2 LE DENI DE GROSSESSE
2.1 « UN PHENOMENE ANCIEN, NOUVELLEMENT DECOUVERT
»
2.1.1 Quelques notions d'Histoire
Lors de son exposé « Déni de grossesse : de
l'incrédulité au désarroi » [37] donné le 25
novembre 2011 à l'occasion du 3e Colloque Français sur
le déni de grossesse, J. Series, professeur à l'Université
de Valencia, a narré une anecdote peu connue du grand public : en 1500,
la reine Jeanne de Castille, déjà mère d'une petite fille,
se désespère de donner un jour un héritier mâle
à son époux Philippe de Habsbourg. Un soir de banquet, la reine
se trouvant indisposée se précipite aux latrines sous l'oeil
moqueur des courtisans. Quelques minutes plus tard, ses suivantes,
alertées par des halètements incongrus, rejoignent la reine et se
précipitent juste à temps pour rattraper un nouveau-né et
son placenta, sur le point de tomber dans les latrines. Cet enfant tant
espéré, dont la grossesse est pourtant passée
complètement inaperçue, sera connu quelques années plus
tard sous le nom de Charles Quint, roi d'Espagne et empereur du
Saint-Empire.
Au-delà de cet exemple de déni de grossesse
présumé mais jamais authentifié, l'Histoire et sa
littérature médicale regorge d'écrits et d'observations
qui démontrent que le phénomène de la grossesse
ignorée n'est guère d'apparition récente.
Au XVIe siècle, le terme de « recel de grossesse
» définit les grossesses non déclarées, renvoyant par
sa note péjorative à la possibilité d'infanticide, monnaie
malheureusement courante à l'époque. [11]
Au XVIIe siècle, le gynécologue Mauriceau
décrit le cas de plusieurs femmes présentant des saignements
menstruels persistants au cours de leur grossesse, phénomène qui,
selon lui, aurait pu les conduire à méconnaître leur
état. [11] [13]
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 22/89
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le XIXe siècle est marqué par de grandes
avancées en gynécologie-obstétrique, qui par ailleurs est
la première discipline médicale à voir le jour en France
[11]. En 1838, le psychiatre Esquirol fait l'observation d'une mère
infanticide qui d'après ses dires « ne connaissait pas sa grossesse
». En 1858, son élève Marce, prenant en charge des femmes
enceintes hospitalisées pendant leur grossesse, découvre que
certaines dissimulent leur état par honte de l'acte sexuel qu'il
suggère. Il fait la distinction parmi ces femmes entre celles qui
cachent délibérément leur grossesse mais confectionnent
les layettes en grand secret, et celles qui prises « d'un état
maniaque ou mélancolique », semblent ignorer jusqu'au fait qu'elles
sont enceintes. Le terme de « grossesse méconnue » est
avancé. [11] [12]
Tardieu, médecin légiste, mentionne en 1874 dans
son Traité de médecine légale le cas de femmes ayant
accouché clandestinement qui affirmaient « ne pas s'en être
aperçues ».
En 1898, Gould fait l'étude de 12 patientes
présentant une « grosseur » de l'abdomen qu'elles assimilaient
à une tumeur et qui attribuaient les douleurs du travail à des
problèmes lombaires ou intestinaux. Il est vraisemblablement le premier
à émettre le terme de « grossesses inconscientes », les
différenciant ainsi des grossesses dissimulées. Dans une
tentative d'élaboration d'une entité clinique, il dénote
un certain polymorphisme, ces femmes étant pour moitié des
multipares, jeunes ou non, une seule s'avérant délirante. Toutes
mariées, elles ne reconnaissaient pas les douleurs du travail et de
l'enfantement comme telles. Le monde scientifique persiste cependant à
attribuer ces grossesses inconscientes à des états de folie
transitoire ou de simulation, les reliant donc à une forme de maladie
mentale. [11] [13]
Sigmund Freud, père de la psychanalyse, définit
en 1924 le terme de « déni » comme un « mode de
défense consistant en un refus de reconnaître la
réalité d'une perception traumatisante » [13], contrairement
à la dénégation où le sujet formule un
désir, pensée ou sentiment mais continue de s'en défendre
en niant qu'il lui appartient.
En 1949, le médecin Deutsh décrit des femmes en
lutte contre une grossesse non désirée, qui présentent une
« attitude psychique si arrêtée que la grossesse est
psychologiquement inexistante ».
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 23/89
C'est durant la fin du XXe siècle, et notamment
à partir des années 1970, que le déni de grossesse
obtiendra enfin une existence clinique dans la littérature
médicale : de symptôme exclusivement observé chez la femme
souffrant de pathologies mentales et notamment de psychose, les études
de plus en plus rigoureuses et nombreuses l'étendront peu à peu
à tous les types de population. Le déni de grossesse reste
cependant peu ou mal connu en France même des professionnels de
santé, du fait de son absence de définition claire dans les
dictionnaires de psychiatrie, de psychanalyse ou de
gynécologie-obstétrique.
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