AFFECTIVE
L'idée générale qui a pu se
dégager des précédentes statistiques est que « tout
le monde peut faire un déni de grossesse ». Si effectivement les
chiffres ont prouvé que le déni se retrouvait dans toutes les
catégories de population, dans tous les milieux socio-économiques
et dans toutes les situations conjugales, il faut cependant préciser que
le phénomène ne touche pas non plus n'importe qui.
Au cours de leurs observations, I. Nisand et S. Marinopoulos
ont constaté que le déni de grossesse se trouvait bien souvent
précédé d'une autre forme de déni, celui-ci
étendu à la majorité de la famille : « le déni
de la vie corporelle et affective (...) dans une famille où justement
les émotions ne se parlent pas » [25]. Définir en quelques
mots un environnement familial en pauvreté affective n'est pas simple :
ce peut être des proches trop peu démonstratifs ; une
éducation stricte se refusant à évoquer des sujets
sensibles comme la sexualité mais aussi à exprimer les plus
simples gestes d'amour ou d'affection ; ce pourrait être des figures
d'autorité parentale déficientes car absentes - une mère
dépressive, un père physiquement absent ? - ou effrayantes. Ce
peut être une famille marquée par le décès d'un
enfant, pour qui le silence et l'absence d'émotions est le seul moyen
d'endiguer la souffrance. [7]
Les besoins d'un enfant ne se résument pas à
manger et dormir à heures fixes : c'est par les interactions qu'il a
avec son entourage que l'humain se construit, ressent et évolue, c'est
dans son contact avec l'autre qu'il bâtit son Moi et son corps psychique.
C'est avec l'amour et l'attention que sa mère puis ses proches lui
prodiguent à chaque instant qu'il apprend à ressentir, à
exister par lui-même, à décoder ses propres affects et
à vivre en société : son corps sensoriel évolue au
fil de ses rencontres émotionnelles et affectives.[22]
Mais si sa mère est indisponible psychiquement, se
limitant à combler ses besoins d'ordre physique, alors l'enfant grandit
et perdure tout en restant en manque de
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 50/89
« nourriture affective ». Las de rechercher des
émotions, de l'attention auprès d'un entourage qui ne peut les
lui fournir, l'enfant se renferme peu à peu, apprend à « ne
pas ressentir pour survivre ». C'est son Moi psychique qui souffre
derrière une apparente normalité. Il mène une existence
qui semble tout à fait banale et qui en réalité, est
marquée d'un effroyable vide, émotionnel, sensoriel, affectif.
Au-delà d'un passé de violence ou d'agressions
sexuelles, le traumatisme réside ici en ce « déni de la vie
affective de l'enfant », vécu comme une véritable amputation
silencieuse de son Moi psychique. Ces enfants livrés à la
pauvreté affective de leur milieu se font discrets, sans exigences : des
années plus tard ils sont ces gens qu'on dit « sans histoires
», « agréables », « aimés de tous », en
réalité effacés et insaisissables, prisonniers d'un
contrôle massif de leurs affects installé dès leur plus
jeune âge, dans un contexte familial où l'expression
émotionnelle est réduite, voire inexistante. [22]
C'est ainsi que des mères de familles « tout
à fait banales », considérées comme « sans
histoires », aimantes et « s'occupant bien de leurs enfants »,
se révèlent victimes de déni de grossesse et responsables
d'un voire plusieurs néonaticides. Emmurées des années
durant dans le silence de leur vie affective et sensorielle, souvent encore
victimes de la même pauvreté affective dans leur relation à
leur conjoint, elles n'ont pas su reconnaître leur état de
grossesse, n'ont pas pu exécuter le travail psychique qui accompagne
normalement toute gestation physique, les conduisant ainsi au déni total
et au drame de l'accouchement inopiné. [23] [25] [29]