8 CONCLUSION
Décrit depuis des siècles dans la
littérature médicale, le déni de grossesse ou « le
fait d'être enceinte sans avoir conscience de l'être », est un
problème ni récent ni même rare : selon les études
retrouvées, il toucherait à divers degrés entre 1600 et
2000 femmes chaque année en France. Qu'il soit peu connu et reconnu
jusque parmi les professionnels de santé, fait de ce
phénomène un problème de santé publique qui ne
cesse de prendre de l'ampleur. Facteur de risque de complications
médicales et obstétricales, le déni même dans ses
formes les plus « bénignes » marque durablement les familles
et les esprits, par la découverte sidérante d'une grossesse que
nul n'avait soupçonnée - quand ce n'est pas le drame du
néonaticide qui devient révélateur du déni.
L'affaire « des bébés congelés
», diffusée à outrance par la presse à sensations,
aura cependant eu l'avantage de faire connaître le déni de
grossesse : la dernière décennie a été riche en
prises de conscience, et si le phénomène se résume encore
fréquemment au néonaticide dans les mentalités,
néanmoins son existence - comprise ou non - est désormais
familière du grand public. De même, une telle médiatisation
a déjà conduit de nombreux professionnels de tous horizons
à se pencher, pour leur culture personnelle ou dans le cadre
d'études épidémiologiques, sur le phénomène
jusque-là ignoré du déni de grossesse.
Parce qu'il bouscule notre imaginaire collectif et touche
à l'affectif de chacun, le déni de grossesse remet en question
notre perception même de la maternité. Avant toute chose, il
serait important de prendre en compte dans nos pratiques l'importance de la
grossesse psychique, gestation non pas seulement plaisante et signe
d'épanouissement, mais ambivalente et source d'angoisses.
Pour toute femme la grossesse est un moment d'ouverture
vis-à-vis de son passé, de ses conflits et de ses traumatismes.
L'essence même du déni provient de ce caractère puissant de
crise maturative, et pour celle qui ne peut affronter ces souffrances
psychiques latentes sous peine de voir sa psyché s'effondrer,
l'effacement et l'oubli constituent une solution irrationnelle mais salvatrice.
Telle est peut-être la notion la plus importante à retenir de cet
exposé : le déni de grossesse est un véritable
mécanisme de défense inconsciente, face à la souffrance
muette et indicible que symbolise la gestation
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ou l'enfant qu'elle implique. Quelles que puissent être
l'avancée de la grossesse en question ou l'attitude de la patiente
à l'égard de son enfant, il est primordial de garder à
l'esprit ce concept de souffrance : la femme en déni a besoin d'aide,
d'écoute, d'expressions et d'émotions que son entourage n'a
malheureusement pas pu lui fournir. À elle qui a vécu pendant des
mois voire des années dans une profonde solitude psychique,
l'équipe soignante doit fournir un appui, une oreille attentive et avant
tout l'assurance qu'on la croit, qu'elle n'est plus seule face à sa
souffrance bien réelle ; qu'il est important pour son entourage, pour
son enfant et avant tout pour elle et son bien-être futur, de
comprendre comment et pourquoi elle en est arrivée là.
Déclaration de grossesse tardive, demande d'IVG en
urgence ou encore antécédent d'accouchement inopiné
à l'issu d'une grossesse non suivie, le moindre signe évoquant le
déni chez une patiente doit désormais alerter le professionnel de
santé. Parce que le déni de grossesse est un
phénomène encore mystérieux et déroutant,
polymorphe dans ses expressions, il requiert tact, sensibilité ainsi
qu'une adaptation et une remise en question de tous les instants. Cela incombe
de former les étudiants à la prise en charge d'un pareil
symptôme, d'informer les professionnels déjà
expérimentés de l'existence d'un tel mécanisme de
défense et des manières les plus adaptées - ou à
défaut les moins traumatisantes - d'appréhender un sujet aussi
sensible que celui qui conduit une femme à nier sa propre grossesse.
A la lumière des récentes études, il est
aujourd'hui nécessaire d'adapter nos connaissances et nos conduites en
tant que soignants. Le déni est un symptôme psychique qui se
répercute sur tous les versants de la grossesse, physique, intime et
social : il nécessite donc l'action concertée de tous les
professionnels, des mesures adaptées, discutées et
confirmées par chaque discipline médicale ou paramédicale.
De par son rôle prépondérant dans le monde de la
maternité, la sage-femme pourrait être l'un des interlocuteurs
privilégiés et récurrents face à la patiente,
devenant en partenariat avec le psychothérapeute le pilier d'une prise
en charge qui mobiliserait chaque acteur en
gynécologie-obstétrique, pédiatrie,
anesthésie-réanimation, psychologie et psychiatrie, assistance
sociale...
Le suivi idéal et pluridisciplinaire commence
dès la révélation de la grossesse, accompagne le
cheminement psychique et physique de la future mère, enveloppe les
instants critiques de l'accouchement et du post-partum immédiat, et
se
Le déni de grossesse Mémoire 2012
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poursuit longtemps après la naissance, dans un soutien
au lien mère-enfant et dans la compréhension - et même le
dépassement - de ce qui a fait le lit du déni.
Pour toutes ces femmes en qui la grossesse a
révélé un mal-être profond et ignoré de tous,
un accompagnement réfléchi et serein est primordial. Il faut
songer désormais à organiser et planifier «
l'après-déni » dans le cadre de nos compétences, afin
de leur permettre de dépasser leur souffrance, de transformer les
cicatrices du déni en appuis forts pour l'avenir.
Avec, pour objectif final, la possibilité pour ces
patientes de se reconstruire.
Le déni de grossesse Mémoire
2012
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