I.1.2. La problématique de la recherche
En se référant aux différents proverbes
et expressions de la côte Est de la grande île, notamment chez les
Betsimisaraka, on se demande parfois quelle est leur signification et,
quel est leur objet. Les jeunes et les enfants doivent-ils toujours se
soumettre à leurs parents ? Faut-il penser qu'en aucun cas, les cadets
ne puissent pas surpasser les stades de leurs aînés ? Telles
étaient, entre autres, les questions que nous nous sommes posées
devant certains proverbes. Nous en retenons deux, par exemple, qui font
nettement allusion à la gérontocratie: «Söño
tsy mihoatra akondro » (littéralement, « Le taro ne
surpassera jamais le bananier »8 et «Sambaha lava
sômotro ny öraña, mböla zandrin'ny amaloño
» (Aussi longues que soient les barbes de la crevette, elle reste
toujours la soeur cadette de l'anguille)9. Autrement dit, ces
proverbes enseignent que les parents et les aînés se placent au
sommet de toutes les instances de la société et demeurent une
référence indispensable dans la vie quotidienne.
La situation ne se limite pas uniquement au niveau de la
relation cadet/aîné ; elle s'étend également
à la manière dont les femmes sont considérées dans
la société.
7 LEIF, RUSTIN, op.cit., p.27
8 Autrement dit, la taille d'un bon pied de taro
(vôdin-tsöño ; vôdin-tsahôño) ne
rivalisera jamais avec celui d'un bananier (vôdin'akondro). Ceci pour
signifier qu'un aîné a toujours une longueur d'avance sur son
cadet en termes de date de naissance.
9 Ce proverbe s'appuie sur le fait que, dans la conscience
collective des Betsimisaraka, qu'une anguille est de par sa taille nettement
plus longue qu'une crevette. C'est pour dire qu'un cadet a beau être plus
socialement important que son aîné, mais cette réussite
sociale ne le dédouanera jamais d'être respectueux envers son
aîné. Et si nécessaire, ce dernier ne manquera pas de
rappeler qu'en dépit de tout, sur le plan de l'âge il a toujours
une longueur d'avance sur ce cadet.
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«Soy lahy nanambady akanga, lahiny tsy àry
hely » (tel un colibri qui s'est accouplé à une
pintade, le mal n'est jamais petit) enseignent-ils à leur propos. Ne
voit-on pas dans ce passage un indice de la société phallocrate ?
Certes, apparemment celle-ci n'est pas le modèle propre aux
betsimisaraka, mais cela ne nous empêchera pas d'étudier
le cas spécifique de ces populations.
D'autres aspects sociaux se présentent dans les
proverbes, par exemple, « Telotelo mandeha misy añivo, roroa
mandeha misy hikoraña, tökaña mandeha möra jerijery
» (se promenant à trois, il y en a un qui se trouve au milieu
; à deux, il y en a un avec qui on peut discuter ; seul, facile de
manquer de proches). Un proverbe qui rejoint la valeur distinctive des Malagasy
dans leur ensemble : le fihavanana. Pourtant, cette affirmation n'est
pas à l'abri des critiques ; elle est en effet en contradiction avec
d'autres comme « Tsara ny maro fö vitsy möra rasaña
» (il est bien d'être nombreux, mais il est facile de faire un
partage lorsqu'on est moins nombreux). Tantôt, on parle de l'importance
de la solidarité d'un grand nombre de personnes, tantôt on
évoque l'intérêt de petits groupes. On fait souvent appel
à la solidarité lorsque le besoin est indispensable
(rasa-tsiñy, funérailles...), par contre, on
préfère être moins nombreux lorsqu'il s'agit de partage de
bien tel que le rasa-lôva (héritage). Effectivement,
quelles idées sont transmises à travers « drakidraky
mamana atodim-boay... » (Une canne qui couva des oeufs de
caïman...), comme à travers «anti-bavy namotsy
nify... (Une vieille dame qui se brosse les dents...) » ? La suite
est : « misy raha kindreñy», c'est-à-dire
qu'il y a là un but précis. Il s'agit des faits et observations
qu'on ne pourrait pas ignorer. Il nous appartient alors de dégager la
signification de ces différents proverbes afin de définir l'objet
et la conception de l'éducation chez les Betsimisaraka, car
l'éducation, disait CLAPAREDE10, est une vie et non une
préparation à la vie.
10 Cité par LEIF, RUSTIN, op.cit.
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En ce sens, par l'analyse des proverbes, nous essayerons de
définir grosso modo le mode de fonctionnement de la
société betsimisaraka puisque l'éducation n'a pas de sens
que si elle a un impact dans la vie sociale. On peut dire qu'elle n'a d'autre
champ d'application qu'en société. Or, « il arrive que
les individus qui vivent au sein d'une société ne soient pas ou
ne soient que partiellement conscients des structures de cette
société11». En fait, les proverbes que nous
venons de citer ne sont que des exemples parmi tant d'autres. Ils ne sont que
de simples hypothèses et ne reflètent pas forcément les
significations profondes ou les conceptions complètes du modèle
de la société betsimisaraka. Comme l'a écrit
ANDRIAMANGATIANA, « ... ce n'est pas à travers l'habit qu'on
puisse comprendre la fonction; et ce n'est pas à travers la fonction non
plus qu'on puisse imaginer l'esprit. Il se peut que l'hypothèse et la
réalité soient largement
différentes12». Mais, quoi qu'il en soit,
EVANS-PRITCHARD a bien souligné que « sans les théories
et les hypothèses, on ne pourrait pas faire de recherche [...] car on ne
trouve (lorsqu'on a la chance de trouver) que ce que l'on
recherche13».
Dans la société de l'oralité qu'est la
société traditionnelle malgache, les proverbes revêtent un
statut particulier dans la mesure où il s'agit ici de « paroles
bien frappées » et qui sont puisées à
l'école de la vie et de l'expérience. Dans les proverbes, nous
dit à ce sujet le Pasteur Richard ANDRIAMANJATO, « la structure
même des phrases aident l'intuition à saisir par-delà les
mots ce que l'on veut exprimer »14 . Les proverbes sont
des paroles bien à propos, concises et faciles à retenir pour
être ainsi reproduites. « A Madagascar, tout bon orateur doit
avoir une
11 EVANS-PRITCHARD Edward Evans, Anthropologie sociale
(1950), p.18
12 ANDRIAMANGATIANA Iharilanto Patrick,
Vakivakim-piainana, p.25. Traduction libre de «... tsy ny
fanamiana no hamantarana hatrany ny asa ; ary tsy ny asa no haminaniana sahady
ny fanahy. Mety hifanalavitra manko ny tombana sy ny tena izy».
13 EVANS-PRITCHARD Edward Evan, op.cit., p.47
14 ANDRIAMANJATO Richard, Le Tsiny et le Tody dans la
pensée malgache. Paris, Présence Africaine, 1957, (pp.8 et
9)
14
bonne capacité mnémotechnique pour pouvoir
reproduire tel ou tel proverbe « bien frappé
»15 » s'il veut séduire son public. En une
image, le proverbe est comme un socle qui permet de poser solidement ses propos
pour être réellement entendus par l'autre. Dans des longues
palabres, on ne retient pas tout. Mais grâce à des proverbes on
s'accroche à l'essentiel de ce qui a été dit.
Dans ses études sur l'oralité malgache,
Eugène Régis MANGALAZA précise la fonction des proverbes :
« Il y a des paroles qui fuient dans les oreilles et qui n'arrivent
à ficeler rien d'autre que le souffle de leur émission ;
d'autres, à l'inverse, davantage mûries et mieux
macérées dans l'intimité du silence intérieur de
leurs auteurs, atterrissent tout naturellement dans les deux oreilles, pour s'y
loger directement au fond du tympan. Comme une corde habilement tressée,
cette deuxième catégorie de parole que sont les proverbes, sert
à « lier », pour mieux empaqueter toutes les
expériences sensibles et cognitives des uns et des autres pour enrichir
ainsi le patrimoine culturel du groupe. A l'image d'un fagot de brindilles, il
n'y a que les idées bien ficelées par les proverbes qui sont
faciles à transporter sans qu'elles risquent d'être
défaites en chemin par le vent de l'oubli16 »
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