Analyse pragmatique des chansons de Koffi Olomide( Télécharger le fichier original )par Alain nyembwe kabala IFASIC - Licence 2013 |
SECTION III : La théorie des actes de langageIl serait absurde de passer directement à l'explicitation de notre cadre théorique sans parler des motivations qui ont conduit les auteurs à sa création. Il s'agit donc de comprendre ce qu'est la pragmatique, puis de citer brièvement différentes théories qui ont poussé à la création des actes de langage. III.1.La pragmatiqueCréée à Harvard en 1955, à la suite des travaux de John Austin, la pragmatique est un vaste courant d'interprétations du discours qui défend une vision beaucoup plus opérationnaliste que vericonditionnaliste de la fonction du langage. Il s'agit d'un courant qui étudie le langage dans ce qu'il a de pratique au-delà du discours et des inférences mentales et dont de nombreux auteurs doutent de l'existence en tant que « discipline délimitée »25(*). III.2. Aperçu de la théorie des actes de langageAfin de bien saisir le sens profond de notre corpus, nous avons choisi, dans l'ensemble des approches de la pragmatique, d'analyser la chanson en nous basant sur la pragmatique linguistique qui s'est largement développée sur la base de la théorie des actes de langage. Il s'agit d'une théorie liée à « la philosophie du langage ordinaire »26(*)et qui se fonde sur une thèse principale selon laquelle le langage n'a pas pour fonction unique de décrire le monde (illusion descriptive), mais également « d'être utilisé pour accomplir des actions, des actes de parole : par exemple pour créer des obligations ou s'en acquitter, pour influencer les pensées et les actions d'autrui et, plus généralement, pour créer de nouveaux états de choses et de nouveaux rapports sociaux »27(*). A travers cette théorie dont la principale problématique vise à savoir comment les hommes agissent sur leur environnement par les mots qu'ils prononcent, ses précurseurs, à l'instar d'Austin et Searle, estiment que « parler c'est accomplir des actes selon des règles »28(*).29(*) Pour ces derniers, il existe plusieurs actes de langage, à distinguer selon leur but qui peut être celui de citer, d'informer, de conclure, [...], de donner un exemple, de décréter, de déplorer, d'objecter, de réfuter, de concéder, de conseiller, de distinguer, d'émouvoir, d'exagérer, [...], d'ironiser, de minimiser, de railler, de rassurer, de rectifier [...]. D'où il ressort que l'analyse pragmatique porte moins sur ce qui est énoncé que sur l'énonciation elle-même. La « théorie de l'énonciation »29(*) d'Austin permet derelever, dans une énonciation, deux types d'énoncés à savoir: Ø Les énoncés performatifs qui sont ceux qui expriment un fait, un état de choses ou encore ceux qui font ce qu'ils décrivent et qui peuvent donc être heureux ou malheureux (par exemple «je promets »), Ø Et les énoncés constatifs qui sont ceux qui décrivent une action ou un évènement qui peut être vrai ou faux (Par exemple « je donne cours »). Mais après examendecette théorie,Austin a remarqué qu'il n'existe pas beaucoup de différenceentre les énoncés performatifs et les énoncés constatifs. En établissant un rapport entre « les performatifs implicites et explicites », l'auteur constate que les performatifs implicites peuvent être confondus à des constatifs dans la mesure où la distinction entre les conditions de vérité et les conditions de félicité est difficilement identifiable. Par exemple dans l'expression : « Je t'emmènerai au cinéma demain », l'on n'exprime pas seulement son opinion qui peut être vraie ou fausse, mais l'on accomplit l'acte de promettre à son interlocuteur, bien que le verbe « promettre » n'y est pas explicitement employé comme il l'aurait été dans un performatif explicite dont l'exemple est: « Je te promets que je t'emmènerai au cinéma demain ». Certains linguistes du courant de la sémantique générative tels que John R. Ross ont, eux aussi, partagé ce point de vue en créant «l'hypothèse performative »30(*). Cette théorie consiste à traiter les performatifs implicites comme équivalents aux performatifs explicites. C'est à la lumière de ce qui précède que la linguistique de l'énonciation a évolué jusqu'à la création de la théorie des actes de langage par Austin. Cette théorie repose sur le postulat selon lequel « en prononçant une phrase quelconque, l'énonciateur accomplit trois actes de langage distincts ». Il s'agit de : Ø L'acte locutionnaire ou locutoire : qui correspond à une simple production de sons par un locuteur, indépendamment du sens qu'il souhaite communiquer; Ø L'acte illocutionnaire ou illocutoire : qui correspond à l'acte accompli au moment où l'on parle, ceci, à cause de la signification de ce que l'on dit ; Ø Et l'acte perlocutoire que l'on accomplit par le fait d'avoir dit quelque chose produisant par ce fait même, des effets, des conséquences sur les actions, les pensées ou les croyances de l'interlocuteur ou sur l'auditoire. Comme pour la linguistique de l'énonciation, la marge entre les trois actes de langage n'est pas très facile à établir. Searle affirme, à ce sujet, que « si l'on considère la notion d'acte [locutionnaireet]31(*)illocutionnaire, il faut aussi considérer les conséquences, les effets que de tels actes ont sur les actions, les pensées ou les croyances, etc. des auditeurs»32(*).Le fait de dire « il est parti » (acte locutionnaire), j'affirme qu'il est effectivement parti (acte illocutionnaire), peut réjouir, inquiéter ou rassurer son auditoire (effet perlocutoire). En approfondissant la théorie des actes de langage d'Austin, Searle ouvre une perspective nouvelle en considérant l'énonciation comme « assujettie à des règles conventionnelles qui, toutefois, diffèrent de celles qui assignent leur sens au mot »33(*). Il parle d'acte illocutionnaire pour désigner l'acte accompli dans la parole même et instituant des rapports entre interlocuteurs, modifiant leurs comportements. Le niveau perlocutoire définit l'énonciation comme acte visant à provoquer des effets chez l'allocutaire et dépendant de la situation de la parole ». Jean PierrerMeunier et DanielPeraya, en étudiant les actes de langage, estiment à leur tour, que cette notion met un accent particulier sur les sujets communicants et sur l'engagement que constituent, pour chacun d'eux, leurs paroles. Ils notent à cet effet : « nos actes de parole se présentent comme des actions dont l'objectif est de transformer la situation d'interlocution définie selon les auteurs comme jeux de langage (Wittgenstein), un système relationnel des droits et devoirs (Ducrot) de place (Flahaut) ou de position (Goffman) [...] »34(*). Ils estiment en outre qu'en s'intéressant à l'étude des sujets communicants, on s'intéresse également à : L'étude du contexte social de leur communication, dans la mesure où les signes utilisés par les interlocuteurs comportent les traces des contextes ou de l'environnement ou encore du monde dans lequel ils vivent ; L'étude de la relation entre locuteur et auditeur. Il s'agit de l'étude des rôles sociaux, entendus comme des ensembles reconnus et acceptés de droits et devoirs entre les membres d'un même système social et culturel ; L'étude du langage dans une perspective d'action visant à créer des obligations ou s'en acquitter, pour influencer les pensées et les actions d'autrui et, plus généralement, pour créer de nouveaux états de choses et de nouveaux rapports sociaux. Dans cette section, nous avons pu faire un aperçu général sur la pragmatique telle que clarifiée par John Searle, D. Eluerd, J.P. Meunier et D. Peraya et bien d'autres encore. Il en ressort que la pragmatiqueconstitue le creuset-même de la théorie des actes de langage, théorie indispensable dans l'étude des comportements sociaux qui naissent des usages du langage. Notre analyse se veut davantage qualitative plutôt que quantitative. Tout en veillant à ne pas nous lancer dans des considérations trop théoriques, nous allons analyser notre corpus en nous basant sur la typologie searlienne des actes de langage que nous proposons dans le tableau ci-dessous :
Cette classification nous permettra d'établir un rapport étroit entre l'oeuvre de Koffi Olomide en tant que chanson populaire et les actes de langage dans la mesure où l'oeuvre de l'artiste peut être considérée comme une « [...] énonciation supposant un locuteur et un auditeur et chez le premier l'intention d'influencer l'autre en quelque manière»35(*) et que nous pouvons schématiser comme suit : l'auteur [et/ou l'interprète] (X) chante (Z) pour voir se réaliser dans le chef de son auditeur (Y) une série d'intentions (amour, haine, pardon, patience, pitié, paix,...). CHAPITRE II : MUSIQUE CONGOLAISE :ELEMENTS D'UNE PRESENTATION CONTEXTUALISEE * 25ELUERDT, D. cité par TshilomboBombo ,la question du sens en pragmatique, in Revue africaine de communication sociale vol II, n°2, juin-décembre 1997, Facultés catholiques de Kinshasa p. 68 * 26 wikipédia.com, op. cit. * 27SPERBER, D. et WILSON, D., La pertinence. Communication et cognition. Les Editions de Minuit, Paris, 1989, p.365. * 28SEARLE, J., Les actes de langage ; essai de philosophie du langage, Paris, Hermman, 1972, p. 59 * 29NDUMBA, « Philosophie du langage », cours inédit, G3, Kinshasa, Université catholiques du Congo, 2010 * 30www. wikipédia.com * 31C'est nous qui ajoutons * 32SEARLE, J.R., Les actes de langage ; essai de philosophie du langage, Paris, Hermman, 1972, p. 59. * 33NDUMBA, « Philosophie du langage », cours inédit, G3, Kinshasa, Université catholique du Congo, 2010 * 34 MEUNIER, J.P, PERAYA, D.,Introduction aux théories de la communication, De Boeck/Université, Bruxelles, 1993, p.42 * 35BENVENISTE, E., Problèmes de linguistique générale, Paris, Galbérant, 1969, pp. 241-242 |
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