L'expérience comme interprétation des faits dans la " théorie physique " de Pierre Duhem( Télécharger le fichier original )par Héritier Mbulu Université catholique du Congo - Gradué en philosophie 2010 |
Chapitre premierLA NATURE DE LA THÉORIE PHYSIQUEI.0. IntroductionL'objectif de notre étude est de préciser la nature de l'expérience de physique en tant qu'interprétation des faits observés et non pas comme une copie directe de la réalité. Cependant, avant d'y arriver, il nous semble important de préciser la nature de la théorie physique, puisque le but primordial de notre auteur, dans son ouvrage La Théorie physique que nous avons exploité, était justement celle-là de révéler la nature véritable d'une théorie physique et ses différentes opérations. Préciser la nature de la théorie physique est, comme le relève P. Duhem, fonction de différentes conceptions. D'un côté, certains philosophes pensent que, la théorie physique « a pour objet l'EXPLICATION (sic l'explication) d'un ensemble de lois expérimentalement établies »5(*). Il faut alors montrer plus exactement ce qu'est une « explication » des lois en physique. Et ceci nous conduira à poser, selon P. Duhem, que la théorie comprise comme une explication des phénomènes de la nature est dépendante de la métaphysique. De l'autre côté, d'autres philosophes pensent que la nature véritable d'une théorie physique peut prendre une autre signification si nous affirmons que la théorie physique n'est pas une « explication »6(*), et c'est, plutôt, tout un système construit des propositions mathématiques en vue de représenter les lois expérimentales. Ces deux conceptions feront l'objet respectivement de la première et de la seconde sections du présent chapitre. I.1. La Théorie physique comme explicationEn général, nous dit A. Lalande, expliquer, c'est « développer ou décrire, donner une détermination précise à ce qui était inconnu, vague ou obscur »7(*). Cependant, pour une théorie physique, il s'agit du dévoilement de l'être de la réalité. C'est de cette manière que l'on a d'abord conçu une théorie physique. Cette conception a été qualifiée de trop métaphysique par certains épistémologues dont notamment P. Duhem. Mais comment se réalise ce dévoilement ? En quoi cette conception est-elle métaphysique ? Telle est la double préoccupation de cette première section.
I.1.1. Le Dévoilement de l'être de la réalitéPour certains épistémologues, la théorie physique a pour but de synthétiser les lois et de les expliquer. Tout d'abord on peut synthétiser un ensemble de lois relatives à certains phénomènes en faisant connaître les causes de ces phénomènes. L'explication réelle, découvrant la cause, permet d'en connaître adéquatement tous les effets. Le concept « explication », comme nous l'avons dit, est un dévoilement de l'être de la réalité, un dépouillement de la réalité des apparences sensibles en vue de la contempler telle qu'elle est dans sa nudité, c'est-à-dire que la réalité devient identique à la théorie8(*). Nous examinerons deux acceptions de ce concept « explication », afin de saisir l'explication comme dévoilement de l'être de la réalité : une explication réaliste et une explication hypothétique. En effet, le physicien qui observe les phénomènes ne fait pas un rapport immédiat avec la réalité matérielle qui se cache sous les apparences sensibles, puisque l'objet des lois expérimentales n'est pas la réalité matérielle, mais plutôt les apparences sensibles sous une forme générale et abstraite. C'est pourquoi, dans son souci d'expliquer la réalité, le physicien cherche à dépouiller les voiles des apparences sensibles qui l'empêchent de mettre à nu et face à face la réalité. D'où, sa théorie cherchera à percevoir ce qui est réellement dans les phénomènes observés. Il cherche à connaître la réalité dernière et intime à partir des apparences, croyant saisir cette réalité sur base de ses sensations. C'est le cas des théories acoustiques qui « font connaître le son tel qu'il est par rapport à nous, non tel qu'il est en lui-même, dans les corps sonores »9(*). Pour ce faire, les théories acoustiques cherchent à nous faire connaître la réalité à partir de nos sensations qui ne constituent que des apparences. Elles nous font découvrir les rapports réels des choses les unes avec les autres. C'est ainsi qu'elles nous donnent et expliquent chaque détail concernant cette apparence que nous appelons son en révélant la structure réelle de la réalité sonore. Toutes ces explications conviennent à la certitude des lois expérimentales des phénomènes sonores, et nous pouvons même palper du doigt tous les mouvements que le physicien attribue à cette réalité sonore. Mais certainement, la théorie physique devrait répondre au problème du degré de perfection. Elle ne saurait révéler la réalité telle qu'elle se présente en elle-même, du moment qu'une explication réelle de la nature, à partir des apparences sensibles, est impossible ; parce que, comme nous le dit P. Duhem, « (...) la réalité qu'elle proclame résider sous ces apparences, elle ne peut la rendre accessible à nos sens »10(*). Et cela d'autant plus que le physicien ne peut pas dicter des lois à la nature, comme il ne maîtrise pas la réalité des choses extérieures. Une deuxième acception du terme « explication » est appelée conception hypothétique de la réalité. Elle préconise que la théorie puisse se contenter d'expliquer à partir de l'apparence sensible en se faisant maître de la réalité, c'est-à-dire en voulant que la réalité obéisse à sa prévision ; comme pour reprendre Protagoras qui pensait que « l'homme est la mesure de toute chose ». A l'instar de la théorie vibratoire de la lumière qui nous fournit une explication hypothétique, partant de l'idée qu'il y aurait un élément nommé « éther » qui se situerait au-delà de nos sensations. Et ce n'est qu'à partir de cet élément considéré comme principe fondamental que l'on peut supposer toutes les conséquences sur base d'un raisonnement déductif. En d'autres termes, nous pouvons nous référer à H. Bouasse pour qui « la physique cherche dans son domaine à reconstruire le monde, à le déduire par voie purement syllogistique d'un principe général une fois admis »11(*). Cela conduit justement à l'établissement des lois expérimentales. * 5 P. DUHEM, o. c., p. 3. * 6 Nous devons savoir que l'explication dont il est question est une explication réelle des phénomènes de la nature. * 7 A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, 1976, p. 325. * 8 Cf. P. DUHEM, o. c., p. 4. * 9 Ib., p. 4-5. * 10 P. DUHEM, o. c., p. 5. * 11 H. BOUASSE, De la méthode dans les sciences, Paris, 1915, p. 124. |
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