3.4.3. Composition du complexe An. gambiae
Au Cameroun, le complexe An. gambiae est
représenté par trois espèces : An. gambiae s.s.
présente dans les zones de forêt et de savane humide, An.
arabiensis qui présente une distribution localisée dans la
région septentrionale à climat sec et An. melas
inféodée aux eaux saumâtres et présente dans la
région côtière(Mouchet et al., 2004).
Dans nos sites d'étude, seule An. gambiae s.s.
a été identifiée. Ces résultats sont conformes
aux précédents de Wondji (2003) et Tchuinkam et al.,
(2004), mais diffèrent de ceux obtenus à altitude semblable
au Kenya par Gimnig et al., (2001) et Koenraat et al., (2004)
où une sympatrie entre An. gambiae s.s. et An.
arabiensis a été notée. Deux raisons peuvent
expliquer cette disparité :le climat de la région (froid et
humide) qui n'est pas propice au développement de An.
arabiensis plus fréquent dans les zones de savane chaudes et arides
(Colluzi et al., 1979 ; Colluzi et al., 1985 ;
Edilloet al., 2002). Par ailleurs, les populations humaines au
Cameroun sont installées à des altitudes inférieurespar
rapport au Kenya (1200m au Mont Cameroun et 1800m à Nduttitsa par
Dschang) et cette absence d'hôtes limite la propagation des vecteurs dans
ces régions d'altitude du pays.
L'étude des formes moléculaires de An.
gambiae s.s. a révélé la présence de la seule
forme moléculaire S. Ceci suit les résultats de Wondji et
al., (2005) qui n'avait retrouvé qu'un seul individu de forme
moléculaire M à Dschang comme à Santchou sur des effectifs
de 118 et 56 respectivement. La forme M est plus fréquente dans les
régions où le couvert végétal et peu
dégradé à l'exemple de la zone forestière du sud
Cameroun. L'adaptation de la forme S aux zones à
végétation et pluviométriefaibles (Colluzi et al.,
1979) expliquerait sa présence dans notre zone d'étude. La
théorie d'un isolement(voire d'une exclusion) écologique entre
ces deux formes (Tourré et al., 1998, Wondji et al.,
2002) est égalementréaffirméepar ces résultats.
3.4.4. Les niveaux de transmission du paludisme.
La tête et le thorax seuls ont été
utilisés pour le test ELISA, ceci pour limiter la surestimation de
l'infestation par rapport à la présence effective de parasites
dans les glandes salivaires. Seuls An. gambiae et An.
funestus ont présenté des spécimens positifs au test
ELISA CSP. Ce sont donc les seuls vecteurs majeurs du paludisme dans la
région. An. paludis bien qu'ayant une fréquence
supérieure à celle de An. funestus à Santchou,
(respectivement 6,16% et 4,73%) et An. ziemanni (1,99%) n'ont pas
présenté d'individu porteur de protéine CSP dans
l'échantillon récolté. Ces espècesauraient doncune
implication négligeable dans la transmission du paludisme comme l'a
rappelé Antonio-Nkondjio (Antonio-Nkondjio et al., 2006).
Dans la plaine, An. gambiae est le vecteur majeur du
paludisme, avec une agressivité élevée, un Is
supérieur à celui de An. funestus et ainsi un taux
d'inoculation représentant 97% du total de ce site (58,41
pi/h/an contre 1,69 pi/h/an). C'est donc, statistiquement,
l'espèce responsable de la majeure partie des infections humaines ici.
En altitude, An. gambiaepossède la plus grande
densité mais l'espèce An. funestus montre une proportion
d'individus infectés (Is) deux fois plus grand (4,20% contre 2,35%). Son
rôle dans la transmission, qui se traduit ici par un taux d'inoculation
plus de trois fois supérieur à celui de la plaine, n'est pas
à négliger. En observant les variations saisonnières des
densités spécifiques, on peut noter que pendant la saison
sèche, la fréquence de An. funestus croît de
façon significative. Au cours de cette période, cette
espèce suppléé donc à la déchéance de
An. gambiae et contribue ainsi à maintenir la transmission
à un niveau stable au cours de l'année.
Malgré l'agressivitéanophélienne plus
faible en altitude, l'indice sporozoïtique est plus élevé
à Dschang (2,47%) qu'a Santchou (1,52%). Cetteplus forte
prévalence plasmodiale chez le vecteur peut s'expliquer par la migration
des populations des basses terres plus impaludées vers les hautes
terres. Cette migration est catalysée par la création d'une
université dans la ville de Dschangen 1993, ce qui a occasionné
l'immigrationde nombreuses personnes parmi lesquelles probablement des porteurs
asymptomatiques et facilité l'importation des parasites. Le niveau de
transmission est resté cependant élevé à Santchou
(51,84 pi/h/an) par rapport à Dschang (47,68 pi/h/an)
car le taux d'agressivité est très faible en altitude.
Le taux de survie (P) des anophèles calculé est
suffisant dans les deux sites pour permettre aux parasites d'effectuer
entièrement leur cycle intrinsèque : 91% et 90%
respectivement en aval et en amont, valeurs supérieures au seuil de 65%
définit par Bruce-Chwatt (1985). Cependant, la durée du cycle
extrinsèque du plasmodium étant rallongée ici par la basse
température, la transmission s'en trouve affectée et
réduit l'efficacité des vecteurs (Bødker et al.,
2003 ; Githeko et al., 2001).
L'indice de stabilité est supérieur à 2,5
dans le sitede Santchou (3,43), traduisant une stabilité de la
transmission du paludisme, ce qui n'est pas le cas à Dschang où
on note un niveau de stabilité intermédiaire (0,5 < Is <
2,5) avec un indice de stabilité de 2,04. En effet, dans la zone de
plaine, la présence de vastes zones marécageuses et du fleuve
Nkam qui serpente la plaine permet aux vecteurs de se reproduire abondamment en
saisons pluvieuses mais le sol étant sablonneux, les gîtes sont
rares en saison sèche ce qui se traduit par une baisse de
l'agressivité anophélienne. Ce schémas reste le même
tous les ans et induit une stabilité de la transmission du
paludisme.Dans le site de haute altitude, l'indice de stabilité est
inférieur au niveau minimum de stabilité mais n'en est cependant
pas bien éloigné. Ceci s'expliquerait par le fait queAn.
funestus s'associe au vecteur majeur An. gambiae en saison
sèche, rendant la transmission plus ou moins continue au cours de
l'année. Ces résultats sont compatibles aux prévisions des
zonesd'altitudes où on s'attendà retrouver un paludisme instable
présentant des résurgences en périodes de pullulation de
vecteurs (Fontenille et al., 1990 ; Mouchet et al.,
2004).
En altitude, la baisse de la température et de
l'hygrométrie sont à l'origine du rallongement du cycle
gonotrophique (Rhodain et Perez, 1985). Les valeurs de la durée du cycle
gonotrophique sont d'un jour supérieur avec l'altitude pour les deux
espèces (Tchuinkam et al., 2007). Ces valeurs, associées
à des taux de parturité aussi élevés, augmentent
considérablement l'espérance de vie infectante dans le site
altitudinal. Il est donc indispensable pour les vecteurs de vivre plus
longtemps pour pouvoir transmettre le parasite. En effet, comme le cycle
gonotrophique (nombre de jours entre deux repas de sang) est plus long en
altitude, le moustique prendra moins de repas de sang au cours de sa vie.
Ainsi, la transmission réelle du parasite est réduite dans la
ville de Dschang.
Le réchauffement climatique actuel peut agir sur ces
constantes car une augmentation de la température moyenne va entrainer
un raccourcissement du cycle extrinsèque du parasite ainsi que du cycle
gonotrophique du vecteur. On notera alors une fréquence d'inoculation
des parasites bien supérieure à celle qui sévit
actuellement et les populations étant peu ou pas prémunies, un
TIE subitement plus élevé pourrait entrainer des risques
d'épidémie.
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