStreetMap)
)
142
Annexe 5 : la peste en Gévaudan.
(Bibliothèque Nationale de France)
a)
143
Annexe 6 : tableau
récapitulatif des victimes de la Bête avec nom, lieu, sexe,
âge, attaque, blessures, décès, témoins et notes.
(Alain Bonet)
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
1764
|
|
|
|
|
|
|
|
|
01/06
|
|
Langogne
|
F/8 ?
|
x
|
|
|
v
|
|
30/06
|
Jeanne Boulet
|
Les Hubacs
|
F/14
|
|
|
x
|
|
|
08/08
|
|
Masméjean
|
F/15
|
|
|
x
|
-
|
|
fin 08
|
|
Cheylard-l'Evêque
|
M/15
|
|
|
x
|
|
Doublon possible avec 01/09.
|
01/09
|
|
Pradels
|
M/15
|
|
|
x
|
|
Doublon possible avec fin 08.
|
06/09
|
Marianne Hébrard
|
Le Cellier
|
F/35
|
|
|
x
|
|
|
16/09
|
Claude Maurines
|
Le Choisinès
|
M/12
|
|
|
x
|
|
|
29/09
|
Magdeleine Mauras
|
Les Thors
|
F/12
|
|
|
x
|
|
|
07/10
|
|
Apcher
|
F/20
|
|
|
x
|
|
Décapitée
|
08/10
|
|
Le Pouget
|
M/15
|
|
x
|
|
v
|
|
|
Jean Rieutort
|
Souleyrols
|
M/12
|
|
x
|
|
v+a
|
|
10/10
|
|
Les Cayres
|
M/12-16
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
Barrandon
|
Bergougnoux
|
F/10
|
|
x
|
|
v+s
|
Défendue par ses deux frères
|
11/10
|
Marie Solinhac
|
Les Hermaux
|
F/adulte
|
|
|
x
|
|
|
15/10
|
|
Contendrès
|
M/13-14
|
|
|
x
|
|
Décapité
|
22/10
|
Marguerite Malige
|
Grazières
|
F/19
|
|
|
x
|
|
Décapitée
|
24/10
|
|
Terre de Peyre
|
F/enfant
|
|
|
x
|
|
|
|
|
Terre de Peyre
|
M/adulte
|
|
x
|
|
v+a
|
Un paysan qui se défend
|
25-26/10
|
|
Saint-Laurent-des- Bains
|
M/adulte
|
|
|
2
|
|
Deux hommes dévorés
|
29/10
|
|
|
F/jeune
|
|
|
x
|
s
|
|
30/10
|
|
Chauchailles
|
F/adulte
|
|
x
|
|
v
|
|
|
|
|
M/adultes
|
3
|
x
|
|
v
|
|
18/11
|
|
St-Denis / St-Alban
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v
|
Un étranger qui se défend
|
19/11
|
|
Les Laubies
|
?
|
plusieurs
|
|
|
v
|
|
|
|
Apcher
|
M/adulte
|
x
|
|
|
|
|
Fin
novembre
|
|
Boussillon
|
M/enfant
|
|
x
|
|
v+s
|
Doublon possible avec 15/12.
|
25/11
|
Catherine Vally
|
Buffeyrettes
|
F/60
|
|
|
x
|
-
|
Décapitée
|
25/11 ?
|
|
La Bessellade
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
Se défend avec un bâton
|
15/12
|
Catherine Chastang
|
Bois de Balsie
|
F/45
|
|
|
x
|
-
|
Décapitée
|
|
|
Chanteloube
|
M/16
|
|
x
|
|
v+s
|
Doublon possible avec fin 11.
|
144
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
19/12
|
|
Les Cayres
|
F/40
|
x
|
|
|
v
|
Originaire de Civergols
|
20/12
|
|
Le Puech
|
F/12
|
|
|
x
|
|
Décapitée
|
23/12
|
Marie Auguy
|
Le Vialaret
|
F/15
|
|
|
x
|
|
|
24/12
|
|
Chaulhac / Le Puech
|
M/enfant
|
|
|
x
|
|
|
|
Jacques Limagne
|
Le Falzet
|
M/16
|
|
|
x
|
a
|
Décapité.
|
27/12
|
|
Chaulhac
|
M/enfant
|
x
|
|
|
v
|
|
|
|
Saint-Privat-du-Fau
|
M/jeune
|
x
|
|
|
v+s
|
Pourcher
|
|
Jeanne Bonnet
|
Boussefols
|
F/15
|
|
|
x
|
|
|
28/12
|
Malige
|
Saint-Martin-du- Born
|
F/12
|
x
|
|
|
v
|
|
|
«
|
«
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v
|
|
1765
|
|
|
|
|
|
|
|
|
?/01
|
|
Durfort/Sourniac
|
enfant
|
|
|
x
|
s
|
Avant le 13/01
|
|
|
«
|
M/adulte
|
|
x
|
|
v
|
Père
|
|
|
«
|
adulte
|
|
2
|
|
v
|
Voisins
|
|
|
Le Villaret
|
F
|
|
|
x
|
|
|
|
|
Le Villaret
|
F
|
x
|
|
|
v+s
|
Défendue par son père
|
?/01 ?
|
|
|
F/11
|
x
|
|
|
v+s
|
Secourue par un cavalier avant 27/01
|
06/01
|
Delphine Courtiol
|
Saint-Juéry
|
F/30
|
|
|
x
|
-
|
|
|
|
Bois de Monclergue
|
F/25
|
|
|
x
|
|
Mutilée mais non dévorée
|
07/01
|
Marie-Jeanne Saltel
|
Rieutort-d'Aubrac
|
F/11
|
|
|
x
|
|
|
?/01
|
|
Pont d'Arifattes
|
M/adultes
|
3
|
|
|
v
|
Trois hommes se défendent
|
12/01
|
Jean Veyrier
|
La Coustasseyre
|
M/8
|
|
x
|
|
v+s
|
Sept enfants se défendent
|
|
Joseph Pannefieu
|
«
|
M/8
|
|
x
|
|
v+s
|
«
|
|
Jean
Chatauneuf
|
Mazel-de-Grèzes
|
M/14
|
|
|
x
|
|
Peut-être le 01 ou 02/01.
|
14/01
|
Pierre Marchet
|
Lescure
|
M/12
|
|
|
x
|
|
|
15/01
|
Catherine Boyer
|
La Bastide
|
F/20
|
|
|
x
|
v+s
|
Décède plus tard de ses blessures
|
|
|
Le Mazel
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v
|
En tombe malade
|
17/01
|
|
Chapelin
|
M/adulte
|
x
|
|
|
|
|
20/01
|
|
Plagnes
|
F/12
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
|
Plagnes
|
F/-12
|
x
|
|
|
v+s
|
|
21-28/01
|
|
Montchamp
|
F
|
x
|
|
|
v
|
Peut-être daté du 30/01
|
21/01
|
|
4 lieues de St-Chély
|
F/enfant
|
|
|
x
|
|
Possibilité de doublon
|
22/01
|
Jeanne Tanavelle
|
La Bisade
|
F/35
|
|
|
x
|
-
|
Décapitée.
|
145
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
28/01
|
|
Venteuges (La Bastide ?)
|
/3-4
|
|
|
x
|
a
|
Enlevé dans une cour fermée.
Décapité.
|
29/01
|
|
Saint-Poncy
|
M/adulte
|
2
|
|
|
v
|
Deux paysans de villages différents
|
30/01
|
Marianne Pradein
|
Charmensac
|
F/12
|
|
x
|
|
v+s
|
|
31/01
|
|
Javols
|
M/8
|
|
x
|
|
v+s
|
|
06/02
|
|
Chabanettes
|
M/13
|
x
|
|
|
v+s
|
|
7-11/02
|
Pailleyre
|
Pontajou
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v
|
Manque mourir de peur
|
07/02
|
|
Près du bois de Sauvage
|
F/14-15
|
|
|
x
|
|
|
08/02
|
|
Saint-Rémy / Grandvals
|
enfant
|
x
|
|
|
v+s
|
12/02 ou 14/02
|
|
|
Penaveyre
|
enfant
|
|
|
x
|
|
«
|
09/02
|
Marie-Jeanne Rousset
|
Vallat-Chirac
|
F/12
|
|
|
x
|
-
|
Décapitée
|
11/02
|
|
Bois du Suc
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v
|
|
12-20/02
|
|
Les Bessons
|
M
|
|
|
x
|
|
|
12/02
|
|
Aumont
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
Localisation d'après Richard.
|
14-21/02
|
|
L'Estival
|
F
|
x
|
|
|
v
|
Pourcher
|
16/02
|
|
La Chapelle- Laurent
|
M/enfant
|
|
|
x
|
|
|
21/02
|
Bonavel
|
Aumont/St-Chély
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
|
|
|
Fau-de-Brion
|
F/8
|
|
|
x
|
s
|
Meurt de ses blessures le lendemain
|
23/02
|
|
Le Vivier / Le Croiset
|
F/adulte
|
|
x
|
|
v+s
|
|
24/02
|
|
Le Montel
|
M/enfant
|
|
x
|
|
v+s
|
Attaqué avec un autre enfant
|
|
|
La Mole
|
F/18
|
|
x
|
|
|
|
27/02
|
|
Brassac/St-Chély
|
M/15
|
x
|
|
|
v+s
|
Secouru par son père
|
28/02
|
|
Grandvals
|
F/enfant
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
|
Les Escures
|
F
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
|
Les Escures
|
F
|
|
|
x
|
v+s
|
Décède peu après
|
|
|
Chabriès
|
F/5
|
|
|
x
|
-
|
Décapitée
|
?/03
|
|
Prunières
|
M/adulte
|
|
x
|
|
v
|
Pourcher
|
01-09/03
|
|
Andes/La Voulte
|
?
|
|
?
|
?
|
|
|
04/03
|
Louise Hugon
|
Ally
|
F/35
|
|
|
x
|
|
|
05/03
|
|
Trémoulouzet
|
M
|
x
|
|
|
v
|
|
08/03
|
André Boussuge
|
Le Fayet
|
M/9
|
|
|
x
|
a ?
|
Décapité devant témoins ?
|
09/03
|
Agnès Gastal
|
Le Ligonès
|
F/25
|
|
|
x
|
a
|
Décapitée
|
|
|
|
F/enfant
|
|
x
|
|
v+s
|
|
11/03
|
Marie Pounhet
|
Malavieillette
|
F/3
|
|
|
x
|
|
|
|
|
Saint-Alban
|
M/19-20
|
x
|
|
|
v
|
|
12/03
|
|
Saint-Alban
|
F
|
|
x
|
|
v+s
|
|
13/03
|
|
Albaret-Sainte- Marie
|
M/12
|
x
|
|
|
v+s
|
|
146
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
|
|
«
|
M/6
|
|
x
|
|
v+s
|
|
14/03
|
Jeanne Jouve
|
La Bessière
|
F/35
|
|
x
|
|
v
|
Attaquée avec trois de ses enfants
|
|
Marianne Jouve
|
«
|
F/9-10
|
x
|
|
|
v
|
Petite fille
|
|
Jean-Pierre Jouve
|
«
|
M/6
|
|
|
x
|
v
|
Meurt de ses blessures plus tard
|
|
|
Chanaleilles
|
M/enfant
|
|
|
x
|
|
|
15/03
|
Panon
|
Fraisse
|
M/14
|
|
|
x
|
|
Doublon possible avec 23/04.
|
19/03
|
|
La Garde/St-Chély
|
M/enfant
|
x
|
|
|
v+s
|
|
22/03
|
|
Le Cheylaret
|
enfant
|
x
|
|
|
v
|
|
25/03
|
|
Saugues
|
F/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
Secourue par deux hommes
|
|
|
Le Mazel
|
F
|
x
|
|
|
v+s
|
Secourue
|
29/03
|
François Fontugne
|
Le Cheylaret
|
M/9
|
|
|
x
|
v+s
|
|
|
|
Le Cheylaret
|
M/14
|
x
|
|
|
v
|
|
31/03
|
|
Fournels/Termes
|
enfant
|
x
|
|
|
v+s
|
|
03/04
|
Jacques Gibilin
|
Bergougnoux
|
M/10
|
|
|
x
|
s
|
|
|
|
Bergougnoux
|
M/11
|
x
|
|
|
|
Frère aîné
|
04-13/04
|
|
Saint-Chély
|
M/adulte
|
|
|
x
|
|
Homme adulte dévoré
|
04/04
|
|
Près de Saint-Alban
|
?
|
|
|
x
|
|
Victime non identifiée
|
|
Annez Giral
|
Mézéry
|
F/13
|
|
|
x
|
s
|
Décapitée devant témoins ?
|
05/04
|
|
Donnepeau
|
M/10-12
|
|
|
x
|
s
|
Quatre enfants se défendent
|
|
|
|
F/15
|
|
x
|
|
v
|
|
07/04
|
|
Fraysse-L'Estrade
|
M/jeune
|
x
|
|
|
v+s
|
Secouru
|
|
Gabriele Pelicier
|
La Clauze
|
F/17
|
|
|
x
|
soeur ?
|
Décapitée ?
|
16/04
|
|
Chaudeyrac
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v
|
Homme à cheval
|
|
Peyralier
|
Boissonnet
|
M/enfant
|
x
|
|
|
v+s
|
|
18/04
|
Martial Charrade
|
La Vachellerie
|
M/13
|
|
|
x
|
|
|
19/04
|
|
Jauvillard
|
M/enfant
|
|
x
|
|
v+s
|
Lieu non identifié
|
22/04
|
|
Couffours-Hauts
|
F/11
|
x
|
|
|
v+s
|
|
|
|
«
|
M/16
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
|
Prunières
|
M/12-13
|
|
|
x
|
|
|
25/04
|
|
Langogne
|
M
|
x
|
|
|
v
|
|
01-12/05
|
|
Cheminades
|
enfant
|
x
|
|
|
v
|
Défendu par un taureau
|
02/05
|
|
Ponges
|
M
|
x
|
|
|
v
|
|
|
|
Pépinet
|
F/40
|
|
|
x
|
s
|
|
05/05
|
|
Maurines
|
enfants
|
?
|
|
|
|
|
|
|
Albaret-le-Comtal
|
enfants
|
?
|
|
|
|
|
07/05
|
|
Bacon-Vieux
|
F
|
x
|
|
|
v
|
|
|
|
«
|
M/16
|
x
|
|
|
v
|
|
10/05
|
|
La Beaume
|
M
|
x
|
|
|
v+s
|
|
147
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
11/05
|
|
Auvers
|
M/10-12
|
x
|
|
|
v+s
|
Quatre garçons attaqués
|
16/05
|
|
|
M/30
|
x
|
|
|
v
|
|
19/05
|
Barlier
|
Servilanges
|
F/45
|
|
|
x
|
-
|
Décapitée
|
21/05
|
|
Mazeyrac
|
enfant
|
|
x
|
|
v+s
|
|
24/05
|
Marguerite Martin
|
Saint-Privat-du-Fau
|
F/20
|
|
|
x
|
v+s
|
Décède quelques jours plus tard
|
|
|
Amourettes
|
F/11
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
Marie Valès
|
Le Mazet/La Fage
|
F/13
|
|
|
x
|
s
|
Décapitée ? devant témoin ?
|
|
|
«
|
M/enfant
|
x
|
|
|
v+s
|
|
|
Marguerite Bony
|
Marcillac
|
F/18
|
x
|
|
|
v+a
|
|
|
Pierre Tanavelle
|
«
|
M/15
|
x
|
|
|
v+a
|
|
25/05
|
|
Saint-Privat-du-Fau
|
F/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
Servante du curé
|
27/05
|
|
Lair
|
enfant
|
x
|
|
|
v
|
|
28/05
|
|
Paladine
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
Paysan à cheval
|
30/05
|
P. Ollier
|
Chanteloube
|
M
|
x
|
|
|
v+s
|
|
?/06
|
Jean-Pierre Guilhe
|
Le Rouve
|
M
|
|
x
|
|
v
|
|
|
|
La Veysseyre
|
/8
|
x
|
|
|
v+s
|
|
01/06
|
Jeanne Hugon
|
Lair
|
F/11
|
|
|
x
|
?
|
La rescapée perd l'esprit
|
11/06
|
|
Pinols
|
M
|
x
|
|
|
v
|
|
12/06
|
|
près de Nozeyrolles
|
F
|
x
|
|
|
|
Femme ou fille
|
16/06
|
Baret
|
Varennes
|
F/10
|
|
x
|
|
v
|
|
|
|
Lorcières
|
F/jeune
|
x
|
|
|
v+s
|
|
17-19/06
|
|
Les Plantas (?)
|
F/adulte
|
|
|
x
|
|
Voir également 09/66
|
20/06
|
|
|
M/8
|
|
|
x
|
a
|
|
21/06
|
|
Pépinet
|
M/12
|
|
|
x
|
|
Décapité
|
|
|
Sauzet
|
F/50
|
|
|
x
|
|
Décapitée
|
|
Marie Trincard
|
Sauzet
|
F/12
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
|
La Pause/Tombevie
|
F/10
|
|
x
|
|
v+s
|
Doublon avec la précédente ?
|
02/07
|
|
Aubrac
|
F/adulte
|
|
|
x
|
|
|
04/07
|
|
Ganigal
|
F/jeune
|
x
|
|
|
v+s
|
|
|
|
«
|
M/jeune
|
x
|
|
|
v+s
|
|
|
Marguerite Oustallier
|
Broussoles
|
F/68
|
|
|
x
|
-
|
|
|
|
«
|
M/jeune
|
x
|
|
|
v+s
|
Il en attrape la fièvre
|
|
|
Julianges
|
F
|
x
|
|
|
v+s
|
Fille du maréchal-ferrant
|
08-14/07
|
|
Venteuges
|
M
|
x
|
|
|
v+s
|
Un berger
|
10/07
|
|
Chaliers/Paladine
|
F/adulte
|
2
|
|
|
v+s
|
Deux soeurs clarisses
|
17/07
|
|
|
M/enfant
|
2
|
|
|
v+s
|
Deux garçons
|
22/07
|
Claude Biscarrat
|
Auvers
|
M/9
|
|
|
x
|
-
|
|
24/07
|
Marguerite Soulier
|
Chabanoles
|
F/27
|
x
|
|
|
v+s
|
|
148
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
27/07
|
|
Roussillon
|
enfants
|
3
|
|
|
v+s
|
|
|
Pierre Roussel
|
Servières
|
M/11
|
|
x
|
|
v+s
|
|
06/08
|
Guillaume Lèbre
|
Marcillac
|
M/18
|
x
|
|
|
v
|
Défendus par leurs chiens
|
|
Étienne Crozatier
|
«
|
M/16
|
x
|
|
|
v
|
«
|
07/08
|
Cellier
|
Chabanoles
|
F
|
x
|
|
|
v+s
|
|
09/08
|
Jeanne Anglade
|
Besset
|
F/16
|
|
|
x
|
a
|
|
|
Guillaume Bergougnoux
|
«
|
M/17
|
x
|
|
|
v+s
|
Défendus par Pierre Mercier
|
|
Jean-B. Bergougnoux
|
«
|
M/15
|
x
|
|
|
v+s
|
«
|
|
Jeanne Mercier
|
La Vachellerie
|
F/11
|
x
|
|
|
v+s
|
Défendue par Pierre Vidal
|
11/08
|
Marie-Jeanne Vallet
|
Paulhac
|
F/19-20
|
x
|
|
|
v+a
|
Attaquée avec sa soeur
|
?/09
|
|
Paulhac
|
M/14
|
|
|
x
|
|
Possibilité de confusion/doublon
|
02/09
|
|
Clavières
|
F
|
x
|
|
|
v+a
|
Projetée à distance
|
|
|
Dièges
|
F/22
|
|
x
|
|
v
|
|
04/09
|
|
Paulhac
|
F
|
x
|
|
|
v+s
|
|
08/09
|
Marie-Jeanne Barlier
|
La Vachellerie
|
F/12
|
|
|
x
|
-
|
|
11/09
|
Jean Gouny
|
Auzenc
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
Attaqué après avoir tiré
|
12/09
|
Jean Teissèdre
|
Le Buffat
|
M/16-17
|
|
x
|
|
v
|
|
|
Jacques Bastide
|
«
|
M/12-13
|
|
x
|
|
v
|
|
13/09
|
Denty
|
Pépinet
|
F/12
|
|
|
x
|
-
|
|
26-28/09
|
|
Marcillac
|
M/jeune
|
x
|
|
|
v+s
|
|
7-13/10
|
Jeanne Jouve
|
Marcillac
|
F
|
x
|
|
|
v+s
|
|
21/10
|
Jean Coutarel
|
Marcillac
|
M/adulte
|
x
|
|
|
-
|
Attaqué de nuit dans un champ
|
02/12
|
Jean Couret
|
Les Hontès
|
M/13-14
|
x
|
|
|
v
|
Secourus ?
|
|
Vidal Tourneyre
|
«
|
M/6-7
|
|
x
|
|
v
|
«
|
10-21/12
|
|
Paulhac
|
M/jeune
|
|
x
|
|
|
|
10/12
|
|
La Champ
|
F/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
Deux femmes attaquées
|
21/12
|
Agnès Mourgues
|
Marcillac
|
F/12
|
|
|
x
|
-
|
Décapitée
|
23/12
|
|
Julianges
|
F/13-14
|
|
|
x
|
a
|
|
1766
|
|
|
|
|
|
|
|
|
?/?
|
Fournier
|
Saint-Privat-du-Fau
|
F
|
x
|
|
|
v+s
|
|
?/01
|
Jean Tessèdre
|
Meyronne
|
M
|
(2)
|
|
|
|
Attaqué à deux reprises
|
12/02
|
|
|
M/enfant
|
x
|
|
|
v+s
|
Défendu par ses vaches
|
14/02
|
Jeanne Delmas
|
Badouille
|
F/adulte
|
|
x
|
|
v
|
|
149
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
04/03
|
Jean
Bergounioux
|
Monchauvet
|
M/8
|
|
|
x
|
a
|
|
?/03
|
|
|
M
|
x
|
|
|
|
Un berger a du mal à se défendre
|
|
|
Servières
|
F
|
|
|
x
|
|
Une fille entièrement dévorée
|
14/03
|
Marie Bompard
|
Liconès
|
F/8
|
|
|
x
|
|
|
19/03
|
Antony
|
Ally/Julianges
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
|
printemps
|
|
Le Sauzet
|
F
|
x
|
|
|
v+s
|
Secourue par Jean-Pierre Loudes
|
17/04
|
Marguerite Lèbre
|
La Pauze
|
F/6-7
|
|
|
x
|
s
|
Décède quelque temps après
|
|
Guillaume Hugon
|
La Pauze ?
|
M
|
x
|
|
|
v
|
|
|
Mathieu Hugon
|
La Coste ?
|
M
|
x
|
|
|
v
|
|
24/04
|
|
Le Meynial
|
M
|
|
x
|
|
v
|
Aide du berger
|
31/05
|
Pierre Teissèdre
|
Le Buffat
|
M/10-11
|
|
|
x
|
a
|
|
?/06
|
Joseph Chassefeyre
|
Le Fraisse
|
M
|
x
|
|
|
v
|
|
03/06
|
|
Lescoussouses
|
F/10
|
|
x
|
|
v
|
|
été
|
|
La Veyssière
|
enfants
|
5-6
|
|
|
v+s
|
|
|
Merle
|
Servières
|
F/adulte
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
Antoine Pichot
|
Montchauvet
|
M/enfant
|
plusieurs
|
|
|
v
|
|
|
Valentin
|
Bugeac
|
F/12
|
|
|
x
|
-
|
|
|
Lèbre
|
«
|
F/enfant
|
|
|
x
|
s
|
Décapitée
|
|
«
|
«
|
F/enfant
|
|
x
|
|
v+s
|
|
|
Pierre Blanc
|
Bugeac
|
M
|
x
|
|
|
v
|
Combat de trois heures
|
juillet
|
Catherine Freycenet
|
La Veysseyre
|
F/41
|
x
|
|
|
v
|
|
août
|
Anne Chabanel
|
Viallevieille
|
F/16
|
x
|
|
|
v
|
|
27 août
|
Magdelaine Paschal
|
Auvers
|
F/14
|
|
|
x
|
|
|
septembre
|
|
La Besseyre-St- Mary
|
F/adulte
|
|
|
x
|
a
|
2 femmes attaquées
|
|
Barthélémy Simon
|
Servières
|
M/21-22
|
x
|
|
|
v
|
|
|
Blanc
|
La Brugère / Esplantas
|
F
|
|
|
x
|
|
Pourcher. Confusion possible avec 1719/06/66
|
12/09
|
Jean-Pierre Cellier
|
Les Broussous
|
M/12
|
|
|
x
|
|
|
automne
|
|
Rocheberne
|
F/enfant
|
|
|
x
|
s
|
|
10/10
|
|
Maliargues/Saugues
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v+s
|
|
01/11
|
Jean-Pierre Ollier
|
La Soucheyre
|
M/12
|
|
|
x
|
|
|
1767
|
|
|
|
|
|
|
|
|
150
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
mars
|
Jean
Bergougnoux
|
Montchauvet ?
|
M/adulte
|
x
|
|
|
v
|
Père d'une victime
|
02/03
|
Marie Plantin
|
Servières
|
F/7
|
|
|
x
|
s
|
|
08/03-
19/04
|
Marguerite Dentil
|
Viallevielle
|
F/32
|
x
|
|
|
v
|
Carême
|
|
Marie Reboul
|
La Veysseyre
|
F/19
|
x
|
|
|
v+s
|
|
28/03
|
Marianne Pascal
|
Darnes
|
F/9
|
|
|
x
|
|
|
Printemps
|
|
|
?
|
?
|
?
|
?
|
|
Plusieurs douzaines de victimes
|
|
|
La Clause
|
F
|
|
x
|
|
v
|
|
|
|
La Roche
|
F/40
|
|
|
x
|
s
|
|
06/04
|
Louise Soulié
|
Nozeyrolles
|
F/19
|
|
|
x
|
s
|
|
09/04
|
Étienne Loubat
|
Fraissinet
|
M/9
|
|
|
x
|
s
|
|
|
|
«
|
M/10
|
|
x
|
|
v+s
|
|
10/04
|
Jeanne Paulet
|
La Besseyre-St- Mary
|
F/15
|
|
|
x
|
|
|
13/04
|
Anne Blanc
|
Bugeac
|
F/12
|
|
|
x
|
|
|
16/04
|
Louise Paulet
|
Ménial
|
F/17
|
|
|
x
|
-
|
|
20/04
|
Barthélémy Dentil
|
Sept-Sols
|
M/50
|
(3)
|
|
|
v+a
|
Attaqué à 3 reprises le même jour
|
29/04
|
Rose de la Taillère
|
Lair
|
F/10
|
|
|
x
|
s
|
Attaquée avec 3 autres enfants
|
mai
|
Jean-Baptiste Bergougnoux
|
La Vachellerie
|
M
|
(2)
|
|
|
v
|
Attaqué à deux reprises
|
|
Jacques Pignol
|
Pontajou
|
M/57
|
x
|
|
|
v
|
Défend un enfant dans ses bras
|
|
Laurent Vidal
|
Servières
|
M/17
|
(2)
|
|
|
v
|
Attaqué à 2 reprises
|
03/05
|
|
Nozeyrolles
|
F/17
|
|
|
x
|
|
|
|
|
Le Besset
|
F/13
|
|
|
x
|
|
|
04/05
|
Marie Bastide
|
Le Mont
|
F/48
|
|
|
x
|
|
|
05/05
|
Catherine Coutarel
|
Chanteloube
|
F/14
|
|
|
x
|
|
|
07/05
|
|
Le Besset
|
F/13
|
|
|
x
|
|
|
16/05
|
Marie Denty
|
Sept-Sols
|
F/12
|
|
|
x
|
|
|
c. 20/05
|
Antoine Laurent
|
Servières
|
M/12
|
x
|
|
|
v+s
|
|
20/05
|
Sébastien Biscarrat
|
Les Costes
|
M/11
|
|
|
x
|
|
|
27/05
|
André Hugon
|
Chanteloube
|
M/11
|
|
|
x
|
|
|
|
Joseph Meironenc
|
Servières
|
M/15
|
|
|
x
|
a
|
|
fin 05- début 06
|
François Lorent
|
La Vacheresse
|
M/32
|
x
|
|
|
v
|
|
juin
|
|
Ténazeyre
|
M
|
x
|
|
|
v
|
Un vacher se défend.
|
05/06
|
Barthélémy Moussier
|
Meyronne
|
M
|
x
|
|
|
v
|
Poursuivi
|
|
Antoine Veyrier
|
Pompeyrin
|
M/12
|
x
|
|
|
v+s
|
Défendu par Jean Bourrier
|
06/06
|
Antoine Dentil
|
La Veysseyre
|
M/14
|
x
|
|
|
v
|
|
151
|
Nom
|
Lieu
|
Sexe/Age
|
Attaque
|
Blessures
|
Décès
|
Témoins
|
Notes
|
12/06
|
Catherine Chautard
|
Les Couffours
|
F/9
|
|
|
x
|
|
|
15-17/06
|
Guillaume Barthélémy
|
|
M
|
x
|
|
|
v+s
|
|
17/06
|
Jeanne Bastide
|
Le Sanil
|
F/19
|
|
|
x
|
a
|
Robe décousue
|
Attaques, etc. (2) Une même victime attaquée
plusieurs fois. Ne compte que pour une personne
pour les statistiques.
Présence de témoins :(v) signifie qu'une ou
plusieurs victimes ont survécu pour témoigner
(a) signifie qu'une ou plusieurs autre(s) personne(s) que
la/les victime(s) a/ont assisté
(b) à l'attaque.
(s) signifie la présence de secours. (-) absence de
témoins.
152
Annexe 7 : localisation
géographique de l'Ardèche. (OpenStreetMap)
153
Annexe 8 : rapport Marin. (Liasse F 10
476, fond agriculture et destruction des animaux nuisibles)
154
Marin 2
155
Marin 3
156
Marin 4
157
Marin 5
158
Annexe 9 : «rapport sommaire sur
la nouvelle division du royaume» Page 119 /120, Archives
parlementaires, Bibliothèque Nationale de France.
a)
159
Annexe 9 : «rapport sommaire
sur la nouvelle division du royaume» Page 119 /120, Archives
parlementaires, Bibliothèque Nationale de France.
b)
160
Annexe 10: la Margeride. Source :
BESQUEUT Louis, La margeride, 1953.
161
162
Pour lire l'article complet, consulter le nom de l'auteur en
bibliographie.
163
Annexe 11: localisation
géographique du Haut-Rouergue. (Site touristique de Villefranche sur
Rouergue).
164
Annexe 12 : localisation
géographique de Marvejols. (OpenStreetMap).
165
Annexe 13 : le Dauphiné au
XVIIIè siècle. (D'après EXPILLY, 1766)
166
Annexe 14: le mandement de
l'évêque de Mende (en-tête originale). (Google books)
167
« Mandement de Monseigneur l'évêque de
Mende, pour ordonner des prières publiques à l'occasion de
l'Animal anthropophage qui désole le Gevaudan. A Mende, chez la Veuve de
François Bergeron Imprimeur du Roi, de Monseigneur l'Evêque, du
College & de la Ville. M. DCC. LIV. GABRIEL-FLORENT DE CHOISEUL BEAUPRE,
par la miséricorde divine, & la grace du Saint Siege apostolique,
Evêque, Seigneur & Gouverneur de Mende, Comte du Gevaudan, Conseiller
du Roi en tous ses Conseils : A tous les Chapitres, Prieurs, Curés &
Communautés séculières & régulieres, exemptes
& non exemptes de notre Diocèse, SALUT & BENEDICTION en Notre
Seigneur Jesus-Christ.
Jusqu'à quand, Seigneur, vous mettrez-vous en
colere, comme si elle devoit être éternelle ? Jusqu'à quand
votre fureur s'allumera-t-elle comme un feu ? (a) Tels étoient, NOS
TRES-CHERS FRERES, les cris plaintifs & redoublés que le saint Roi
David ne cessoit de pousser vers le Ciel, pour l'intéresser à ses
malheurs.
A qui ce langage dicté par la douleur, peut il
mieux convenir qu'à nous, sur qui le bras du Seigneur s'est si fort
appésanti ? Nous avons ressenti avec presque tous les peuples de
l'Europe, les calamités d'une longue guerre qui a depeuplé les
Provinces, & épuisé les Etats. A peine commencions-nous
à goûter les douceurs de la paix, qu'elle a été
troublée par de nouveaux malheurs : la mortalité des bestiaux, le
dérangement des saisons, les grêles & les orages ont
porté la désolation & la stérilité dans nos
campagnes; ils ont enlevé au laboureur d'ailleurs sans ressource, le
pain nécessaire à sa subsistance et qu'il avait arrosé
d'avance de sa sueur et de ses larmes. Mais toutes ces choses n'étoient
que le commencement des douleurs (a), et les foibles préludes de ce qui
devoit nous arriver dans la suite.
Ce premier malheur étant passé, en voici
encore deux autres qui suivent... en voici un troisième (b), plus
terrible que tous ceux qui ont précédé. Vous ne
l'éprouvez que trop, N.T.C.F. [Nos Très Chers Frères] ce
fléau extraordinaire, ce fléau qui nous est particulier, &
qui porte avec lui un caractère si frappant & si visible de la
colere de Dieu contre ce pays. Une bête féroce, inconnue dans nos
climats, y paroît tout-à-coup, comme par miracle, sans qu'on sache
d'où elle peut venir. Par-tout où elle se montre, elle y laisse
des traces sanglantes de sa cruauté: la frayeur & la consternation
se répandent ; les campagnes deviennent désertes ; les hommes les
plus intrepides sont saisis à la vue de cet horrible
168
animal, destructeur de leur espece, & n'osent sortir
sans être armés ; il est d'autant plus difficile de s'en
défendre, qu'il joint à la force, la ruse & la surprise. Il
fond sur sa proie avec une agilité & une vitesse incroyable, dans un
espace très court ; vous le savez, il se transporte dans des lieux
différens & fort éloignés les uns des autres : il
attaque de préférence, l'âge le plus tendre, & le sexe
le plus foible, même les vieillards, en qui il trouve moins de
resistance. Mais pourquoi vous peindre les funestes qualités de ce
monstre, dont vos propres malheurs ne vous ont que trop instruits ? Est-ce que
nous cherchons à rouvrir des playes qui saignent encore, & à
renouveller la douleur de tant de familles desolées qui pleurent la
perte de leurs enfans, & de leurs proches dont les membres ont servi de
pâture à cette horrible bête & qui sont devenues les
victimes infortunées de sa voracité ? A Dieu ne plaise que nous
voulions aigrir des maux qui nous déchirent les entrailles. Que ne
pouvons-nous les adoucir, essuyer vos larmes, & vous donner la consolation
dont vous avez besoin ? C'est le seul interêt de votre salut qui nous
force à parler sur un sujet si triste, & si nous vous
retraçons l'image de vos malheurs, ce n'est que pour vous en montrer la
cause & le remède. La justice de Dieu, dit Saint Augustin, ne peut
permettre que l'innocence soit malheureuse. La peine qu'il inflige suppose
toujours la faute qui l'a attirée.
De ce principe, il vous est aisé de conclure que
vos malheurs ne peuvent venir que de vos péchés. C'est là
la source funeste de vos calamités. N'en doutez pas, N.T.C.F., c'est
parce que vous avez offensé Dieu, que vous voyez aujourd'hui accomplir
en vous à la lettre et dans presque toutes leurs circonstances, les
menaces que Dieu faisait autrefois par la bouche de Moyse contre les
prévaricateurs de sa loi: « J'armerai contre eux, leur disait-il,
les dents des bêtes farouches, et la fureur de celles qui se
traînent et qui rampent sur la terre. L'épée les percera au
dehors, et la frayeur au dedans, les jeunes hommes avec les vierges, les
vieillards avec les enfants, (Deut., chap. XXXII, v. 24); si vous ne
m'écoutez point et que vous n'exécutiez point tous mes
commandements, voici la manière dont j'en userai aussi avec vous: je
vous punirai bientôt par l'indigence... Je ferai que le Ciel sera pour
vous comme du fer et la terre comme d'airain, tous vos travaux seront rendus
inutiles. La terre ne produira point de grains, ni les arbres ne produiront
point de fruits; que si vous vous opposez encore à moi et que vous ne
vouliez point m'écouter, je multiplierai vos plaies sept fois davantage
à cause de vos péchés.
169
J'enverrai contre vous des bêtes sauvages qui vous
consumeront, vous et vos troupeaux, qui vous réduiront à un petit
nombre et qui, de vos chemins, feront des déserts, à cause que la
crainte que vous aurez de ces bêtes vous empêchera de sortir pour
vaquer à vos affaires (Lévit. chap. XXVI, v. 14, 19-22.). Ils se
sont remplis et rassasiés, leur dit-il encore, et après cela ils
ont élevé leur coeur et ils m'ont oublié; et moi je serai
pour eux comme une lionne, je les attendrai comme un léopard sur le
chemin de l'Assyrie, je viendrai à eux comme une ourse à qui on a
ravi ses petits. Je leur ouvrirai les entrailles et leur foie sera mis à
découvert, je les dévorerai comme un lion et la bête
farouche les déchirera (Osée. chap. XIII, v. 7-9) »
Les divines Écritures nous fournissent de
fréquents exemples de châtiments pareils à ceux que nous
éprouvons. Car sans nous arrêter ici aux différentes plaies
dont Dieu frappa les Égyptiens avec leur Roi, à cause de leur
obstination invincible à vouloir retenir dans les fers son peuple
malgré lui, qui peut ignorer les punitions éclatantes que la
révolte et l'ingratitude des Israëlites attirèrent sur leurs
têtes criminelles ? Se soulèvent-ils contre Moïse par leurs
murmures ? le Seigneur envoie aussitôt contre le peuple des serpents dont
la morsure brûlait comme le feu, et qui en blessèrent ou
tuèrent plusieurs (Nombres, chap. XXI, v. 6). Des petits enfants
s'étant moqués d'Elisée, lorsqu'il faisait son chemin, ce
prophète les regardant, les maudit au nom du Seigneur: en même
temps deux ours sortirent du bois, et s'étant jetés sur cette
troupe d'enfants, ils en déchirèrent quarante-deux (IVme livre
des Rois, chap. II, v. 23, 24).
Un homme envoyé de Dieu, pour prédire au roi
Jéroboam ce qui devait arriver longtemps après lui,
n'exécute qu'en partie les ordres qu'il en avait reçus et les
viole dans un seul point, trompé par un vieux prophète, qui
l'assure que Dieu n'exigeait rien plus de lui, il croit à la parole de
cet homme plutôt qu'à celle de Dieu; mais la
désobéissance et la crédulité ne tardèrent
pas à être punies. Comme il était en chemin pour s'en
retourner, un lion le rencontra, qui le tua (IIIme Livre des Rois, chap. XIII,
v. 24). Le roi des Assyriens fit venir des habitants de Babylone, etc... et les
établit dans la ville de Samarie, en la place des enfants
d'Israël... Mais lorsqu'ils eurent commencé à y demeurer,
comme ils ne craignaient point le Seigneur, le Seigneur envoya contre eux des
lions qui les tuaient (IVme Livre des Rois. chap. XVII, v. 25).
170
Ce peu d'exemples que nous choisissons parmi bien
d'autres, suffit pour convaincre, N.T.C.F., que dans tous les temps, Dieu a
puni les péchés des hommes par des supplices semblables à
celui dont vous éprouvez aujourd'hui toute la rigueur. Ne demandez donc
plus d'où est venue la bête féroce qui fait tant de ravages
parmi nous. Ne vous mettez point en peine de savoir comment a-t-elle pu
pénétrer jusqu'à vous ; c'est le Seigneur irrité
qui l'a lâchée contre vous ; c'est le Seigneur qui dirige sa
course rapide vers les lieux où elle doit exécuter les
arrêts de mort que sa justice a prononcés.
Tel est l'ordre immuable de cette justice éternelle
que l'homme ne puisse se révolter contre son Créateur sans
soulever contre lui toutes les créatures : sa révolte lui a fait
perdre l'empire absolu qu'il lui avait donné sur tous les animaux ; et
cette même révolte a donné une espèce de domination
et de supériorité sur l'homme, puisque celui-ci est souvent
livré à leur fureur en punition de ses péchés : la
voix de son crime semble les appeler pour venger l'injure faite à leur
maître commun. Il armera, nous dit l'Esprit saint, ses créatures
pour se venger de ses ennemis... et tout l'univers combattra avec lui contre
les insensés qui n'auront pas craint de lui désobéir et de
secouer son joug.
Pères et mères qui avez la douleur de voir
vos enfants égorgés par ce monstre que Dieu a armé contre
leur vie, n'avez-vous pas lieu de craindre d'avoir mérité, par
vos dérèglements, que Dieu les frappe d'un fléau si
terrible ? Souffrez que nous vous demandions ici compte de la manière
dont vous les élevez ; quelle négligence à les instruire
ou faire instruire des principes de la Religion et des devoirs du Christianisme
? Quel soin prenez-vous de leur éducation ? Au lieu de leur apprendre de
bonne heure, et dès leurs plus tendres années, à craindre
Dieu et à s'abstenir de tout péché, à l'imitation
de Tobie ; au lieu de leur recommander, comme faisait ce saint homme à
son fils, d'avoir Dieu dans l'esprit tous les jours de leur vie, et de ne
jamais violer ses préceptes, d'être charitables en la
manière qu'ils pourront, et de soulager les besoins de leur prochain
selon leur pouvoir ; au lieu de leur inspirer de l'éloignement pour
l'orgueil, pour les moindres injustices et surtout une grande horreur pour ce
péché que l'Apôtre défend de nommer ; bien loin de
leur faire aimer l'état dans lequel Dieu les a fait naître, de
leur faire regarder la pauvreté même comme un trésor,
lorsqu'elle est accompagnée de la crainte de Dieu, et de la pratique du
bien, ne leur inspirez-vous pas des sentiments tout opposés d'ambition,
d'orgueil, de mépris pour les pauvres, de dureté pour les
misérables ? On vous voit bien moins occupés
171
de leur salut que de leur fortune et de leur avancement,
pour lequel tout vous paraît légitime, et ces passions naissantes
que vous auriez dû arrêter et étouffer par des corrections
salutaires, vous prenez soin au contraire de les nourrir et d'en faire
éclore le germe ; heureux encore si vous n'étiez pas les premiers
à les pervertir et les corrompre par la contagion de vos mauvais
exemples ! Après cela faut-il être surpris que Dieu punisse
l'amour déréglé que vous avez pour eux par tant de sujets
d'afflictions et de douleur qu'ils vous préparent dans la suite de votre
vie ?
Quelle dissolution et quel dérèglement dans
la jeunesse de nos jours ! La malice et la corruption se manifestent dans les
enfants, avant qu'ils aient atteint l'âge qui peut les en faire
soupçonner. Ce sexe, dont le principal ornement fut toujours la pudeur
et la modestie, semble n'en plus connaître aujourd'hui ; il cherche
à se donner en spectacle, en étalant toute sa mondanité ;
il se fait gloire de ce qui devrait le faire rougir. On le voit s'occuper
à tendre des pièges à l'innocence, à usurper un
encens sacrilège et à s'attirer, jusque dans nos Temples, des
adorations qui ne sont dues qu'à la divinité. Une chair
idolâtre et criminelle qui sert d'instrument au démon, pour
séduire et perdre les âmes, ne mérite-t-elle pas
d'être livrée aux dents meurtrières des bêtes
féroces qui la déchirent et la mettent en pièces ?
Ce n'est pas que nous regardions comme coupables toutes
les personnes qui ont eu le malheur de périr de cette sorte. Dieu peut
avoir permis ces tristes événements pour des raisons qui
regardent leur salut et leur bonheur éternels ; mais cela
n'empêche pas que Dieu ne leur ait fait subir la peine due aux
péchés de leurs parents : Je suis, nous dit-il, le Seigneur votre
Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui venge l'iniquité des pères sur
les enfants jusqu'à la troisième et quatrième
génération. (Exode, chap. XX, v. 5).
Prenons cependant bien garde, N.T.C.F., de ne pas rejeter
les malheurs, dont nous sommes affligés, sur le péché de
certaines personnes, comme si les nôtres n'y avaient pas
contribué. L'iniquité est généralement
répandue : aucun état, quel qu'il soit, ne peut se flatter d'en
être exempt, l'abomination a pénétré dans le lieu
saint, on ne cesse de le profaner par l'abus des Sacrements, par les
irrévérences et les sacrilèges. Où trouverons-nous
le remède à tant de maux ? Dans un véritable et
sincère repentir, dans les larmes de la pénitence. Nous sommes
effrayés, lorsque nous voyons le danger si près de nous, nous
le
172
grossissons même ; mais au lieu de pousser si loin
nos frayeurs, tremblons plutôt sur nos péchés qui doivent
faire le plus juste sujet de nos craintes. Entrons dans le dessein de Dieu qui
ne nous frappe que pour nous guérir ; si nous cessons de l'offenser, ses
vengeances cesseront aussi. Sa colère fera place à ses anciennes
miséricordes. Le monstre redoutable qui exerce sa fureur contre nous, ou
sera exterminé, ou Dieu le fera disparaître de nos contrées
pour ne plus revenir.
Loin de nous cette pensée folle que cet animal est
invulnérable et indestructible ; que les Pasteurs et tous ceux qui sont
chargés du soin des âmes s'appliquent à dissiper, par de
solides instructions, ces contes fabuleux dont le peuple grossier aime à
se repaître, et à bannir de son esprit tout ce qui ressent
l'ignorance et la superstition. Cet animal, tout terrible qu'il est, n'est pas
plus que les autres animaux à l'épreuve du fer et du feu ; il est
sujet aux mêmes accidents et à périr comme eux. Il tombera
infailliblement sous les coups qu'on lui portera, dès que les moments de
la miséricorde de Dieu sur nous seront arrivés.
Hâtons-les ces moments si désirables, par nos
larmes et nos gémissements. Déjà cette miséricorde
nous a ouvert une ressource. Les États de la Province, sensibles aux
calamités de ce Pays, ont accordé une gratification à
celui qui l'en délivrera, et nous avons lieu d'espérer que
plusieurs bras s'armeront pour nous secourir.
Mais soyons bien persuadés que ces moyens humains
et tous ceux que nous sommes obligés d'employer pour notre
défense, n'auront d'autre succès que celui qu'il plaira à
Dieu de leur donner. Supplions-le donc très instamment de les
bénir et de les faire réussir. Nous avons pour cet effet
ordonné des prières publiques dans les lieux qui
commencèrent d'être infestés par cette cruelle bête ;
mais ses ravages s'étant multipliés, et le mal croissant
toujours, l'humanité, la religion, notre propre intérêt,
tout nous oblige à prendre part aux frayeurs et à la
désolation de nos frères. Et quand nous n'aurions rien à
craindre pour nous, pourrions-nous n'être pas touchés du triste
état où nous les voyons réduits ? Pourrions-nous refuser
à l'histoire affreuse de leurs malheurs les sentiments d'une compassion
et d'une tristesse chrétienne, si la nature de leurs maux ne nous permet
pas de leur offrir des secours qu'ils ne peuvent attendre de nous, n'y
aurait-il pas de l'inhumanité à leur refuser celui de nos
prières? Tâchons de concourir à leur délivrance en
la manière que nous pouvons.
173
Ne cessons point de la demander à Dieu;
unissons-nous pour lui faire une sainte violence, qui ne peut manquer de lui
être agréable, dès que la charité pour nos
frères en est le principe. Redoublons pour eux nos supplications et nos
prières, accompagnons-les de ces sentiments de foi et de componction
capables de les faire monter devant le Trône du Seigneur et d'aller lui
arracher des mains les fléaux dont il nous afflige.
A CES CAUSES, l'on fera les prieres de quarante heures,
où l'on chantera le Domine non secundum peccata nostra &c. avec le
verset Ostende nobis &c., & l'Oraison Pro quacumque tribulatione, qui
commenceront dans notre Cathedrale Dimanche prochain sixiéme de Janvier
& nous ordonnons que dans toutes les Eglises Collegiales Paroissiales &
des Communautés séculières & régulières,
exemptes, & non exemptes de notre Diocèse, les mêmes prieres
soient faites pendant trois Dimanches consecutifs, à commencer au
Dimanche après la reception de notre présent Mandement ; &
que tous les Prêtres du Diocèse ajoutent à leur Messe la
Collecte Pro quaecumque tribulatione, jusqu'à ce qu'il aura plu à
Dieu de nous exaucer. DONNE à Mende dans Notre Palais Episcopal, le
trente-un Décembre mil sept cent soixante-quatre.
+ GABRIEL-FLORENT, EVEQUE DE MENDE.
De par Mgr Saint-Just. » (Archives
départementales de Lozère I 195)
174
Annexe 15 : article de «
Paris-match ».
Chien errant ou fauve échappé d'un
cirque ? La mort mystérieuse d'un cheval en Haute-Loire intrigue les
habitants de la région.
A Connangles, petit village perché sur les hauteurs du
Livradois, en Haute-Loire, à quelques kilomètres de La
Chaise-Dieu, règne une angoisse sourde. L'objet de cette
inquiétude s'appelle Nuage, un cheval que sa propriétaire, Carole
Robert, a retrouvé en partie dévoré le dimanche 8 juillet.
Et la question que se posent tous les Connanglois est : quelle bête a pu
attaquer Nuage avec une telle sauvagerie ? «Il n'avait plus d'oeil, plus
d'oreilles... J'ai grandi parmi les chevaux, mais un truc aussi horrible, je
n'ai jamais vu» confie Colette Robert à «La Montagne». En
France, il existe peu de prédateurs capable de s'attaquer à un
animal de la taille d'un cheval à part le loup, qui a fait un retour
naturel dans les Alpes en provenance d'Italie.
Que cachent aujourd'hui les épaisses forêts de
Lamandie et de la Garde ?
Mais d'autres incidents survenus à quelques dizaines de
kilomètres de Connangles soulèvent bien des interrogations. En
septembre 2011, le maire de La Besseyre-Saint-Mary, Georges Dalle, affirme
avoir aperçu un félin de grande taille de couleur fauve,
«entre le jaune et le rouge». Des échantillons de poils
collectés par l'édile ont été attribués
à un chien mais un moulage d'empreinte semble attester de la
présence bien réelle d'un fauve, selon les experts qui l'ont
analysé. D'après la description de Georges Dalle, l'animal
pourrait être un puma, un prédateur que l'on ne rencontre que sur
le continent américain.
175
Une gravure 18e siècle de la bête du
Gévaudan.
La mort de Nuage ravive les fantômes d'un passé
sanglant. Connangles est situé aux abords du Gévaudan, le terrain
de chasse de la bête tenue pour responsable de la mort d'une centaine de
personnes entre 1764 et 1767. Homme déguisé en loup, chien
dressé pour tuer, hyène, créature démoniaque...
Toutes les hypothèses, des plus rationnelles aux plus folles, ont
été envisagées sans que les historiens parviennent
à une conclusion définitive.
Alors que cachent aujourd'hui les épaisses forêts de
Lamandie et de la Garde qui se profilent derrière le clocher de
Connangles ? Pour les gendarmes locaux, le coupable est tout simplement un
berger allemand errant, bien que les exemples d'attaques mortelles de chiens
sur des chevaux ne soient pas monnaie courante, loin de là. Une
explication rapide qui ne convainc pas Carole Robert : «Ses blessures les
plus importantes se situaient à la tête et à l'encolure. Je
suis certaine que Nuage a été attaqué par un
fauve».
176
Annexe 16 : article du journal «
le progrès ».
Haute-Loire - Animaux. Une nouvelle bête hante le
Gévaudan : habitants et chasseurs sur la trace d'un
puma
La Besseyre-Saint-Mary. Lundi à 13 heures, le
maire de la commune dit avoir vu un puma traverser devant son véhicule
sur la RD41. Un témoignage qui conforte d'étranges observations
faites depuis le début de l'été.
A l'inverse du lynx boréal, un autre féliné
présent à l'état sauvage dans les Vosges, le Jura, la
Moselle et depuis peu dans le Rhône, le puma n'est présent
à l'état sauvage et naturel que sur le continent européen
/ Photo d'illustration - Celik Erkul
A La Besseyre-Saint-Mary, une commune d'à peine 130
habitants située à l'ouest de Saugues, quand bien même cela
se passe en plein jour, personne ne s'étonne de voir du gibier traverser
devant sa voiture. L'endroit est escarpé et les forêts
s'étendent à perte de vue sur ces monts de La Margeride... La
faune y est à son aise. Mais lorsque l'animal aperçu ne ressemble
à rien d'identifié jusqu'à présent sur ce secteur,
la rencontre pose des questions... D'autant que depuis le début de
l'été, les indices laissant à penser qu'un intrus a
trouvé refuge dans la faune locale se multiplient.
177
Depuis lundi, l'étrange animal qui hante cette commune,
à quelques kilomètres de l'endroit où Jean Chastel a
tué la bête du Gévaudan en 1766, a un nom : il pourrait
s'agir d'un puma. C'est en tout cas ce qu'affirme Georges Dalle, le maire de La
Besseyre. Un peu avant 13 heures, ce 12 septembre, il a aperçu un animal
traverser à une allure folle la route départementale 41 entre La
Besseyre et le village de « Hontès-Haut ». « Je l'ai vu
en pleine course. Ce n'est pas un animal tel que l'on peut en voir chez nous et
je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre qu'un puma...
» Le témoignage est digne de foi. D'autant plus crédible que
Georges Dalle connait tous les secrets de ce pays dans lequel il vit et
s'investit depuis des décennies. Les habitants, le territoire, sa flore
et sa faune, il les connait par coeur.
Désormais, c'est à l'office national de la chasse
et de la faune sauvage d'apporter davantage de précisions. Des
techniciens se sont rendus sur place et ont pu faire des
prélèvements de poils supposés appartenir à
l'animal en question et retrouvés sur des fils barbelés. Le
résultat de ces analyses est attendu sous une quinzaine de jours. En
juillet dernier, des empreintes ne correspondant à aucun animal connu
avaient déjà été observées dans les bois.
En attendant, les chasseurs de La Besseyre et de la commune
voisine d'Auvers ont été alertés. Lors de leurs battues,
ils sont invités à ouvrir l'oeil et à faire remonter tout
indice ou trace suspecte. « Un animal comme celui-ci doit bien se nourrir.
Dans ce cas, les chasseurs retrouveront des carcasses ou des empreintes dans le
sol »,explique le maire qui n'accepte pas que son témoignage puisse
être remis en cause avant qu'une réponse sur le mystère de
cette nouvelle bête du Gévaudan ne soit apportée.
Enfin, si puma il y a dans les bois du canton de Saugues, il
restera deux questions à élucider : comment est-il arrivé
là et comment le capturer ? « Au printemps, un cirque est
passé par Saugues et Langeac », se souvient l'élu. «
Mais aucun signalement de perte ou de disparition d'animal n'a
été effectué ». Le mystère reste donc entier.
Et à la Besseyre, il réveille tout un pan de l'histoire
locale.
178
Annexe 17 : retranscription d'une partie
de l'entretien avec Mr Boisserie.
Mr Boisserie : Je l538'ai
captée moi là, il539 m'avait dit qu'il l'avait vue
là-bas, je l'ai regardée, je l'ai trouvée dans la
montagne
Le chercheur : Et comment faites vous
?
Mr Boisserie : Avec une baguette, avec
ça ( Mr Boisserie me montre sa baguette de sourcier). Je les capte. Les
loups de même. Les chiens perdus, les bêtes perdues.
Le chercheur : Comment cela
fonctionne-t-il ?
Mr Boisserie :Ca marche, c'est tout
mental. Alors, vous posez une question et c'est la branche qui vous
répond. Vous cherchez l'eau admettons, là, il y a de l'eau qui
passe là-dessous, je vais vous montrer. (Mr Boisserie se lève et
prend sa baguette)
Mr Boisserie : Je vais regarder s'il
passe de l'eau. Ma baguette je peux pas la tenir là
Le chercheur : D'accord
Mr Boisserie : Et je viens ici, elle
bouge plus, et là elle bouge. Il y a de l'eau qui passe dessous, vous
cherchez la profondeur et c'est mental. Et les bêtes sauvages, c'est
pareil. Bon, alors, les pumas, je vais vous faire voir la direction où
il y en a. Moi, je commence toujours du côté nord. Il faut bien
s'orienter.
Mr Boisserie : Il y en a un là (
environ 3 secondes après l'orientation)
Le chercheur : Et là, on voit bien
la branche qui bouge, vous avez des problèmes pour la tenir ?
Mr Boisserie : Je ne peux pas la tenir,
j'peux pas la tenir. Et alors après, je tourne. Il y en a un autre dans
cette direction ( presque immédiatement après s'être
retourné). Et alors là, il faut regarder la distance. J'en ai un
qui est là, je vais poser la question. Est-ce qu'il est à 50 ? Je
vais me positionner. Est-ce qu'il est à 500 mètres.... 1
kilomètre, 2 kilometres, 2 kilomètres 500, 5 kilomètres,
non, 3 kilomètres, trois kilomètres 500, 4 kilometres, 6
kilomètres il est celui-là. Et l'autre là il n'est pas
loin, il est sur « Hontès-haut », d'ici il est à 800 ou
900 mètres.
Le chercheur : Cela fonctionne avec
n'importe quelle branche ?
Mr Boisserie : Normalement c'est du
coudrier, là c'est du hêtre. Pour moi, ça marche un peu
avec n'importe quoi.
538 « l' » : se réfère à la
nouvelle « Bête ».
539 « il » : se réfère à Mr Dalle,
premier témoin à avoir aperçu la nouvelle «
Bête ».
179
|
Annexe 18 :
étude de Serge Colin sur le capitaine Du Hamel.
|
180
Annexe 19 : cette icône du
XVè siècle représente le signe du Sagittaire avec une
queue à tête de dragon. Elle est originaire d'Armenie.
181
Annexe 20 : représentation de
sainte-Marguerite en lutte contre le dragon.
182
Annexe 21 : hybride zoomorphe.
Icône publiée à Bordeaux en mars 1765.
183
Annexe 22 : « la bête
lion », illustration de la bête du Gévandan montrant un
animal marchant sur deux pattes.
184
Annexe 23 : « les fripons
craignent les réverbères », 1789.
185
LISTE DES ANNEXES
Annexe 1 : carte comparée du
territoire du Gévaudan et de celui de la Lozère actuelle 138
Annexe 2 : localisation
géographique de Saint-Etienne-de-Lugdarès .139
Annexe 3 : localisation
géographique de Masmejan 140
Annexe 4 : localisation
géographique de Langogne 141
Annexe 5 : la peste en Gévaudan
.142
Annexe 6 : tableau
récapitulatif des victimes de la Bête 143
Annexe 7 : localisation
géographique de l'Ardèche .152
Annexe 8 : rapport Marin .153
Annexe 9 : « rapport sommaire
sur la nouvelle division du royaume » 158
Annexe 10 : la Margeride,
présentation du territoire 160
Annexe 11 : localisation
géographique du Haut-Rouergue 163
Annexe 12 : localisation
géographique de Marvejols 164
Annexe 13 : le Dauphiné au
XVIIIè siècle 165
Annexe 14 : le mandement de
l'évêque de Mende 166
Annexe 15 : article de «
Paris-match » 174
Annexe 16 : article du journal
« le progrès » 176
Annexe 17 : retranscription d'une
partie de l'entretien avec Mr Boisserie. .178
Annexe 18 : étude de Serge
Colin sur le capitaine Du Hamel 179
Annexe 19 : signe du Sagittaire avec
une queue à tête de dragon 180
Annexe 20 : représentation de
sainte-Marguerite en lutte contre le dragon 181
Annexe 21 : hybride zoomorphe.
Icône publiée à Bordeaux en mars 1765 182
Annexe 22 : « la bête
lion », illustration de la bête du Gévandan 183
Annexe 23 : « les fripons
craignent les réverbères », 1789 .184